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dimanche 18 octobre 2009

Comprendre et faire sont deux choses


Une observation que je fais régulièrement, c'est qu'il n'est pas toujours nécessaire de comprendre les principes d'un fonctionnement pour l'appliquer. C'est même lors de l'apprentissage lourd de montrer quelque chose en faisant l'exposé du fonctionnement dans tous ces détails. Le globalisme est une erreur. Voilà ce que je veux démontrer. Pour comprendre l'ensemble, il faut se donner le temps de faire le tour du jardin et ce n'est souvent même pas nécessaire pour faire un bon job de jardinier.

C'est assez simple à démontrer: on peut se servir d'une voiture sans en comprendre tous les rouages. Dans certains métiers, on peut faire un bon job sans savoir comment ça fonctionne. Il faut juste connaître ce qu'il faut faire quand se produit telle chose ou les procédures. Enfin, si on y réfléchit, on trouvera milles exemples de cela.

Pourtant en éducation, on s'acharne à expliquer. Pire, on balance bien souvent plusieurs représentations pour aider à comprendre alors que l'objectif est de faire. Pour faire faire, il suffit souvent de faire répéter le geste avec une supervision. Nous sommes bavards, moi le premier et c'est inutile. Les Innus trouvent qu'on parle de trop!

Le trio 7,8 et 56 doit devenir un automatisme réflexe pour être utile en maths des fractions et, plus tard, de l'algèbre quand on factorise. Qu'importe qu 'on se rappelle que c'est 7+7+7+7+7+7+7+7 ou 8+... Quand vient le temps de trouver les facteurs communs d'une fraction comme 56/72 pour la simplifier, ce qu'il faut saisir rapidement, c'est que les deux se divisent par 8 qu'on tire de deux réflexes: les trios 7, 8, 56 et 8, 9, 72 bien mémorisées.

Quand on factorise des trinômes de 2e degré, il faut mêler les triades additives, les lois des signes et les triades de la multiplication. Quand tout est à peu près réflexe, ça va tout seul.

Et si on continue dans la complexité, on comprend que c'est l'agilité à utiliser ses réflexes et automatismes qui permet le talent en mathématiques, pas la compréhension de chacune de ses connaissances mathématiques.

En français, c'est à peu près la même chose. On se fout de savoir que le noyau du machin groupe donne l'accord au noyau du prédicat chouette. Il faut voir le verbe et rapidement trouver son sujet pour ajuster l'accord, que personnellement quand plusieurs mots le devance, je repère avec la question qui (fait l'action)? qui est un réflexe que j'ai entraîné, sans savoir au juste pourquoi au début, en classe régulièrement avec l'analyse grammaticale. De nos jours, on encombre les jeunes esprits de notions abstraites et «confusantes» pour tenter de leur faire comprendre la structure globale de la syntaxe avant même que leur cerveau n'atteigne la capacité d'abstraction. Alors que, pour devenir bon, il faut apprendre à automatiser de nombreuses sous-habiletés simples dans l'ordre qui permettent de libérer l'attention pour faire des phrases correctes et un texte potable. Il est simple de faire les routines orthographiques, une fois qu'on maîtrise divers réflexes sous-jacents. Quand on peine à distinguer un nom d'un verbe, d'un adjectif, ce n'est pas évident de faire ses corrections.

La nouvelle grammaire a beau être logique, elle est lourde et ça se voit dans les yeux des jeunes, ça se sent. Trop lourd. On oublie les présentations lourdes. On retient la formule et les structures simples. C'est le grand problème des globalismes qui croient faire apprendre en présentant la carte d'un savoir. Et reconnaissons nos résultats. Plutôt lamentable, non?

Pourtant, dans un autre domaine, tout le monde sait qu'apprendre à conduire est fatiguant. Une fois les automatismes bien intégrés, ça va tout seul.

Alors pourquoi diable nos manuels sont-ils remplis d'exercices de découvertes visant la compréhension ad nauseam et que nos jeunes ne savent plus rien maîtriser? Pourquoi ce délire de l'exhaustivité?

C'est simple, on encombre les apprenants de compréhensions bavardes et inutiles au lieu de leur faire développer et entretenir des réflexes utiles. Pire: on ne nous laisse même plus le temps de faire les routines nécessaires de l'apprentissage. On a, en plus, comme si ce n'était pas assez, dévalorisé ce genre d'activités vraiment utiles. Les séries ont disparu des manuels. Chaque année, on lance dans l'échec des centaines de milliers d'élèves en mathématiques dans la résolution de problèmes alors qu'ils peinent à répliquer les automatismes nécessaires pour coordonner de telles tâches complexes. Et franchement, ça sert à quoi, sinon à détruire le moral de tout le monde, sauf des doués, qui pigent tout, tout de suite? Et on veut vraiment former une nation prospère grâce aux nouvelles technologies et à l'innovation? Faites-moi rire!

Ceci dit, je n'ai rien contre la compréhension. Je ne vise pas l'abrutissement. Je constate simplement qu'il y a un temps pour chaque chose. Un temps pour suivre un enseignement et un temps pour le réfléchir, le comprendre ou le remettre en question. Je crois par expérience aussi que l'estime de soi, la vraie, est dans la réussite réelle. La capacité de faire adroitement quelque chose est satisfaisante. Même si on ne comprend pas tout ce qu'on fait, on a au moins la fierté de savoir-faire et de se rendre utile avec sa compétence. On n'a pas forcément besoin de comprendre pour être compétent. Si d'aventure, je comprends et que je peux alors entrer dans le processus de créativité qui permet l'amélioration des méthodes, tant mieux. Mais à mon sens, cette dernière suppose généralement le concours d'apprentissages bien structurés et réflexes en soi qu'on se met à appliquer à une situation alors qu'on n'en a pas l'habitude pour voir. Remettre en question est génial après l'apprentissage, pas avant qui est alors une excuse de fainéant plus qu'un acte d'intelligence. On comprend souvent en jouant avec ses connaissances, en les associant, en bricolant quoi avec ce qu'on sait. En faisant des hypothèses, en testant... On a commencé à m'aiguiller sur ces habitudes complexes quand j'ai eu l'âge de me représenter, pas avant. On ne passe pas notre temps à comprendre parce que, tout simplement, ce n'est pas «gérable» mentalement. La plupart de nos gestes sont assez automatiques. On est les champions de l'habitude, parce que c'est économique et l'adaptation est stressante. Certains d'entre nous développent le talent de réfléchir, de remettre en question, d'anticiper, d'inventorier des possibilités, de se représenter, de tester, d'évaluer et finalement de résoudre et d'inventer. Mais tout cela n'est possible bien souvent qu'après de multiples apprentissages préalables et de représentations acquises sans discussion qu'on va réévaluer, confronter, regarder d'un œil neuf.

Pour moi, en tous cas, expliquer, faire voir comment ça marche, vient bien après souvent l'automatisme. Un jour, l'électricien qui a encore oublié son code de couleur pour faire le branchement d'un interrupteur 3 voies (three-way) remarque que son voisin ne sait pas ces codes lui non plus, mais se débrouille quand même en faisant un dessin sur le mur pour se rappeler le fonctionnement du circuit qu'il comprend. Et la question lui vient: comment ça marche?

Alors, vous comprendrez peut-être que je ne suis pas très chaud des méthodes inductives et pourquoi je suis tant estomaqué par le processus d'apprentissage qu'on me suggère dans nos si beaux manuels. Je pense que chacun sait ce que je pense des idéologues du Ministère et de leurs amis bien diplômés qui enseignent dans les universités ce qu'est l'apprentissage... Et je vais probablement faire sauter des sections à mes adultes si je découvre qu'elles leur nuisent pour avancer.

Et dans mes rêves, je vois les gens revenir au bon sens en éducation et se mettre à réfléchir aux réflexes clés à faire faire et à entretenir pour permettre à nos jeunes de construire un édifice de connaissances et de savoirs-faires qui se tient. Et si on s'y met vraiment, qu'est-ce qu'on va redécouvrir?

Une certaine tradition scolaire un peu oubliée.

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