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vendredi 18 décembre 2009

FGA et le renouveau

Hier, on m'a fait un topo sur la situation de la formation générale des adultes.

Je réagissais à une observation que je fais depuis plusieurs jours. Le programme est sur la table depuis plus de deux ans. On y trouve quelques changements cosmétiques amusants, comme les compétences transversales qui sont ici des compétences polyvalentes, mais nous sommes essentiellement dans la même poutine: partir de situations significatives pour l'adulte, de projets, pour revenir ensuite l'outiller de connaissances qui sont attention ici maintenant des savoirs essentiels (enfin on le reconnaît! surtout que la plupart des décrocheurs qui arrivent ne les ont pas eus dans la formation générale au primaire et secondaire!), pour revenir à l'application de ces savoirs essentiels en situations significatives (projets) pour l'adulte pour évaluer des domaines de compétences machin chouette (je ne maîtrise pas le jargon, mais je me déforme à leur terminologie petit à petit!). On dit que le programme en math est assez bien fait dans son articulation. En français, c'est plus confus. Bon, je n'ai pas zyeuté tout cela encore, la poutine ministérielle est assez insipide avec ses abstractions pures comme vous savez! Enfin, je vais sûrement m'y mettre un de ces quatre...

Bref, dans le milieu, sur Internet, j'observe des communautés d'enseignants branchées sur Moodle qui produisent encore plus qu'on le supposerait du matériel assez pré-réforme, bien que les nouveaux sigles de cours nous inondent de leurs points d'interrogation et que quelques rares profs expérimentent apparemment du nouveau matériel et ces nouvelles approches. On en cherche 4 pour l'enseignement d'un cours de français en secondaire 2 sur FGA Montérégie. Les maisons d'édition, timides, mettent sur la table au compte-goutte des manuels orientés vers cette réforme. J'ai vu des extraits intéressants en secondaire un et deux en français d'une maison d'édition, ça parait mieux fait que nos Visa qu'on a entre les mains au niveau de la présentation des connaissances pour ce que j'en ai vu sur leur site promo. Ce n'est pas vraiment dure de battre Visa, remarquez...  Il parait qu'on retourne poliment les livres d'une autre maison d'édition qui n'impressionne pas beaucoup. Je n'ai encore rien croqué en maths!

Parait que les profs de l'Alliance des Profs aurait fait reculer la ministre cette année. L'année passé, on était en année d'essai ou d'application facultative. On aurait dû cette année normalement appliquer la réforme à la FGA. Là, c'est l'absence de signal qui est constaté... Bref, le système a l'air de «buzzer»!

Bon, franchement, on ne semble pas prêt malgré, parait-il, un contexte de libération des enseignants pour être formés, moins sauvage que ce qui a été vécu au primaire et au secondaire, et préparer la réforme.

Il y a peut-être aussi des problèmes plus importants à relever.

J'observe dans ma situation une réalité aux adultes particulières où il y a un roulement des effectifs étudiants assez déconcertants. Je croyais que c'était propre au contexte particulier où je suis, mais j'ai appris que partout le roulement de la clientèle est assez important comme phénomène. On a des groupes assez imposants en début de session qui se désagrègent assez rapidement. Dans certains milieux, on démarre plusieurs sessions nouvelles dans l'année ou on les raccourcit pour intégrer de nouveaux élèves. Les administrateurs parlent d'en débuter une par mois dans certains milieux, c'est dire le roulement. On comprend leur perspective, il faut des élèves pour toucher les sous. Les enseignants chignent et on en débute aux deux mois...

Bon, la réalité est là: il y en a qui se trouve un job ou une formation professionnelle de programme d'insertion au travail. D'autres qui se découragent. La méthode individualisée a ses limites. Nous ne sommes pas spécialement entrainés ici ni équipés pour dépasser les difficultés d'apprentissage de certains qui ont besoin de la relation pour avancer, car leur capacité d'entrer en relation avec un cahier est plutôt limitée. Plus le groupe est gros, moins l'enseignant peut facilement encadrer chaque élève dans sa démarche. Plus le groupe s'effrite, plus c'est possible de développer une relation significative avec les apprenants qui restent. Paradoxe... Mais c'est toujours sans garanti de réussite, tellement d'éléments agissent dans la réalité des adultes: enfants, travail, la vie sociale débridée, la toxicomanie, violence conjugale, urgence familiale à gérer, etc.

C'est des réalités.

Ensuite, on a beau vouloir tout changer. On travaille en FGA dans le multi-niveaux. On ne va pas facilement là faire suivre en parallèle 15 dynamiques de projet d'apprentissage comme ça en criant ciseaux! On «pacte» des groupes de 25, on m'a dit. Wow! Pas étonnants que ça s'effrite. Même quand on en a au même niveau, ils ne progressent pas au même rythme nécessairement. On souhaite faire travailler les gens en équipe, mais avec des effectifs qui se désagrègent toujours, on peut aisément concevoir la difficulté de gérer ça autant pour l'enseignant, que pour les élèves qui perdront des coéquipiers. Enfin, comme l'humain est humain, les coopérations, imposées pour des raisons fonctionnelles d'enseignement, ne vont pas toujours naturellement bien se passer. On résiste et à raison à ce genre de ménage forcé.

On observe que, dans des petits groupes formés ainsi, si un élève performe mieux, il devient souvent exploité par ses coéquipiers, comme bizarrement on peut en faire l'observation dans les travaux d'équipe scolaires depuis la nuit des temps! Ce qui marche spontanément, c'est l'aide ponctuel d'un plus avancé qui a des affinités de personnalités avec un autre et qui en aide un autre moins avancé, sans se faire siphonner puisqu'il veut normalement avancer aussi. Et parfois, comme le soulignait un enseignant, ça permet à cet avancé de revoir des préalables... Bon, ce que j'ai spontanément mis en place et observé a été ailleurs vécu comme une expérience qui remettait en cause des pratiques bien généralisées des classes en rangs d'oignon bien silencieuses avec un numéro à piger pour avoir accès au prof! Bon, évidemment dans mon cadre plus libéral il y a du temps qui se perd, mais bon, j'aime bien circuler d'ilot en ilot, me tirer une bûche et travailler avec les élèves, c'est le style FGA qui m'est venu spontanément.

Comme vous commencez à le comprendre, je m'imagine, l'imposition de la nouvelle philosophie d'éducation ne sera pas de la tarte ici non plus. Faut aussi penser qu'ici la culture de l'individualisé  a ses habitudes. Faire travailler en équipe des gens en démarche d'apprentissage sur des rythmes différents n'est pas facilement transmutable en cette vision féérique des élèves qui s'entraident à découvrir dans la joie et ensemble les savoirs essentiels pour conclure leur projet significatif pour eux... On se croirait dans le monde des élus des témoins de Jéhovah où les enfants flattent la crinière des lions! Vous ne trouvez pas?!

Et franchement,  quand je regarde la description des cours, je me dis que ça peut peut-être aller pour des gens qui ne feront jamais un secondaire 5 (c'est des réalités  et en plus grand nombre qu'on le croirait), pour les occuper et espérons-le les équiper un peu mieux en connaissances de base. J'en ai qui ne se démêlent pas dans le sens des 4 opérations mathématiques, c'est dire. Qui ne peuvent pas utiliser dans leur vie le calcul pour faire un budget, car ils n'ont manifestement pas la connaissance de base en maths pour en faire un...

C'est dire...

Mais bon, c'est prendre un chemin long pour d'autres qui peuvent rapidement s'approprier enfin des connaissances de base pour avancer rapidement leur formation générale pour se trouver une formation précise au professionnel.

De tout façon, je ne vois pas encore comment on peut gérer cela sans un support  de la démarche bien pensée pour un maximum d'autonomie des élèves, parce que le prof n'a qu'une tête et qu'un corps, bref il n'a pas la faculté d'ubiquité. Si le processus est trop compliqué, on ne va pas s'en sortir...

J'ai soulevé une idée qui m'est venue en regardant tout ce monde sur les plate-formes Moodles et en découvrant la banque Alexandrie de matériels pédagogiques. Mon idée est simple: pourquoi le ministère n'embaucherait-il pas des enseignants pour développer du matériel au lieu de donner le contrat à des maisons d'édition? En fait, si on passe à l'ère de l'informatique, il faudra que des informaticiens travaillent en interrelation avec des enseignants pour développer des manuels électroniques. Des démarches structurées non dans un cahier ou des volumes, mais sur support informatique dont on peut imaginer les possibilités assez infinies.

Une telle méthode pourrait franchement être en plus très aisément rectifiable ou adaptable à des différents contextes. On pourrait même une fois les ossatures bien lancées, imaginer des communautés  de partage où les apports de chacun viendraient compléter ou aménager la méthode pédagogique dans une grande banque d'instruments d'évaluation et d'exercices où chacun irait piger des textes ou des séries d'exercices en fonction des besoins.

Parait qu'on n'en est pas là! Les maisons d'éditions ont leurs entrées à la Maison Blanche! Faudrait cependant être cohérent, on y va ou on reste dans l'univers de l'imprimé?

Pourtant, on commence à le dire, le portable pour tous les élèves s'en vient. Franchement, les manuels ne seront plus aussi pertinents dans cette possibilité de développer des univers pédagogiques virtuelles. Ces derniers pourraient offrir l'avantage de rendre le matériel pédagogique dynamique...

Bref, comme vous voyez, je suis de mon temps. Je crois bien que l'informatique va révolutionner notre manière de travailler, je constate tout de même que l'utopie de la pédagogie de projet mur à mur n'est pas même évidente à intégrer dans un monde d'adultes. Cette réforme qui se moque des traditions disciplinaires et s'impose sans discussion sans avoir fait ses preuves est la pire aventure qu'un système éducatif pouvait entreprendre au nom de la modernité technologique incontournable. Pour moi, cette révolution technologique va fonctionner et l'éducation gagner en efficacité si on comprend un peu mieux certaines réalités de l'apprentissage et la structure formatrice de la pédagogie traditionnelle et si on respecte l'esprit des disciplines. Ce moulage forcé dans un modèle pédagogique unique est vraiment à remettre en question, ainsi que l'aberration de l'intégration des élèves en difficulté qui ne reçoivent plus de services adaptés et nous arrivent finalement au terme d'un parcours inutile en FGA avec toujours leurs lacunes incontournables et ingérables dans notre réalité. Je suis loin d'être convaincu également qu'une pédagogie utilitariste dans les formations de base soit la voie à explorer.

La formation de base doit former aux bases intellectuelles et à ses savoirs qui ont permis de sortir les masses de l'analphabétisme et de l'innumérisme et permettre aussi l'exploration des talents. Pour moi, certaines compétences polyvalentes requises dans certains jobs se développent dans le cadre de milieu orienté vers des formations professionnelles précises, spécifiques. Pour le reste, il y a la vie pour développer aussi l'application des différents savoirs de base. Quand on vient d'une famille curieuse, la polyvalence est naturelle. L'école doit fournir une structure, un référent, une colonne vertébrale.

Dans les pays dominés par les occidentaux et sous-instruits, ce n'est pas une pédagogie de projet qui a permis l'émancipation politique mais bien la plus terre à terre des alphabétisations et les disciplines scolaires traditionnelles. Peut-on m'expliquer comment le Mexique arrive à remplacer de plus en plus nos ingénieurs chez Bombardier? Avec une pédagogie de projet? Y a de quoi se marrer ou brailler, c'est selon...

Nous sommes les générations gâtées d'une société dans son âge d'or qui ont eu tout cuit dans le bec. L'infantilisation fait rage. Il y aura des retours de réalités assez surprenants quand nos marges de crédits se seront taries et que nous serons déclassés par des sociétés plus disciplinées.

L'histoire pourtant se répète et personne ne le remarque. Le déclin de l'empire américain n'est pas seulement qu'un titre de film...

Voilà donc ce qui devrait conclure mes réflexions pour cette année 2009.

Je vous souhaite à tous un bon temps des fêtes!

2 commentaires:

Missmath a dit…

"Nous sommes les générations gâtées d'une société dans son âge d'or qui ont eu tout cuit dans le bec. L'infantilisation fait rage. Il y aura des retours de réalités assez surprenants quand nos marges de crédits se seront taries et que nous serons déclassés par des sociétés plus disciplinées."

Où puis-je vous embrasser pour une telle déclaration ?

Jonathan Livingston a dit…

Euh? Faut que j'en parle à ma conjointe! ;-)