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samedi 19 décembre 2009

La grande noirceur (Grammaire traditionnelle: l'outil oublié du développement intellectuel )

Si on s'arrête à tout ce que développe l'apprentissage de la si compliquée langue qui est la nôtre et de sa grammaire  en terme de processus intellectuels, on se rendra compte que ces apprentissages ne sont pas du tout une perte de temps.

Ne voir que l'aspect utilitaire de l'apprentissage de la langue est une vision à courte vue et peu subtile de ce potentiel que nous avons, de ce qui caractérise la complication francophone.

Écrire des lettres développe la main et l'oeil, la dextérité. Apprendre le relation grapho-phonétique exerce l'analyse des détails dans un ensemble. Oui , en français, plusieurs graphies développent  le même son. Voilà une complication qui permet l'exercice de l'observation de phénomènes qui ont le même effet. Oui, il y a de très nombreuses lettres muettes qui ont une fonction néanmoins précise: faire discriminer visuellement des homophones comme toute langue en produit. Tous ces gestes orientés en premier lieu vers la lente construction de la maîtrise de la langue concourent en plus à développer utilement l'appareil intellectuel dans ses fonctions simples: la discrimination, le sens de l'observation, mémorisation, apprentissage d'automatisme qui pourront être coordonnées aisément et économiquement au plan cognitif pour gérer des tâches plus complexes.

La grammaire fait développer l'observation d'une structure sous-jacente, elle initie petit à petit à l'abstraction, au principe, à la règle, à l'organisation des choses... Évidemment, pour obtenir un certain effet, la tradition a observé depuis toujours qu'il faut partir avec des structures simples, partir du connu, et utiliser l'entrée du sens que l'enfant lentement intègre dans son rapport constant avec les faits de langue.

Voilà d'ailleurs toute l'erreur de la nouvelle grammaire. Elle part d'un système logique complexe pour  initier à l'abstraction grammaticale à un âge où la capacité d'abstraction est balbutiante.  Encore un truc lancé dans la mêlée par le ministère influencé par une éminente universitaire et son argumentation convaincante mais invalide comme une vérité indiscutable sans pourtant aucune validation sérieuse auprès de différentes clientèles d'étudiants.

La pratique de cette grammaire nous place dans une situation intenable. Expliquer ce système à des enfants incapables de se représenter une description si lourde et organisé logiquement, nous fait travailler pour rien. Les exercices de manipulations syntaxiques sont lourds et difficiles à gérer dans une exposition. La terminologie est absurdement surchargée et manque souvent d'utilité. Les définitions que produisent cette nouvelle grammaire visant à rendre compte de tous les cas sans exception ont le défaut d'être lourdes et remplies de trop de détails qui rend impossible leur mémorisation. En enseignant ce monstre , on ne voit plus les élèves, mais les point d'interrogation dans leur figure si ce n'est pas l'abandon résignée de toute volonté d'apprendre.

Pour moi, la nouvelle grammaire est la mort de l'apprentissage de la grammaire. Il est devenu carrément impossible de l'enseigner efficacement. Et depuis, la grammaire a disparu comme outil de développement des qualités intellectuelles... Je mets au défi quiconque de trouver un seul jeune au secondaire capable de bien se servir d'une grammaire de nos jours pour répondre à un questionnement sur la langue.

L'apprentissage des déclinaisons des verbes, dont la connaissance précise permet de gérer un accord courant en écriture, est excellent pour la mémorisation  et même  pour le développement de réseaux de connaissances plus complexes. L'idée de verbes modèles et la présence de verbes irréguliers  rendent l'exercice de maîtrise assez sollicitant pour l'appareil intellectuel en éveil. On n'a pas à pester contre la complexité de la langue, mais à y voir le formidable outil de développement de l'intelligence que nous avons la chance d'avoir.

On ne sait plus trouver dans sa mémoire, ni dans un conjugueur d'ailleurs, la 3e personne du pluriel au subjonctif présent du  verbe aimer de nos jours. Ses routines fondamentales manquent d'exercices.

Devoir organiser ses mémoires doucement en fonction de différents paramètres comme les temps de verbes n'est pas une pure perte de temps, mais une chance à prendre de développer son cerveau...


L'analyse grammaticale traditionnelle fait aussi travailler l'analyse, mais encore sollicite les mémoires, les active, les consolide, en plus de faire écrire des mots qui fixent dans le geste et le regard en action une mémoire des mots. Cette routine de nos enfances faisait faire des classements de mots, s'interroger sur le genre, le nombre, la personne du verbe, et préciser la fonction de chaque mot dans la phrase. Quel outil de synthèse des connaissances nécessaires à la maîtrise de la langue quand on y pense! En plus, elle ancrait dans une pratique régulière ces réseaux de connaissances pour développer une maîtrise de la langue. On a dévaloriser cette pratique: elle était ennuyeuse et en plus prenait beaucoup de temps en classe. De nos jours, on trouve plus important de faire écrire des textes bourrés de fautes, dans une syntaxe malmenée, et insignifiants à des jeunes qui n'ont pas vraiment eu le temps d'avoir une réflexion importante à communiquer.

L'analyse logique des propositions faisait aussi bien ordonner une connaissance précise des phénomènes syntaxiques en plus de stimuler les catégories logiques préalables à une réflexion sur la logique et la rigueur des démonstrations que dans notre système québécois on abordait à  un âge plus avancé au Cégep.

Pour moi, la notion de compléments circonstanciels, évincée de la nouvelle grammaire pour des raisons obscures, faisait doucement intégrer celle de contexte et les liens logiques entre les événements. On était au fondation de la pensée logique. On abordait ses notions dans l'analyse de la phrase simple vers la fin du primaire, puis on y revenait dans le contexte de la phrase complexe au secondaire avec cette fondation pour pousser l'analyse logique des subordonnées circonstancielles. Aujourd'hui, ce premier entrainement a été banni et le second fait l'objet d'une approche superficielle sans bien établir ni entraîner la relation entre la subordonnée circonstancielles et ses rapports avec l'idée principale.

Le complément de phrase (la re-nommée circonstancielle), traité comme un vulgaire machin déplaçable et supprimable pour le repérer fonctionnellement et espérer faire mettre les virgules est une connerie sans nom, une dilapidation du capital intellectuel de l'apprentissage de la grammaire. Les circonstances d'une action ou d'une idée sont pourtant importantes pour comprendre la valeur d'une idée et son champ d'application. C'est comme si on avait dénaturé cette activité préparatoire à la formation du jugement nuancé qui peut se développer à un stade ultérieur de la pensée élaborée. Enfin, la maîtrise de la virgule et des faits syntaxiques est loin d'avoir pris du mieux dans ces nouvelles pratiques de la grammaire. On attend encore en vain une évaluation de son rendement.


J'ai été sensible en 1992 à l'argumentation de Madame Chartrand qui nous a lancé dans cette aventure que personne à ce jour ne remet en question (je dois avoir une maladie spéciale! en fait, le dossier de la grammaire est d'une complexité assez difficile, contester la nouvelle grammaire n'est pas très simple à faire, j'y réfléchis depuis des années en constatant ses limites et les pertes que l'abandon de certaines activités ou stratégies apprises dans ma jeunesse occasionnent chez mes élèves)

À y réfléchir, avoir différentes entrées (syntaxique, sémantique, graphique) pour maîtriser la grammaire n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Écarter la dimension du sens, notamment, n'est malheureusement pas possible. On apprend toujours à faire comprendre la notion de nom avec celle de la définition (mot qui désigne une chose, une personne, un animal). Et à partir de cette saisie qui renvoie à un représentable possible pour un enfant qui déjà stimule doucement sa représentation abstraite de concepts, on peut greffer le reste, tranquillement aborder l'abstrait, et les autres constituants de la phrase, doucement, pas à pas.

L'abolition du questionnement (qui est-ce qui? quoi? à qui? etc.) au profit de stratégies de remplacement pour ne pas utiliser le sens comme entrée est une aberration du même type.  Les stratégies de la nouvelle grammaire sont trop lourdes pour le jeune appareil intellectuel. Le jeu des question avant et après le verbe sans être parfait rendait actif autant que les manipulations mais d'une manière clairement plus économique.

La lourdeur des stratégies de la nouvelle grammaire est une évidence qu'on observe constamment en situation d'enseignement. Des adultes parfaitement constitués ont mis des années à maîtriser cette nouvelle grammaire...
Un enseignante d'expérience m'a confié avoir mis 11 ans à rendre son enseignement de la nouvelle grammaire efficace. 11 ans! Et encore, je me permettrais de lui demander comment elle valide ce jugement.

Le modèle nouveau de la phrase de base  de la nouvelle grammaire GS-GV-(CP) n'a pas la fonctionnalité pratique de la structure sujet-verbe-complément (S-V-C). On traine la notion de groupe pour un maigre gain potentiel. De fait, cette présentation exhaustive fait fi d'une observation constante en éducation et en recherche en éducation qu'il faut partir du simple vers le complexe en construisant de façon systématique les connaissances pour permettre aux mémoires et au cerveau d'intégrer ces connaissances. Surcharger de détail un apprenant ne l'aide en rien dans son processus d'acquisition.

La logique des exceptions ou cas rares qu'on veut dépasser dans ce nouveau modèle n'y arrive tout simplement pas de toute façon. Il est ridicule de faire encadrer des groupes-sujet quand ce qu'on a besoin dans un premier temps est de discerner l'agent de l'action dans une phrase. Trouver simplement le sujet puis son verbe, que franchement, pourquoi faut-il de nos jours le renommer prédicat ou groupe verbal. Pour faire joli? Pour faire sérieux? Pour embrouiller tout le monde? Pour donner du vocabulaire?

Le sens en grammaire est très important: une phrase, c'est une idée qui parle de quoi?

Quelqu'un ou quelque chose fait (ou est pour les verbes d'état) quelque chose. Ces structures organisent un sens, ne sont pas des en-soi. Ce sont les véhicules de la pensée. Pas la pensée...

La logique des groupes syntaxiques (GN, GP, G adj, etc.) rend opaque la discrimination de données essentielles du fonctionnement de la langue et crée une  lourdeur dans  la description des phénomènes de langue. Un accord sujet-verbe résume tellement mieux, ça tombe pourtant sous le sens, que l'accord du ou des noyaux du groupe sujet avec le verbe receveur d'accord.  C'est contre-productif de traîner des règles de grammaires exhaustives dans nos mémoires limitées de toute manière. L'exhaustivité et la nuance est une maladie universitaire que peut se permettre un appareil intellectuel en voie de maîtrise mais, de grâce, épargnons les enfants!

D'aiileures La première chose à apprendre en enseignement au primaire comme au secondaire est de se dépouiller de l'esprit exhaustif et sur-nuancé qui est prisé à l'université quand on s'adresse aux enfants et à l'adolescent moyen. Il faut apprendre à simplifier les expositions, à garder la forme primaire de la connaissance à donner pour l'habiller ensuite de ces nuances. Il faut apprendre à donner un peu à la fois, doucement, ne pas aller trop vite, ne pas surcharger l'apprenant de ce qu'on a mis beaucoup de temps nous-même à ordonner dans notre tête. Il faut renoncer à jouer à celui qui sait tout et épate la galerie. Les jeunes ne vont rien apprendre... et on va se dire qu'on ne comprend pas puisqu'on leur a tout expliqué. Si c'était si simple bâtir une intelligence, cela se saurait...

L'enfant, pour s'approprier le savoir, a besoin de routines simples qu'il va répéter et qu'il va maîtriser, après quelques erreurs, ce qui va créer une vraie estime de soi. Ce qu'on nous montre en gestion de classe, la répétition de consigne qui permet d'intégrer un fonctionnement travaille de la même façon. L'animal et l'humain apprennent beaucoup en se calant progressivement dans une habitude que le maître va raffiner, orienter, canaliser. Prendre une habitude est un travail d'apprentissage qu'il faut méditer, car tout l'édifice du savoir repose sur cette observation. Pourquoi ne parle-t-on pas de l'apprentissage chez les animaux, de l'art du dressage, de cette science raffinée de l'apprentissage dans nos facultés d'éducation? Alors que la psychologie place cette étude au fondement de la compréhension de l'apprentissage chez l'homme. Y a-t-il un seul chercheur qui s'intéresse à ces questions dans le monde de la recherche en éducation?

Il n'a vraiment pas besoin de se perdre dans les détails qu'arrivent à gérer un adulte... Il n'a pas besoin  d'un adulte couvant qui cache ses échecs. Il n'a pas besoin de vivre l'échec constant d'être dépassé par des exigences débilement devenues normales de nos jours sous prétexte qu'on décide en haut loin des enfants ce qui devraient les développer le mieux sans jamais prendre le soin d'aller vérifier si cela fonctionne effectivement. Mais évidemment, sans la nécessaire répétition régulière de structure simple, l'acquisition ne pourra pas germer. Mais on n'a plus le temps, pensez-y, y a tout ce qu'il faut apprendre...

C'est pourtant tellement évident, je ne sais pas ce que je fais encore 14 ans après ce monstre qui a miné ma vie d'enseignant à un point qu'on ne peut pas imaginer, à encore y revenir en espérant que quelque part une intelligence réponde et que l'idée se répercute pour la fin de la grande noirceur en grammaire et pour le développement intellectuel des enfants.

On peut prendre les maths dans la même optique. La contextualisation et l'obsession de  la résolution de problème utilitariste a tué l'essence de cet autre outil majeur du développement de l'appareil intellectuel.

2 commentaires:

Simon a dit…

Cher volubile volatile,

J'ignore si je dois vous remercier, vous applaudir, vous fustiger ou vous maudire pour ce vibrant témoignage et cette brillante exposition des ratés de la nouvelle grammaire, ce "monstre psycho-cognitif" que l'on tente vainement d'enfoncer dans la gorge et dans la matière grise des jeunes québécois. Je suis tout à fait en accord avec vos positions, même si je n'ai pu constater de première main les dégâts.

Terminant la lecture de ce superbe billet (et des suivants), le désespoir a gagné mon cœur de jeune rêveur en quête d'une carrière d'avenir. Hier encore, tâchant de dénicher quelque profession noble et utile, le baccalauréat en enseignement du français au secondaire m'apparaissait comme le Graal tant convoité : la chance inestimable - non -, le devoir sacré d'éduquer notre jeunesse par la maîtrise de la langue maternelle et l'initiation à l'univers littéraire, ma véritable patrie spirituelle. Mais aujourd'hui, en cette nuit noire, alors le sable blanc se déverse sur la ville endormie, je sens que ce Graal ne contient guère l'espoir du salut escompté, qu'il semble davantage le réceptacle d'une poussière d'espoirs mort-nés.

Je m'imaginais (à tort, semble-t-il) qu'en la salle de classe pouvait régner une atmosphère autre que chargée des tensions d'un système d'éducation pourri et décrié, d'une société anomique et des lamentables faillites familiales. Je m'imaginais que cette pièce était autre chose qu'un lieu de peines amères où l'enseignant (sous-payé et sous-estimé) doit porter seul la charge de nos échecs collectifs qui constituent désormais notre héritage. Je m'imaginais que l'éducation n'était pas tant une course à obstacles absurdes qu'un voyage de découvertes avec - il est vrai - ses quelques pièges et périls inévitables.

"Grâce" à vous ainsi qu'à vos autres collègues enseignants de la blogosphère, je resterai couché demain matin. Je n'irai guère me pointer à l'Université de Montréal pour remplir ce formulaire de demande de changement de programme à la toute dernière minute (puisque la date limite tombe ce lundi). Je ne tenterai pas de briser ma longue et profonde léthargie personnelle en choisissant la voie de l'éducation au secondaire. Vos fielleuses descriptions d'une réalité éminemment décourageante auront été suffisantes pour priver notre belle province d'un professeur de plus. L'on m'objectera le peu de poids qu'il aura fallu pour que la balance penche en défaveur de la voie professorale et provoque ainsi une rétractation certainement prématurée. L'on m'objectera ceci et cela, mais je serai endormi. Et quand le temps sera (trop tôt) revenu de choisir, j'irai accomplir ailleurs mon "devoir d'homme" (comme l’écrit Marc Aurèle), dans le domaine de la santé ou je ne sais trop, pour tenter d'oublier cette passagère folie qui m'avait presque conquis et convaincu d'aller enseigner à mes jeunes frères et sœurs l’usage correct de l'instrument fondamental de l'esprit humain.

Il n'était guère dans mon intention de vous accuser et/ou de vous démoraliser par cette annonce. Loin de moi l'idée de reprocher ou d'imputer quoi que ce soit à autrui en la matière, et d'autant plus lorsque les témoignages et opinions sont livrés avec franchise, honnêteté et intégrité - toutes d'admirables qualités. Je ne désire que laisser entrevoir d'autres conséquences - indirectes celles-là - des réalités de l'éducation au Québec. En d'autres mots, et pour synthétiser de manière on ne peut plus drastique : cela me fait peur, et c'est pourquoi je m'en détourne, à l'instar de centaines, de milliers d'autres qui comme moi contemplent, hésitent, baissent les bras et finissent par renoncer.

Merci d'avoir eu le courage et la patience de lire le fruit ce mien désenchantement.

Cordialement,
Simon Frappier

Jonathan Livingston a dit…

Hé Simon, c'est maintenant le temps d'entrer dans la profession, car le système est au bord de l'écroulement et on peut espérer un vent de changement. En éducation, on a besoin de gens comme toi, passionnés par la langue et la littérature.

Ça va prendre des forces neuves pour remettre le train sur les rails.

M'enfin, vaut mieux savoir où l'on va mettre les pieds. Selon moi, pour sortir de la létargie, entrer en éducation est certes un bon pas. Stagner dans l'indécision n'est pas trop bon pour le moral, j'en sais quelque chose. Vaut mieux aller voir et accepter qu'on peut se tromper. Allez «Go»!!

Conseil donc: avant de juger si tu peux y faire ton chemin, vas-y si c'est ce que ton cœur te dicte, tu as des défis personnels illimités à relever là. Après, il est toujours temps de changer de cap, si le vent n'est pas favorable!

Personnellement, je trouve que ces innovations tordues auront été une démonstration magistrale de ce qu'ils ne faut plus faire. Et ça aura au moins servi à cela.