Pages

dimanche 31 janvier 2010

Les compétences des incompétents

Je bouquine et j'apprends pas mal de choses intéressantes. Hier, j'ai découvert des petits détails croustillants sur les réformes et ils touchent l'enseignement du français en plus.

Je suis tombé sur le texte de Madame Régine Pierre, une chercheuse bien connue des milieux contre-réformistes. Elle est professeure de didactique des langues et de la lecture à l'U de M, je crois.On trouve ce texte dans l'ouvrage collectif Contre la réforme pédagogique (2008).

J'ai bien aimé sa longue introduction pour nous parler de Platon qui menait un combat contre les sophistes qui prétendaient pouvoir enseigner n'importe quoi et aussi son contraire. Il ressortait que pour enseigner quelque chose, il faut savoir. Et le savoir doit être vrai. Connaissance: opinion justifiable vraie.

Or, dans cette réforme et non pas que dans celle-ci, il y a eu pas mal d'incompétents qui ont été au centre des décisions.

D'ailleurs, madame Pierre montre en fait que cette réforme était une réforme plutôt virtuelle. On a bien souvent fait du réchauffé de ce qui se faisait depuis celle de 1979 en tout cas en enseignement des langues.

En enseignement de la lecture au primaire, on a recopié et maquillé la bonne vieille méthode Whole language, l'approche globale qui a été une erreur faite dès les années 1980 sans se donner la peine d'évaluer son efficacité. Or, cette approche de la lecture à la mode aux États-Unis dans les années 1970 a été invalidée par la recherche et donc été remise en question dans le monde anglo-saxon depuis longtemps. Vous saviez que la maîtrise de la lecture est un des meilleurs prédicteur de la réussite du secondaire 5. Si on rate notre coup là, on est mal parti!

Bref, nos déboires en enseignement du français remontent à loin. L'enseignement de la grammaire, par exemple, est sous-valorisé depuis fort longtemps dans les programmes. En fait, selon Régine Pierre, le désir d'évacuer l'enseignement des connaissances des programmes ne datent pas d'hier. Dès le programme-cadre de 1969, on a jeté les bases qui allaient noyer le poisson aussi dans l'enseignement des discours du programme de 1979. Madame Pierre cite un ouvrage intéressant que je me procurerai peut-être éventuellement: Un dérapage didactique. Comment on a cessé d'enseigner le français aux adolescents de Nicole Gagnon, Stanké (2001).

Dans ce livre, on rapporte des entrevues avec les concepteurs du programme-cadre de 1969. Jean-Marie Joly y avouent que personne au MEQ a vu à l'époque l'aberration d'appliquer un modèle développé pour l'éducation  physique  à l'enseignement du français. Selon  le candide Yvon Patrice, les concepteurs n'avait pas tenu compte de la linguistique ni de la psychologie. "Il croyait que le fait d'avoir éprouvé lui-même des difficultés dans l'apprentissage de la grammaire était suffisant pour lui permettre de comprendre les problèmes que rencontrait les jeunes: « Il y avait une espèce de plaie qu'il fallait enlever pour être capable de rebâtir là-dessus (...). Le mal, c'était l'absence de motivation. Toutes les méthodes qui étaient utilisées, les dictionnaires, la grammaire traditionnelle, les livres qu'ils fallaient lire, ça puait au nez des élèves. » (Yvon Patrice dans Gagnon, 2001, p.44)

Ainsi, on a radicalement contourné le problème: place à l'oral et l'enseignement de la grammaire a été «mis au rancart».

Aucun des membres de la Commission des États généraux qui devait tirer les grands axes de la réforme de l'an 2000 n'avait une connaissance de l'école, de ces bons et mauvais coups. Il n'y avait pas d'experts sur cette commission. Aucun « n'était spécialiste de l'enseignement primaire auquel la réforme allait d'abord s'appliquer et encore moins de l'enseignement de la lecture qui est le fondement de tous les apprentissages (...). (Contre la réforme pédagogique, p.228)

Régine Pierre rapporte ainsi des témoignages qu'on peut lire dans Gosselin et Lessard,  Les deux principales réforme de l'éducation du Québec moderne (2008). Ça vaut le détour pour comprendre comment on peut être amateur dans un beau costume. Imaginez, on a dû former les commissaires pour leur permettre de prendre part aux discussions et décider des orientations de la réforme de l'école!

Enfin, les programmes ont été ensuite conçus par des gens peu qualifiés également sans vraiment consulter des spécialistes, en se référant surtout à des références d'ouvrages théoriques francophones et québécois et en faisant fi des recherches en éducation très riches de nos voisins du Sud.

On n'a pas pensé non plus s'inspirer de la manière des Américains de faire leurs réformes en éducation, qui convoquent des experts universitaires reconnus dans leur domaine et qui mettent en place les curriculums avec d'autres comités d'experts par domaine et qui en bout de ligne mettent en place des moyens d'évaluer l'effet de leur réforme expérimentalement.

C'est tout ce qu'on ne fait pas ici. On est vraiment des amateurs... Et voyez le gachis.

Apprendre de nos erreurs pourrait être un nouveau slogan pour le prochain recadrage de l'école en vue!

6 commentaires:

Armand a dit…

Cher Livingston,
Enseigner le français par la méthode "globale", la méthode "Decroly", ou autres, a toujours donné des résultats positifs, pour autant que les élèves soient bien suivis (peu d'élèves par classe).
L'idéal serait le précepteur...
Malheureusement, des impératifs budgétaires brident toujours ce genre de tentatives et on en arrive rapidement à des simplifications (style nouvelle orthographe) qui sont même admises par l'académie française!
Alors, qu'y a-t-il de préférable: réussite de beaucoup d'élèves avec peu de connaissances... ou une élite triée sur le volet, avec mise au rebut des moins studieux?
Note que j'ai dit "studieux" et pas intelligents! :)
Amitiés

Jonathan Livingston a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Jonathan Livingston a dit…

Armand,

Je ne sais pas où vous tirez que la méthode globale soit si positive... Selon cet extrait que j'ai trouvé dans un article du journal Le Devoir, 4 septembre 2004, et je l'ai lu en d'autres endroits, la méthode globale comporte des problèmes certains que plusieurs dénoncent:

«Depuis quelques décennies, le système d'éducation québécois privilégie la méthode Whole Language, une approche d'apprentissage élaborée dans les années 1960 et 1970 par le psycho-linguiste américain Kenneth Goodman. Celle-ci stipule que les enfants perçoivent les mots de la même façon qu'ils perçoivent une image, soit de façon globale.

Mais le hic est le suivant, selon Mme Pierre: «Comme le démontrent de nombreuses études en psychologie, en linguistique et en neurobiologie, cette approche ne fonctionne pas. Le problème fondamental, c'est que le Whole Language suppose que l'enfant photographie et mémorise tout ce qu'il voit.»

Ainsi, souligne la spécialiste, pour être fonctionnel, un enfant devrait «photographier» dans sa mémoire près de 2000 mots dès la première année du primaire. Les bons lecteurs en bas âge en mémoriseraient près de 10 000. En secondaire 5, pour obtenir un vocabulaire de base, les adolescents devraient en avoir mémorisé près de 50 000. «Le cerveau humain ne fonctionne pas comme ça», conclue-t-elle.

D'ailleurs, la majorité des États qui avaient adopté cette approche d'apprentissage au cours des années 1970 et 1980 l'ont aujourd'hui délaissée. «Ce qu'il faut, c'est combattre les mythes qui entourent le Whole Language. En 30 ans, on a appris beaucoup de choses sur l'apprentissage de la lecture», maintient-elle.» (Le devoir, 4 sept.2004)

Il semble que l'approche plus longue de l'enseignement explicite du décodage grapho-phonétique: "Aucune recherche empirique ne soutient cette approche fondée sur des mythes et qui confond lecture et compréhension, affirme haut et fort Régine Pierre. Toutes les recherches dans le domaine démontrent que les enfants procèdent naturellement et instinctivement par décodage. Contrairement à la théorie de Goodman, les enfants qui réussissent le mieux en lecture sont ceux qui maîtrisent le décodage, alors que les lecteurs faibles en sont incapables." (http://www.r-lecole.freesurf.fr/primaire/lectquebec.html).

Je me fis un peu à la dame qui est spécialiste en didactique de la lecture et chercheuse informée sur ces questions. J'ai vu aussi un de mes propres fils mal apprendre avec cette méthode, malgré mon aide. Il n'a jamais pu bien écrire les mots comme s'il n'avait pas pris le réflexe de bien observer les mots...

Armand a dit…

Cher Livingston,
J'ai, dans ma famille, plusieurs personnes ayant eu des cours de français par la méthode globale (et de math par les ensembles).
Certains (ceux dont les "mamans" s'étaient impliquées en faisant réviser) s'en sont plutôt bien tirés.
Je ne crois pas qu'il y ait de "mauvaises méthodes d'apprentissage", à condition que les profs soient "adaptés". Par contre, il y a des personnes peu motivées (l'école "ludique") pour qui tout effort doit être banni.
Là se situe le vrai problème.
Maintenant, il y a même des écoles "maudites" où certains élèves ne comprennent même pas la langue de l'établissement. Ça aussi, c'est un gros problème.
Amitiés

Armand a dit…

Cher Livingston,
Quand je parle des personnes allergiques à l'effort, je pense aux élèves, évidemment!
Amitiés

Jonathan Livingston a dit…

Je réponds à vos derniers commentaires, Armand, dans une nouvelle entrée sur ce blogue.

http://profougoeland.blogspot.com/2010/02/autres-reflexions-sur-la-methode.html