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dimanche 28 février 2010

Les tests de français

On discute fort ces derniers temps du nouveau test de français (TECFEE) pour qualifier les enseignants: ici, ici. C'est que les bas taux de réussite des aspirants à la profession après 2 essais en laissent plus d'un inquiets. Et partout, on assiste à une critique de la sévérité du test qui évaluerait surtout la capacité de mémorisation des exceptions.

J'ai mes réserves sur ce point de vue.



Franchement, je sais que certaines subtilités de règles de la langue sont difficiles à retenir. Je connais bien des profs de français qui vont régulièrement se rassurer en vérifiant l'orthographe d'un mot dans un dictionnaire ou maintenant sur Internet ou qui se plonge dans une grammaire pour rafraîchir leur mémoire au sujet de certaines règles assez poussées. Par exemple, l'accord des participes passés avec les verbes pronominaux est assez difficile à fixer pour l'éternité dans ma mémoire. Je redécouvre ces règles régulièrement.

Cependant, je crois que si on a une bonne compréhension de la grammaire et qu'on  a régulièrement consulté une grammaire depuis qu'on est sorti de l'école, parce qu'on sait comment s'en servir, il n'est pas long de faire sa révision et de très bien s'en sortir aux examens. Évidemment, si on n'a jamais rien pigé à l'affaire, si on s'est répété pendant des années que ce n'est pas sa matière forte, que l'important c'est le message pas la forme, et tout ce qu'on peut se dire pour éviter de travailler à l'apprentissage de la compréhension du système grammatical, ce doit être une toute autre histoire.

Perso, oui, je l'accorde, j'ai une formation d'enseignant de français au secondaire, j'ai toujours écrit, et j'ai mon Grevisse et mon Multidictionnaire qui trainent généralement autour de moi. Mais bon, par goût, j'ai eu une carrière plutôt généraliste au secondaire. Je n'ai donc pas passé 15 ans à  enseigner le français, ce qui, on en conviendra, peut être assez formateur en maîtrise fine de la langue. Des fautes d'inattention, j'en commets, des paresses aussi. Je ne suis pas du tout un maniaque de précision de la langue, je ne me rends pas malade avec la langue, mais en gros, je fais attention et de temps en temps, je consulte mes outils. Même si je n'avais pas choisi le métier d'enseignant de français en particulier, si j'avais quelque peu le devoir de présenter régulièrement des rapports, des notes ou des communications, je ferais attention. Je m'imagine qu'on devrait tous, du moins les gens qui exercent dans des métiers où la communication écrite est pratiquée, avoir un peu ce souci de rigueur. Bref, on devrait avoir à disposition une grammaire, un dictionnaire dans nos environnements et assez régulièrement les ouvrir. Si je suis un étudiant, qui présente régulièrement des travaux écrits, ce devrait, il me semble, être assez normal.

Bref, quand en 2004, 10 ans après ma formation, j'ai dû aller faire ce maudit test du SEL (même genre d'examen que le TECFEE) , j'étais tellement choqué de devoir payer pour encore prouver ma compétence, après deux diplômes universitaires très bien réussis, que j'ai retardé à la dernière minute ma révision. Je crânais! J'ai ouvert Internet à 11h, j'ai fait un petit test que j'ai trouvé pour voir mes faiblesses et j'ai lu pendant 45 minutes sur Internet des points de grammaire subtils pour me les remettre en tête. A 13 heures, après 45 minutes de métro-bus où je n'avais même pas une grammaire pour me rassurer, je m'échinais sur le test de langue avec les exceptions.

Et, à ma propre surprise, j'ai eu un résultat digne d'un prof de français, même si j'y allais pour un job de math à l'époque. Et oui, il y avait bien des subtilités de langue et des pièges au rendez-vous!

Pourtant, je suis loin d'avoir une mémoire, à mon sens, fabuleuse ni de passer mes journées dans une grammaire. Mais bon, je m'intéresse à ma langue, d'abord parce que j'écris et j'ai le souci d'être compris et d'être jugé sur mes idées, pas sur la forme. Bien après, parce  que j'enseigne le français souvent. En ce moment, j'explique des notions de primaire aux adultes. Franchement, je connais tout ce que j'ai à savoir. Mais j'ouvre toujours les outils de temps en temps.

Mais surtout, je comprends très bien tout de suite quand je lis une grammaire de quoi il en retourne. Et vous savez quoi, j'ai appris mon français et comment me servir d'un Grevisse au primaire et au secondaire, il y a plus de 25 ans déjà au début des années 80. Pas dans mon bac d'enseignement. J'ai beaucoup pratiqué l'analyse grammaticale à l'ancienne, l'analyse logique aussi. On écrivait beaucoup moins de textes longs à l'époque. Je me souviens de la nouvelle littéraire que j'ai pondue en secondaire 4. Il s'agissait en fait de terminer une nouvelle à partir d'un début de récit. 200 mots tout au plus. En français enrichi. Je crois que j'ai presque manqué mon examen écrit de secondaire 5 pour un quasi hors-sujet. 62 % ! je ne me rappelais pas de cela. On ne nous entrainait pas aux examens et j'étais ailleurs en secondaire 5, j'avoue. Y avait la gente féminine qui me dérangeait! Mais bien que je n'aie jamais pu voir le détail de ma note, je crois que ma connaissance de la grammaire assez maîtrisée m'a permis de passer.

Au cégep, malgré cet impair, j'étais dans les meilleurs de mes cours de philo et de français.


En fait, j'ai commencé vraiment à comprendre la rédaction longue et à m'y intéresser au cégep.

Évidemment, je n'étudierais pas dans une nouvelle grammaire, je n'en ai même pas une. Beurk! Ça m'embête pas mal d'enseigner cette aberration qui n'utilise pas l'économie mnémotechnique d'une grammaire plus classique comme celle de Maurice Grevisse, mais s'embourbe dans des procédures complexes pour discerner les éléments syntaxiques de la phrase. J'exècre ce traitement superficiel de l'analyse grammaticale qui n'a aucune chance de créer des sillons durables dans la mémoire des jeunes. Je rage de voir ce langage savant patenté à la hâte lourd et indigeste qui rend encore plus rébarbatif l'apprentissage de la grammaire. Et inutile de dire que, quand j'ai vu qu'on allait mettre des Grevisse à la poubelle, dans une école il y a deux ans, parce qu'ils ne servaient plus, y avait en moi comme un dégoût du système qui est monté!


Je plains sincèrement la génération qui a fait son secondaire après 1995. Le cours de français de base devrait être un lieu d'entrainement quotidien aux gammes obligées du langage. Un moment dans la journée où l'on est forcé de voir à cet aspect de sa langue, comme les pianistes se réchauffent les doigts avec des gammes.  Ce travail devrait être valorisé par tous comme une discipline formatrice, nécessaire. On a  le cégep, l'université et la vie pour devenir des écrivains ou des rédacteurs accomplis. Si c'était le cas, je crois qu'on parlerait beaucoup moins des échecs aux tests de qualifications en français.

Je trouve douteux ce discours qui sous-entend que le test est injuste parce qu'il empêche de consulter des outils de référence. Dans la vie, en situation de performance, il est mieux d'avoir automatisé un certain nombre d'apprentissages. Quand un enseignant écrit au tableau, il est mieux d'en savoir un bout, non? Il y a là juste une question d'efficacité à l'ouvrage. Déjà qu'il est difficile de garder une attention corrective quand en même temps on parle, pense à ce qu'on va dire et tient une attention flottante sur la classe. Si une secrétaire doit arrêter constamment son travail pour venir consulter un prof de français, comme je l'ai vu l'an dernier, on ne s'étonnera pas qu'elle manque de temps. Les outils de référence doivent servir à rafraîchir la mémoire à l'occasion, pas à suppléer les carences de formation.

A mon avis, la formation de base en français est donc mise en cause par la sous-performance aux divers tests de français qui jalonnent le parcours des étudiants. On a trop tardé à se pencher sérieusement sur cette question. Il est temps de remettre la charrue derrière les bœufs!

mardi 23 février 2010

Histoire de linge sale ou pourquoi l'avenir regarde mal

Souvent, j'affirme à la dérobée, sans trop expliquer que le monde va très mal et que des temps très très dures nous attendent. En fait, l'an dernier, prenant de longs mois sabbatiques pour le plaisir simple d'avoir du temps libre, puisque je trouve un peu imbécile de donner ma vie pour ma retraite lorsque je serai vieux et peut-être impotent, je me suis pris d'un intérêt nouveau pour les questions financières un peu dans le contexte de la débâcle de l'automne 2008.

Internet est une ressource superbe maintenant. On y tombe sur des gens qui connaissent assez bien un domaine pour l'analyser en dehors de conflits d'intérêts liés au fait de travailler pour une institution.

Bref, j'ai revisité le blogue de Paul Jorion et je tombe sur cette petite analyse critique de certains comportements financiers. On y explique assez simplement que, de nos jours, on peut être une banque et, d'un côté, vendre des produits financiers qu'on sait simplement merdiques, qui vont hors de tout doute se casser la gueule parce qu'on sait que ce qui est dedans n'est pas viable et, de l'autre, parier des sommes faramineuses sur la dévaluation de ces mêmes produits financiers. Et empocher le «moton»! Bref, vendre de la camelote devient payant au cube!

Bref, il n'est pas étonnant que beaucoup de gens aient perdu  de l'argent dans leurs investissements avec de tels vendeurs de cochonneries sur le marché. Et ils ne sont même pas en train de frauder comme les désormais icônes de l'ignominie humaine, les Madoff et Earl Jones. Non, ils le font en toute légalité parce qu'il n'y a simplement pas de règles dans le milieu depuis la déréglementation progressive des comportements des banques dans les années 80.

Bref, comprenant le monde de requins dans lequel on place nos Réers et  nos fonds de pension, je suis toujours et davantage dubitatif concernant l'illusion de liberté 55 qu'on a fait miroiter à la classe moyenne favorisée, membre des clubs sélects des syndiqués, capitalistes par le biais de leurs gros fonds de pension. Je ne crois pas que le système illusoire qu'on a monté pour nous encourager à épargner et à investir va tenir ses promesses encore longtemps.

Et nos gouvernements n'en finissent plus d'éponger les failles de cette finance sans contrôle.  Et franchement, voyez-vous, quand je vois à la télé nos gouvernements nous vendre leurs beaux programmes de réinsertion au travail, avec la prémisse discutable qu'il y a des signes de reprise, je crois qu'on nous bourre.

Quand on regarde un peu les observateurs de la scène financière qui ne sont pas en train de nous vendre de la camelote, on a plutôt l'impression que ça regarde très mal. Et que notre monde soufflé de finance va encore crever ses bulles et nos gouvernements vont bientôt devoir passer aux comptes et nous au cash!

Ah oui, la Grèce, pour ceux qui ne le savait pas en était à mettre en garantie des revenus d'impôts futurs et ses revenus de loto. Vous avez vu, vous, le soudain intérêt de nos gouvernements pour la loterie en ligne? Ça m'a un peu, comment dire, intrigué... Quand on sait que les montages financiers de Goldman Sachs pour des pays comme la Grèce ont été fait pour frauder le reste de l'Europe, quand on sait qu'on a mis bien de la camelote dans le truc, peut-on avoir franchement confiance en ces institutions?

Bonne lecture!

vendredi 19 février 2010

«T'es parti?»: phénoménologie des chocs culturels

Hier matin, moi et ma conjointe, qui est Française d'origine, avons levé un petit malentendu qui dure depuis belle lurette!

Souvent, le matin, elle me dit: « T'es parti?» et chaque fois, je reçois cela presque comme une agression. Et souvent, énervé, je deviens sec, je réponds des choses du genre: «Ben, non, pas tout de suite», «Ça vient», «Bientôt» avec une pointe de colère dans le ton. C'est bien malgré moi. Ça m'énerve. Même quand je me dis que c'est une manière originale de m'interpeler. Mais finalement, je ne comprenais pas le sens de cette question de ma conjointe...

Je ne sais pas si ça soulève des peurs de séparation ou quoi, mais tentant de m'expliquer ce choc, je lui disais ce matin, en discutant d'autres choses, des différences entre Français-Européen et Québécois-Américains dans la manière d'expliquer les choses justement, qu'il y a quelque chose de bizarre pour moi dans sa question. Non, je ne suis pas parti comme une évidence. Sa question choque parque qu'elle comporte une infidélité de sens. Et nous, par ici, au Québec, on s'en va travailler, quand on part, on part, on quitte presque, le terme est fort. Il y a aussi comme une pointe de contrôle que je ressens, comme si toute mon attention à terminer mes tâches avant de partir en était secouée, comme s'il fallait que je me dépêche.

Or, simplement, pour elle, je ne sais pas si c'est Français, ou lié à la culture de sa famille, dire «T'es parti?» veut dire «Dans combien de temps, pars-tu?» pour que je puisse savoir quand  je vais venir avec toi t'accompagner, prendre un moment, à la sortie pour te dire «Au revoir!».

De mon côté, ou je ne sais pas, à la Québécoise, quand on est prêt, on va trouver la personne en train de faire ses trucs, on prend un moment, on se dit «bye» (etc.) et puis on part.  On ne prend pas un rendez-vous de «Bye bye» 15 minutes avant!

Fascinant non? Des mois de «tilts» intérieurs pour finir par se rendre compte du malentendu.

L'an dernier, on avait levé un autre malentendu du même genre: chaque fois qu'au volant de mon véhicule, je lançais comme ça:«Je m'endors» tout de suite s'ensuivait une discussion animée:

- Je te remplace, arrête-toi sur le bord de la route.
- Mais non, ça va aller.
- Tu es sûr que ça va? Je peux conduire.

Toujours, elle était vraiment inquiète. On a répété sur le même ton cette conversation des dizaines de fois avant de nous rendre compte que «Je m'endors» pour un Québécois n'est qu'avoir un peu des symptôme de sommeil  ou des petits endormissement, alors que pour un Français, c'est «cogner des clous» sévèrement, qu'on va vraiment dormir là. Une chance qu'on a traversé le Canada dans les deux sens en bagnole, parce qu'on revivrait sûrement encore cette conversation bien des fois!

Bref, imaginez que la population pour laquelle je travaille ne parle pas ma langue et ne se dit pas bonjour et au revoir quand ils se séparent ou arrivent. Comment se sentent-ils quand on force les politesses?

Imaginez que deux cultures pas trop éloignées tout de même sous le même toit, vivant en couple, peuvent prendre des mois à lever un malentendu, alors pour vivre dans un univers multiculturel, on doit franchement s'attendre à vivre des petites frictions inexplicables pendant un bout!

mardi 16 février 2010

Soleil neuf: métaphores des «psychologismes intrusifs» de notre temps.

Je sais. Chez bien des enseignants, Virginie n'a pas la côte. On y trouve un reflet fort irréaliste parfois de notre quotidien.On a du mal à retrouver la réalité de nos groupes et de certains élèves rébarbatifs qui nous empoisonnent souvent le quotidien qui sont une réalité fort corrosive à laquelle la plupart des enseignants se sont frottés un jour. Voir ces enseignants insouciants discuter de tout et de rien et parfois même de choses fort compliquées avec en arrière-plan des élèves d'une docilité remarquable est franchement choquant, car ce n'est pas la réalité. Quand on sait la vigilance de tous les instants qu'exige la pratique enseignante dans de grands groupes d'adolescents qui peuvent souvent se désorganiser rapidement, on se croirait dans un rêve.

Mais bon, les lignes de force qui se déploient et les débats qui animent les protagonistes sont tout de même intéressants et appellent souvent une réflexion qui n'est absolument pas dénuée d'intérêt. Enfin, il m'arrive souvent de suivre cette émission sans en  faire vraiment une habitude.

Ces derniers temps, je dois dire que franchement les aventures à Sainte-Jeanne-D'arc sont assez captivantes. Une sexologue tourmentée et qui enseigne Éthique et culture religieuse procède à l'implantation d'un programme conçu on ne sait trop où, par on ne sait trop qui, et qui promet rien de moins que d'aider les jeunes à trouver du sens à leur vie et à les rendre heureux. C'est, à ce qu'on en comprend, une sorte de démarche avec des cahiers-niveaux et des défis personnels à relever pour augmenter son potentiel humain qui, je le rappelle, est la compétence 7 dans nos fameuses compétences transversales.

Le programme semble avoir beaucoup de succès et suscite un grand enthousiasme chez les élèves qui commencent à afficher de curieuses attitudes d'adeptes convaincus d'avoir trouvé là une voie pour trouver le bonheur. Tous leurs problèmes vont se résoudre avec une bonne attitude.


Tout le microcosme de l'école en est bouleversé dans ses équilibres subtils et ce qui ressort de cette vague d'influence est franchement fascinant.

Rapidement, on voit les profs avoir du mal à se positionner face à l'effet du programme Soleil neuf, car en plus il vient de la sexologue qui a connu dans les derniers temps de drôles de signes de déstabilisation de sa personne dans une aventure à Paris où elle a d'abord prétendu avoir fait l'objet d'un viol, comme pour attirer la sympathie ou la pitié pour ramener vers elle son ex-conjoint: un intervenant policier de l'école qui est tombé amoureux de la Virginie.  Elle a fini par admettre qu'elle n'avait pas été clairement violée. Elle va faire planer une accusation de violence conjugale de la part justement de son policier pour l'atteindre, qui s'avérera fausse complètement. Bon, c'est éminemment complexe comme arrière-plan et pas trop sain, on en convient aisément.

Je ne souhaite pas nécessairement rendre compte de ces «tiraillages» de couples, d'ex et de nouvel amour entre intervenants dans une institution qui suscitent souvent pas mal de passions dans les commentaires des autres intervenants. Je vais plutôt examiner ce programme décrit par plusieurs comme ayant des allures sectaires. Je me propose ensuite de faire certains liens avec la psychologie qui prend beaucoup de place de nos jours dans l'école et d'envisager certains rapports avec la réalité du système d'éducation actuel pour soulever quelques dangers des avenues téméraires dans lesquelles il nous pousse dans ce contexte de renouveau.

Ce programme est séduisant en ce qu'il travaille l'estime de soi et l'actualisation du potentiel des jeunes qui est franchement une préoccupation contemporaine dans le monde éducatif influencé par la psychologie humaniste de Carl Roger. Toutefois, la ferveur étonnante que Soleil neuf génère suscite des interrogations et des réactions d'ambivalences chez plusieurs intervenants. D'ailleurs, ce qui ressort assez bien de la situation, c'est le conflit que crée le programme du bonheur avec une autre dimension phare de l'école qui est cette fois liée à la compétence transversale 3: exercer son jugement critique.

Ce qui fait peur justement, c'est l'impression de plusieurs que la faculté d'exercer un jugement critique est de plus en plus absente chez les jeunes fascinés par l'enseignante du cours d'Éthique et culture religieuse. Même Lacaille, le prof de sciences humaines qu'on voit souvent débattre de politique et d'économie avec un esprit décapant proprement sur-dimensionné face aux idées reçues  semble perdre de son ascendance face à l'étoile montante de Soleil Neuf. La prof d'art plastique, la blonde un peu naïve qui tombe toujours sous le charme d'agresseur potentiel, est aussi conquise parce que Soleil Neuf favorise la créativité de ces jeunes et une attitude en classe positive pour l'expression artistique.

Rapidement, ce programme qui est appliqué sans avoir reçu l'aval du ministère, mais qu'on a permis de commencer à cause de l'enthousiasme des parents siégeant au Conseil d'établissement, devient une patate chaude pour la nouvelle directrice pro-cogestion et un sujet de discorde fabuleux au sein de l'ensemble des intervenants de l'école. Hier, les policiers débarquaient avec le juge colérique et protecteur de la cour de la protection de la jeunesse avec un document à diffusion restreinte sur l'entrée des sectes dans les écoles. Hier aussi, la direction  discutait fort de la patate chaude: on ne veut pas intervenir avec le risque d'accuser à tort un programme qui a ses côtés séduisants,  alors qu'on sent bien qu'il y a quelque chose de potentiellement dangereux pour les jeunes à laisser ce programme hors de contrôle s'implanter  dans l'école sans encore savoir les conséquences potentielles précises. On le voit, jouer dans le bonheur des gens avec un programme est un sujet qui rapidement sort du champ des compétences de la plupart des intervenants. Car, ce n'est pas franchement un truc évident, mais un questionnement qui touche tous les humains et auquel chacun apporte sa réponse toute personnelle et, à laquelle je trouve peu évident qu'on apporte une réponse ou une démarche structurée pour en favoriser l'éclosion. Enseigner un programme pour trouver le bonheur, pour trouver le sens de la vie, est presque faire de la religion, quand on y pense... Voilà ce qu'on a du mal à discerner clairement.


On évoque assez peu les conséquences négatives potentielles de Soleil neuf qu'on appréhendent, bien qu'on parle vaguement de bombe à retardement. Déjà, quelques jeunes, qui montrent un certain esprit de dissension, se taisent au sujet de leur enthousiasme modéré pour le programme de Véronique parce que la pression du groupe des fans du prof d'Éthique joue à  plein. Un jeune un peu tourmenté sous médication a déjà décompensé lorsqu'il a goûté l'intervention assez cavalière de l'étoile de Soleil neuf qui s'est avérée aller jouer, en téméraire apprenti-sorcière qu'elle est, dans son complexe fort fragile d'infériorité ou lié à son estime de soi.

Au delà de l'évidente humanité de ces intervenants au prise eux aussi avec des problématiques personnelles assez inquiétantes parfois, quand on pense qu'ils sont des enseignants, des psychologues (alcoolisme), sexologue (attitudes de gourou); directrice (tourmentée par le désir d'être aimé de sa fille), il y a dans cette mise en scène de forces de société pénétrant dans le petit écosystème de cette école une mise en évidence de dynamiques intéressantes à surveiller qu'on peut percevoir, je crois, dans différents milieux scolaires.

Je trouve assez intéressante d'abord cette mise en évidence du concours de popularité des profs pour l'appréciation de leurs élèves qui prend place dans bien des écoles.  Cette réalité fort incrustée dans l'inconscient de l'école, qui a ses manifestations régulières, connait ici une remise en question à cause d'un déplacement surprenant de la position des élèves dans le concours de popularité. On peut soupçonner que les stratégies que certains enseignants déploient pour arriver à remporter ce concours de popularité ne sont pas toujours fort éthiques. On a soulevé la semaine dernière, dans l'émission, cette réalité que certains profs donnent des notes fortes pour des travaux peu rigoureux afin d'amadouer les élèves. Ici, une enseignante joue à la sauveuse éclairée. Lacaille, lui, gauchiste avoué, remporterait souvent le haut du pavé de la popularité en dépit de la sévérité de ses exigences en raison de son esprit critique et de sa personnalité plutôt «rebelle» qui plait normalement aux jeunes.  Mais son auréole est remise en cause en ce moment.

Je trouve aussi parlante cette fixation de la nouvelle directrice sur sa petite fille qui ne l'aime pas, selon elle, ce qui la perturbe dans cette histoire de popularité. Elle déploie elle-même un art subtil de contrôle de son personnel qui rappelle les outils de la PNL ou programmation neuro-linguistique qui a eu ses heures de gloire dans les formations des intervenants des milieux éducatifs et dans le monde des vendeurs de balayeuse. Il est remarquable de voir cette maître PNL désarmée face à ce désamour qu'une photo iconique souvent montrée dans l'émission nous rappelle. Il y a quelques ressemblances, inversées cette fois, aussi chez son adjoint qui projète son père sur toutes les figures d'autorité qui le confronte. On est dans cette époque où l'adulte cherche à se faire aimer de son enfant, alors que cet amour est souvent assez naturel et n'exige souvent que la présence significative, dans la vie de l'enfant, d'un parent ou d'un substitut.

Ce désir d'amour insatiable et souvent presque inconscient ou aussi parfois inavouable, on dirait, semble prendre beaucoup de place comme si les autres fonctions parentales ou d'éducateurs étaient reléguées en second plan. Les enseignants cherchant à se faire aimer de leurs élèves ou de leurs supérieurs ne me semblent pas rares à observer dans les milieux. Je verrais là souvent une tendance chez beaucoup d'acteurs sociaux à «projeter» inconsciemment leur conflit sur des «figures parentales» ou sur «l'enfant à protéger» qu'ils ont été. L'estime de soi est encore dépendante du regard de l'autre. Beaucoup d'enseignants seront un jour sensibilisés à ces phénomènes inconscients qui finissent par les épuiser. Vouloir l'amour d'enfants peut entrer en conflit avec notre rôle d'éducateur et nous pousser à nous épuiser dans cette réalité où bien des jeunes en ont rien à foutre qu'on veule leur amour. Comme chacun sait, vouloir être aimé de tous est une tâche impossible à assumer. Vouloir plaire à certains «abuseurs» parce qu'ils figurent des scénarios inconscients de l'enfance quasi hypnotiques est aussi destructeur.

Ce penchant de la directrice se transpose, j'en ai donc l'impression, sur beaucoup d'enseignants qui cherchent l'approbation de leurs élèves comme mesure de leur valeur et qui investissent dans ce besoin au delà de ce qui me semble souhaitable pour camper avec professionnalisme toutes les dimensions de l'acte enseignant. D'autres critères d'évaluation de la pratique semblent oubliées. Il faut développer une relation de confiance ou pédagogique nous enseigne-t-on dans la formation des maîtres, mais l'expérience nous apprend à lui mettre une certaine limite. Il faut aussi garder une certain distance. Nous ne sommes pas des parents, encore moins des conjoints potentiels. D'ailleurs, on voit à Sainte-Jeanne-D'arc l'exemple d'une prof qui se laisse séduire par un adolescent figurant une sorte d'Apollon magnifique que toutes les jeunes femmes adulent. Il y a une certaine conscience à avoir de ces débordements de la relation pédagogique si l'on n'y prend pas garde. Enfin, notre rôle d'évaluateur objectif de la progression des élèves nous impose de faire attention au conflit d'intérêt. Nous avons aussi le devoir d'objectiver l'apprentissage. Être sensible à la flagornerie peut ainsi altérer notre jugement et nous rendre aussi injuste.


Mais ce qui attire surtout mon attention, c'est la résonance qu'a le programme Soleil neuf avec l'esprit de la réforme et de la pédagogie centrée sur l'élève. J'ai l'impression que nos programmes nous incitent souvent à jouer les gourous quand il nous demande d'aller toucher des aspects de la personne comme l'estime de soi des élèves ou l'actualisation du potentiel. Il est clair que le Programme de formation de l'école québécoise  (PFÉQ) ne va pas jusqu'à suggérer l'enseignement du bonheur qui est peut être une intrusion franchement délicate dans la vie des jeunes surtout quand il s'agit de les orienter vers ce qui devrait faire leur bonheur. Toutefois, des notions comme l'actualisation du potentiel issus de la psychologie et qui touchent de nombreux aspects de la psychologie intime du jeune m'apparaissent quelques peu délicates. Intervenir dans les sphères des émotions, du sentiments, de l'estime de soi me semblent quelques peu hasardeux pour des intervenants qui n'ont, la plupart qu'une conception fort vague de ces dimensions de l'expérience humaine.


Ainsi, à l'examen, la transmission du développement de  la compétence transversale 7 : actualiser son potentiel ouvre la porte à cette dérive. Quand on entre dans les rouages fort délicats de la psyché pour conscientiser des processus, franchement obscures, comme ce qui fait l'équilibre de la personnalité surtout à un âge délicat comme celui de l'adolescence, il faut s'attendre à des surprises parfois et des effets inattendus souvent indésirables. Je pense qu'il n'est pas rare pour un enseignant qui s'aventure sur ces pentes périlleuses un jour d'assister à des décompensations comme on l'a vu lundi de jeunes fragiles confrontés à une fouille cavalière dans leurs «bébittes» par un intervenant qui ne prend pas le temps de mettre en place des conditions pour entrer dans un processus thérapeutique ni ne demande l'avis de la personne sur la perspicacité d'entrer dans son processus thérapeutique.  Franchement, je ne crois pas que nous avons l'espace ni la formation pour oser entrer dans le temple secret de la psyché d'autrui comme cela. Il faut souvent s'imposer une certaine réserve.

Pousser des jeunes au bout de leur potentiel en faisant miroiter des miracles est malheureusement une attitude trop souvent mis de l'avant sans une claire compréhension de la dynamique que l'on provoque. Exiger des performances n'est pas un problème. Faire miroiter des réussites dans des contextes où l'on peut se tromper sur le potentiel réel du jeune et le mettre devant un mur fracassant de désillusion est tout à fait autre chose. Il faut que le «vas-y, t'es capable» soit soutenable.


Je m'interroge franchement sur cette intrusion de l'école dans la psychologie de tous sans avoir au préalable sans que ces intervenants aient une claire conscience des dangers liées à ces pratiques d'apprenti-sorcier.  Quand on reçoit une formation de psychologue, on va être longuement suivi et supervisé pour découvrir les dessous fort délicats de ce qu'on appelle le contre-transfert qui est en quelque sorte une projection de ces propres conflits ou des solutions à ses propres conflits sur les personnes qui sont sous notre dépendance. C'est un grand biais subjectif sur le regard qu'on porte sur la dynamique de l'autre. Tous, sans être psy, quelque part, nous projetons sans cesse nos drames, mais aussi nos conceptions du monde, sur les autres. Mais bon, on peut apprendre à le faire plus consciemment et cela se fait souvent dans le cadre d'une thérapie, rarement cela peut faire l'objet d'un enseignement, car cet examen de soi suppose une maturité adulte et est fort lié à nos histoires personnelles. Mais bon, déjà comprendre le mécanisme de projection favorise l'émergence d'une capacité plus objective d'écouter l'autre et de respecter son intégrité dans nos interventions.


Ainsi, nos conflits intérieurs, liés à notre histoire personnelle, d'adultes souvent vont être reportés sur notre façon de voir les autres et les jeunes et nous mettre dans une position fort discutable au plan éthique de les manipuler pour nous conforter dans notre propre psychologie et cela d'une manière souvent inconsciente. Il est très difficile de voir le processus projectif ou ce que Freud a appelé le contre-transfert qui est la relation d'amour un peu inappropriée, voire perverse, que le thérapeute va déployer en retour de l'amour que son patient lui donne. Cet investissement d'un être devenu dépendant du point de vue de l'autre ou de sa science est souvent justement l'objet de la thérapie et un domaine d'apprentissage puissant et de découvertes de ces fonctionnements inconscient. Un bon thérapeute travaille en conscience cette dimension et s'en ouvre souvent en supervision professionnelle pour tenter de ne pas venir contaminer la dynamique de son client et travailler à la mise en conscience de ce transfert du client plutôt que de lui répondre et profiter de lui, ce qui est peu éthique ni professionnel.


Mais nous, les enseignants, avons-nous conscience de la projection de nos propres conflits psychologiques sur les jeunes que nous influençons? Quand nous nous mettons à vouloir rendre heureux nos jeunes ou à vouloir leur amour, à les sauver, n'y a-t-il pas là une attitude névrotique discutable? On ne peut certes pas totalement se prémunir de ces effets totalement, mais disons que les enseignants fortement impliqués dans leur relation avec les jeunes sont beaucoup plus susceptibles de perdre les pédales dans certaines situations. Une certaine distance équilibrée par une relation pédagogique humaine permet l'espace d'une communication saine et respectueuse. Le respect est en fin de compte celui de l'intégrité de l'autre. Répondre à son besoin d'affection dans le cadre de la relation pédagogique m'apparait franchement inapproprié. Et l'on doit tous donc avant d'aborder des sujets très personnels et intimes avec des jeunes savoir où tracer une ligne permettant de respecter l'intimité de chacun. Avec la tendance fort américaine d'imposer la confession publique comme allant de soi, je crois que comme éducateur nous devons rester vigilants au signe d'embarras qui, à mon sens, sont des indicateurs psychologiques fiables à percevoir dans nos rapports avec les autres. Évidemment, la distance de proximité respectable a, en plus, des variations selon la culture et des sous-cultures. Enfin, on trouvera souvent des gens qui jouent avec les frontières intimes des autres pour les déstabiliser et aussi les manipuler.Quand on travaille dans l'humain, il est mieux de connaître un peu ces mécanismes.


Je crois qu'on nous prévient assez peu chez les enseignants de l'équilibre à trouver entre la relation pédagogique et une certaine distance saine avec les jeunes. Mais une chose m'apparaît certaine, entrer dans les dynamiques des jeunes trop profondément est périlleux, voir dangereux. Forcer les frontières d'intégrité de l'autre s'apparente au viol. Jouer aux psys de sessions de groupes n'est clairement pas souhaitable dans une école. Il faut garder une certaine objectivité donc à mon sens et nous limiter souvent à rester dans l'axe de l'apprentissage de contenus objectifs.

Mais l'école veut nous mener plus loin au nom d'un idéal irréaliste et c'est maintenant ce point que je vais maintenant aborder.

Quand nous nous mettons en projet de faire comprendre aux jeunes leurs émotions, leurs sentiments, leurs valeurs et leurs possibilités, de leur faire découvrir leurs forces et leurs limites, de les aider à juger de la qualité et de la pertinence de leur choix d'action (PFÉQ), ne risque-t-on pas trop souvent de déterrer dans cette aventure téméraire des blessures psychologiques pour lesquelles nous sommes mal équipés pour accompagner le jeune? Ces dimensions ne devraient-elle pas être maniées par des gens bien formés à ces tripatouillages de l'âme humaine? Et franchement, est-ce le rôle de l'école de faire ce genre d'éducation? Entre développer le vocabulaire émotionnel pour enrichir des descriptions de personnages et entrer dans la compréhension  de ce phénomène assez complexe, il y a d'évidentes marges? Qui nous prévient des dérives possibles de mandats si délicats confiés à tous les enseignants?

Dans le débat qui oppose différentes visions de l'école, je remarque une attitude prudente et aussi plus empreint de pudeur dans le souci de certains d'en rester à la mission de l'école comme lieu de transmission des savoirs. Entrer dans le projet de nourrir l'être humain dans toutes ses composantes de sa personne m'apparaît quelques peu intrusifs et présomptueux de la part des intervenants de l'école. J'ai retrouvé cela dans le«Pourquoi éduquer? » d'un Legendre, celui du fameux dictionnaire de l'éducation, qui fonde l'intervention scolaire dans la nécessité d'armer l'enfant contre un monde fou qu'il dépeint fort longuement. Il répond à cette question par notre obligation d'aider le jeune à conjurer deux peurs: celle de l'angoisse existentielle et la peur de l'avenir. Il propose donc de les aider à se développer pour trouver le bonheur: «Telle devrait être la première mission fondamentale de l'éducation: assister l'être humain dans son désir d'apprendre à être, à devenir et à se situer.» (UNE ÉDUCATION... à éduquer, Guérin, 2002, p.36) Enfin, Legendre propose: «Instrument privilégié de l'accès au savoir, l'éducation doit devenir le catalyseur d'une évolution permanente de la société; telle est la deuxième mission fondamentale de l'éducation. Au chaos et au développement débridé de la société actuelle, l'éducation doit opposer une vision globale et précise du futur.»

Je prends la peine de citer Legendre, parce que je trouve ses énoncés assez représentatifs des missions de l'école que l'on s'est données récemment dans ce renouveau pédagogique. Pour ma part, la prétention de l'école, au travers le regard éclairé de ses enseignants, d'offrir une vision claire et globale au futur m'apparaît franchement irréaliste et franchement discutable. L'école, à bien des points de vues d'ailleurs, traduit assez évidemment le chaos de la société et la plupart des intervenants peinent à dégager justement une vision globale et clair de l'avenir. Va-t-on nous fournir des boules de cristal?!!

Je ne respecterais pas  évidemment l'ensemble des intentions du Programme de formation de l'école québécoise en le réduisant totalement à ces missions proposées par Legendre qui m'apparaissent quelques peu irréalistes pour une formation de base, mais bon on y retrouve en effet cette volonté de voir les intervenants de l'éducation travailler dans les recoins de la psychologie de l'enfant et de l'adolescent pour l'équiper à faire sens, à mieux se connaître et faire face à ses désirs de sens, à sa quête du bonheur. D'ailleurs en introduction du PFÉQ, on peut lire ceci: «Le Programme de formation établit les bases d’un contrat moral entre les établissements scolaires et la société, tout particulièrement les parents et les élèves. À la lumière de la mission de l’école, il propose un projet de formation qui concerne le développement de l’élève dans toutes les dimensions de sa personne.» (PFÉQ, avant-propos, je mets en gras)

Tous les aspects de la personne concerne-t-il l'école? Je pose franchement la question. Personnellement, je trouve assez inconcevable que l'école s'arroge le droit de faire de la thérapie collective de la sorte en intervenant dans toutes les facettes de la personne. Il y a là une témérité certes discutable et un côté intrusif à entrer dans la dynamique d'un être humain. A bien des niveaux, c'est loin d'être à l'école qu'on trouvera des réponses personnelles à ses quêtes personnelles, à ses propres projets et interrogations. Cette prise en charge totale de l'école qu'on finit par faire porter par les enseignants constituent à mon sens l'outre-passement du mandat traditionnel de l'école qui est d'instruire, de préparer au travail en société et de favoriser le développement intellectuel et social de chacun.

Je n'ai pas abordé ici les prétentions - monter l'apprendre à apprendre- de l'école de conscientiser tous les processus d'apprentissage - à une époque où nous ne faisons qu'amorcer notre compréhension claire des processus cognitifs ou intellectuelles - et de la nécessité de pousser les gens à «métacognitiver» et à suivre des méthodes toutes faites qui laissent peu de place à  une évolution graduelle de la capacité d'apprendre qui est personnelle à chacun et va se raffiner en fonction des choix professionnels et des besoins d'apprentissage qui viendront plus tard dans la vie. Devoir sans cesse se faire tirer les vers du nez quand on travaille pour voir si on conscientise pleinement nos processus, c'est comme oublier que de nombreux automatismes vont tout seul et qu'il n'est pas toujours franchement important de les conscientiser pour obtenir un résultat si ce n'est qu'au moment de les apprendre ou de les modifier. Encore là, ne joue-t-on pas au apprenti-sorcier et aux gourous en promettant des maîtrises que nous ne pouvons pas franchement transmettre faute d'avoir la pleine connaissance de ces processus qui font toujours l'objet de recherche fondamentale dans le domaine de la psychologie cognitive fondamentale. On en est à peine à commencer à nuancer les travaux de Piaget et on a lancé les jeunes dans une pédagogie de la découverte et des démarches d'apprentissage sans se soucier de la capacité intellectuelle moyenne des jeunes à soutenir ce genre d'apprentissage. Pire, on a lancé l'idée que nous devrions, nous les enseignants, savoir et posséder ce que la science peine encore à comprendre.

Oui, à l'instar des scénarios proposés ces jours-ci dans Virginie,  je crois que l'esprit des sectes est bien entrée dans les écoles!  Esprit d'apprenti-sorcier, «bonenfant», porté par des adeptes convaincus qui prétendent nous sauver du péril de l'angoisse existentiel et du chaos ambiant de changement actuel et à venir. Le problème le plus évident, c'est qu'il annihile l'esprit critique et pousse le rôle de l'école à prendre en charge de manière intrusive, voir abusive,  tous les aspects de personnalité des jeunes. Le corps enseignant ne peut honnêtement jouer le Grand Sorcier pour conjurer l'adversité du monde. Là, aussi, y a sûrement quelques bombes à retardement à redouter.

Enfin, il ne faudra donc pas s'étonner de trouver sur la route de l'application de cette réforme et de ce renouveau, l'expression d'un concept bien connu de la psychologie: la résistance. La résistance, en psychologie, renvoie un peu à la difficulté que nous avons de conscientiser les patterns ou nos processus inconscients car ces derniers, souvent constitutives de nos mécanismes d'adaptations à un environnement difficiles à gérer, nous orientent dans nos adaptations à tout niveau et nous protègent contre les atteintes à notre intégrité physique et aussi psychologique. Changer n'est pas simple et n'est pas toujours souhaitable. Pour certains jeunes, aussi étrange que cela puisse paraître, réussir les place en conflit de loyauté avec un environnement qui ne pourrait envisager ce genre de succès.

L'objet de la thérapie qui est de rendre conscient des mécanismes inconscients pour les transformer demande des conditions assez particulières pour permettre la réussite de ces processus. Certains processus inconscients sont constitutifs de la personnalité et les révéler peut s'avérer périlleux pour la personne. Bref, la résistance peut être parfois l'expression positive d'une force visant à maintenir une intégrité qui n'a pas à être brisée.

Dans la réalité scolaire, donc, on voit s'exprimer de la résistance et personne ne peut présumer qu'elle est simplement négative. D'abord, il est clair qu'en poussant de nombreux intervenants à s'improviser apprenti-sorcier dans l'intervention holistique qu'on nous demande de faire sans avoir une pleine maîtrise de la matière explosive dans laquelle nous jouons, on risque de les amener à prendre des risques pour leur propre intégrité. Assister à la décompensation (crise psychotique) d'un jeune poussé au delà de ces capacités d'apprentissage a été pour moi une expérience fort déstabilisante. J'avais pris part naïvement à un contexte irréaliste pour ce jeune.  Je garde depuis le souci de garder un regard le plus juste possible sur le potentiel des jeunes ou adultes qui me font confiance pour les préparer quand il est nécessaire à la possibilité d'un échec face à l'entreprise irréaliste qu'il se donne ou que leur entourage induit en eux. On est au première loge parfois dans ce métier de drames assez éprouvants.

Combien d'enseignants se compromettent trop dans des projets qu'eux-mêmes ne peuvent assumer tant la pression du milieu est forte pour jouer les superhéros sans jamais que personne ne leur aient transmis tous ces pouvoirs dont ils auraient besoin pour répondre à ses exigences irréalistes et surhumaines. L'état de santé  d'environ 50 % des enseignants est en fâcheux états,  20% sont en arrêt maladie et je ne crois pas que ce soit étranger au fait qu'on leur demande massivement l'impossible.

Ensuite, pensons que les jeunes vont exprimer aussi et, en fait, exprime une résistance indéniable à ce programme qui les enserrent dans ses mailles pour les pousser trop souvent au-delà de leurs limites. La démobilisation palpable d'un nombre croissant d'élèves n'est pas non plus, à mon sens, étrangère à cette situation de renouveau.  Offrir des interprétations psychologiques «patentées» à une psyché trop jeune a des effets fort néfastes connus depuis longtemps, je crois qu'on doit se garder de forcer la porte de la psyché et ceux qui ont une sensibilité adéquate sentent très bien jusqu'où on peut aller. Le rôle des enseignants n'est pas de jouer les thérapeutes ni de sauver le monde. Quand on suppose que nos jeunes peuvent apprendre à conscientiser leur cognition pour gérer leur tâche, sait-on franchement dans quoi l'on joue? D'ailleurs, y arrive-t-on facilement, combien de fois un jeune se défend de notre intrusion dans sa gestion mentale en nous ignorant poliment. Il a raison de se dire qu'on n'a pas à lui dire comment penser jusque dans ces petits détails. Et dire qu'on nous demande de tenir compte aussi des particularités ethniques aussi, mais a-t-on franchement une idée de l'infinie diversité culturelle en ce monde? Non, franchement, au delà de proposer des démarches, d'en obliger quelques-unes dans des méthodes liés à des domaines, entraîner à apprendre est suspect. Dans notre naïveté, comment croire que nous offrirons une représentation juste des processus d'apprentissage, quand on sait qu'il y a bien des manières et autant d'objet divers d'apprentissage qui ont leur contrainte propre. C'est naïf, puéril et réducteur, de prétendre que nous allons éduquer à apprendre à apprendre. Au mieux, nous passons quelques méthodes reconnues d'organisation du travail dans quelques domaines. Prétendre le contraire, a des allures de totalitarisme. J'irais jusque là.

L'école aurait pu simplement offrir des connaissances utiles accessibles en fonction des âges et proposer des stratégies d'apprentissage sans espérer viser l'éducation maîtrisée de ces processus encore méconnus, encore moins prétendre éduquer le jeune dans toutes ses dimensions. A force de vouloir tout contrôler, on risque de créer encore plus de problèmes. La sagesse enseigne à laisser l'autre aussi vivre son cheminement, à accepter la réalité de ce qu'il vit et à faire confiance au processus global de la vie. L'école n'est pas la seule influence dans la vie et ne doit pas outrepasser son champ normal d'action. Pourquoi ne se contente-t-elle donc pas dans un premier temps de transmettre des savoirs de base et de bien le faire, d'initier un peu à différents domaines et outils utiles? Pourquoi ne pas laisser les formations professionnelles jouer leur rôle de développer les compétences et laisser finalement à la vie, sa profonde faculté de nous pousser à toujours développer nos capacités d'apprendre pour mieux nous adapter ou exprimer notre singularité en ce monde?

samedi 13 février 2010

De l'interdisciplinarité chez les enfants...

Le weekend dernier, j'ai suivi et participé à un échange sur le blogue de Mario tout de go, qui portait sur l'intervention d'un certain François Taddei et où il était question de transformer l'école dans ce nouveau contexte de l'explosion de l'information. L’école ne peut plus se contenter d’être un lieu de transmission du savoir | Mario tout de go. J'ai finalement regardé ce vidéo et un peu le programme que propose ce personnage: avoir une école qui développe les autodidactes.

Bon, c'est assez à la mode, de nos jours, de poser en argument une vidéo avec un type crédible qui dit des choses intéressantes. Le vidéo de Taddei, nous fait voyager de Kasparov, champion du monde battu par la machine, au projet I can d'une Indienne,  Kiran Bir Sethi, qui aussi a fait sa conférence sur TED, ce site de diffusion d'idées de valeur qui propose des conférences, et nous parle de la contagion de son idée de changer le monde avec les jeunes. Tout cela en passant par des métaphores diverses proposant le partage, la collaboration (l'oiseau chantant), la nécessité d'être informé (Alice au pays des merveilles) et d'aller vite, vite pour aller ailleurs et ne pas rester en place.

Ce chercheur de l'Institut de la santé et de la recherche médicale (Inserm) propose la maïeutique nouvelle dans le contexte techno-informatique qui émerge et pose des questions à l'école.

Bon, il est difficile d'être contre la vertu de ces belles idées. Mais bon, moi aussi, je me pose bien des questions depuis que j'ai vu cette vidéo. En quoi, un type qui travaille en recherche fondamentale peut-il bien connaître la réalité de l'éducation au quotidien? Je vois très bien sa perspective. Le monde de la recherche doit collaborer, favoriser le partage ses connaissances, diffuser de l'information, favoriser l'interdisciplinarité (il est lui-même ingénieur ayant travaillé en sciences médicales où il a été primé en 2003 pour sa contribution en recherche fondamentale). Je comprends sa perspective de voir le monde collaborer pour le changer notamment dans les défis environnementaux qui attendent l'humanité. Je comprends aussi l'obsession d'un chercheur pour la mise à jour des connaissances dans un monde qui évoluent rapidement.

Je vois bien l'intérêt de cette activité qu'il a faite pour stimuler l'intérêt dans les banlieues rouges de Paris où il a probablement investi une partie de son substantiel prix de 1 200 000 Euros dont il nous précise le montant.

Je vois aussi le potentiel de ces phénomènes nouveaux d'expression qu'Internet procure, de ces événements impressionnants par leur ampleur qu'on peut générer avec le potentiel des réseaux du Web.

Mais bon, car voyez-vous, l'enthousiasme a besoin d'un peu de raison aussi, et les raisonnements d'être un peu revisités avec cette compétence transversale qu'on nomme l'esprit critique: un événement bien financé par les dons généreux, alimenté par des artistes, et des scientifiques de prestige a certes des chances de créer de l'enthousiasme. Cependant, l'école n'a pas vraiment ces moyens au quotidien et enfin, un événement de motivation ne constitue pas en soi une formation qui s'acquiert,elle, au prix de l'effort et de la détermination. Même chose pour la contagion I can. Ces événements, où des enfants prennent une ville ou déclenchent un événement d'alphabétisation des parents par leurs enfants en Inde, ne fondent pas une éducation non plus. Enfin, dans une exposition de ces beaux tableaux d'enthousiasme collectif humain, on ne peut pas vraiment savoir l'impact réel de tel événement. Comme on sait, l'hypnose d'un Messmer a été abandonnée par Freud parce que l'hypnose avait un effet d'assez courte durée dans les programmations qu'elle opère au niveau inconscient. Ça n'empêche pas Messmer de très bien gagner sa vie, remarquez!

Bref, quand je regarde ces grandes idées de valeur sur le Net, je demeure dubitatif, un peu. Je vois en filigrane le «preacher», le gourou, la réédition du show culturel américain qui a façonné notre manière de vivre moderne avec des valeurs bien américaines exhibitionnistes et où le show déclasse la profondeur des idées. Combien de fois, de nos jours, l'emballage a-t-il plus d'importance que le contenu? Le message est le média, disait, il y a déjà un bout, McLuhan, non?

Je suis aussi plein de questions au sujet de ces mêmes idées qui nous font devenir des exhibitionnistes de Facebook, de portfolio, ou qui rendent suspect de conserver une certaine pudeur et de ne pas vouloir s'exposer à tous. Je ne peux m'empêcher de voir les enfants de 1984 qui dénonçaient leurs parents à Big Brother. Les enfants sont fervents sans grand esprit critique. On a formé bien des soldats, des fanatiques, des jeunesses hitlériennes en mettant des enfants sur un piédestal. Bref, je suis un peu inquiet qu'on propose de mettre les enfants en avant pour manipuler le monde, car ils sont de si serviles serviteurs et franchement, je pose la question: qui profitera de cette manipulation des esprits innocents. Est-ce cela franchement la pédagogie centrée sur l'enfant?

Je suis donc obligé d'opposer à ce prestige convaincu ma modeste observation de la condition humaine et donc essayer de tempérer les enthousiasmes qui peuvent s'avérer des mirages et de fort mauvaises idées en somme.

Je suis obligé de voir que la prise de la ville par les bambins des Indes avait l'air bien appuyée par des adultes et tournée vers le divertissement. Bref, je ne vois pas vraiment ce qu'il y avait de très différent d'une fête pour enfants organisés par une ville, si ce n'est qu'on les a consulté pour leur faire choisir des activités qu'on aurait sûrement faites sans l'avoir fait. Évidemment répéter des mantras comme I can, change the world et contagious démontre encore que la réalité se façonne par la répétition d'une certaine idée en l'emballant dans les sourires et l'émotion positive. Yes, we can!

Je suis bien obligé de voir chez les jeunes enfants des êtres profondément influençables et manipulables, même si c'est pour de belles intentions. Et ce sont très certainement des adultes qui tirent les ficelles. Bon, évidemment, cela n'enlève rien à l'intérêt dynamisant et motivant de ce genre d'événements, mais de grâce pondérons tout de même les conclusions: on a réussi à mystifier les enfants, à leur faire croire qu'ils accomplissaient quelque chose de grand grâce à des technologies nouvelles dans un événement x. Va-t-on passer nos journées à transformer le monde, à faire le théâtre de la transformation du monde, qui reste assez superficielle franchement un peu comme l'humoriste Jean-Marc Parent créait des enthousiasmes en faisant flasher les lumières au Québec il y a quelques années? Allegria!

Bref, offrir ces exemples pour orienter l'école du futur me laisse assez dubitatif si c'est pour transformer l'école en une foire d'exhibition de grands événements motivants et transformateurs de la société. Je crois encore que les humains ont besoin d'une certaine gouverne et d'un esprit rationnel pour débattre des solutions de vie communes à adopter en favorisant la communication et les débats au sein des adultes pour considérer l'ensemble des aspects dans des problématiques de changement à faire. Je m'inquiète de voir cette tendance affirmée d'utiliser les enfants pour des propagandes à grandes échelles qui ne laissent pas beaucoup de place pour la discussion, car, on le sait, les enthousiasmes collectifs ne sont pas toujours les phénomènes les plus rigoureux et intelligents que l'on puisse observer dans la nature.

D'ailleurs, la macaque «nobelisée» par Taddei découvrait fort probablement ses innovations dans la quiétude d'une concentration de l'attention au moment d'un accident imprévu de son expérience qui l'a fait comprendre la valeur de sa découverte, pas dans l'hyperactivité d'une excitation collective. Bref, il faut temporiser la valeur des collaborations en cette observation assez courante que les collaborations fructueuses mettent à profit bien souvent de multiples expertises qui se rencontrent pour partager leur point de vue développé dans le recueillement, soutenu par une longue expérience et des formations rigoureuses. Les découvertes suivent des processus fort complexes dans un cheminement lent de patiente préparation.

Ainsi, l'interdisciplinarité qu'on veut enseigner comporte une difficulté de taille appliquée à l'enfance. Pour passer au niveau du regard interdisciplinaire, il faut bien souvent en passer par la lente appropriation d'une première discipline, d'un certain savoir avec ses méthodes, son angle d'aborder les problèmes, sa perspective que l'expérience finit par ouvrir à  d'autres disciplines pour un échange intéressant. Taddei a-t-il oublié son parcours avant de devenir l'expert abordant dans son quotidien l'interdisciplinarité?

Depuis longtemps, on a pensé l'enseignement des savoirs dans certains couloirs qui soutenait leur perspective propre, qui traçait un fil conducteur pour fonder une mémoire, une structure propre à l'intégration des faits et connaissances qui la constituent. Cette fondation du savoir dans des disciplines permettait à des experts, des gens en maîtrise de transmettre adroitement, enfin on le souhaite, ces structurations de l'expérience humaine.

Mon observation courante des enfants m'amène à  voir en eux de grandes limites dans leur capacité de gérer la complexité. Il est même assez difficile, au point que s'en est parfois ahurissant, de les voir peiner pour  discerner des choses fort simples. Bref, l'apprentissage, a besoin de temps avant de s'aventurer dans la complexité. Il faut bien souvent monter patiemment les marches de la connaissance. Évidemment, cela n'empêche pas un enfant de boire la complexité du réel et de s'en faire des représentations. N'empêche que franchement, un enfant mettra pas mal de temps avant de pouvoir considérer ses représentations et les penser, les critiquer, les simplement comprendre, en voir les rouages et devenir un acteur clé pour transformer la réalité dans un domaine de savoir.

J'irais plus loin, je côtoie aussi des tas d'adultes qui ont franchement du mal à comprendre un tas de choses  pourtant assez simples. Des adultes qui  n'ont pas eu la chance ou la patience de monter certaines marches d'apprentissage doucement. Cela ne les empêche pas d'avoir des opinions sur tout. Mais bon, quand on est attentif, on remarque que ça ne dépasse pas beaucoup l'ordre des idées reçues. En de nombreux domaines où je n'ai que peu d'expériences et de connaissances, moi aussi je n'arrive pas bien souvent à fonder un regard vraiment pertinent.

J'ai l'impression qu'Internet nous plonge dans la mégalomanie: cette impression d'être des dieux capables de tout. Or, nous demeurons limités et il est bon de se le rappeler et je crois qu'il faut souvent détromper l'enfant qui se croit un dieu. Car ce n'est pas la réalité.

On peut certes faire vivre dans nos écoles des projets enivrants pour enthousiasmer. Mais franchement, avant de devenir un autodidacte, il y a tout de même certains préalables, certains passages obligés. Apprendre sa langue, développer son cerveau. Apprendre la rigueur, la patience, la concentration, le respect de ce lieu qui pourrait permettre ces valeurs d'émerger aussi. J'ai l'impression qu'en transformant l'éducation en show permanent, on fuit les vraies questions. L'enfant a-t-il besoin d'autant d'expression? de pouvoir? d'être arbitre et juge de ses maîtres? d'être un petit roi qu'on doit intéresser? Ou n'a-t-il pas besoin d'être un peu réfréné, entrainé à la patience, au respect du caractère posé, incité et un peu forcé à un certain travail, encadré, structuré. Pour devenir un être capable de réflexion, de compréhension, d'attention, de respect des autres.

Il aura ensuite toute sa vie pour trouver sa propre interprétation de l'éducation qu'il a reçue, développer s'il y voit sa route, l'interdisciplinarité, de suivre des démarches autodidactes et puis, de prendre part significativement aux décisions et aux transformations durables de la cité.

On apprend aussi, avec la vie, contrairement à la course folle hyperactive d'Alice et de la reine, que de se poser pour réfléchir un moment à ce qu'on vient de voir, entendre ou faire, permet d'économiser son énergie et de finalement sauver du temps.

mercredi 3 février 2010

Critique du programme de formation de base en français (secondaire)

Texte laissé en commentaire chez mariotoutdego où s'est discuté (aussi ici), il y a 2 semaines, le livre de Normand Baillargeon, Contre la réforme.

Je n'ai pas fait encore une critique de ce livre que je trouve utile comme ouvroir: il apporte une réflexion sur l'arrière-fond conceptuel de la réforme auquel il oppose une conception libérale de l'éducation qui vise la transmission de savoirs valables. Il montre le creuset conceptuel du socio-contructivisme de la pédagogie de projet qui ne s'embarrasse pas de la transmission des savoirs. Enfin, j'y reviendrais, je lis ce livre en parallèle avec plusieurs autres en ce moment.

L'accueil des pro-réformes à cette critique consiste à dire que la réforme selon Baillargeon n'a jamais existé, si ce n'est au début de la réforme (vous voyez la cohérence?), mais que depuis le Renouveau pédagogique et les programmes du secondaire, on a corrigé le tir des égarements premiers de la réforme. On nous demande de discuter le Programme de formation de l'école québécoise qu'on ne devrait qu'améliorer. Or, comme je me suis attardé à relire ce programme hier, j'ai tenté d'esquisser ce copieux verbiage pour montrer comment ce programme est toujours résolument socio-contructiviste et prescrit une pédagogie de projet à l'enseignant qui doit surtout travailler la conscientisation de démarches d'apprentissage dans un univers conceptuel patenté. Les connaissances de base, dans cet univers, sont ainsi subordonnées aux démarches d'apprentissage dans le cadre prioritaire des projets et ne tiennent lieu que de temps d'arrêts.

Les réformistes, toujours au pouvoir, nous enjoignent d'appliquer ce programme qui fait force de loi. Voilà leur argument massu. C'est assez pitoyable.

Voici donc mon commentaire d'hier:

J'admets être incapable d'appliquer ce programme de formation en français tel que je le lis.

On nous demande, et c'est essentiel, dit-on, de créer des communautés d'apprentissage (c'est le devenir de ma classe) , pour développer des familles de situations, ou combinaison de familles de situations significatives, diversifiées et variées et de façon privilégiée dans les domaines généraux de formation (environnement, santé, et bien-être, environnement et consommation, médias, vivre-ensemble et citoyenneté) en me demandant, bien sûr, quel sera l'apport dans nos démarches des compétences transversales (présentes dans tous les domaines, mais qu'on a du mal à cerner tout de même, si je me fis encore au dernière évaluation de juin dernier!) dont je vous épargne l'énumération des 9 items.

"Pour développer ses compétences en français, l'élève est placé dans des contextes riches où langue française et culture (je ne suis plus juste prof de français, on dirait) sont continuellement sollicitées." (PDF( Programme de formation) p.88.)

Je dois faire tout cela en plus en proposant des tâches diversifiées (aux élèves) et accueillir leurs suggestions. "Ainsi, chaque élève a la possibilité de faire des apprentissages signifiants et de progresser en réalisant des projets à sa mesure." (PDF, p.90)

Et le travail sur la langue? On la subordonne toujours aux contextes signifiants:

" Lorsque des temps d'arrêts (car attachez votre tuque pour le reste!) sont nécessaires pour aborder un nombre limité (limité!) d'éléments bien (bien!) ciblés, l'enseignant propose à l'élève des activités décontextualisées où certains (certains) éléments d'apprentissage sont mis en relief. (...) L'enseignant veille à ce que l'élève perçoive le lien étroit qui existe entre ces activités et les situations contextualisées." PDF (p.92)

Puis on remplit cette page pour bien nous faire croire en l'importance de faire de la grammaire pour le PDF, surtout avec la terminologie de la nouvelle grammaire de 1995 qui est reconduite. "Cela signifie qu'une attention particulière est accordée à la dimension syntaxique et que la langue - abordée allant du texte à la phrase, de la phrase aux groupes de mots, puis de groupes de mots aux mots (expliquez-moi, je ne comprends pas cette logique tordue) - est vue comme un ensemble de systèmes (...). PDF, p.92.

Et moi, je dois "en tout temps (vraiment...)", "pouvoir répondre aux questions de l'élève: «Pourquoi faut-il se documenter? A quoi sert le schéma narratif (Etc.). En tout temps, l'élève doit pouvoir se dire: «Je rédige (...) pour... (avoir la raison, le sens net dans sa tête de ce qu'il fait)». (Remarquez: la dictature du sens obligatoire remplace l'instruction obligatoire!)

"Attentif aux besoins et aux champs d'intérêt des élèves, l'enseignant de français est l'entraineur qui leur propose des situations stimulantes et exigeantes". De plus, je suis ou doit être ou doit essayer d'être ou faire semblant si je n'y arrive pas, tout en restant crédible (j'anticipe...):

Expert: qui cible les apprentissages à faire;

Guide: pour faire les liens avec le primaire et aider le pichou à systématiser ses nouvelles connaissances;

Médiateur: vers l'autonomie, vers la conscience des démarches et un regard critique sur elles;

Un passeur (oui, oui, Siddharta?) culturel qui fait découvrir des œuvres, fait vivre des expériences culturelles et reconnaître l'apport de la culture dans la vie du jeune;

Un modèle linguistique et culturel (plait-il?) crédible (on doit me cru!)

Animateur: pour favoriser le partage d'idée et le travail coopératif dans une classe devenue communauté d'apprentissage dont je suis (une chance) le membre influent (la tête? j'ai un peu le tournis). PDF, p.93.

Ah oui, je suis souteneur d'apprentissage aussi: je questionne, j'observe, je demande au jeune d'expliquer ses démarches x 100 élèves ou 120...

Je commente en précisant ce qui peut être amélioré (finie la correction, youppi!)

Je guide l'élève pour son portfolio et son répertoire diversifié d'œuvres littéraires (qu'ils ne perdront pas, c'est sûr) x 120 ou 90-100.

Je lui demande des autoévaluations pour voir si mes évaluations sont raisonnables (je blague, mais ça ressemble à cela). Je discute avec lui pour l'encourager à réfléchir ses démarches x 90-100 ou 120-130.

Et enfin, j'évalue les compétences... ( PDF, p.93)

J'ai mon diplôme obtenu avec de très bons résultats, j'aurais même celui de psychologie pour comprendre la psycho cognitive, mais franchement à suivre le niveau cognitif dans lequel je dois travailler avec les élèves, je vais devoir conscientiser pas mal de processus qui m'apparaissent une dictature de la manière de travailler tout, en conscience tout le temps. Moi, je devrais connaître tout et trouver le temps de discuter avec tous de démarches.

Ce programme est résolument toujours socio-constructiviste axé prioritairement sur la pédagogie de projet et subordonne les connaissances à des expériences significatives que l'on comprend prioritaires pour garder la motivation des élèves.

Franchement, cette pédagogie n'a pas été démontrée applicable. On n'a pas plus montré à quel résultat, elle mène et, franchement, je ne l'applique pas. J'attends qu'on me demande un travail raisonnable à hauteur des élèves pour attendre des objectifs raisonnables. En attendant, je fais lire et comprendre, je fais écrire, réagir et j'enseigne le fonctionnement de la langue. Et parce que j'y suis bien obligé, j'évalue des oraux, bien qu'on ne m'ait jamais formé comme expert en la matière.

Je ne crois pas qu'un portfolio ni un répertoire de machins culturelles fera de meilleurs êtres humains de nos jeunes. Pourquoi aller dans ces niveaux d'exigences irréalistes? Je me demande toujours où est la tête des concepteurs de programme. On pourrait avoir des surprises!

L'école n'est pas les scouts du vendredi soir où l'on a 3 animateurs pour 12 jeunes... A 30-35 jeunes de calibres fort différents par communauté d'apprentissage (classe), ces objectifs irréalistes ne peuvent être atteints dans le cadre de l'enseignement de masse. On ne peut demander à des humains raisonnables de tenir longtemps dans ce genre de leurre en plus inefficace selon la plupart des indicateurs d'évaluations depuis presque 50 ans maintenant.

Voilà donc pourquoi je crois que Baillargeon a de bonnes raisons de nous alarmer sur les défauts conceptuels majeurs de cette réforme et sur ces monstrueux programmes.

Il faut se mobiliser pour changer ces programmes qui visent un niveau maîtrise que même des adultes auraient du mal à suivre, que je ne prétends pas avoir à titre d'enseignants de français formés et que je mets au défi quiconque d'attendre un jour.

Pourtant, j'en connais un vaste bout sur le domaine!

Bref, je résiste comme tant d'autres... et souhaite rien de moins qu'on jette le programme pour en rebâtir un sensé qui visent l'atteinte de comportements précis et justifiables d'un niveau digne d'un enseignement de base, pas d'une maîtrise en études françaises.

Quant au décrochage, j'ai une amie Roumaine ici, qui dit que personne ne décroche dans son pays et, vous savez quoi, il n'y avait pas de pédagogie de projet, pas de stratégie whole langage et tout le monde savait lire et écrire sans faute. On apprenait la grammaire à l'ancienne. On valorisait les études et le travail. On voulait sa place aux études. On devait travailler, on ne devait pas savoir toujours à quoi cela servait... Elle ne regrette pas son éducation, même si elle aurait aimé des fois plus de liberté...

Ah oui, j'ai oublié dans cet exposé de préciser que je devais aussi à titre d'enseignant de français aussi voir à l'apport des compétences disciplinaires des autres matières dans mes projets avec les élèves et me tenir à l'affût et disponible pour supporter toute activité dans l'école qui demanderait les compétences disciplinaires du français pour les travailler dans le cadre de ma communauté d'apprentissage (classe):le journal de l'école, les publicités, les recherches dans d'autres cours, etc.

Je ne sais pas si les non-enseignants voient dans quelle mesure tout cela est proprement inapplicable et ingérable dans le cadre des groupes nombreux que nous avons et si l'on conçoit aussi l'impossibilité, dans un tel contexte, de travailler efficacement la maîtrise de la langue qui a besoin de beaucoup d'exercices et d'y revenir pendant des années régulièrement.

Il y a lieu, à mon sens, de s'interroger sur la pertinence d'appliquer sur une large échelle un tel programme à une jeunesse qui n'a pas encore assez de maturité pour aborder avec une telle acuité la «conscientisation» des processus cognitifs sollicités par des situations complexes d'apprentissages.


Toute la recherche sérieuse faite aux États-Unis des 50 dernières années a démontré que l'école alternative (qui est assez à l'image de cette réforme) à petite comme à grande échelle obtient un rendement bien en deçà de, même, l'enseignement traditionnel. Avec de telles orientations, comment même penser un jour atteindre un niveau de maîtrise de la langue pour l'ensemble qui soit respectable?

lundi 1 février 2010

Méthode globale en lecture: les solutions de facilité du primaire

 Ce texte fait suite à un commentaire de Armand  (Compétences des incompétents)

J'ai remarqué aussi que l'implication d'un tiers (le parent) était importante pour faire passer la méthode globale. D'ailleurs, mon fils a appris à lire avec cette méthode. Toutefois, cet accompagnement que j'ai donné à mon fils m'a fait voir deux problèmes à cette méthode: elle engendre une inégalité des chances systémique et aussi favorise une solution qui en apparence fonctionne, mais qui ne développe néanmoins pas une solide compréhension du langage.

D'abord, si l'école vise à rejoindre tous les enfants, déployer une telle méthode, alors qu'on sait que tous les enfants ne vont pas obtenir à la maison une telle aide ou une aide efficace, pose un problème de l'ordre de l'égalité des chances.

Avec mon métier d'enseignant, j'ai rapidement développé des moyens de passer l'apprentissage photographique des mots en recourant à une stratégie assez efficace de conditionnement progressif (montrer deux mots en alternance jusqu'à maîtrise, puis ajouter un troisième avec les deux jusqu'à maîtrise, etc.) Ça fonctionnait très bien, mais jamais l'école ne m'a expliqué comment trouver cette méthode que j'ai développée, découragé de voir mon fils jouer aux devinettes dans les activités inefficaces qu'on me proposait de faire avec lui parce qu'il ne lisait pas les lettres.

J'ai eu le témoignage de nombreux parents depuis complètement désarçonnés par cette méthode et qui finissaient par se disputer avec leurs enfants fatigués à la fin de la journée.

Pour moi, une méthode de lecture qui compte autant sur le support extérieur ne doit pas être privilégiée à l'école. Si l'école est capable plus efficacement de passer elle-même la lecture, elle a le devoir d'y recourir.

Dans certaines cultures, l'apprentissage de la lecture, comme des autres matières d'ailleurs, est le job de l'école, pas celui des parents. Certains parents peuvent être analphabètes ou de cultures étrangères, on voit tout de suite des limites sérieuses à la méthode globale «Whole language».

Deuxième problème, en n'apprenant pas à lire les lettres et les syllabes, le jeune, à qui on a montré la facilité à reconnaître les mots sans en voir l'organisation interne, manque un apprentissage pourtant important.

Pour moi, les germes de la capacité d'analyse sont dans ce genre d'exercices simples. L'empressement qui est mis dans la capacité de lecture rapide par la méthode globale aussi n'éduque pas à une certaine patience de l'apprentissage. De toute façon, il n'y a qu'à travailler avec de jeunes enfants pour voir combien est grande leur motivation à apprendre à lire. On a du ressort et du temps pour faire des choses aussi simples que d'écrire des sons sans signification, ça ne les dérange pas. L'obsession du sens à donner aux activités est une préoccupation d'adulte, l'enfant sait très bien qu'on lui montre à lire et ce sens lui suffit amplement.

J'ai appris à l'école à lire et à écrire dans les années 70 sans que ma mère n'ait à y  mettre les demi-heures à une heure par jour qu'on impose aux parents de nos jours que tous ne mettent pas et on se retrouve en bout de ligne avec des problèmes sérieux d'apprentissage.

Il est facile de parler du manque d'effort des jeunes. Pour ma part, l'éducation à l'effort est si simple à mettre en place, pourvu que le maître sache jouer de son art pour amener le jeune à la patience de la réussite. Notre système - qui confronte trop souvent nos enfants à des tâches inaccessibles trop complexes dans lesquelles ils ne trouvent pas moyen de contrôler ce qu'ils apprennent dans le contexte de l'école des projets socio-constructivistes - a à se recadrer dans des tâches de base sur un mode explicite, progressif, dynamique et systématique, en recourant à l'évaluation fréquente pour corriger rapidement le tir des apprentissages. Ces méthodes sont reconnues par les études comme des approches beaucoup plus gagnantes que les pédagogies de la découverte et le whole language. La littérature scientifique américaine fournit à cet égard une richesse d'observations et de compréhensions qu'on serait fou de négliger.

Il faut arrêter de faire fi des recherches sérieuses et objectiver sérieusement ce qu'on fait dans nos écoles.

Déjà, depuis quelques années au Québec, on a remis en complément de l'approche Whole language ou globale, l'enseignement du décodage au besoin. Beaucoup d'enseignants insatisfaits de la méthode globale ont remis l'apprentissage du décodage dans le bon ordre et obtiennent de meilleures résultats. L'ennuie avec ces choix est que le système manque de cohésion et les enfants qui passent par le patient décodage ne vont pas avoir l'apparence de lire aussi vite et cela peut créer des tensions et des pressions sur les enseignants d'une école qui auraient fait ses choix.

Pour moi, montrer à travailler patiemment les apprentissages et les faire réussir au final est le meilleur entraînement à l'effort qu'on puisse leur donner. L'école primaire faillit à cet enseignement dans une large mesure, perdue qu'elle est ici dans l'intégration en classe régulière des élèves en difficulté de tout ordre (même des cas très lourds) et dans une pédagogie du jeu où tout doit être plaisant tout le temps. Or, il est clair qu'on peut leur montrer que le jeu est une récompense après l'effort et non un ingrédient omniprésent de l'apprentissage. On éviterait une attitude trop répandue: quand le jeu vient à manquer, on est en droit de se révolter contre l'ennuyeux travail.



Comme éducateur, recourir à l'explication simpliste du manque d'effort est un réflexe dont on doit se méfier. Le pédagogue consciencieux examine sérieusement ce qu'il fait, est capable de se remettre en question et cherche à augmenter son efficacité. Évidemment, quand les enfants passent au secondaire (niveau collège en France) si les préalables n'ont pas été enseigné dans le jeune âge dans une esprit de travail et de fierté de vraiment réussir à maîtriser ce qu'on apprend, il est souvent et malheureusement assez tard pour faire des miracles...