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lundi 1 février 2010

Méthode globale en lecture: les solutions de facilité du primaire

 Ce texte fait suite à un commentaire de Armand  (Compétences des incompétents)

J'ai remarqué aussi que l'implication d'un tiers (le parent) était importante pour faire passer la méthode globale. D'ailleurs, mon fils a appris à lire avec cette méthode. Toutefois, cet accompagnement que j'ai donné à mon fils m'a fait voir deux problèmes à cette méthode: elle engendre une inégalité des chances systémique et aussi favorise une solution qui en apparence fonctionne, mais qui ne développe néanmoins pas une solide compréhension du langage.

D'abord, si l'école vise à rejoindre tous les enfants, déployer une telle méthode, alors qu'on sait que tous les enfants ne vont pas obtenir à la maison une telle aide ou une aide efficace, pose un problème de l'ordre de l'égalité des chances.

Avec mon métier d'enseignant, j'ai rapidement développé des moyens de passer l'apprentissage photographique des mots en recourant à une stratégie assez efficace de conditionnement progressif (montrer deux mots en alternance jusqu'à maîtrise, puis ajouter un troisième avec les deux jusqu'à maîtrise, etc.) Ça fonctionnait très bien, mais jamais l'école ne m'a expliqué comment trouver cette méthode que j'ai développée, découragé de voir mon fils jouer aux devinettes dans les activités inefficaces qu'on me proposait de faire avec lui parce qu'il ne lisait pas les lettres.

J'ai eu le témoignage de nombreux parents depuis complètement désarçonnés par cette méthode et qui finissaient par se disputer avec leurs enfants fatigués à la fin de la journée.

Pour moi, une méthode de lecture qui compte autant sur le support extérieur ne doit pas être privilégiée à l'école. Si l'école est capable plus efficacement de passer elle-même la lecture, elle a le devoir d'y recourir.

Dans certaines cultures, l'apprentissage de la lecture, comme des autres matières d'ailleurs, est le job de l'école, pas celui des parents. Certains parents peuvent être analphabètes ou de cultures étrangères, on voit tout de suite des limites sérieuses à la méthode globale «Whole language».

Deuxième problème, en n'apprenant pas à lire les lettres et les syllabes, le jeune, à qui on a montré la facilité à reconnaître les mots sans en voir l'organisation interne, manque un apprentissage pourtant important.

Pour moi, les germes de la capacité d'analyse sont dans ce genre d'exercices simples. L'empressement qui est mis dans la capacité de lecture rapide par la méthode globale aussi n'éduque pas à une certaine patience de l'apprentissage. De toute façon, il n'y a qu'à travailler avec de jeunes enfants pour voir combien est grande leur motivation à apprendre à lire. On a du ressort et du temps pour faire des choses aussi simples que d'écrire des sons sans signification, ça ne les dérange pas. L'obsession du sens à donner aux activités est une préoccupation d'adulte, l'enfant sait très bien qu'on lui montre à lire et ce sens lui suffit amplement.

J'ai appris à l'école à lire et à écrire dans les années 70 sans que ma mère n'ait à y  mettre les demi-heures à une heure par jour qu'on impose aux parents de nos jours que tous ne mettent pas et on se retrouve en bout de ligne avec des problèmes sérieux d'apprentissage.

Il est facile de parler du manque d'effort des jeunes. Pour ma part, l'éducation à l'effort est si simple à mettre en place, pourvu que le maître sache jouer de son art pour amener le jeune à la patience de la réussite. Notre système - qui confronte trop souvent nos enfants à des tâches inaccessibles trop complexes dans lesquelles ils ne trouvent pas moyen de contrôler ce qu'ils apprennent dans le contexte de l'école des projets socio-constructivistes - a à se recadrer dans des tâches de base sur un mode explicite, progressif, dynamique et systématique, en recourant à l'évaluation fréquente pour corriger rapidement le tir des apprentissages. Ces méthodes sont reconnues par les études comme des approches beaucoup plus gagnantes que les pédagogies de la découverte et le whole language. La littérature scientifique américaine fournit à cet égard une richesse d'observations et de compréhensions qu'on serait fou de négliger.

Il faut arrêter de faire fi des recherches sérieuses et objectiver sérieusement ce qu'on fait dans nos écoles.

Déjà, depuis quelques années au Québec, on a remis en complément de l'approche Whole language ou globale, l'enseignement du décodage au besoin. Beaucoup d'enseignants insatisfaits de la méthode globale ont remis l'apprentissage du décodage dans le bon ordre et obtiennent de meilleures résultats. L'ennuie avec ces choix est que le système manque de cohésion et les enfants qui passent par le patient décodage ne vont pas avoir l'apparence de lire aussi vite et cela peut créer des tensions et des pressions sur les enseignants d'une école qui auraient fait ses choix.

Pour moi, montrer à travailler patiemment les apprentissages et les faire réussir au final est le meilleur entraînement à l'effort qu'on puisse leur donner. L'école primaire faillit à cet enseignement dans une large mesure, perdue qu'elle est ici dans l'intégration en classe régulière des élèves en difficulté de tout ordre (même des cas très lourds) et dans une pédagogie du jeu où tout doit être plaisant tout le temps. Or, il est clair qu'on peut leur montrer que le jeu est une récompense après l'effort et non un ingrédient omniprésent de l'apprentissage. On éviterait une attitude trop répandue: quand le jeu vient à manquer, on est en droit de se révolter contre l'ennuyeux travail.



Comme éducateur, recourir à l'explication simpliste du manque d'effort est un réflexe dont on doit se méfier. Le pédagogue consciencieux examine sérieusement ce qu'il fait, est capable de se remettre en question et cherche à augmenter son efficacité. Évidemment, quand les enfants passent au secondaire (niveau collège en France) si les préalables n'ont pas été enseigné dans le jeune âge dans une esprit de travail et de fierté de vraiment réussir à maîtriser ce qu'on apprend, il est souvent et malheureusement assez tard pour faire des miracles...

5 commentaires:

Armand a dit…

Cher Professeur Livingston,
Effectivement, tous ne sont pas égaux devant l'enseignement.
Il n'y a pas que les paresseux, les chahuteurs et les glandeurs.
Il y a les enfants qui sont contraints d'étudier sur un coin de table de cuisine pendant que la télé diffuse des matches de hockey (tu vis au Canada), accompagnés de fans hurlants qui éclusent force canettes...
S'il y a des enfants "tombés avec le derrière dans le beurre" (comme disent les flamands), il y en a d'autres dont les parents illettrés ne parlent même pas notre langue et ont une autre culture.
Comment ne pas se contenter de juger sur les résultats, mais aussi sur les progrès, les efforts d'intégration et d'adaptation à un mode de vie que certains ne connaissent que depuis peu?
Amitiés

Anonyme a dit…

Y a-t-il encore des enseignants de 1re année qui utilisent exclusivement la méthode globale ? J'ai toujours vu un mélange de global et de syllabique. Franchement, j'ai toujours vu du syllabique avec un peu de global, puisque les manuels sont remplis de global... Non ?

Jonathan Livingston a dit…

Anonyme,

Vous êtes prof au primaire?

Pour moi, le problème est ainsi justement que les manuels ne présentent que la méthode globale.

Est-ce que le mélange des genres est souhaitable? Il faudrait se pencher sur ce qu'en dit la recherche, pas juste se fier à l'impression des profs. On observe suffisamment d'évidence de difficultés de l'école québécoise pour poser franchement cette question, alors qu'on sait que la maîtrise de la lecture est le meilleur prédicteur de la réussite du secondaire 5.

Enfin, pour savoir ce qui se fait dans les classes, il faudrait faire l'investigation... et demander aux profs concernés...

Tant que notre école ne démontre pas une efficacité avérée et assez satisfaisante, on se doit de secouer le prunier pour voir ce qu'on va trouver.

Ce n'est pas en se disant que tout va bien dans le meilleur des mondes qu'on va régler les problèmes...

Anonyme a dit…

Effectivement, j'enseigne au primaire.

Le "mélange des genres" est censé (notez ici la nuance) aller chercher tous les types d'élèves... pour finir par tous les amener au syllabique. D'ailleurs, le programme prescrit ce mélange, c'est pourquoi il me semble impossible de ne faire que du global.

Tous mélangent les genres puisqu'il est plus compliqué d'enseigner sans manuel et que ceux n'intégrant pas de global datent des années 1960. Tous les manuels approuvés actuellement font du global et du syllabique (plus ou moins selon les collections).

Le débat semble éternel sur la question...

Je suis un prof concerné et c'est le syllabique qui produit le plus de résultats et qui permet le mieux d'aborder la langue (mots nouveaux) selon moi. On travaille donc le global en le découpant en syllabes.

Ceci dit, les mots-étiquettes sont bien utiles comme référence quand vient le temps de commencer à écrire.

Françoise Appy a dit…

Bonjour,
Je partage votre point de vue sur la lecture.
Les partisans du Whole Language (méthodes globales et leurs cousines déguisées sous le nom de méthodes mixtes) ont cette mauvaise habitude d’attribuer le manque de réussite à l’environnement socio-économique. Et d’en conclure que si les conditions sociales changeaient l’école réussirait mieux. C’est une façon de se dédouaner et d’éviter la question qui fait mal : et si nos méthodes étaient inefficaces ? Pourquoi les enfants de milieux favorisés réussissent-ils mieux, même quand leurs enseignants ont de mauvaises méthodes ? Parce que les parents compensent et font à la maison le travail de l’enseignant. L’école doit être capable d’enseigner la lecture à tous les enfants quelles que soient leurs origines. En ce sens les méthodes constructivistes, sous un vernis très humaniste et très ouvert aux milieux défavorisés, sont très élitistes.

Depuis les années 70 on a décidé que les apprentissages scolaires devaient se faire dans le plaisir et le jeu. On a décrété, mais non démontré, que par ce biais, les apprentissages étaient plus profitables. Jeu signifie plaisir et bonheur instantané, absence d’effort, satisfaction immédiate. Les apprentissages au contraire nécessitent des efforts, une pratique répétée, mais une satisfaction toute aussi intense, celle d’avoir réussi, dont on sait maintenant l’importance qu’elle a en matière d’estime de soi. Ce n’est pas parce que l’école est un lieu d’apprentissage et d’efforts que le plaisir y est absent, c’est un autre type de plaisir que l’enseignant efficace doit susciter, celui de la soif d’apprendre et du désir de réussir.

Enfin, relativement à l’épineuse question des méthodes de lecture, je constate qu’il y a tout de même l’ombre d’un consensus au niveau de la recherche. Mais il a du mal à s’implanter chez les praticiens et les donneurs d’ordre, tant l’attachement aux méthodes inefficaces est fort. Je trouve qu’en la matière, le modèle de Gough est très pertinent ; si l’on considère que lire est comprendre un texte écrit, alors cette aptitude est le produit mathématique de l’aptitude au décodage et de la compréhension. Autrement dit, si l’un des facteurs est nul, le produit l’est aussi. Et nul ne peut affirmer que le sens est plus important que le décodage ou vice-versa. Un décodage automatisé libèrera l’esprit de l’élève pour se consacrer au sens. Par ailleurs, le travail sur le sens exige un important travail sur la langue orale (émission et réception), sur le vocabulaire, sur la culture générale. Les querelles sur les méthodes de lecture ont encore de l’avenir, tant que la recherche ne sera pas plus largement diffusée auprès des enseignants et de leurs supérieurs. M.Kozloff, (professor of Education, University of North Carolina, Wilmington) a dressé un catalogue de grotesques sur la lecture. Vous pouvez en avoir un aperçu ici qui nous énumère toutes les absurdités que l'on a inculquées au sujet de la lecture. http://3e.voie.free.fr/appy/fran34.pdf,

Salutations