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vendredi 19 février 2010

«T'es parti?»: phénoménologie des chocs culturels

Hier matin, moi et ma conjointe, qui est Française d'origine, avons levé un petit malentendu qui dure depuis belle lurette!

Souvent, le matin, elle me dit: « T'es parti?» et chaque fois, je reçois cela presque comme une agression. Et souvent, énervé, je deviens sec, je réponds des choses du genre: «Ben, non, pas tout de suite», «Ça vient», «Bientôt» avec une pointe de colère dans le ton. C'est bien malgré moi. Ça m'énerve. Même quand je me dis que c'est une manière originale de m'interpeler. Mais finalement, je ne comprenais pas le sens de cette question de ma conjointe...

Je ne sais pas si ça soulève des peurs de séparation ou quoi, mais tentant de m'expliquer ce choc, je lui disais ce matin, en discutant d'autres choses, des différences entre Français-Européen et Québécois-Américains dans la manière d'expliquer les choses justement, qu'il y a quelque chose de bizarre pour moi dans sa question. Non, je ne suis pas parti comme une évidence. Sa question choque parque qu'elle comporte une infidélité de sens. Et nous, par ici, au Québec, on s'en va travailler, quand on part, on part, on quitte presque, le terme est fort. Il y a aussi comme une pointe de contrôle que je ressens, comme si toute mon attention à terminer mes tâches avant de partir en était secouée, comme s'il fallait que je me dépêche.

Or, simplement, pour elle, je ne sais pas si c'est Français, ou lié à la culture de sa famille, dire «T'es parti?» veut dire «Dans combien de temps, pars-tu?» pour que je puisse savoir quand  je vais venir avec toi t'accompagner, prendre un moment, à la sortie pour te dire «Au revoir!».

De mon côté, ou je ne sais pas, à la Québécoise, quand on est prêt, on va trouver la personne en train de faire ses trucs, on prend un moment, on se dit «bye» (etc.) et puis on part.  On ne prend pas un rendez-vous de «Bye bye» 15 minutes avant!

Fascinant non? Des mois de «tilts» intérieurs pour finir par se rendre compte du malentendu.

L'an dernier, on avait levé un autre malentendu du même genre: chaque fois qu'au volant de mon véhicule, je lançais comme ça:«Je m'endors» tout de suite s'ensuivait une discussion animée:

- Je te remplace, arrête-toi sur le bord de la route.
- Mais non, ça va aller.
- Tu es sûr que ça va? Je peux conduire.

Toujours, elle était vraiment inquiète. On a répété sur le même ton cette conversation des dizaines de fois avant de nous rendre compte que «Je m'endors» pour un Québécois n'est qu'avoir un peu des symptôme de sommeil  ou des petits endormissement, alors que pour un Français, c'est «cogner des clous» sévèrement, qu'on va vraiment dormir là. Une chance qu'on a traversé le Canada dans les deux sens en bagnole, parce qu'on revivrait sûrement encore cette conversation bien des fois!

Bref, imaginez que la population pour laquelle je travaille ne parle pas ma langue et ne se dit pas bonjour et au revoir quand ils se séparent ou arrivent. Comment se sentent-ils quand on force les politesses?

Imaginez que deux cultures pas trop éloignées tout de même sous le même toit, vivant en couple, peuvent prendre des mois à lever un malentendu, alors pour vivre dans un univers multiculturel, on doit franchement s'attendre à vivre des petites frictions inexplicables pendant un bout!

4 commentaires:

Armand a dit…

Cher Prof,
Chaque région a ses particularismes linguistiques.
En plus du vocabulaire et de la grammaire, il y a l'orthophonie et les accents dits "de terroir".
Même en France, la prononciation des mots varie d'un endroit à l'autre... et chacun croit détenir la "Vérité".
Pour un européen, suivre votre journal télévisé est très fatigant et nécessite une attention soutenue, ne fut-ce que pour comprendre le sens général des événements relatés.
Ce qui console (un peu), c'est que toutes les langues présentent ces problèmes: anglais versus américain, néerlandais de Belgique versus hollandais... (pour ne parler que de ce que je connais un peu).
Amitiés

Anonyme a dit…

Particularismes ou particularités linguistiques?????????? On calme un peu le terroir: c'est ce qu'on appelle un accent régional.

Jonathan Livingston a dit…

Tiens, c'est bien typique de Français de se reprendre sur l'emploi d'un mot, de remarquer avec fort soulignement l'emploi d'un néologisme.

Au Québec, il faut savoir que cette surveillance de la précision du vocabulaire n'est pas un trait marquant de la culture. L'emploi ici des mots est moins soumis à cette précision. Les gens se comprennent tout de même, je crois, mais en recourant plus souvent à des adverbes d'intensité et des signes para-linguistiques non verbaux. Forger sur le vif un néologisme est souvent banal.

Je crois qu'un Français met généralement beaucoup de temps à comprendre cet écart culturel quand il débarque au Québec.

Cette grande culture de la langue risque même parfois de lui nuire, surtout s'il se met à faire une leçon de vocabulaire à un Québécois. Par ici, il n'y a pas cette valorisation partagée de cette culture de la précision de la langue. On a bien nos chiens de garde de la langue, mais ils sont assez généralement tournés vers l'emploi des anglicismes dont nous faisons une abondante utilisation puisque nous nous sommes développés comme groupe social dans un environnement anglophone. Ces gens passent, dans bien des milieux, pour des gens assez rasoirs. Évidemment, nos intellectuels et écrivains ont généralement plus conscience de la précision du vocabulaire du français et des couleurs particulières de notre français québécois.

Notez qu'en vous écrivant, je m'adapte, je n'écris pas franchement toujours un langage québécois! Nos langues se voisinent indéniablement. Leur différence s'arrête toutefois assez peu à la seule couleur des accents régionaux.

Apprenez aussi qu'il n'est pas rare qu'un mot d'ici ne renvoie absolument pas au même référent. Par exemple, votre classeur, pour nous est un cartable ou cartable à anneau et le mot classeur, par ici, réfère davantage à cette armoire à fiches suspendues ou à chemises.

Bref, je ne parle pas ici d'accent régional qui pour vous est le premier signe, audible, de notre différence, mais bien de l'emploi des mots en situation d'expression ou en situation de la vie courante qui sont matière à qui pro quo et plus qu'on ne le pense.

Et je ne crois pas qu'il s'agisse de particularités linguistiques, mais bien d'écart culturel entre deux communautés distinctes utilisant chacun à sa manière le français.

Armand a dit…

Cher Prof,
Tu as probablement raison.
Surtout que je n'habite pas la France!
Il s'agit probablement de notre différence de culture: l'avantage de devoir manier la langue anglaise en permanence rend plus tolérant envers les anglicismes.
J'espère que tu ne m'en veux pas d'avoir d'autres opinions que toi sur la question... ;)
Amitiés
P.S. Au fait, connais-tu "Choubine" (une habitante du Québec) dont le blog est entièrement consacré aux difficultés de notre langue.
http://chouxdesiam.canalblog.com/