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mardi 23 mars 2010

Les perroquets peuvent-ils être professionnels?

L'autonomie professionnelle et progression des apprentissages.

Voilà longtemps que je réfléchis à la notion d'autonomie professionnelle. Et, à chaque fois, je me demande comment on peut être autonome dans un système qui travaille ensemble à un projet d'éducation. En comparaison, un médecin a certes une autonomie, comme un psychologue d'ailleurs et bien des professionnels, pour sélectionner les meilleurs traitements pour son client selon ses connaissances, mais jusqu'où va cette autonomie? A  mon sens, il y a toujours à mettre en balance un certain principe de validité, d'efficacité de l'action et aussi des principes éthiques. L'autonomie, bref, ce n'est pas la liberté totale ni faire n'importe quoi.

Au risque de faire du coq à l'âne, je note que récemment certains perroquets se sont mis à hurler de façon répétée de drôles de mots:« paplum», «perroquets», notamment. On a cru entendre aussi: «nivellement par le bas», «avancer par en arrière» (reculer? j'imagine sans trop d'imagination), «et monotonie»  (et mon autonomie?).

Tâchons d'y voir plus clair !

Ça brasse en ce moment en éducation. Peut-être pas autant qu'en santé qui fait le gros show en ce moment, mais bon, ça brasse. Les états d'âme se multiplient d'ailleurs comme des petits pains froids!

D'un côté, la négociation pour une nouvelle convention collective montre une volonté d'occuper notre temps encore plus et de rendre imputable de l'échec scolaire. Évidemment, personne n'est content. L'autonomie professionnelle en prend pour son rhume encore un peu plus. Ici, l'autonomie concerne à mon sens le besoin d'avoir du temps personnel pour gérer une partie de notre tâche professionnelle notamment dans la préparation des cours, dans la correction. La liste des tâches qu'on peut faire sans être à l'école pourrait être très longue, mais ce n'est pas mon propos ici.

De l'autre, la ministre essaie de décrire une progression des apprentissages en remettant dans la ligne de mire l'appropriation de connaissances perdue de vue dans les idéaux socio-construits. Bref, les pro-réformistes crient à l'école producteur de «perroquets» parce qu'on veut remettre pour préciser des objectifs plus clairs avec (ô horreur!) des mots comme: nommer, décrire, définir, expliquer, connaître qui implique parfois une mémorisation de contenus par les apprenants. «Nivellement par le bas» crient les réformistes. Intrusion dans l'autonomie professionnelle aussi. On va les empêcher de montrer (oups! à faire découvrir comment) à réfléchir, à critiquer, à juger, etc. Et ils vont être bassement obligé de montrer, faire apprendre, répéter, enseigner... Comme si enseigner pouvait se passer de ces actes importants dans la transmission du bagage culturel et du savoir utile. Ici, j'ai plutôt l'impression qu'on est indisposé parce qu'on va préciser ce qui doit être enseigné: des contenus qui niveau par niveau doivent être enseignés et évalués.

Et là,  je me demande franchement si certains ne veulent pas finalement qu'on ne puisse pas les rendre un peu imputable de ne pas avoir transmis certaines connaissances pourtant de base ou clairement au programme de l'année. Effectivement, si l'on précise des objectifs par niveau, clairs et évaluables, on ne pourra plus faire n'importe quoi en classe. Personnellement, je n'attends que cela que le ministère précise clairement le contenu notamment dans le programme de français au secondaire où s'est perdu depuis le programme du renouveau une fine description des objectifs à atteindre si ce n'est pas plus: une stratégie intelligente d'enseignement.

On se contente simplement de dire que les élèves doivent être compétents par exemple en lecture pour des textes de leur niveau. Wow!quel objectif! Le reste, c'est un liste de procédures ou stratégies complexes et déroutantes sans spécification de contenu ou types de discours à travailler. Dans ce tas de procédures maniaques (au 2e cycle, on atteint des sommets de délires), l'élève va sélectionner en écriture un modèle de texte pertinent en fonction de son projet, puis le réaliser en détail en tenant compte de dizaines de paramètres. Franchement, je ne vois pas comment enseigner cette potion imbuvable. Contrairement à l'approche organisée autour des discours en nombre limités (et progressive dans la difficulté) à pratiquer et comprendre, on n' a rien gagné pour mieux faire écrire nos jeunes avec ce programme de maniaques des stratégies sans objet ou des compétences transcendantales. Pourquoi faire simple quand on peut compliquer? Le «modeling» progressif semble un truc désuet et donc nivelant par le bas. Les collègues du cégep apprécieront!

Aussi, ce genre d'initiative fort  attendue de la ministre s'appelle aussi de l'alignement curriculaire. Hier, je relisais la revue de littérature de S. Bissonnette, M. Richard et de C. Gauthier, Comment enseigne-t-on dans les écoles efficaces? Efficacité des écoles et des réformes. Si vous avez un 25$, la lecture de ce livre me semble une formation nécessaire en soi pour tout enseignant qui se targue de vouloir être autonome professionnellement. Ou le début des arguments fondés en science pour une rébellion et même peut-être plus!

Imaginez-vous donc que la recherche montre que l'alignement curriculaire, qui indique pour chacun des niveaux d'enseignement les contenus d'apprentissage à enseigner, peut expliquer «50% de la variance dans les résultats scolaires» (p.32). A l'inverse, de nombreuses études montrent les effets négatifs du non-alignement. C'est que quand il n'y a pas d'objectifs claires, précis et partagés par le corps professoral de nombreux contenus finissent pas ne pas être enseignés, ce qui aura des répercussions pour les apprentissages subséquents. A titre d'exemple parmi d'autres, on cite la recherche de Berliner (1984) qui montre dans un contexte de non-alignement qu'«au mieux, 30 % de la matière évaluée n'avaient jamais été enseigné et qu'au pire, 47% du matériel évalué n'avait pas fait l'objet d'une  présentation en classe» (p.33).

Je veux bien qu'on ait des états d'âme et qu'on veule de l'autonomie professionnelle, mais bon faire fi de certaines réalités claires de la recherche n'est pas à mon sens très professionnel. L'alignement curriculaire demande tout de même au prof de participer dans son niveau à une stratégie globale d'enseignement dans sa matière. Bref, s'il ne pose pas sa pierre dans l'édifice qu'on souhaite bien pensé par des didacticiens avisés, les collègues en aval vont hériter de ces manques et devront composer avec ces lacunes dans les préalables. Quand on se plaint des préalables fragiles des élèves sortant du primaire, c'est exactement de cela dont on parle. Pour le moment, je ne crois pas les profs soient vraiment en cause, mais plutôt les didacticiens responsables de ces programmes fascinants que nous a produit le ministère depuis 10 ans.

Quand je lis des profs faire de la poésie (la ministre veut faire des perroquets de nos jeunes) avec certains apprentissages de base qui demandent une certaine mémorisation, je me demande franchement ce qu'ils comprennent de l'apprentissage ou de la construction de l'appareil intellectuel. Pour mériter l'autonomie professionnel, il faut encore le mériter.

Quand je regarde tous ces commentateurs, même profs, de la scène de la blogosphère, continuer de colporter une idéologie de l'enseignement qui est invalidée par la recherche depuis plus d'un quart de siècle et qui est loin d'avoir donné des résultats sur le terrain, je me dis qu'il est grand temps qu'ils s'informent et arrêtent de faire d'eux des perroquets pleurnichards qui répètent sans intelligence un tas de conceptions erronées.

3 commentaires:

Le professeur masqué a dit…

C'est bizarre: quand on a voulu résister contre le Renouveau, certains profs invoquaient l'autonomie professionelle et on leur disait de fermer leur gueule et de suivre les consignes du MELS.

Aujourd'hui que ce Renouveau est menacé, voilà que l'autonomie professionnelle ressort des boules à mites.

Personnellement, je comprends le risque que représente qu'on précise les contenus d'apprentissage si on ne s'en tient qu'à ceux-ci. Or, je crois qu'ils seront là pour guider les enseignants.

Parce qu'actuellement en français, c'est un peu le foutoir. Quand voit-on telle ou telle règle? Cette autre règle est-elle déjà vue par les élèves? Parfois oui. Parfois non.

Jonathan Livingston a dit…

Évidemment, en grammaire, c'est important, encore faudrait-il qu'on resouligne l'importance de faire certaines activités qui permettent de mettre en mémoire à long terme des fondements comme la conjugaison.

J'aimerais qu'on précise des contenus, mais aussi des activités reconnus efficaces.

Au secondaire, l'approche des discours avaient l'avantage de mobiliser chaque niveau sur des types de discours, là c'est un peu le foutoir puisque c'est le besoin du projet qui prime et qui reste très aléatoire comme axe de structuration d'un programme. Quant aux fameuses stratégies et méthodes, c'est trop exhaustif et lourd comme la nouvelle grammaire pour être gérable en classe surtout quand on gère des objets complexes comme la structure de texte.

La notion de texte modèle à travailler avec une structure assez classique avait l'avantage de nous mobiliser autour d'objectifs de maîtrise de la langue dans un exercice d'école.

On donnait de grandes lignes, on exerçait, on corrigeait, on réajustait, tous à plancher avec le même genre de texte. On saupoudrait des stratégies et de la méthode au besoin doucement sans surcharger d'infos. Il y a beaucoup de ces stratégies qui sont intuitives ou personnelles et franchement systématiser les stratégies est presque de la dictature. Comme si en enseignant toutes les stratégies possibles et imaginables, on pouvait remplacer des années de pratiques de l'écriture dans un contexte d'étude. J'ai vu une prof présenter des pans de cette potion à leurs élèves, oui le programme aux élèves. Effet certain: nulle.

La pensée exhaustive des universitaires a contaminé la nécessaire simplicité à redécouvrir en devenant pédagogue pour les jeunes. L'exhaustivité est le premier réflexe appris à l'université que mes mentors d'il y a 15 ans m'ont montré à calmer. On n'absorbe pas l'information en mégadose. Apprendre, c'est comme la croissance saine, faut manger un peu chaque jour et faire des exercices. Pas s'empiffrer et passer ces journées sur des jeux vidéos.

Françoise Appy a dit…

La seule limite de l’autonomie professionnelle (que nous appelons en France et en primaire, liberté pédagogique) est l’obtention de résultats. L’enseignant professionnel tel que le conçoit Clermont Gauthier, est capable de choisir la meilleure méthode pour faire apprendre ses élèves, parmi le panel de méthodes ayant fait l’objet d’études sérieuses, et ayant été reconnues comme efficaces.

Malheureusement, le rapport aux résultats dérange, comme est dérangeante l’idée d’admettre que toutes les méthodes ne se valent pas. Il dérange tous ceux qui parlent de « perroquetisation » des élèves dès lors qu’on parle de mémorisation ; ceux qui croient que les élèves deviendront créatifs et critiques à partir d’une vacuité cérébrale qu’ils se seront soigneusement chargés d'entretenir, en dépit de tout ce que l’on sait à l’heure actuelle sur le fonctionnement du cerveau.