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jeudi 6 mai 2010

La passoire est-elle plus poreuse ce matin?

Je vois les collègues dubitatifs face à la nouvelle formule que le MELS introduit cette année pour l’examen du ministère qui se fait ce matin partout au Québec. J'ai une opinion différente sur ce changement. J’ai déjà fait un commentaire chez le Professeur Masqué, je développe plus abondamment ici quelques idées sur la question.

Évidemment, on change la formule juste au bout de la cuvée réforme. Et on peut rire un peu de la chose!

Cependant, pour moi, la valeur d'un texte argumentatif n'est pas toujours simplement tributaire de l'art d'y inclure des sources précises. On peut fonder un raisonnement certainement valable sur des connaissances généralement admises, des faits notoirement connus en les évoquant sans toujours devoir préciser des sources. Le texte argumentatif vise à convaincre, il s'appuie souvent sur un ensemble de procédés de persuasion. On peut certainement observer dans les «littératies» toute une gamme de textes visant à convaincre qui va du sophisme habile écrit dans une langue remarquable à la thèse rigoureuse la plus appuyée par des « preuves» citées en passant par l'opinion justifiée et fondée par des observations simples et des connaissances générales. Encore là, l'intelligence du propos ne découlent pas forcément des preuves comme telles, de ces faits précis dont on est capable de citer des sources, mais bien de la qualité du raisonnement, de la cohérence du propos et de l'appréciation de «preuves» dans la stratégie argumentative.

Je me demande depuis des années pourquoi on utilise cette formule un peu sotte de faire lire des textes pour une tâche d'écriture non précisée où il faut préparer sa petite banque de citations avec leurs sources sur une page ou deux. En plus d’être stupide sur le plan de la préparation, puisque la tâche à accomplir demeure vague, le procédé comporte une faille remarquable en évaluation. Il fournit notamment une banque de vocabulaire et une joyeuse occasion de faire du collage d'idées sans queue ni tête avec moins de fautes notamment d'usage. En fait, si on élimine ce genre de préparation qui permet des bricolages ou décalquages sur des notes prises antérieurement permises à l'examen, je serai le premier à féliciter le Mels. La compétence en écriture doit pouvoir se donner spontanément sans préparation et même sans outils de référence comme dans la plupart des examens d'embauche ou qui qualifient. Je ne crois pas que le Céfranc ou le Sel n'aient exigé la moindre source dans leur texte argumentatif pour évaluer la compétence en rédaction des enseignants... Y accepte-t-on n'importe quoi?

De toute façon, l'enjeu se passe moins dans la forme de l'examen ou dans le genre de texte demandé qu'au moment de la correction. Selon ce qu'on sait depuis longtemps, les correcteurs engagés par le MELS ont pour mandat de laisser passer un maximum de gens peu importe la qualité des productions depuis belles lurettes. Je ne prends pas la peine de citer une source comme vous pouvez le constater! Je me souviens fort bien néanmoins de l’image tout à fait rigolote des mères Thérésa du Mels d’une certaine partie d’un collectif de profs paru en 2006 au sujet d’un certain «grand mensonge de l’éducation».

De toute façon, franchement, on va toujours passer à côté de l'essentiel de ce que devrait donner une formation de base, c'est-à-dire une certaine maîtrise de l'utilisation des connaissances de la langue en situation d'écriture en ce qui a trait à la syntaxe, à l'orthographe et au vocabulaire. Quant à la maîtrise du raisonnement, on peut penser que le cégep et l'université jusqu'aux études supérieures vont se charger de peaufiner chez certains élèves l'habilité d'écrire des textes rigoureux. Du reste, pour évaluer la compétence en écriture, on pourrait tout aussi bien leur faire écrire une narration puisque cette dernière est aussi l'objet d'un enseignement systématique au secondaire.

Enfin, même si des jeunes de 1ère secondaire pourraient certainement en raison de leur «douance» déjà atteindre les seuils minimaux de cet examen de 5e secondaire, il ne faudrait pas perdre de vue que l'examen sert à valider un diplôme de base dans nos sociétés. Ce n'est pas un concours pour l'Éducation Nationale en France! Le cours de français n'est pas une matière comme les maths, à ce qui me semble, avec un nombre appréciable de connaissances précises et nouvelles dans chaque cours. Non, la maîtrise de la langue se rapproche davantage d'un art de mettre en mots sa pensée qui demande du temps à développer et qui, de plus, demande de l’entretien, de la pratique pour se maintenir.

Tout jeune peut profiter des 5 ans du secondaire en français si l'école fournit des filières en fonction des talents spécifiques - au lieu de bêtement former l'esprit grégaire de troupeau ordinaire qui est à la source à mon sens du nivellement par le bas des valeurs intellectuelles - tandis qu’il acquiert d’autres connaissances générales dans d’autres matières. D’ailleurs, c’est bien là que le jeune peut améliorer ses productions en les bonifiant d’une meilleure connaissance du monde qui l’entoure et en utilisant un vocabulaire plus précis qu’il s’approprie avec les années.

Enfin, l’école forme au Québec des gens dont le français est une langue seconde, voire une troisième langue, et il faut permettre je crois une certaine flexibilité permettant à ses gens de se qualifier dans certain domaine où la qualité de la langue élaborée et précise peut s’avérer secondaire. Le système et sa sanction doit tenir compte de ces réalités aussi. L'examen vise à s'assurer normalement une compétence de base pour le citoyen ordinaire. Déjà, de se prêter à la discipline scolaire et de réussir un certain nombre de cours dans différentes matières témoignent d'une certaine capacité de s'astreindre à une certain rigueur. Après, la qualité des préalables développés est à apprécier dans les exigences de formations ultérieures. Bref, dans l’école, cheminent des jeunes bien différents aux horizons de formation variés.

Pour le reste, il appartient aux cégeps de fixer leurs critères pour l’accès à leur différents programmes… Mais bon, tant que, pour faire tourner la boîte, il faut faire entrer bon an mal an un nombre appréciable de jeunes même s’ils n’ont pas les qualités suffisantes pour réussir, on pourra toujours se plaindre des limites de l’école secondaire. Il faut parfois développer le bon sens de l’appréciation en fonction d’un contexte global très diversifié. Il faut aussi le courage de l’exigence là où elle est requise.

En somme, la formule importe peu. Il s’agit toujours de définir clairement les exigences de base et de les apprécier rigoureusement avec des critères précis. Pour le moment, le flou demeure artistique en ce domaine avec des résultats bon an mal an tout à fait discutables. Si on ne relève pas à la correction dans un texte des phrases complètement stupides et des raisonnements qui n'en sont pas, c'est qu'on accepte de telles insignifiances. On a alors un problème de critères ou de rigueur dans l'évaluation peu importe le genre de texte qu'on exigerait.

La passoire globale n'est donc pas née hier!

3 commentaires:

Hélène a dit…

Mise au point pour votre info : Les élèves ont eu un cahier de préparation quelques jours avant, une brochure-feuillet avec environ 5-6 textes variées concernant le sujet. Les élèves ont lu et analysé ce feuillet de textes en préparation de l'épreuve. Ils pouvaient apporter une feuille de notes personnelles ce matin pour l'épreuve, mais ne pouvaient apporter la brochure de textes.
J'ai un fils qui fait l'épreuve ce matin et j'ai vu le feuillet brièvement hier soir. Nous en avons discuté un peu et il a passé quelques temps dans sa chambre à finir de remplir sa feuille de notes... Je ne suis pas inquiète dans son cas,quelle que soit la question . Il ne saura la question précise que ce matin . Mais c'est certain que des jeunes peuvent préparer des bons segments.
Personnellement, je ne suis pas contre les textes préparatoires ,car dans la vie courante et professionnelle , on a accès à des outils. Un texte rempli de"copier-coller"et de citations ne ressortira pas comme une excellente rédaction.

Jonathan Livingston a dit…

Je me doute bien de la chose Hélène au sujet de la feuille de notes, c'est la pratique depuis des années. Néanmoins, je sais fort bien que, dans la vie, on écrit souvent à partir de notes. Je sais aussi que si je veux vraiment savoir ce que quelqu'un a dans la tête, je ne vais pas lui permettre toute sorte d'échappatoire. J'ai un problème avec un examen qui peut être préparé avec le parent ou les chums... et une feuille de notes qui peut dissimuler des passages entiers préparés que personne ne va voir...

Mais encore là, le problème de cette évaluation n'est pas vraiment là, mais dans l'attitude complaisante dans les corrections qu'on impose d'en haut aux équipes de correction. C'est un fait connu comme Barabas dans la Passion (quoique de nos jours Barabas...)

Hélène a dit…

Suite. Je suis d'accord que les élèves réussissent à franchir les étapes(DES, DEC)sans écrire avec exactitude la langue française. Le taux d'échec à l'examen d'entrée en français à l'université en témoigne. Je fais un retour à l'université et parmi ma cohorte, 50% ont échoué le test . J'étais surprise par les propos de certains élèves qui ignoraient totalement le sens des mots demandés dans la section connaissance générale( associez avec un synonyme).
En ce sens, il est vrai que d'avoir des notes en vue de l'épreuve de sec 5 permet à l'élève d'éviter de nombreuses erreurs, et ne démontre pas sa capacité de rédiger un texte original et sans faute (ou peu !)