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mercredi 26 mai 2010

Un peu de polémique: des maudites notes et du niaisage

Une enseignante propose de bannir les notes sur la blogosphère, comme si c’était l’invention du siècle. Encore… Répéter ce cantique après 10 ans de réforme où on a traumatisé le système d’évaluation au Québec à coup de philosophie de SAE, continuation des situations d’évaluation formative nées probablement vers la fin des années 1980 quand des pédagogues sont venues s’arroger le droit de juger la petite gestion des évaluations des profs dans leur classe. Avec d’abord la belle idée  toute proprette: quand on apprend, on ne devrait pas être évalué… Ensuite, on a prétendu que l’apprentissage d’acquisitions complexes comme par exemple la lecture, l’écriture ou l’habileté à bien faire des algorithmes ou à résoudre des problèmes pouvait aisément se conceptualiser en terme de seuil de réussite. C’était, à mon sens, faire fi de la psychologie de l’apprenant et aussi du caractère assez irréductible de la complexité de l’acquisition de la variété des savoirs.

L’établissement d’un seuil de réussite dans un contexte de variétés de performances et de talents est des plus arbitraire et proprement assez difficile à soutenir dans ce contexte. Traditionnellement, on laissait au prof, passablement compétent dans son domaine de définir à peu près ce qui, dans le contexte de sa matière et de la qualité des apprenants en fonction de leurs efforts constituait un seuil de passage. Pour la forme, tout cela se figurait dans une note limite qui servait d’étalon, le prof tranchait, on ne l’emmerdait pas avec du niaisage.

Aujourd’hui, tout le monde se mêle de venir lui dire ce qui est une qualité minimale pour la réussite (factice) du plus grand nombre en essayant de discuter de manière tatillonne la qualité du seuil minimalement acceptable et c’est ridicule parce que, malgré ces mots jolis, le prof continue d’être le seul à pouvoir apprécier ce qui est un minimum acceptable qu’on ne peut pas toujours traduire avec une rigueur de mathématiciens. Le problème, c’est que le jugement autour d’une compilation  de notes synthétisées offre une certaine résistance au niaisage surtout si les pondérations sont fixées en équipe de profs, alors que les traces et le jugement professionnel exigent quand le minimalement pas acceptable est présent de faire une prestation de justification que j’appelle du «grand niaisage».

Enfin, avec cette tentative toujours décevante de décrire ces seuils, la rétroaction des apprentissages a perdu de sa simplicité parlante et, de plus en plus, on a l’impression qu’il faut avoir fait de longues études pour lire une évaluation des apprentissages de l’élève. Je précise que ce n'est qu'une impression devant l'opacité d'un processus obscur et mal foutu. Et depuis que ces brillantes idées font l’essentiel de la rhétorique des pédagogues modernes, on s’embrouille en éducation.

Il est assez difficile d'étudier pendant qu'on fait le métier d'enseignant surtout quand il faut faire des travaux d'équipe, ce qui est à la mode de nos jours dans les départements d'éducation... Mais bon, est-ce une raison suffisante pour vouloir bannir les notes systématiquement pour se soustraire de l'emmerdante évaluation?

Non mais… personne n’apprend de ses erreurs?

Mon observation est que les notes ont un effet moteur à peu de frais malgré les discours à la mode dans les facultés d'éducation. Dans un monde où tout devient monnayable, même les renforcements aux apprentissages dans certains discours, il y aurait lieu de se pencher sur ce moyen fort économique de favoriser des résultats, mis en place par la sagesse des âges. Et franchement, quand on ««««travaille»»»» à l’école, on a rarement affaire avec le spectre du 60 qui ne peut être atteint. Mais évidemment qu’on peut disserter des heures durant sur les cas de ceux qui n’y font pas  simplement leur boulot d’élèves, soit faire les exercices.

J'ai en mémoire des milliers de questions redondantes: «Ça compte?» des groupes du régulier. Quand j'ai eu le malheur de répondre que non, ça ne comptait pas, que c'était une pratique pour apprendre, j'ai observé des moitiés de classe ne pas bouger qui est une stratégie de dissimulation dans la nature en passant. J'ai pris la leçon. Ces dernières années, en plus, il était notoire chez les élèves que seul les SE des fins d’étape dans plein d’écoles comptaient. Bonjour la «fainéance» et les airs de grands seigneurs avec un «cause toujours tu ne m’intéresses pas». Faut vivre avec son temps! Et merde!

On peut facilement répliquer les résultats... (avis aux esprits scientifiques)

Par ailleurs, j'ai du mal à concevoir l'apprentissage de la langue avec une liste de contrôle d'objectifs dont il suffirait de cocher les items pour en contrôler l'atteinte. D'abord, les élèves dans une même classe ont des talents bien différents. Avant de commencer un niveau, on pourrait souvent rapidement établir ceux qui ont déjà un niveau minimal suffisant. Cette histoire de compétence minimalement acceptable est dans ce contexte de la foutaise ou de la thèse de fous. A brûler au coin du feu… Ne pas tenir compte de cette réalité fait qu'on peut parler d'hypocrisie en éducation. Mais elle est circonstancielle au fait qu'on essaie de nous faire croire que l'on évalue pour cocher des listes de vérifications de critères savants. L'école n'a rien à voir avec cette folie conceptuelle.

Les notes établies à partir d'un parcours de performance  et d'exercices donnent à tous un repère de performance peu importe le potentiel de chacun. Elles traduisent souvent l'investissement en effort aussi. Même les forts comparent leur performance. En plus, les notes stimulent une certaine émulation chez une partie des élèves.

Ensuite, on peut certainement savoir lire, mais avec quelle profondeur? Dans la réalité, on va confronter l'élève à différents textes, à différentes questions, utilisant une variété de vocabulaire qui, avec le temps, va accroître la perspicacité et les connaissances du jeune par un effet d'entrainement dans le sens de s’exercer. Noter, corriger, permet encore de fournir à l'élève une rétroaction sur sa performance, de lui faire prendre conscience de ses erreurs.

L’école est d’abord un endroit où l’on va entrainer des acquisitions par une exposition à des corpus d’activités réputés de niveau dont le travail va augmenter la qualité dans l’exercice de certaines compétences  et la solidité du bagage des connaissances variées nécessaire à l’accomplissement de cette qualité. En évaluation, il s’agit alors bien plus de suivre et de stimuler les performances de l’apprenant au quotidien dans les tâches permettant les acquisitions que de fournir une évaluation juste de sa compétence en un temps t. Car de toute façon, la compétence est un concept abstrait accessible qu’au travers l’expression de performances qui vont régulièrement présenter la caractéristique de ne pas être toujours constantes. Prétendre évaluer des compétences, sans voir clairement qu’on les apprécie au travers des performances de l’élève, est une erreur conceptuelle qu’il faut dépasser.

En écriture aussi, il y a de multiples contextes à maîtriser et à maintenir dans une certaine constance ou amélioration (on le souhaite aussi) de performance. Les notes fournissent des indications au sujet des aspects du travail qui pourraient être améliorés. L’exercice de l’évaluation de la performance en fonction de critères permet d’ailleurs au enseignant de tenter d’analyser plus en profondeur la qualité des productions de l’élève et d’en révéler les forces et les faiblesses. Il fut un temps où l’on admettait le caractère perfectible de toute production, aujourd’hui on peine à communiquer de bonne foi une erreur à l’apprenant sans devoir gérer les drames de l’évaluation et des estimes de soi! Niaisage.

Enfin, on peut avoir en mémoire une connaissance, une compréhension un jour, mais l'oublier si on ne la revisite pas régulièrement. A quoi peut bien servir le fait de cocher l'atteinte d'un objectif qui peut être perdu, faute d'exercices. Comme j’aime à le répéter à des élèves qui se prennent pour d’autres parce qu’ils prétendent comprendre ce qu’on vient de leur expliquer et qui donc peuvent se passer d’exercices : c’est bien que tu comprennes, mais je peux gager sur le fait que tu ne te souviendras pas ce que tu as compris maintenant dans deux semaines, parole d’un gars qui a oublié des millions de choses qu’il a comprises. Sans répétition, à part certains apprentissages bien magnifiés par des circonstances émotionnelles particulières, y a pas grand-chose qui restent pour la simple bonne raison qu’un réseau neuronal qui n’est pas réutilisé n’est pas renforcé et disparait dans l’infini des petites connections temporaires que le cerveau fait. Temporary files!

Dans un certain sens, les acquisitions sont au départ toujours un peu fragile, c'est la réutilisation des connaissances qui va permettre leur solidité dans la mémoire à long terme. Bref, une école qui ne déconne pas trop a le souci de faire exercer souvent les mêmes choses importantes pour permettre la construction du cerveau des jeunes. L’apprentissage est donc pour une bonne part un exercise d’acquisition toutjours à refaire en complexifiant l’exigence doucement qu’un «checklist» de comportements attendus à cocher pendant le parcours. En fin de formation, on peut bien s’amuser à faire une liste de vérifications, mais pendant, on a besoin pour un souci d’économie de salive de notes basées sur des critères pertinents (pas trop nombreux en fait) qui  guident et des pondérations permettent de renseigner sur le sérieux des efforts d’acquisitions des jeunes. Pour le reste, c’est le niveau qui augmente ou la complexité des tâches demandées qui se ressent plus qu’elle ne se décrit en maniaque comme on se plait à le faire dans un langage de pelleteux de nuages au ministère. De toute façon, quand le texte n’est pas de niveau, les élèves le sentent aussi et les notes s’en ressentent! Quand le prof a de l’expérience un peu, il le voit bien vite. De toute façon, le matériel didactique constitue des corpus de références dont on peut aisément s’inspirer.

En fournissant un système de régulation des performances variées nécessaire pour constituer un réseau de connaissances solide utilisable en situation pratique, le système des notes est un moyen économique de gérer l'interaction de rétroaction nécessaire des apprentissages surtout en grand groupe. Personnellement, même si parfois certaines évaluations m’ont surpris, dans mon parcours d’étudiant, en général, les notes traduisaient quelque chose : mon investissement, le fait de plus ou moins maîtriser la tâche, etc. Elles ont pratiquement toujours eu un effet motivant. Je n’ai jamais aimé contre-performer. Mon amie étudie et la plupart du temps, ce qui la motive pour une bonne part, c’est de tenter d’aller chercher son A pour sa satisfaction personnelle.

Bref, la note en éducation doit bien servir à quelque chose… Avant de tout jeter, il faudrait à mon sens donc se poser quelques questions.

Et, au final, à quand le certificat en éducation pour donner un brevet à des gens avec un bacc qui seront moins amochés par la poutine doctrinaire des facultés des sciences de l’éducation qui n’ont aucune espèce d’idées de ce qu’est la réalité de terrain de l’apprentissage chez les jeunes. Quand on arrêtera d’écouter les mots de ces sots, on pourra peut-être redécouvrir l’art millénaire de la transmission du bagage intellectuel au plus grand nombre.

1 commentaire:

Paul C. a dit…

Quand un système du corps humain s'emporte ainsi sans régulation on parle de CANCER!