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vendredi 30 juillet 2010

Dune

" Le mystère de la vie n'est pas un problème que l'on doit résoudre mais une réalité qu'il faut expérimenter.

Méditations de Bifrost Eyrie.
Texte bouddhislamique

Le propos de l'argument est de changer la nature de la vérité
Précepte Bene Gesserit

Quand vous posez une question, voulez-vous vraiment connaître la réponse ou essayez-vous simplement votre pouvoir?
Dimitri HARKONNEN, Notes à l'Usage de Mes Fils."

Dans Avant Dune. 2. La Maison Harkonnen


Je lis et achève mon deuxième tome de Avant Dune cette semaine. Une savoureuse semaine! Je suis toujours captivé par cet univers que j'ai découvert il y a une douzaine d'années avec le premier tome de la saga Dune. C'est un plus gros pavé que le premier de la trilogie écrite par le fils, Brian, de Frank Herbert, le  créateur du monde complexe de Dune, avec un certain Kevin J. Anderson. Comme dans la saga, l'action est lente, les intrigues sont multiples, enchevêtrées, les rebondissements sont souvent inattendus, surprenants, avec une certaine invention et parfois de l'humour. On se surprend à sauter, impatient, des chapitres, à revenir en arrière pour reprendre le fil d'une autre développement. Dune a l'intérêt de proposer une longue réflexion sur la condition humaine mise en scène dans un univers transposé aux dimensions mythiques. Comment pourrais-je communiquer cette complexité? Impossible! J'essaye quand même!

On y étudie le prolongement de nombreuses fascinations humaines dont celle, pour conjurer la peur, du pouvoir absolu divin incarné: immortalité, pouvoir absolu, ubiquité, prescience, mémoire de l'expérience universelle, etc. On découvrira dans la saga la surprenante contre-partie du pouvoir absolu: l'ennui mortel du prévisible et de la sécurité absolue et son prix: la perte de sa qualité humaine. Eh que j'ai trouvé cela fascinant, je me souviens!

J'y retrouve l'univers riche de la saga, de nombreux personnages bien développés auxquels on s'attache ou que l'on déteste, les coulisses du pouvoir dans un monde futuriste, galactique, géré dans une manière ancienne avec des nobles administrateurs et tous les travers qu'elle comporte, des tableaux intéressants de différentes pathologies psychiques humaines, une réflexion constante sur le pouvoir, l'écologie, l'adaptation,  la moralité, l'honneur, l'équilibre, la paix, etc. Comment faire la synthèse de cette affreuse chose?!

La lecture de ces appendices à la saga écrite par Frank Herbert est certes plus facile pour moi parce que je connais déjà les principaux attributs de ce monde. Je me souviens encore du premier chapitre de Dune que j'ai dû relire 3 ou 4 fois pour commencer à saisir la teneur épicée de cannelle du monde dans lequel j'allais plonger. Dune est avant tout un univers dense, coloré, sensuel, imprégné de différentes cultures qui s'affrontent dans l'arène d'un monde aux tensions innombrables où différents personnages se disputent d'infinies ambitions. Avant d'entrer dans la compréhension (les comprends-je?) de ses subtilités, il faut y passer d'innombrables heures. Mais passé ce premier choc de lecture, ce premier roman en deux tomes, le meilleur de la série, selon la plupart des lecteurs de Dune, avait le souffle pour nous entrainer dans l'univers du Shai Hulud et de la tentation divine  du Kwizatz Haderack qui y prend forme.


Il est intéressant de lire finalement un développement de la genèse de cet aboutissement fascinant, de peut-être se donner une meilleure vue des personnages qui nous avaient intrigués et fascinés dans la série principale. Comment avait pu se préparer cet événement extraordinaire qui prend vie dans le premier livre de Frank Herbert, le passage d'un homme à la condition de dieu vivant? Voilà le projet de cette trilogie d'Avant Dune.

Comme dans la saga, on retrouve encore des réflexions souvent profondes, voire complexes, tirées de personnages historiques propres à cet univers mis en exergue de chaque chapitre, on retrouve aussi des passages en italique qui donnent les pensées du personnage en contrepoint de ses déclarations ou de son action avec une économie de moyen. Pourquoi n'est-ce pas plus souvent utilisé comme procédé? Par ce procédé, on entre dans une certaine intimité et dans les obsessions des personnages pour nous en faire sentir la singularité.


Et  toujours, ces ambitions humaines portées à leurs plus inconcevables limites. Des femmes unies dans un ordre religieux qui ont accès à la mémoire de leurs aïeules en elle, riches des expériences de leurs innombrables vies, obsédées par la maîtrise d'elles-mêmes, de leur corps, de leurs tentations. Des diseuses de vérité. Une substance convoitée, le Mélange, qui fournit le carburant de la plupart de ces pouvoirs surhumains, la prescience, la longévité, des pouvoirs mentaux spéciaux, la capacité de calculer les voyages spatiaux dans une monde qui a renoncé aux machines pensantes. Des peuples technologiques suspects. Des interdits venus d'un passé dominé par des machines. De méchants psychopathes qui abusent de leur puissance, des victimes exceptionnelles, des experts en génétique qui clonent, qui produisent des espèces de mutants caméléons capables de prendre la place de n'importe qui (Danseurs-visages), des experts en analyse (Mentats), hommes quasi-ordinateurs qui, à l'aide de substance de transe, analysent des possibilités, que les dirigeants consultent pour leurs stratégies d'intrigues et de complots dans un univers politico-militaire complexe suspendu dans une très relative paix cosmique. Bref, on retrouve la saveur du Mélange complexe et mystérieuse que nous sert la saga de Herbert: un équilibre fragile de forces réparties entre différents groupes d'intérêts.

On y trouve aussi des traditions d'enseignements, des personnages initiés à des disciplines, des mauvaises influences. Dune est aussi une saga qui parle souvent d'éducation, de discipline et en propose une certaine réflexion. 

Dune met en scène d'une manière intéressante et captivante la plupart des problématiques humaines dans une transposition tout à fait magistrale. On y trouve en sourdine, je dirais même une réflexion sur la condition humaine qui tient de la philosophie: une synthèse historique, politique, sociologique, psychologique de l'humanité et ce, à différents niveaux, perçue et formulée dans différentes traditions que Herbert a su mettre en scène de façon brillante.

Évidemment, dans cette fascinante mosaïque, on retrouvera parfois des passages qui semblent plus faibles, parfois puérils ou invraisemblables. Mais franchement, la richesse de l'ensemble compense largement ces égarements. Je me surprends à rester accroché au bout de 700 pages de certains pavés. Je suis assez surpris de la capacité qu'ont eue les auteurs posthumes d'Herbert de prolonger l'esprit et le style de la saga initiale.

Dune est aussi une longue peinture de différents environnements habités de créatures fabuleuses qu'on se fascinera à imaginer. L'ensemble propose aussi une dimension mythique avec un arrière-fond symbolique inspiré. Frank Herbert, un touche-à-tout,  a été un temps psychanalyste jungien et son oeuvre est imprégnée de cette dimension complexe des rapports entre la psychologie intime, les pathologies et les complexes mystico-religieux. Ses gigantesques vers des sables qui sillonnent les dunes d'Arrakis ont l'allure insoumise et spectaculaire de la figure du dragon qui selon sa logique propre détruit tout compétiteur qui se manifeste dans son environnement et figurent, je crois, l'égoïsme destructeur que l'humain doit surmonter et maîtriser (tuer ou dompter le dragon). Pour survivre dans un environnement régi par la loi du plus fort, il faut souvent apprendre et observer pour travailler avec les forces conflictuelles et mortelles qui nous menacent. Les Fremens, ces «primitifs» adaptés aux déserts d'Arrakis (Dune), auront sans doute beaucoup à nous apprendre. Pour ceux qui se sont perdus ou retrouvés dans les méandres de la riche pensée de la psychologie des profondeurs et les archétypes de Carl Gustave Jung, on dégustera l'ensemble qui s'en inspire tout à fait. Les amateurs de spiritualité y trouveront certainement leur compte.


En somme, Dune évoque la quête toujours infinie  de l'homme (et très moderne non?) de trouver le meilleur équilibre humain, de développer le pouvoir personnel pour faire sens parmi les autres et pour faire face à la réalité, avec les dangers de l'environnement habité de ses tensions créées par la rencontre de différentes vies qui luttent toutes pour leurs survies dans différents milieux. On a aussi qualifié cette œuvre d'écologique. Frank Herbert aurait été un consultant en environnement aussi! Le champ de cette exploration est évidemment assez considérable et les illusions, limites humaines multiformes, à dépasser, nombreuses. L'œuvre pose aussi avec acuité la question d'un certain vivre ensemble et analyse les différents culs-de-sac de multiples formes d'égoïsme caractériel et destructeur.


J'ai peu rencontré de lecteurs de Dune dans ma vie... Je suis peu étonné. Évidemment, il faut avoir un peu de temps pour le lire! Et aussi peut-être une certaine aptitude pour la patience et l'attrait des mystères complexes. Si vous ne l'avez pas déjà faite, je vous souhaite la meilleure chevauchée qui soit au pays de Shai-Hulud.

vendredi 23 juillet 2010

Harmoniques maritimes et équilibres subtils

Le catamaran Hobie Cat 16 a la particularité de se pratiquer normalement à deux même si un barreur expérimenté peut le manier seul et, ces jours-ci, j'ai même la chance d'observer la poésie d'un jeune navigateur qui fait s'envoler le sien sur un patin. Il y a une féérie dans la manœuvre tout en lenteur suspendue, une image fascinante des équilibres fragiles.  Je le vois souvent à la limite du point de rupture se contorsionner adroitement pour éviter le «désalage». Avant-hier seul cependant sur son embarcation, il a été pris en défaut deux fois, mais bon le spectacle est assez admirable.

Bref, qui dit deux, dit équipe de deux. Conséquemment, il faut souvent dans le cadre d'un cours faire connaissance et vu qu'on passe de longues heures sur les eaux, on a le temps un peu de faire la conversation. On ne choisit pas vraiment son coéquipier. Et franchement ce ménage forcée n'est pas toujours évident, mais ces expériences de rencontres, parfois de percussions, sont souvent aussi intéressantes.

Si la semaine dernière les participants avaient un certain âge, cette semaine je suis littéralement plongé dans la phénoménologie de l'adolescence. Et celle d'outremer a des allures tout à fait similaires à celle du Québec. Enfin, celui qui a été mon premier coéquipier, disons A, était un prototype du jeune qui se veut «dans le vent». A pousser mes voiles dans ma quarantaine souvent dans des eaux un peu éloignées des grandes voies naviguées, il m'arrive d'oublier des détails de cette jeunesse branchée même si je l'ai côtoyée souvent dans le cadre de mon job. Dans ma vie, je ne suis pas nécessairement très attiré par les fascinations adolescentes pour la culture pop qui a un air de déjà vu.

Aussi, je ne suis retrouvé dans l'interaction avec un adolescent qui essayait de m'impressionner avec le fait qu'il va à Saint-Tropez voir des vedettes qu'on peut apercevoir sur les plages au milieu du commun. Il faut dire qu'il cherche à faire le lien avec moi, j'imagine pour se sentir en confiance, pour pouvoir s'exprimer en toute confiance pour voir si je fais parti de sa gang! Mais j'ai senti aussi une certaine tentative d'emprise dans cet examen!

Ce n'est pas nécessairement simple.  D'abord, au départ, je suis Canadien. Parce qu'il faut savoir, que pour la plupart des Français, on en a rien à cirer des distinctions d'identité d'Outremer. Pour eux, la fascination va au continent américain d'abord, pour les espaces sauvages évidemment, pour la grandeur des Amerloques officiellement méprisés, secrètement vénérés, on le sent.

Saint-Tropez serait même une occasion pour moi, selon le dit ado, puisque d'ici on en voit même la pointe et un bateau nous y mène pour la journée. Bref, il m'a épluché le chapelet des vedettes qu'il y avait vu récemment. Je l'ai écouté me rappelant que pour l'adolescent, les vedettes ont un degré de magnitude spectaculaire. En vieillissant, on leur rend des cultes franchement plus fugaces  quand ils ne sont pas tout bonnement évaporés et on s'amuse du sentiment d'irréalité quand on croise une de ces personnalités publiques comme d'un petit événement rare qui nous fait réaliser que la télé est faite par des êtres réels et bien en chair. Leurs présences régulières dans l'intimité de nos salons  nous donnent l'illusion de les connaître.

Je ne suis fait aussi demander quel genre de musique j'écoutais et je dois dire que je n'ai pas eu la réponse la plus engageante qui soit, mais celle assez honnête qui me coupe probablement d'une très grande frange de l'humanité: « En ce moment dans ma vie, la musique que je préfère est franchement le silence». Je lui ai expliqué que j'avais 42 ans, ce qui ne se voit pas toujours avec ma chevelure de «poteux» qui ne fument pourtant pas de ces mauvaises herbes. Je ne lui ai pas expliqué qu'en vieillissant on a moins d'énergie ou qu'on récupère plus lentement pour trouver la surexcitation, le multitâche aussi attrayant. On gère un peu plus le goulot des entrées de stimuli et on choisit davantage nos activités en fonction de nos vrais goûts. La musique a pris beaucoup moins de place dans ma vie depuis une bonne dizaine d'années, tout bonnement, comme ça.

J'ai aimé dans ma jeunesse religieusement certains groupes... Mais honnêtement, j'avais du mal à me rebrancher sur ces vieilles passions oubliées d'un autre temps. J'ai réussi à lui parler de  mon intérêt lointain pour la musique des Doors, lui indiquant le fait qu'on avait connu au début des années 90 une certaine mode, bien que je les avais connus quelques années plus tôt avec des amis de l'époque. J'ai dit qu'il devait sûrement les connaître, puisqu'on a eu récemment une certaine médiatisation récente de ce groupe culte des années 60-70. J'ai parlé des cycles de modes. La réverbération actuelle des années 80 dans la pop d'aujourd'hui correspondait en gros à l'ambiance musicale que j'avais connue. Dans mon temps, la fin des années 60 réverbéraient dans notre époque, c'était le rétro d'une autre époque. Les jeunes ne se doutent pas vraiment de la réalité de ces cycles. Il était surpris. Ondes culturelles, vagues sociétaires, spirales évolutives, je ne sais trop.

Il a eu l'air un peu dérouté par ces considérations j'imagine «extraterrestres», mais rapidement, toujours sur sa lancée, il s'est mis à me réciter des groupes qu'il aimait pour savoir si je les connaissais. J'en connaissais quelques-uns, de noms surtout. Je lui ai parlé de mon goût pour les vieux de la chanson française, pour certains hurluberlus de la langue chantée de chez nous qu'il ne connaissait pas que j'ai aimé et même de certains de chez lui dont leur Renaud. Mais je les écoutais fort rarement, en ce moment, j'écoutais surtout la musique qui passait à la radio sur la radio locale où j'habitais, où les tubes sont dans une langue amérindienne peu connue du reste de la planète au milieu de grands succès pop planétaires que je reconnais souvent. En fait, je me suis débarrassé de ma discographie dans les dernières années. Je ne les écoutais pratiquement jamais de toute façon et j'apprécie avoir peu de choses en vieillissant. Les déménagements sont plus simples. Je ne télécharge même pas. Le goût d'entendre une musique passe comme autre chose... J'ai bien de la musique sur mon portable (finalement, j'en ai encore quand j'y pense), mais il est très rare que je veuille me créer des ambiances musicales maintenant. Je n'ai jamais eu de combativité pour les guerres d'atmosphère musicale en party quand plusieurs se disputent la chaîne pour passer sa musique.

Franchement, la conversation, forcée, était difficile parce que parfois les mémoires du passé à force de non utilisation prolongée se recouvre d'un voile, il faut dire que je faisais mon effort, au fond je m'en tape maintenant de me sentir quelqu'un parce que je m'identifierais à un genre musical. Ce n'est que dans la soirée que je me suis rappelé que j'ai eu un temps tous les albums de Pink Floyd (je n'en ai pratiquement plus un seul, un, je crois, gardé en mémoire dans le Gigamachin). J'avais tout cet effort de reprise de contact avec ce passé en plus de devoir tenir ma barre et garder une attention à la navigation sur ces eaux achalandées...

Dans le sillage de réflexions que cette conversation, qui m'a mis en contact avec l'étrangeté, hier, je me rendais compte que la musique venait parfois et je me l'écoutais dans la tête sans aucun support réel. Seule la mémoire réanime, parfois avec des détails surprenants l'allure de la musique...  Le dernier album que j'ai acheté m'a fait me rendre compte que l'obsession musicale m'intéressait beaucoup moins qu'autrefois. Vous savez celle qui pousse à surutiliser la fonction «replay» ou «repeat». Il y a quelque chose qui est de l'ordre de l'ensorcellement dans ce processus et manifestement j'aime probablement m'occuper mieux à autre chose. J'aime lire, écrire,  bricoler, explorer des trucs ou simplement réfléchir et ses actes de concentration supposent un calme pour être efficace. J'aime bien l'efficacité aussi! Pour me calmer, je préfère aller marcher, partir me balader en nature, faire du sport, ou simplement faire la sieste! Et la musique, avec une guitare à l'occasion, je me la fais moi-même souvent. Il n'est pas rare que j'entonne une improvisation farfelue avec l'amie quand je me sens gai!

En somme, j'ai été surpris par tout ce que m'a fait remonté cette petite conversation. Manifestement, je ne vis plus dans le monde de cet adolescent même si nous vivons dans ce même réel international nivelant dans un gros décalage horaire cependant, celui des générations. Le décalage vient aussi d'ailleurs, d'écart des micro-cultures que chacun explore au gré de sa vie. Mon jeune qui a fait un stage à la City de Londres veut devenir «trader», moi je lis tout le mal que ce système sans limites depuis 1999, parasitaire des économies mondiales, a fait. La mise en rapport de ces deux perspectives a quelque chose de choquante!

La rencontre de deux mondes n'est pour cette raison pas toujours évidente. Les perspectives sont parfois bien opposées ou difficilement conciliables, ce n'est pas évident de trouver l'harmonique souhaitable pour la navigation en duo. D'ailleurs, ce babillage coupe de la magie féérique de la voile. On tient en main des «écoutes» (cordage), celle de la voile et celle du «foc» (et non phoque, si ma source est bonne!).

Je me prends à faire le parallèle avec l'enseignement et l'apprentissage. Je me vois souvent en classe pris avec ces mêmes décalages avec la gang de pop qui prend toujours beaucoup de place avec laquelle il faut trouver un compromis, trouver l'harmonique pour mener doucement l'équipage à l'«écoute». J'ai remarqué que certains profs n'avaient pas trop de mal à mettre beaucoup de temps à se garder à jour dans différents domaines qui touchaient les jeunes dont celui de la musique. J'ai comme ça un ancien collègue qui passait même des albums à ses élèves.Je me demande souvent si je dois me «forcer» à me tenir dans les préoccupations communes pour avoir un certain partage de banalités à faire. Je dois dire que je fais un peu le minimum en ce sens. J'y vais avec les jeunes que j'ai en face de moi. Et avec le temps, les ponts de toute façon se tissent souvent de manière fort inattendue.

Évidemment, on pourrait me le reprocher avec cette prescription de se mettre au diapason de la jeunesse pour les accompagner dans leurs processus. Mais au fond, le diapason se trouve dans la passerelle entre deux mondes. C'est une équation parfois ardue à trouver. En même temps, je me souviens de ces adultes mystérieux de mon enfance qui montraient des facettes et des singularités particulières. Je me souviens aussi que leur présence a nourri bien des curiosités par la suite...

Enfin, la jeunesse n'est pas uniforme. Ce n'est pas une masse homogène. C'est tout le monde en miniature et en légèrement immature. Et forcément, il est rare qu'on puisse s'entendre avec tout le monde. Bon, avec A, il y avait bien d'autres problèmes. Au gréement des bateaux, il ne s'impliquait pas trop (une fois, il est même aller gréer le bateau du voisin!), n'a pas la capacité de travailler en équipe, il affiche un nonchalance assez détestable, a les mains plein de pouces en plus. Il me laisse tout prendre la charge du bateau. Avec lui, j'ai forcé plusieurs fois comme un démené. Hier encore, je l'observais un moment, j'avais fini mon gréement avec un nouveau partenaire: il a l'art de prendre son bout de manière à compliquer l'effort de l'autre, ça tient presque du don.

Parce que je suis un novice, je lui laissais souvent prendre la gouverne, mais il est assez gauche. En plus, il est Parisien et a le jugement facile. J'ai dû lui dire assez clairement de se calmer un moment donné à son troisième «On est nulles» (le «on» ici incluait l'autre personne qui prenait place dans l'embarcation!) alors qu'il barrait dans une petite course amicale, que je pouvais me passer de ses jugements. D'ailleurs, pour gagner, il s'embourbait lui-même dans les risques qu'il prenait. Moi, j'étais là pour apprendre, pas pour prendre dans la gueule sa mauvaise humeur.

Bref, après mon coup de gueule, j'ai eu la paix un peu. Bon, disons qu'il a voulu changer d'équipe et ça a été la plus heureuse de ses initiatives. Hier, j'ai fait équipe avec S qu'on m'a présenté comme un timide. S sait travailler en équipe, sait observer et aider, presque sans un mot on a gréé dans une harmonie d'actions efficaces. On a bavardé à peine, surtout blagué avec nos déboires, il connait plutôt bien le catamaran, sans dire un mot ou avec beaucoup d'économie, il m'en partage les subtilités bien davantage que l'autre numéro à la mode. Dans cette symphonie de caractères, on a su écouter le vent et, franchement, on a filé avec lui sans s'énerver cette fois pour toucher le fil d'arrivée les premiers!

Comme quoi la musique n'est pas toujours là où elle fait le plus de bruit!


mardi 20 juillet 2010

Sur la route de Chlifa 2 ou parfois suivre son chemin en dépit du sens commun

Bon, je ne sais pas si je vais continuer dans les impertinences comme hier. Je vais donc essayer de reprendre la route de ce roman de Michèle Marineau que j'ai dû laisser hier pour d'autres occupations!

Bref, il y a deux jours, posant enfin ma première brique de la trilogie d'Avant Dune, rédigé par  le fils de Frank Herbert, Brian, et un certain Anderson à partir de quelques indications de feu le père (je recommence), j'ai pris un des romans de ma pile de romans jeunesse Sur la route de Chlifa.

J'avais lu Cassiopée ou l'été polonais pour un cours de roman jeunesse de le même auteure il y a bien des lunes et, dans mon souvenir, je me souvenais d'une écriture intéressante avec des personnages attachants fouillées psychologiquement.  Aussi je me disais que c'était probablement le bon bouquin pour entamer la tâche de me taper quelques romans jeunesse cet été. 


Bien, je n'ai pas été déçu. Captivé, j'ai passé au travers dans la journée. Le début nous plonge dans une classe  de 5e secondaire multiethnique au Québec avec toute sa couleur locale et moderne. Il est parfois désarmant de  reconnaître aussi crûment  la réalité de nos classes. On y retrouve notamment tout le sans-gêne et l'irrespect de certains jeunes qui constamment transgressent disons un certain niveau de langage, éructent, flatulent et tiennent des propos racistes et désobligeants. On se demande franchement où sont les adultes qui ne semblent pas vraiment gérer les débordements. Il est intéressant de voir tout le choc culturel que vivent la plupart des jeunes nouveaux arrivants aux constats de cet abandon de l'autorité à une certaine zizanie assumée par tous.

Mais bon, la peinture de cette discorde, qui serait accentuée par l'arrivée en classe en milieu d'année d'un jeune Libanais, mystérieux et fermé, qui suscitent les passions et les hostilités, est un prétexte pour raconter une autre histoire. En effet, ce climat va dégénérer en un événement dramatique assez surprenant que la suite va peu à peu éclairer.

On se retrouve donc à Berouth fin des années 80, où le jeune Karim avec la population tente de continuer une vie normale entre les bombardements d'une guerre oubliée, qui régulièrement reprennent de la vigueur, en passant des heures à attendre que ça cesse. Mais les drames vont s'enfiler. Car la guerre tue absurdement et au hasard des innocents. C'est ainsi que le premier béguin de Karim, Nada la belle, s'évanouit sous la destruction la plus aléatoire. Ce drame est l'occasion d'une rencontre: Karim découvre l'existence de la jeune soeur de 12 ans de sa défunte amie, Maha seule survivante de sa famille, avec son petit frère encore bébé, qui a une seule idée en tête: rejoindre Chlifa, un village à une centaine de kilomètres de Berouth. 


C'est le point de départ d'une longue expédition dangereuse  à la conclusion dramatique. C'est ainsi que le jeune et «parfait» Karim va se retrouver sans trop savoir pourquoi dans l'aventure la plus inconcevable: «A son grand étonnement, il se rend soudain compte que ce qui l'a décidé à partir, c'est justement le côté insensé de cette expédition par delà le mont Liban. Une expédition qui est aux antipodes de la vie qu'il mène depuis des mois. Le contraire de la peur, des cachettes souterraines, de l'inaction. Brusquement, Karim a le goût de vivre, pas de végéter.» (p.102)

Le récit de cette aventure où l'on découvrira le personnage haut-en-couleur de la jeune Maha vaut certes le détour. Initiatique pour le jeune Karim, l'expédition hasardeuse le mettra en question, mais aussi le mènera au traumatisme. Car ce livre est aussi dur, dur comme la réalité des bombes et l'horreur dont les hommes sont capables. Voilà donc un livre qui a le potentiel de susciter pas mal de discussions en classe.


Le livre a aussi l'intérêt de jouer adroitement dans différents niveaux de lecture dont la symbolique des lieux et des objets et de permettre un dialogue entre des réalités contrastée: entre les bombes de Berouth et la classe agitée dans la quiétude relative du Québec, on s'amusera à faire certains parallèles. Mais par dessus tout, j'ai été fasciné par la capacité de l'auteur de soulever le voile de l'univers intérieur des personnages qui justifient leur conduite en dépit du bon sens. Maha, à 12 ans, étonnamment ne se laisse absolument pas «formater». Comme je le soulevais hier, ces forces intérieures singulières et propres à chacun sont peut-être les grandes oubliés de notre époque normalisée. Je me suis plu à voir l'absurde de l'humanité transpirer de cette œuvre bien au delà des situations de guerres, ainsi qu'à constater sa surprenante capacité d'y survivre.

Enfin, on savourera de nombreux passages qui alimentent des réflexions intéressantes notamment sur la vérité, l'idéalisation du passé, la religion, l'oubli des drames et atrocités...

lundi 19 juillet 2010

Sur la route de Chlifa 1 (Impressions de voyage dans la fiction d'Hermann Hesse)

L'été s'étire et il est bon d'y retrouver une certaine oisiveté à la faveur d'une certaine tranquillité d'esprit qui cette année, en tout cas, me permet d'en profiter pleinement. Il y a de bons côtés à une certaine stabilité et au fait que la route parfois soit bien dessinée devant soi. Je n'ai pas à courir après le boulot cette année. Il est là, devant, dans un gros mois bien gras.

Dans ces conditions, je retrouve un calme propice à la lecture. J'avais emmené avec moi les 4-5 bouquins jeunesses que je comptais lire pour prendre un peu d'avance sur mon année à venir, mais je suis d'abord par un drôle de hasard tombé sur des exemplaires d'Hermann Hesse dont j'ai été un assidu lecteur dans ma vingtaine qui trainait là où je me suis fixé pour cet été. Je m'en confesse, j'aime beaucoup d'auteurs non francophones qui me parlent souvent bien plus que les auteurs de la tradition francophone. Hermann Hesse et ses romans initiatiques et ses peintures des drames de personnages complexes qui cherchent à surmonter les contradictions de leur existence, à oser le courage de changer m'a vraiment plu, voire fasciné. Je me suis souvent reconnu dans ces personnages complexes tout en tension interne face au monde des hommes. On connait bien Siddhartha en général, un livre toujours culte chez les jeunes voyageurs aux allures de groupies. C'est d'ailleurs dans un contexte de ce genre que j'ai rencontré l'auteur lors d'un premier voyage dans l'Ouest canadien, il y a maintenant 21 ans de cela!

Mais bon Demian, Le loup des steppes, Narcisse et Goldmund, ainsi que de nombreux autres recueils de nouvelles proposent une vaste panoplie de personnages au prise avec des destins problématiques et avec leurs marginalités troublantes. C'est l'exemplaire de mon Demian souligné un peu partout qui dormait en France depuis deux ans sans que je le sache qui m'a attiré. Je l'ai grappillé les premières journées comme on retrouve un bon vieux copain pour bavarder avec son passé pendant des heures avec grand plaisir.

Comme l'écrit Marcel Schneider dans la préface, «Hesse ne traite que d'un seul sujet: l'homme à la poursuite de lui-même». Dans Demian, il écrit: «La vraie mission de tout homme est celle-ci: parvenir à lui-même». Évidemment, cela ne va pas sans heurts. On y suit donc la jeunesse d'Émile Saint-Clair qui sera marqué par la rencontre de Demian, un original jeune homme, qui sera le point de départ de rencontres avec toute une bande d'originaux tous au prise avec leurs quêtes particulières, leurs philosophies, leurs tentatives spirituelles pour entrer en soi et comprendre le sens de leur existence en ce monde.

Disons que cette voie d'aborder l'existence conçue dans un dialogue entre l'intériorité de l'être et le monde m'a toujours semblé bien davantage correspondre à ce que je vivais et expérimentais que la conception plus moderne que je croise de nos jours qui consiste à se découvrir, se construire par les échos de l'autre, plusieurs fois par jour, dans les réseaux sociaux constructifs où la quête d'amis et de la popularité gouverne les actions plus que l'attention à ce qui se meut en soi. Évidemment, ces autres voies de développement de soi, tournés vers une attention à l'être intime, sont bien davantage complexes et difficiles à communiquer au commun des mortels. Voilà bien un fondement de toute ma réticence à m'accorder avec ce mouvement collectif dans lequel je suis aussi immergé. Je suis un bien mauvais maître pour la conformité (il est assez curieux, voire amusant, de ne pas sentir les conformismes aux mêmes endroits que d'autres!) ambiante du modèle Facebook et Twitter en vogue. Mes amitiés véritables sont rares et le plus souvent très partielles, ce qui ne m'empêche pas
de bien vivre très souvent au milieu des gens qui ne sont pas fascinés par les mêmes choses que moi. J'aurais l'impression de me travestir si je devais compter des purs inconnus comme des «amis». Je trouve qu'on travestit la valeur même de ce qu'est l'amitié dans l'univers Facebook qui lentement transforme nos mentalités poussés à l'uniformité universelle (Vous avez lu le dernier Bruno Blanchet sur Cyberpresse?!!!, extrait en bas de page).  Enfin, à entretenir un tel réseau de relations, je me demande bien ce qui reste pour nourrir une attention à soi et à cette digestion nécessairement très lente des expériences de la vie que l'on doit cultiver pour bien la savourer et écouter en soi les intuitions à suivre pour rencontrer le sens.

J'ai souvent du mal à communiquer mes vraies passions qui d'ailleurs changent, arrivent sans crier gare, durent, atteignent leur zénith, déclinent et parfois meurent pour laisser place à d'autres fascinations qui se développent au gré des circonstances de la vie au travers le processus de vie qui est le mien. Ses passion n'intéressent bien souvent que de petites franges de population, je le sais, je l'accepte et n'en fait pas un plat. Bref, je ne mesure pas l'intérêt des choses à leur popularité, mais bien à l'intérêt «véritable» qu'elle suscite en moi. Mais bon, j'ai fréquenté des réseaux sociaux il y a quelques années et par le plus étrange des hasards, j'y ai croisé nombre d'originaux qui tentaient aussi d'être souvent comme tout le monde! Pour survivre avec nos originalités au milieu des autres et même trouver la chance de croiser des gens significatifs, il faut souvent savoir  ou apprendre à aussi moduler adroitement ses versants d'étrangeté pour ne pas susciter la peur de l'inconnu.

Je voulais parler de ce roman jeunesse de Michèle Marineau qui en fait est dans une tonal ité assez cohérente avec ce qui précède! Le personnage de Maha, justement indépendante, très à l'écoute de soi, sans se soucier de ce que les autres en pense, est sûrement responsable de ce long détour. J'y reviendrai...Et puis, il y avait les Dune que j'ai recroisés, sur lesquels je reviendrai sûrement.


Extrait de Drôle d'état, Bruno Blanchet (16-07-2010):

Mais il m'a aussi confié que la vie ordinaire, telle qu'il l'a vécue en Casamance, est aujourd'hui menacée; et que, d'ici quelques années, ce sera la fin de la société traditionnelle... Un constat grave, qu'il accepte avec résignation.

La grande mutation est amorcée, Bruno. Il est trop tard. Bientôt, le monde entier sera contaminé.

- Et qui sont les responsables de cette «grande mutation»?
- L'internet et la télévision, parbleu!»

Selon Abdullah, en Casamance, déjà, les gens ne lisent plus. Les familles ne se parlent plus. On passe son temps devant l'ordinateur avec des amis imaginaires. Au souper, on allume la télé au lieu de discuter. 

Comme quoi, je ne suis pas le seul à m'inquiéter de la perte que nous fait vivre aussi le grand progrès des dernières années.

vendredi 16 juillet 2010

Caprice affirmé et original dans un enseignement conformiste: un exemple!

Cette semaine, j'ai suivi un cours pour apprendre à faire du catamaran. L'occasion était là, je n'avais jamais eu la chance d'apprendre la voile. C'était fort intéressant de se retrouver élève après bien des années et ce que j'y ai observé tout autant.

On parle de conformisme, d'apprentissage et d'école justement sur un autre blogue en ce moment.

J'ai dû faire équipe avec une dame qui m'a semblé justement un tantinet contre-conformiste, bien sûr à sa façon, la deuxième journée. Elle s'est dit peintre et en avait d'ailleurs toutes les allures un peu perdues et revendicateurs de certains artistes. Voici mes observations.

Sans entrer dans les détails techniques, disons que la dame en montant sur l'embarcation avait une idée bien arrêtée de la liberté qu'elle aurait dû y avoir. Elle m'a parlé longuement de son stage de voile de l'année précédente où parait-il le moniteur était cool et laissait les gens enlever leur gilet de sauvetage et permettait de mettre leurs jambes hors de l'embarcation pour bien prendre ses aises.

Cette journée-là, elle s'est faite remettre à l'ordre gentiment, parfois avec fermeté aussi, par le moniteur. Elle en a fait une moniteur sérieux, traditionnel, etc. Les épithètes ont fusé! Et on dirait que toutes les manières étaient bonnes pour tester les limites de sa liberté. Inutile de dire que je ne trouvais pas cette coéquipière expressive qui s'affirmait une très bonne coéquipière. En fait, malgré son cours de l'an précédant, elle ne s'y connaissait pas vraiment, elle mêlait tout, à la limite du danger. Régulièrement, je devais prendre le contrôle du bateau pour éviter la catastrophe!

Je me souviens m'être fait la réflexion: pourquoi suivre un cours si c'est pour ne pas essayer vraiment d'apprendre l'enseignement qui y est donné, si on y collabore pas, si on cherche constamment à remettre en question les consignes au lieu d'être attentif au raisons de ces dernières, ici bien évidentes pour des raisons de sécurité?

En fait, j'ai continué de faire équipe avec la dame toute la semaine. On s'est arrangé parce que finalement, le moniteur a bien vu que j'apprenais vite et que je pouvait suppléer à la non-vigilance de ma coéquipière et voir à tout ou presque. Et il a bien vu que la dame en question qui l'a admis ne venait pas vraiment faire un cours pour apprendre, mais voulait faire de la voile le matin, tranquille pendant une semaine. Le matin il n'y a pas trop de vent, la ballade est pépère et c'est ce qui l'intéresse, les manoeuvres à apprendre, tout le tintoin, elle s'en balance.

Le moniteur a été patient, a bien compris le caractère original de la dame, sa réelle motivation à suivre ce cours qui était simplement profiter de balade sur l'eau, mais est resté ferme sur la sécurité. De son côté, la dame a arrêté de se plaindre et j'ai pris les choses en main sur le bateau pour ne pas qu'on se casse la figure. De temps en temps, quand il est loin sur son Zodiac, elle se permet des écarts de conduite pour son confort et tout est bien...

Je remarque aussi que ça va parce qu'on est 5 participants dans le groupe, avec deux moniteurs et nous sommes tous adultes. Et que le moniteur a pu la mettre en équipe avec un participant pas trop tarte. Dans d'autres circonstances, les moniteurs pourraient exclure de l'activité un participant trop original qui met la sécurité en question.

Bref, l'originalité a parfois des couleurs de caprices. Et la pression à une certaine conformité a parfois des allures d'enseignement!

Heureusement, il y a eu du vent mercredi matin, et j'ai pu m'amuser et même prendre des petits risques calculés avec le vent qui nous soulève avec la capacité de réagir avec les techniques que j'avais apprises, je me suis bien amusé! Je compte bien faire le stage 2 dans le vent vigoureux de l'après-midi. Il risque moins aussi d'y avoir de l'originalité expressive mal placée... J'ai bien hâte!

vendredi 9 juillet 2010

Présence-absence au milieu des autres

Cet été, j'ai pu voir partout dans mes déplacements, des gens le nez sur leur Ipad ou au téléphone avec ces options permettant d'aller sur le web. Ce nouveau comportement transforme le monde. Je me souviens particulièrement de ce long trajet en autobus entre Stockholm et Karlstad en Suède où le bruit de l'activité de communication avec des non-présents a pris la tournure d'une folie collective.

Le bus est devenu un lieu bruyant, comme la rue d'ailleurs de ce bruit de ceux qui sont ailleurs avec un autre lointain en présence des autres du réel immédiat. Constamment les sonneries de téléphone les plus diverses s'activent et les gens s'engagent dans des conversations animées que tous peuvent entendre. Même en langue étrangère, quand on n'y comprend rien, la voix humaine quand elle ne se fait pas discrète peut devenir un bruit qui à la longue épuise. Le délire a été complet à la faveur d'un retard imprévu du bus pris dans un détournement de trafic en raison d'un accident sur une autoroute. Aujourd'hui, on doit et on exige d'informer et d'être informé de tout incident. Et non, ce n'était pas les jeunes qui s'activaient,  mais tous ces petits vieux et ces petites vieilles suspendus à leur téléphone comme à un tranquillisant nouveau genre. Bref, en plus du retard, de la chaleur du soleil étouffante au travers les grandes vitres, entre le bruit de l'une qui n'avait pas de signal de téléphone et dont le téléphone bippait bruyamment et ceux qui avaient ce signal pour avertir le lointain de nos petites mésaventures, ce trajet m'a épuisé des autres!

Partout, on voit les gens s'interrompre, se retirer du réel pour pianoter leurs engins de communication. Les sonneries sont bruyantes, les bips de toute espèce fracassent la tranquillité relative des espaces publics.C'est presque insupportable par moment. Heureusement en avion, on peut encore prendre un peu de repos entre les services des agents de bord...

Partout, on voit des gens en grandes discussions en déambulant au milieu des autres. On a droit au spectacle des insultes, des pleurs, des confidences, des banalités des gens. Les Ipad sont plus discrets dans cette mise en scène collective de la communication avec ce nouvel au-delà des temps modernes. C'est tout de même étonnant d'observer cette réalité nouvelle, très visible dans les grandes villes.

Ce nouveau bruit est maintenant partout, dans les métros, les bus, sur le trottoir, au restaurant, au bar, sur la plage. Les cabines publiques sont peu à peu retirées dans des pays comme la Suède, je lisais dans le guide du routard. Presque tout le monde a son téléphone portable. Et tous se donnent en spectacle maintenant, hors de la cabine qui atténuait le bruit et isolait.

J'ai rencontré aussi une dame, une Parisienne qui allait sur le même vol que nous vers Helsinki, qui se fâchait après un type qui parlait très fort dans la porte d'embarquement dans son cellulaire, en ne prenant pas absolument pas la peine de se rendre discret aux oreilles des autres. Elle lui faisait des gestes de colère d'aller s'exprimer plus loin. J'ai discuté avec cette dame un peu, elle était sidérée aussi par la conduite des gens.


Les gens existent de plus en plus au milieu des autres en parlant sur la place publique en s'adressant à des absents pour se donner en spectacle et en bruit au milieu des autres, on dirait.On prend partout des airs posés en consultant ses messages. On en compose partout en ne prenant même pas la peine de ne pas laisser voir ce qu'on babille dans un texto au voisin qui est là. « Y a un type à côté qui a une tronche d'imbécile qui en plus regarde ce que j'écris en ce moment, on se voit tout à l'heure?»!

Combien de schizophrènes étranges deviennent des citoyens sensés simplement en train de téléphoner parce que leur chevelure dissimule une oreillette?

Il semble qu'il faille s'habituer à ce nouveau bruit...