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mercredi 23 février 2011

Petit plaisir sadique!

Bon, je ne crois pas que ça fait un titre très «politiquement correct», mais il ne renvoie pas non plus à un trait de personnalité. C'est un moment comme ça qui m'est arrivé hier lors de l'examen de mon groupe de sec.4. 

Ces jeunes sont un groupe assez immature en plus d'avoir plusieurs membres assez limités ou  qui ne donnent pas leur potentiel. Enfin, plusieurs d'entre eux sont rendus là parce qu'il faut bien les faire avancer à défaut de pouvoir les faire reculer. Bref, le secondaire 4 est le groupe difficile, qui t'envoie promener régulièrement, celui dont tous les profs se parlent en coulisse un peu tous les jours. Bon, ils ont de bons moments aussi quand il n'y en a pas trop de gelés.


Toujours est-il que personne à l'école ne les voit en secondaire 5 l'an prochain avec cette attitude générale. Aussi, le directeur est venu leur dire récemment que, pour le moment, avec leur attitude, il n'est pas certain que l'on allait avoir un groupe de secondaire 5 l'an prochain. Il faut savoir que, pour bien de nos élèves, juste arriver à cette marche est l'objectif ultime car, en secondaire 5, il y a le Bal. Et le Bal ici, c'est une histoire vraiment de démesure qui implique toutes les familles élargies de chacun des élèves. Le gros truc avec les robes, les bagues, les séances de photos qui durent des heures, un gros décor, etc. Au point que réussir l'année et décrocher le diplôme vraiment est très secondaire pour nombre d'entre eux. 


Bref, depuis une semaine, on les sent dans l'eau chaude et on leur sert avec un plaisir tout à fait palpable une confrontation avec la réalité. 

Vu que j'ai le mandat de la direction de donner des notes qui reflètent leur capacité et leur manque d'investissement, je leur ai choisi pour l'examen un texte sur la «violence à l'école». C'est de niveau secondaire 4 tiré du même genre de méthode qu'on utilise ici. Bref, théoriquement, ils devraient s'en sortir. Je pressentais que le sujet allait être coriace pour eux, mais bon, à voir leurs visages, leur non-verbal, leurs mines déconcertées et leurs interactions à la fin de la séance, il était clair qu'il venait de comprendre qu'on n'allait pas leur la jouer facile. Comme d'habitude, je leur ai donné tous les éléments techniques à réviser, on est dans le texte argumentatif et évidemment, ils n'ont pas trop daigné se préparer, étudier ou poser des questions et les voilà dans la mouise.


En sortant de ma classe, je croise la prof d'anglais qui ne sait plus elle non plus quoi faire pour faire avancer ce groupe réfractaire et j'ai partagé mon petit plaisir de les avoir vu se confronter seuls un fois au réel niveau d'exigence du secondaire 4. Elle m'a appris qu'elle a fait exactement de même avec un examen de niveau sans concession. 


Après toutes nos patiences, nos invitations, notre soutien, notre abnégation dans la tâche de les aider continuellement à avancer, avec cette impression continuelle qu'on tient à bout de bras une situation à la limite de la décence en éducation en leur donnant des notes de passages la plupart du temps qui sont le fruits à 80 % de notre investissement, à les voir abuser de notre sollicitude avec une attitude ingrate complète, nous devons avouer que ce petit moment à les observer rencontrer juste un minimum de réalité scolaire nous procure un bien doux plaisir ! Faut être «maso» pour enseigner de nos jours des fois et, en ces moments de changement de position des rôles, on savoure probablement davantage le moment. J'aime bien la période d'examen finalement!


Bon, l'examen dure  3-4 séances, avec un volet écriture. Le plaisir risque de se prolonger!

mardi 22 février 2011

Ce n'est pas le salaire qui me motive, mais le bon sens qui pourrait revenir...

Si je suis devenu enseignant, c'est d'abord parce que je voulais transmettre une certaine éducation à laquelle je donnais de la valeur.


Quand je vois les Legault régler la question d'un coup de baguette budgétaire pour augmenter les salaires en contre-partie d'une évaluation du rendement des enseignants en terme de réussite de leurs élèves et d'une prise de responsabilité accrue, je me dis qu'on ne va pas s'en sortir.


C'est tellement simplificateur: comme disait prof solitaire avec verve sur son blogue: «Une classe, c'est pas une usine de montage de toasters. Une école, c'est pas une PME.»


On pourrait se servir d'argent supplémentaire pour voir à bien mieux pourtant. Mieux détecter les difficultés des jeunes, mieux organiser des services adaptés: des classes spéciales, des écoles spéciales. Orchestrer des avenues de formation professionnelle réalistes pour ces clientèles. Libérer la classe ordinaire de cette hétérogénéité insensée. Revoir les programmes pour clarifier des objectifs clairs et réalistes et produire un matériel didactique plus adapté au besoin de la classe ordinaire. Remettre au programme les connaissances de base qui édifient solidement les bases intellectuelles et permet une préparation adéquate au niveau supérieur du développement au lieu de plonger avant le temps les jeunes dans la résolution des problèmes du monde adulte. Arrêter de mettre toutes les clientèles dans le moule de ce que sont capables les élèves doués ou issus de couches très favorisées culturellement: une utilisation rapide des connaissances après un temps d'assimilation court. La plupart des élèves ont besoin de consolider plus régulièrement et systématiquement leurs acquisitions. Les tenir dans des activités trop complexes qui dépassent leur capacité les font développer plutôt l'art de la falsification ou de la dissimulation plus que la consistance. Elles leur font développer une estime de soi vacillante qui confine à la déviance, la tricherie, le doute d'eux-mêmes et de ce qui les entoure.

Ce qui frappe dans les manuels quand on les parcourt, c'est le niveau élevé de difficulté des questions et problèmes sans jamais offrir de préparation adéquate. Le tout a des allures superficielles, on survole dans toutes les directions.  On dirait qu'on assume que l'intelligence et la compréhension ou l'éclair de génie surgit spontanément dans l'esprit du jeune en apprentissage.

C'est dans les méthodes qu'il faut mettre l'argent, dans l'évaluation des programmes et des méthodes sans a priori idéologique.

Augmenter nos salaires pour donner davantage aux syndicats, aux impôts, à l'assurance salaire, au régime de pensions, etc. ne va pas changer d'un iota ma fatigue grandissante de voir autant d'énergie gaspillée et de pensée magique autour de moi et de me sentir toujours et de plus en plus impuissant à éduquer vraiment les jeunes que je reçois dans mes classes.

Mettre de l'argent à expliquer aux gens, aux parents que l'école a ou avait un fonctionnement contraignant pour arriver à ses fins. Un jeune a besoin de rencontrer l'effort, de prendre conscience de ses erreurs, de vivre avec elles, de découvrir qu'il peut comprendre s'il cherche un peu.

Mettre de l'argent à stopper l'invasion des petits besoins personnels des petites personnes donc fragiles que leurs parents chouchoutent et défendent contre la vilaine école.  Arrêter de légitimer la dévalorisation de l'effort, les discussions stupides pour négocier à la baisse les exigences des profs, le droit à l'évaluation quand ça leur chante, j'en passe et des meilleures.

Hier, mon directeur disait qu'il allait éliminer les périodes d'examens de 1ère étape et 2e étape: «Ça crée trop de chicanes». Sans raison, les jeunes ne se pointent pas à l'examen et les parents débarquent pour intimer des reprises. J'ai beau travaillé depuis un moment dans des communautés particulières qui ne valorisent pas trop l'école, je suis franchement déconcerté. Quand l'école doit éviter la chicane et négocier à la baisse sans cesse ses exigences, où allons-nous? Peut-on me le dire?

J'ai l'impression que l'école dans l'idéal que je m'en faisais un peu se dégonfle chaque jour un peu plus... et devient une grosse coquille vide. Enfin, je suis toujours là, planqué dans l'enseignement adapté, là au moins je comprends pourquoi je fais des concessions. J'attends quelque part le signal que se pointe un certain retour au bon sens dans ce monde de fous.








lundi 21 février 2011

Métier: Bof de secondaire...

Voilà, la situation commence à exploser un peu. On est entré dans l'ère de l'obligation de donner des résultats! Les profs rechignent, on leur enlève définitivement le peu d'effet de levier qu'ils ont pour faire bouger les jeunes dans la direction des apprentissages. Et on confirme une tendance: l'école devient une garderie où la simple présence devient garante d'une réussite pour l'élève.  Et bizarrement, l'école sans souci de l'apprentissage devient une prison, car, quand on y pense, c'est venir faire du temps. On venait juste d'obtenir de remettre les connaissances au programme d'évaluation, qui allaient objectiver un peu le processus après l'époque de l'évaluation subjective des compétences, qu'on  revient de l'autre côté démolir ce critère avec une pression sur les moyennes  des profs.


Quand on connait l'ado moyen, on sait que s'il se voit passer avec moins qu'un minimum d'effort, il ne va pas en fournir plus. Ne pas laisser les enseignants tranquilles de définir avec les faits dont ils sont témoins ce qu'est un minimum acceptable est une dérive à mon sens préoccupante. Il y a des jeunes qui n'ont pas un  minimum en orthographe ou qui se foutent d'au moins mettre de l'effort à faire des apprentissages dans le volet structuration de texte ou d'améliorer leur syntaxe et ponctuation pour compenser. Bref, ils ne se mettent même pas en projet d'apprendre quoi que ce soit. S'ils sont nombreux dans une même classe, on devra les laisser passer selon l'esprit de ces conventions de gestion. Bref, fermer les yeux, ne pas voir des fautes, ne pas voir le vide des acquisitions trop souvent évident dans les copies que nous corrigeons. On vient du coup dévaloriser tout effort  que les profs peuvent mettre dans la valeur des objectifs d'éducation. Une faute, bof.... Trente fautes, bof!, cinquante? même bof. Bref, on ne va pas lire les copies et mettre « Excellent!» en marge et la question est réglée! Cette approche est professionnelle? Bofffffffffffffffffffffffffffffffffffffff!

J'ai vu des directions adjointes me dire il y a quelques années ce qu'était une bonne moyenne quand j'ai remplacé une enseignante en congé dont les moyennes étaient basses, puis ailleurs quand je devais tenir le fort dans des groupes multiniveaux. La gestion des résultats existent depuis longtemps avec les précaires qui doivent quelque part assouplir leurs principes pour espérer  avoir leur place. La permanence donnait au moins l'occasion de ne pas être inquiété par le premier adjoint venu. Mais bon, on montait souvent les notes par dessus la tête des profs en fin d'année et, surprise, le dernier des idiots montait de degré l'année suivante!

Mais les adjoints et les directions devaient avoir mauvaise conscience, voilà longtemps qu'on rêve de régler le problème à la source!

Bref, si l'école avait encore un sens, elle franchit les derniers pas pour en perdre le peu qu'elle avait.

Tant qu'à faire,  beau moyen de pression, on fait du zèle dans la gestion des résultats! Ce sera un moment historique: tous les élèves d'une province auront 100% dans une étape. Que des profs excellents! Que des élèves qui réussissent!  Tout le monde sera aux anges! 

Qu'est-ce que tu fais dans la vie? - Je suis Bof au secondaire!

mardi 15 février 2011

Les difficultés de la différenciation pédagogique: l'influence légitimante du groupe

 Partant de ma situation d'enseignement dans un environnement très particulier, je m'interroge ici sur le concept de différenciation pédagogique dont j'observe les limites même dans des groupes hétérogènes (en terme de capacité) inférieurs à 10 élèves.

 La différenciation est une de ces grandes idées  de la réforme qu'on nous bassine ces dernières années. En fait, c'est devenu un argument de type massue et cloueur de bec quand on soulève le problème d'avoir des groupes trop hétérogènes qui se composent notamment d'élèves en difficulté, mêlés avec des élèves moyens et quelques doués. On n'a qu'à différencier notre pédagogie: offrir à chacun des élèves selon leurs besoins une démarche appropriée à leurs capacités ou niveaux d'apprentissage. C'est une idée fabuleuse dans le principe qui se cogne pourtant à la réalité naturellement normative des groupes. Le fait de faire partie d'un groupe influence notre perception, nos croyances, notre jugement.

Même si ce n'est pas le principal point de vue que j'entends illustrer ici, je passe en revue les problèmes nettement évident d'organisation et d'application de faire faire en même temps divers travaux ou démarches au sein d'un même groupe surtout s'il a la taille normale d'une trentaine d'élèves au secondaire. Il n'est absolument pas simple de mettre en branle plusieurs activités parallèles dans une classe et d'accompagner les élèves de manière significative surtout s'ils ont besoin de beaucoup de soutien. L'idée suppose d'offrir une panoplie d'activités adaptées au besoin de chacun, d'offrir en classe un soutien à chacun et des moyens, des démarches différentes qui supposeraient une certaine capacité d'autonomie des jeunes d'avancer dans des projets plus personnalisés. Je doute que ce soit praticable la plupart du temps.On a une capacité limitée d'ubiquité chez les humains, comme chacun sait... Et l'autonomie à l'intérieur d'un groupe est aussi fort peu évidente.

On dirait qu'on calque une vision des choses qui ressemblent à celle du monde du travail. Dans une entreprise ou sur un chantier, plusieurs personnes travaillent parallèlement à un projet. Or, la plupart des travailleurs ne sont pas vraiment en apprentissage, mais en adaptation à la tâche, puisque normalement, ils ont une formation ou une expérience déjà acquise des tâches qu'on leur confie. Au pire, quelques novices sont «pairés» avec des seniors. Et tout ce beau monde est sous supervision de chef d'équipe. Pour avoir travaillé un peu dans ce genre de milieu, je sais que juste pour coordonner  l'action de travailleurs expérimentés, on a habituellement moins d'une dizaine de personne sous la dépendance d'un chef d'équipe.

On demande aux profs, avec la réforme, de mettre une trentaine de novices, en apprentissage, dans des projets où chacun va développer ses talents pour une contribution collective sous la supervision d'un seul chef d'équipe. Il y a de quoi, quand on met ces deux mondes en parallèle se poser quelques questions sur le caractère réaliste de cette vision de l'apprentissage dans une pédagogie de projet, dans l'esprit d'une pédagogie différentiée.


Non, ici, je veux m'arrêter à une observation de la psychologie de l'apprenant dans le contexte scolaire courant qui fait des apprentissages par des activités au sein d'un groupe. C'est une occasion de vous parler un peu d'un contexte différent d'enseignement souvent déroutant qui, soyons honnête, n'obtient pas vraiment des résultats conséquents. Les jeunes des premières nations sont assez rares à faire plus qu'aller échouer une session au cégep avant d'abandonner leurs études et ce destin ne concerne qu'environ 10% des élèves, les autres vont abandonner avant. Les profs sont, il me semble, aussi compétents qu'ailleurs, mais ici, étant donné le contexte culturel, on ne peut pas mettre franchement de pression sur les jeunes pour les pousser au dépassement et, en fait, il est de bon ton dans la communauté de s'opposer à la culture dominante. Dans une communauté isolée, c'est peut-être pire qu'ailleurs.  Le français est une langue seconde qu'ils ne parlent qu'à l'école. Ils s'intéressent timidement ou très peu au monde complexe qui les entoure qui n'est pas beaucoup compris par ces populations.  Enfin, la culture de ces gens conditionnent beaucoup le rythme de l'école. Rien ne presse.  S'organiser à la va-comme-je-te-pousse, on a le temps, est la norme. Les absences sont banales, la discipline est un jeu sans vraiment de muscles. Bref, les jeunes ont bien du pouvoir dans leur dynamique avec les enseignants... pour leur malheur, en terme de perspectives. N'empêche que je côtoie des ados comme j'en ai vu ailleurs qui aiment prendre leur aise quand on leur en laisse la chance.

Puisque nous travaillons donc en général en éducation avec des groupes,  l'impact qu'à l'entourage sur l'investissement dans ses apprentissages par un jeune est assez important.  Et la taille du groupe ne semble pas avoir trop d'effet. J'ai la chance de travailler dans des groupes de très petites tailles. Je croyais pouvoir mieux différencier dans ce contexte mes interventions.  

Cependant, je le vois, même en petits groupes, même avec des groupes qui fluctuent tous les jours, on ne peut pas généralement faire faire un travail supplémentaire ou d'enrichissement à un élève plus doué pour le stimuler et davantage le préparer à affronter éventuellement des études post-secondaires pour la simple raison que finir son travail plus tôt et recevoir un autre travail à faire pendant que les autres finissent leur travail est reçu comme un surplus. Pourtant, dans mon esprit, l'élève plus rapide ne ferait que recevoir le nécessaire pour lui donner une formation juste régulière plus complète. En général d'ailleurs, les éléments brillants, pour s'éviter ce genre de situation, vont même jusqu'à perdre délibérément leur temps pour ne pas trop finir d'avance. Bref, le rythme du groupe n'est même pas tiré par l'avant par les plus forts et c'est souvent le plus faible maillon qui donne le rythme. Et il est désespérément lent, je vous l'assure.On le voit, ici l'influence du groupe crée une norme sur ce qui est normal de donner comme investissement dans son travail d'apprentissage, le jeune s'en réfère aux activités que tous font, mis au programme par l'enseignant limité par le rythme lent de production des travaux. L'idée de se développer individuellement pour un but lointain personnel, pour mieux se préparer à des études ou une orientation professionnelle encore indéfinie, la plupart du temps, est vraiment une vision difficile à faire comprendre à ces jeunes pourtant plus talentueux. De toute façon, les adolescents ont bien des tâches en marge de l'école ou des problématiques de vie ou des loisirs qui les animent et les développent en marge de l'école, il ne faudrait pas l'oublier.

On n'en sort pas, ici comme ailleurs, les jeunes considèrent que le travail donné au groupe est le cours, ils ne ressentent pas le besoin intrinsèque d'apprendre plus. Quand ils ont fini, ils profitent du répit, ils se divertissent, vont peut-être lire s'ils aiment la lecture. Ils considèrent de leur perspective qu'ils ont fait ce qu'il y avait à faire. Il n'y a pas de référence pour légitimer une norme plus exigeante et, comme je l'ai dit, il est délicat de mettre de la pression ici. Et dans un de mes groupes, la pression des jeunes va même plus loin, j'assiste régulièrement au «boycott» pur et simple de l'activité quand ils jugent qu'elle ne les intéresse pas. Ces jeunes n'ont pas développé la vision d'une norme extérieur qui va les propulser plus loin. Ils demeurent dans leur petit monde de besoins primaires à satisfaire et j'avoue que souvent je ne sais plus où donner de la tête pour trouver une manière de les faire avancer malgré eux vers l'idéal d'une certaine éducation.

On pourrait croire que cette attitude d'attendre que les autres finissent et de profiter de son avance pour relaxer est celle des jeunes des communautés, sauf que je me souviens avoir eu à une autre époque la même attitude et puis, j'ai vu cette attitude pratiquement partout où j'ai enseigné. J'ai fait mon secondaire avec cette attitude aussi dans de bonnes classes et vu que je travaillais rapidement et finissait souvent avant tout le monde, quand je ne donnais pas un coup de main au voisin qui en arrachait (c'est comme ça qu'on devient des fois prof sans s'en rendre compte), je profitais de mon temps libre pour investir d'autres types d'activités que les apprentissages scolaires. Des profs ont essayé de me stimuler par des travaux supplémentaires, mais je n'avais pas une motivation intrinsèque nécessairement pour lire, par exemple, un ouvrage de Carl Sagan, parce que le prof de biologie me le proposait. En fait, je me satisfaisais de simplement faire mon travail rapidement en atteignant un niveau de contentement remarquable par rapport à ce que j'observais autour de moi. Je constate que les jeunes de mon temps et d'aujourd'hui sont toujours pareils sur ce point. Je ne sais pas si les adultes sont si différents en fait. Certains aiment en faire plus, d'autres juste ne pas se faire remarquer, tandis que d'autres s'en balancent éperdument.

Pour en ajouter, en janvier, un nouvel élève est entré à l'école. C'est le fils d'une enseignante. Bref, il a fait 4 ans dans un  programme d'école internationale. Il est fort équipé en terme de culture générale et de capacité de travailler. Sa mère s'inquiétait de le faire entrer dans notre école à cause évidemment de la barrière ethnique, mais aussi parce qu'elle était au courant que le rythme d'apprentissage qu'on peut faire faire ici est très lent. On a évoqué de différencier et de faire faire au jeune des travaux supplémentaires pour s'assurer qu'il verrait l'ensemble des éléments du programme. On a naïvement même pensé qu'il pouvait tirer le groupe vers l'avant en donnant un autre rythme.

Résultat: le jeune est présent à l'école moins d'une journée sur deux, il a disparu une semaine récemment pour aller vaquer à sa vie. Il a vu en une semaine que les jeunes autour de lui étaient tellement lents qu'il pouvait se la couler douce, que de toute façon ici manquer la moitié de l'année, en autant qu'on fait les examens et qu'on peut les réussir, on peut tout à fait s'en tirer. Il a une faculté d'adaptation fabuleuse et il s'est intégré à l'école rapidement et en a compris la dynamique. Bref, il en profite non pas pour avoir une formation personnalisée et poussée qui, dans le contexte,  serait tout à fait praticable à cause de la disponibilité des profs qui ne sont pas surchargés, mais pour profiter de la situation pour investir dans les aspects privés de sa vie et non scolaire: la musique, être plus souvent avec sa nouvelle petite amie qui habite un village lointain! Et malgré tout, il est ici, à voir ses productions écrites, dans une catégorie à part. Les tournures de phrase, le vocabulaire, la capacité de faire des liens subtilement et de façon personnelle lui vient naturellement. Il expédie un peu le tout en orthographe, mais, encore là, ce ne serait rien de polir le tout s'il s'en donnait la peine. Bref, parti une semaine, il me revient avec son roman lu et son travail d'analyse fait à quelques détails près. Il n'est pas du tout en retard! Bref, il se perçoit nettement au dessus des attentes dans ce contexte et il n'a pas tout à fait tort. Comment de fait légitimer une vision hypothétique de dépassement qui n'a pas de réalité ici pour l'inciter à aller plus loin? Ici, il est le meilleur avec un effort mesuré pour ne pas dire assez minimum.

Malgré les particularités tout à fait exceptionnelles de ce contexte scolaire, je crois qu'on peut tirer quelques enseignements sur la psychologie de l'apprenant de ces quelques observations. Différencier la pédagogie dans la vision utopique que les jeunes sont autonomes et tirés par un besoin de croissance et d'apprentissage dans le monde scolaire est une vue de l'esprit à mon sens. L'école offre une formation de base qui n'a pas trop le choix de s'adapter au contexte social où il prend place, car les attentes de formations n'acquièrent de réalité qu'en rapport avec le groupe d'appartenance au sein d'un certain contexte social pour le jeune. Chez la plupart des humains, on juge sa position en fonction de ce qui nous entoure bien avant un quelconque idéal . Quand il n'y a pas de pressions, d'exigences, de nécessité de travailler plus pour réussir, la plupart des jeunes vont dans le contexte d'un groupe se juger adéquat de faire le minimum demandé officiellement qui est toujours quelque part influencé par le contexte. Ils vont mettre le reste de leur énergie ailleurs dans leurs loisirs et leur vie privé.

Et en fait, j'ai commencé à vraiment me sentir poussé ou tiré à l'école et à m'y intéresser quand je me suis retrouvé au cécep avec des groupes dont le rythme de travail pouvaient être plus poussé et où, à l'époque en tout cas, on se foutait d'avoir des  masses de jeunes qui échouaient. Les profs pouvaient tirer les jeunes plus loin sans ce genre de soucis. La norme n'était même plus la moyenne, mais celles que mettaient devant nous le prof. Il y a telle travail à faire et c'est ainsi. Un masse critique pouvait réussir et légitimer ces exigences, si tout le monde avait échoué, il est clair qu'on aurait révisé les exigences. D'ailleurs, c'est bien ce qu'on semble faire de plus en plus à tous les niveaux.

Quant au maillon le plus faible, dont je ne parle pas beaucoup ici, disons que l'enjeu est souvent de davantage le supporter dans la réalisation de ses tâches pour qu'il finisse et qu'on passe à l'activité suivante, car, dans un très petit groupe, on ne peut pas faire valoir une norme de rythme aussi simplement que dans de grands groupes. Quand 20 élèves ont terminé dans une groupe de trente, on peut légitimer avec cette masse critique qu'il y a eu assez de temps donné. Dans un groupe de 8, les gens semblent plus solidaires, s'il en reste trois qui ont besoin de temps, le groupe va finir par les attendre pour relaxer. Quand le groupe en a moins de 5, on attend pratiquement tout le monde. Le prof peut difficilement aller contre cette dynamique naturelle sans générer un lot appréciable de résistance ouverte ou passive. Dans un système non autoritaire, on travaille fort donc à faire avancer son maillon le plus faible! On est loin de l'esprit de la différenciation pédagogique, je vous l'accorde.

Dans notre situation, une façon de se sortir de la variable groupe qui tire vers l'arrière serait peut-être, pour casser la variable petit groupe très solidaire, d'élaborer un programme individualisé prédéfini que tous vont traverser à leur rythme avec des travaux très précis à faire. Là, certains verraient un  intérêt à faire leur année plus vite peut-être, mais ce n'est encore même pas certain.

Faire de la classe une chaine dont il faut s'occuper du maillon le plus faible n'est pas la perception la plus productive à stimuler à mon sens. On a besoin de normes extérieures: des examens standardisés nationaux qui poussent au dépassement, raisonnables dans leur exigence offriraient sûrement plus d'aide pour casser la tendance naturelle dans une groupe à voir nos sorts interdépendants.  Quand on s'occupe trop du maillon le plus faible, j'ai l'impression vive qu'on renforce cette tendance d'inertie du groupe. Quand un groupe solidaire progresse dans un environnement potentiellement hostile, s'attendre prend un certain sens. En a-t-il toujours quand on tente de pousser des individus à développer du pouvoir personnelle pour permettre l'émergence d'équipe un jour dont le maillon le plus faible sera moins handicapant? Pourquoi l'école tient tant à renforcer la dynamique de groupe d'entraide si c'est pour contrecarrer la possibilité de développer le talent utile de plusieurs? Encore là, je parle d'une réalité tenace qu'on ne manquera pas de remarquer si on lui prête attention.


Bref, cette situation limite que je vis avec mes jeunes d'un autre monde m'interrogent sur plusieurs orientations que nous avons prises dans notre système d'éducation. Je continue de chercher comment mieux aider à faire avancer mes jeunes. Et je me demande si parfois il ne faut pas parfois sacrifier. Ici, l'esprit de groupe est fort, difficile d'aller contre, mais ailleurs?