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samedi 12 novembre 2011

Quand on oublie la réalité...

Mollesse en évaluation

Ces dernières années, avec la réforme, qu'on traine toujours dans notre sillage, nos jeunes ont été habitués à la mollesse des évaluations. Nous sommes encore sous l'empire des grosses situations d'évaluation qui s'étirent sur deux semaines avec des tâches complexes à mener. Bref, au secondaire, BIM, la banque d'instrument de mesure bien connue, naguère florissante, ne produit plus grand chose d'exécutable dans un format d'examen. Les méthodes d'enseignement, dépendant qui les a choisies dans les années que vous n'étiez pas là, à la sauvette en mai, par on ne sait qui, quand il ou elle avait d'autres chats à fouetter, sont souvent navrantes aussi.

Le prof débordé a rarement le temps de faire de bons instruments pour vérifier les acquisitions de ses jeunes, mais surtout on a perdu l'art de mobiliser les troupes vers des objectifs d'examens. D'ailleurs, y a-t-il encore des sessions d'examens régulières? On s'épargne la complexité d'organiser la chose assez simplement de nos jours en oubliant tout le profit qu'on peut en tirer. Évidemment, les raisonnements tordus des hérauts de la réforme ont bien travaillé à saper notre capacité d'éduquer les jeunes en torpillant ces pratiques, comme  tous les affreux instruments de «bourrages de crânes» du genre.

Néanmoins, je pose la question: comment évaluer les jeunes sans un format qui ne permet pas la triche ou les faux-fuyants? Ces dernières années, combien de fois je devais évaluer mes jeunes dans mes deux compétences fondamentales (lecture, écriture) en français sans vraiment avoir un espace significatif pour le faire. Quand les productions écrites s'étirent sur plus d'une semaine, de cours en cours, avec toutes les possibilités d'avoir un coup de pouce d'amis dans une atmosphère difficile à cadrer aussi longtemps avec le sérieux que cela requerrait, quand l'examen de lecture aussi s'étend sur plusieurs périodes, franchement, comment peut-on prétendre être sérieux en évaluation?  

Une question de crédibilité

Comment nos jeunes peuvent-ils trouver crédible l'école qui leur permet aussi facilement de s'en tirer en ne foutant à peu près rien?

Peut-être vos jeunes ont-ils à voir avec ceux que j'ai devant moi cette année. Même si je suis dans un petit milieu, qui souffre d'être en région éloignée, qui a de la difficulté à recruter  des profs qui vont rester, qui en trouve souvent mais avec un niveau d'éthique professionnel plutôt discutable, mes jeunes ressemblent à trop de jeunes que j'ai vus aussi dans les grandes et petites villes. J'ai beaucoup d'ados qui s'en foutent.

Les travaux clones

De jeunes habitués de  ne rien faire, et quand je dis cela, je dis «rien» ou tout comme, et qui se contentent de copier les exercices demandés, les devoirs, à se faire faire des travaux par l'ami(e) qui a un peu de talent. On reçoit souvent des travaux qui ont le don de se ressembler. Dans mes classes très petites, ça devient assez frappant, je me suis amusé à noter dans la copie d'un élève de secondaire trois tout ce qu'il avait copié sur le travail des autres dans un travail de compréhension de texte en classe. Quand le jeune copie à la lettre aussi les fautes d'orthographe typiques  des autres élèves qui ont vraiment fait le travail, il n'y a pas de doute. Le jeune ne sait probablement rien faire de lui-même. Il n'a, en tout cas, rien tiré de l'exercice. Je pouvais lui dire où il avait copié telle suite de numéros, puis sur qui il s'était «inspiré» pour ces autres numéros et, enfin,  une fois établies ces sources providentielles, il ne restait que les numéros dont il m'avait tété les réponses. Sur les 5 élèves qui «avait fait le travail», deux l'avait vraiment fait, les 3 autres avait copié 80% de leurs réponses. Les réponses étaient clonées sans même prendre la peine de corriger les fautes! J'ai commencé à inscrire des notes sur les travaux qui ressemblent à ceci: 40 points copiés sur 48. Ou 42/48 dont 40 points copiés.

Ce n'est qu'un exemple, mais c'est ici pour beaucoup de mes groupes la seule façon qu'ils connaissent de faire de l'école. Ils viennent jaser, socialiser, s'absente aussi très souvent, ils attendent que l'amie fasse les travaux et, d'une manière des plus efficace, ils produisent finalement en retard leur ouvrage. Évidemment, à l'ère du respect du rythme de l'élève, on est un peu coincé et obligé de laisser souvent faire ce genre de chose.

J'ai aussi d'autres élèves ici qui attendent en espérant qu'on les oublie. Qui ne font tout simplement pas les travaux, ou qui promettent de les faire. On ne voit pratiquement jamais la couleur de leurs travaux. Ces jeunes ont compris que l'école fait des évaluations sommatives vers la fin des étapes et qu'ils arrivent toujours à tricher un peu et à se tirer avec des notes sur le bord de 60 et que les profs ont du mal à les sanctionner dans ces situations.

Pire, mes jeunes m'interrogent en examen pour que je leur explique la matière comme si c'était tout à fait normal. Et me font de gros yeux quand je leur dis que l'heure des explications est terminée, que j'évalue leurs apprentissages et non les miens que je sais valables! Il est sorti cette semaine dans une entrevue avec l'éducatrice que les élèves sont habitués à des profs qui leur payent souvent le café et qui leur donne des réponses en examen.

On part de loin. On atteint des sommets ici. L'année dernière, mes jeunes étaient fainéants, mais avec le petit système des travaux, qui tous comptent, consignés à faire au mur, ils s'étaient au  moins mobilisés. Ici, depuis le début de l'année, j'en vois beaucoup afficher l'attitude cause-toujours-tu-m'intéresses quand je leur rappelle comment j'évalue. Il ne me crois pas. L'école, ici, a toujours été une récréation permanente ou une garderie scolaire à peine déguisée et moi, Jo Blo, sorti d'on ne sait où, je prétends vouloir changer cela!

Une session d'examens

Bref, manquant de temps pour faire mes évaluations dans les grilles horaires habituelles parce qu'on m'a sorti pour un comité pendant une semaine dans le cadre de mes fonctions à trois semaines de la fin d'étape, j'ai proposé à l'équipe avec une autre enseignante avec qui je suis de mèche de faire une session d'examens. J'ai dû l'organiser, mais on a pu la faire.

Résultat: franchement fascinant. Le directeur, n'en revenait pas cette semaine de voir ces jeunes aussi tranquilles en train de faire leurs examens. Certains jeunes aussi n'en revenaient pas.  Le plus beau de l'affaire, c'est le prof qui prend des jeunes en cheminement particulier qui a fait aussi des examens et qui a battu des record d'assistance: les jeunes, ceux qui ne fonctionnent pas dans les classes régulières, voulaient faire leurs examens!

L'avantage d'une session commune d'examens en plus, c'est que les interventions des profs sont publiques si on a pris la précaution de mettre un surveillant qui n'est pas de la matière en classe. On contrecarre les excès de complaisance. Je me suis même permis d'influencer les collègues en leur donnant les petites formulent chocs qui me permettent de ne pas passer mon temps à niaiser avec les téteux: «Je veux pas savoir ce que je sais, je le sais déjà, mais ce que tu es capable de faire». J'appelle cela de la réalité-thérapie.

J'en ai travaillé un coup, avec mes 5 niveaux: 5 prétests de grammaire, 5 tests de grammaire,  5 cahiers de préparation de l'écriture, 5 documents pour la production écrite, 5 examens de lecture. En plus des sessions intensives de saisi de la sauce dans la semaine précédant les examens.

Mais, en corrigeant tout cela, je vois émerger la réalité claire, nette, incontestable. Je vois la jeune que je croyais douée, par exemple, n'être finalement que la bonne amie de l'autre élève vraiment douée. Les effets masquants sont découverts. Tel jeune que je déclarais être pas vraiment de niveau, l'est maintenant incontestablement.  Quand un jeune se tape 25  % à l'examen de lecture, 26 % à l'écriture, on a de quoi faire un rapport de la situation.

Et le stress d'évaluation, et leur «faire vivre l'échec»

J'ai vu un cas sortir de l'école pour un problème de santé, mais c'était trop avant la semaine d'examens pour être directement relié, pour cette jeune fille maladive.

Pour les autres,  j'aimerais parler de stress positif. Quand mes jeunes m'ont réclamé pour un cours où on m'avait retardé en raison d'une rencontre imprévue avec un parent, j'étais content de voir qu'enfin, l'approche de l'échéance faisait que plusieurs élèves s'inquiétaient de pouvoir avoir la dernière leçon ou répétition des notions clés avant les examens. Enfin, je les voyais mobilisés dans le bon sens.

Oui, ils sont anxieux de savoir s'ils ont «passé», mais quelle leçon de réalité!

Quant au faire vivre l'échec, je crois ici que pour beaucoup d'entre eux l'expérience de l'échec est une réalité à vivre urgemment. Parce qu'en ce moment, ils vivent sur une autre planète, ils sont dans le rêve, dans la prétention, dans l'intuition quelque part qu'ils sont en fait des faussaires, et dans l'absence de contrôle total sur leur apprentissage. Ils ne voit aucune relation entre leur travail et leurs résultats. Ils ont toujours été gavé de notes bonbons. Combien de fois, en les écoutant parler, je me surprends à m'inquiéter de leur absence de sens des réalité. Ils ne connaissent rien, mais font comme s'ils savaient tout.

Bref, j'ai mis mes jeunes devant la réalité, devant l'exigence. Et dans les semaines qui s'en viennent devant  la réalité que le seuil minimal à l'école ne s'obtient pas en ne faisant rien. Que l'école est véritablement un endroit dédié à l'apprentissage.

Compassion n'est pas complaisance.

Je vois trop de monde compatir pour nos jeunes. Pauvres petits pits, ils manquent de modèles masculins. Ils ont des vies si difficiles. Non, nos jeunes souffrent de ne pas avoir une école sérieuse, exigeante, encadrante, qui met devant eux des défis réels, qui poussent au dépassement de la paresse naturelle, qui permet de développer ses habiletés, parce qu'on n'a pas le choix de le faire, pour se rendre compte un jour qu'on a réellement appris quelque chose et que ces acquis ont valu les efforts. Éduquer, c'est canaliser l'énergie des jeunes vers l'apprentissage de connaissances de base et pour cela, nous avons besoin de processus qui ne laissent pas fuir cette énergie trop facilement. On a perdu le sens formateur des épreuves.

Quand des profs compatissent au point d'en perdre tout professionnalisme et de travestir l'éducation, je m'inquiète pour nos jeunes et notre avenir collectif. N'importe qui peut acheter la paix avec des bonbons. Mais ce n'est pas notre rôle d'éducateur d'agir ainsi. Nous avons certainement à comprendre nos jeunes et à accepter leurs réactions, ce qu'ils sont, leurs difficultés, à les écouter, jusqu'à un certain point, mais cela ne veut dire en rien être complaisant.


Je m'entends moi-même souvent me plaindre quand le travail et les exigences d'une conduite professionnelle m'imposent de longues heures de boulot et que je ressens la fatigue accumulée. Cela ne veut pas dire que j'en ai trop, ni que je ne trouve pas ce que je fais important. Cela veut juste dire que j'ai besoin de prendre du repos. Ce ne sont pas les exigences qui sont le problème, c'est la gestion de mes énergies. Nos jeunes aussi ont besoin de faire ces apprentissages pour un jour mener à bien les entreprises qu'ils auront à cœur de faire réussir.