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samedi 13 octobre 2012

Financement du privé ou la faute des autres

La nouvelle ministre de l'Éducation, Mme Marie Malavoy, menace ces jours-ci de retirer le financement aux écoles privées qui font de la sélection. Voilà une mesure qui provient d'une plate-forme de parti discutée dans un congrès avec laquelle la ministre se dit à  l'aise. Encore une fois, il m'apparait qu'on veut régler les gros problèmes de l'éducation à coup de raccourcis. Essayons d'y voir clair.

On peut lire dans Le Devoir son analyse  qui rejoint bien des gens et qui se traduit de manière évidente dans les résultats des examens du Mels:

«L’école publique a hérité de tous les enfants en difficulté. Notre régime privé, avec les modes de sélection qu’il a, fait en sorte que les élèves qui aboutissent dans le privé sont ceux qui ont de grandes capacités et peu de problèmes. Le poids sur le réseau public de tous ces élèves qui ne passeraient pas ce genre de sélection est énorme», a-t-elle noté.

Ce serait presque une vérité de La Palice si ce n'était que, franchement, l'école publique n'hérite en rien des enfants en difficultés, ce sont les autres qui la quittent depuis une bonne dizaine d'années.

Mais bon, les école privées peuvent dormir tranquille, car la révolution sera tranquille.

Déjà, dans l'article du Devoir, elle temporise ces propos: On souhaite d’abord les consulter. « Il faut être capable de mesurer l’impact [d’une telle mesure] et ce serait discuté avec les écoles privées. Mais elles le savent, a souligné la ministre. Dans la mesure où on donne 60 % de notre financement aux écoles privées, c’est un financement important, celles-ci doivent accepter tout le monde. Sinon, on paye d’un côté pour les meilleurs élèves et ceux qui ont des difficultés, on les a tous dans notre secteur [public]. »

Après 12 ans d'intégration massive des EHDAA dans la classe ordinaire et d'une réforme inadaptée pour les aptitudes moyennes des jeunes dans un cadre de groupe d'une taille qui ne permet pas de mener la pédagogie de projets quelque part, après une évolution des normes d'évaluation permettant de faire le déni général de la difficulté de la classe hétérogène, on veut s'en prendre à l'école privée qui a émergé pour répondre à un besoin des gens d'offrir à leur enfant une éducation correcte malgré les inconséquences du système public.

Tout cela a été assez voulu: intégrer les élèves en difficulté et nier autant que faire se peut les difficultés pour ne pas payer des services adaptés couteux. Faire une réforme pédagogique ingérable en classe hétérogène pour pousser les parents à se tourner  vers le privé pour donner à leurs enfants une éducation adéquate, même au prix de plusieurs milliers  de dollars supplémentaires alors que tous ces gens paient leurs taxes et que l'éducation est un droit reconnu dans notre société. Car, on aime oublier le fait que l'État sauve 40% de financement à ces élèves «qui ont de grandes capacités et peu de problèmes.»

Même les écoles publiques multiplient les programmes spéciaux, sous la pression de ces parents d'élèves qui croupissent autrement dans des classes ordinairement difficiles, pour se détourner de la fatalité et sélectionner les jeunes et offrir par exemple, le PEI (Programme d'études internationales) , des concentrations musique ou art, etc. J'ai fait des contrats dans deux écoles de filles, publiques, à Montréal. Si ce n'est pas de la sélection.

Malheureusement, l'école de quartier n'offre pas toujours l'alternative souhaitable pour nos jeunes dans le réseau public, et je suis de ceux qui se sont résolus à payer  le supplément nécessaire pour mon jeune doué qui passait son temps à lire des romans en classe parce que le rythme et la cacophonie ambiante ne le stimulait absolument pas. Pourquoi ai-je pu bénéficier en un autre temps d'une classe convenable dans le réseau public au début des années 80 gratuite et que je doive aujourd'hui payer pour offrir un environnement comparable à mon jeune?

Il faudra se rendre à l'évidence que l'on veut occulter à tous, à coup de drapeau idéologique, la nécessité de classement en éducation pour offrir de la qualité. La sélection pour faire des classes relativement homogènes qui permettent à l'enseignant d'humainement organiser des activités appropriées pour un niveau moyen de classe ne pourra être contournée. On en ajoute une couche, en reprenant le tabou de la sélection, quand  on reproche encore une fois à des organisations scolaires de faire un certain tri rationnel pour permettre d'offrir des services de manière intelligente. Tant qu'on s'acharnera contre l'intelligence au nom de beaux principes indiscutables comme ceux de l'inclusion à tout prix, on ne pourra pas régler les problèmes multiples qui inondent le réseau scolaire public et privé.

Avec toutes les pressions nouvelles qui s'exercent sur ce réseau, dont celle d'informatiser les pratiques, on n'est pas prêt de trouver un financement adéquat pour assumer intelligemment tous ces idéaux de société.

Non, ce n'est pas que le réseau privé soit subventionné à 60% qui est inacceptable ni qu'il fasse un tri dans la clientèle, c'est qu'une part de plus en plus grande des parents, d'une société qui a choisi d'offrir un service public et gratuit d'éducation à ses enfants, se voient encore obligés de payer d'importants suppléments pour permettre à leur enfant de se développer dans un environnement acceptable. Ce recours au privé rendu nécessaire pour tant de gens est le véritable scandale.

Mais bon, toujours plus de la même chose nous enferme dans une logique circulaire et ne résoudra rien.

Car, imposer une telle mesure aura l'impact prévisible suivant: comme mes parents n'auraient pas eu les moyens de couvrir les dépenses de 4000$ annuels pour m'envoyer dans une bonne école si l'école publique de naguère s'était avérée inadéquate, je ne pourrais pas , comme des milliers de parents qui ont fait ce choix de nos jours, payer la tranche de 60% supplémentaire qu'il sera nécessaire d'assumer pour garder mon enfant dans un réseau qui, pour le moment, lui offre une éducation convenable. Si l'école privée se doit d'arrêter la sélection, il n'y aura plus d'intérêt pour cette clientèle de débourser ce genre de surplus. Si le privé s'encombre des problème du réseau public, il deviendra bête de débourser pour y envoyer son enfant. Et ce sera la fatalité. Il n'y aura plus d'options et on maintiendra dorénavant la plupart des enfants dans le réseau public à charge de l'état à 100%. Bref, on peut prévoir une augmentation nécessaire et conséquente du réseau public de 40% pour cette frange d'élèves qui reviendront au public ou plus précisément resteront au public. Cette situation incitera, on peut déjà le prévoir, bien des gens à la «consultation»!

Mais  ne paniquons pas, pour ceux qui y sont déjà, rien ne va changer. On ne va pas les renvoyer pour faire de la place aux élèves en difficulté. Ce n'est qu'avec le temps que la composition pourrait en souffrir. Et que tranquillement, le réseau privé en croissance ces dernières années, qui est venu compenser les ratés du réseau public, va s'étioler.

Ainsi, pour le moment, on contente les critiques, on laisse à tous le temps de voir venir et à l'eau de couler sous les ponts et rien, encore une fois, ne va changer.

Au lieu de regarder l'ensemble du système public et de comprendre pourquoi tant de gens s'en détournent, on se contente donc de dire que c'est la faute des autres. Il y aurait davantage de maturité à bien réfléchir pour trouver comment rendre notre école publique plus attrayante ou simplement plus adéquate, car il me parait évident que personne ne paie 4000$/enfant chaque année pour rien!

Franchement, on n'est pas sorti de l'auberge!


2 commentaires:

Louise a dit…

J’ai également réagit aux propos de madame Malavoy en ce qui a trait à l’investissement du gouvernement dans le privé. Votre réflexion tant qu’aux impacts sur les milieux : l’incapacité de la classe moyenne d’envoyer ses enfant dans des établissements qui offrent un bon suivi; le retour de tous ces jeunes dans des classes bondées et hétéroclites… sont de bons arguments pour tous ceux qui croient comme vous, comme moi, qu’il faille d’abord, regarder la chose sur toutes ses facettes. Pour ma part, je suis pour une école publique qui peut offrir des alternatives. Je crois qu’on devrait redonner du pouvoir aux personnes qui travaillent dans les écoles et qui connaissent leur clientèle. Je suis assez fan de la pensée de Schumacher qui met en doute la productivité des grosses machines impersonnelles et qui croit en l’efficacité des gens dans leur milieu. Les écoles à vocations telles que Face en musique, St-Louis en théâtre… offrent aux montréalais une éducation hors-pair. Ces écoles sont le fruit de la réflexion des professionnels qui y œuvrent. Ça fonctionne. La commission scolaire Marie-Victorin souhaite prendre cette route. Mais elle n’a pas compris que ce sont les enseignants, leur direction ouverte qui réussiront parce qu’ils le veulent et non parce que cela leur est imposé. La seule vrai collaboration ne s’obtient que volontairement. Il faut que le système parte de la base, il faut qu’on lui refasse confiance.

Ce n’est pas normal qu’on soit, chez nous en tout cas, en attente de nos retraites et de moins en moins sincèrement impliqués. Je le répète, la vrai collaboration ne s’obtient que volontairement.

Jonathan Livingston a dit…

Désolé pour le délai, je suis sur la route! Et je modère les commentaires.

Je suis assez d'accord avec vous sans un esprit d'équipe, une direction adéquate et une vision porteuse, une école, dans l'ambiance actuelle, a toutes les chances de battre de l'aile...

Oui, les directives d'en haut ont fait bien du tord à l'école publique. L'empire des sciences de l'éducation aussi. Il serait temps qu'on examine tout ce malaise.

L'évaluation du renouveau (selon le projet ERES) nous le montre: majoritairement, un constat d'échec (http://enseignementefficace.blogspot.ca/)

On devrait revoir sérieusement toute cette expérience navrante au lieu de ménager les critiques qui hurlent le plus fort dans les bureaux du PQ.