Pages

mardi 31 décembre 2013

Pourquoi la ministre Malavoy et le MELS ne condamnent-ils pas les légendes pédagogiques?



À la question soulevée et rappelée par le Professeur masqué dans un récent billet, à savoir comment comprendre la réponse navrante de la ministre de l'Éducation à une pétition soumise à nos gouvernants pour interdire des pratiques pédagogiques douteuses et pseudo-scientifiques dans le milieu scolaire, voici un commentaire long qui reprend un peu l'histoire du «saccage» (je reprends le terme de PM) institutionnalisé de l'école moderne comme instrument de transmission d'un socle de connaissances et de savoir-faire essentiels préparant le citoyen à activement intervenir dans le processus démocratique et la société. Je rejoins le propos du Professeur masqué sur le fait que le MELS ne peut réprouver des pratiques du genre après avoir imposé une réforme dont les bases empiriques sont assez «discutables». Je vais un peu plus loin, ces bases sont même clairement de nos jours invalidées de tout bord par de multiples experts qui s'appuient sur les avancées certaines de la science documentée* et pertinente au domaine de l'éducation.

Le MELS ne peut réprouver ces techniques pseudo-scientifiques non validées pour leur utilité pédagogique, car il a lui-même imposé, contre un enseignement traditionnel et à travers de multiples réformes, des méthodes faussement scientifiques. Aucune science digne de ce nom n'a validé la supériorité de ces nouveautés imposées sur des pratiques pédagogiques plus traditionnelles qui, en plus, ont été pratiquement proscrites dans bien des cas. Pour changer les pratiques, on a en plus utilisé de multiples stratégies comme remodeler constamment, par exemple, le matériel didactique pour créer un maximum de confusion.

Les études en efficacité de l'enseignement montrent même depuis 40 ans le contraire de ce qui a été imposé sur le terrain dans un climat digne d'un sectarisme intransigeant basé sur le seul argumentaire des besoins de l'avenir et du progrès et sur la dévalorisation systématique et grossière d'une certaine tradition pédagogique qui évoluait doucement et non par mouvement révolutionnaire.

Comment est-il encore possible que le MELS ne réagisse pas à ces évidences très documentées sur l'inefficacité de ces propres prescriptions? Comment est-il possible qu'il ne s'inquiète pas de mesurer vraiment l'impact de ce qu'il a mis en œuvre?

Il faut peut-être revoir ce qui a été fait pour comprendre.

On nous a passé certains diktats: l'enseignement dans les contextes signifiants (ou fonctionnalisme) qui a, par exemple, relégué les «drills» en maths aux oubliettes et les «gammes» ou les analyses en grammaire; la nouvelle grammaire formelle et exhaustive des linguistes,  qui s'est révélée clairement expérimentale sur le plan pédagogique, qui a détruit, en créant une inconcevable confusion, tout espoir de transmettre efficacement au plus grand nombre l'intelligence de la langue écrite et, enfin, le nouveau paradigme de l'apprentissage qui pose l'élève au centre de ses apprentissages facilité par un enseignant devenu guide et animateur: approche par compétence, pédagogie de la découverte et par projet, intégration des élèves en difficulté en classe ordinaire avec le principe absurde et prétendument compensatoire de la différenciation pédagogique qui est ingérable et n'a aucun support empirique sinon que par amalgame avec les légendes pédagogiques des intelligences multiples de Gardner et les styles d'apprentissages.

Avec le renouveau, on a assorti cette réforme d'une révision des programmes qui prônent des approches conceptuelles laborieuses qui doivent être d'emblée abordées avec les jeunes dans une interdisciplinarité organisée de façon à faire émerger les hautes compétences transversales nécessaires au développement des citoyens et travailleurs de demain. Enfin, dernière intervention en liste, on nous a présenté la précision des programmes avec l'exercice d'établir une progression des apprentissages cohérente aux programmes proposés par la réforme et qui persiste à maintenir une approche pourtant avérée inefficace d'enseignement par les études comparatives comme le donne à voir de nombreuses méta-analyses et recensions de recherches de bon niveau publiées depuis une quinzaine d'années. Avec cette nouvelle bible des réformistes, nous nous trouvons dans l'ère du tout a été dit et donc inutile d'en discuter et concentrons-nous à enseigner (ce qui ne peut s'enseigner efficacement). Aussi, apparaissent, en tous cas, dans mon domaine, des balises d'évaluation plus claires en lecture, par exemple, pour atteindre des objectifs que l'on constate inaccessibles pour la plupart des jeunes de ces âges:  interpréter l'intentionnalité et la psychologie des personnages alors qu'on est souvent trop jeune pour le faire, réagir et justifier sans avoir une base en argumentation, porter un jugement critique en l'absence d'une culture générale et des domaines pertinents. Nous sommes toujours à vouloir prétendument faire en priorité développer les hautes compétences des experts de domaines, dans un passage du global vers le particulier sans passer par ce qui le permet: un socle de connaissances bien organisées en mémoire à long terme dans une progression souple du simple au complexe.

Par une révolution organisée des pratiques pédagogiques, on a dynamité ainsi ce qui faisait le socle des connaissances générales à faire intérioriser par les jeunes pour que le citoyen à venir ait en lui une représentation de départ stable de l'histoire, de la géographie, des sciences, du fonctionnement des langues et des mathématiques. Des représentations consistantes sont au fondement des méthodes qui rendent possible l'émergence d'un travail intellectuel véritable. On ne peut fonder une pensée mature sur une mémoire défaillante, insuffisamment et inadéquatement nourrie.

Quand on sait qu'on intègre les nouvelles connaissances en les associant à ce que l'on connait déjà, on comprend toute la puissance d'établir un socle de connaissances stables de départ pour chaque humain si on veut lui transmettre les conditions indispensables qui lui permettront de réfléchir par lui-même un jour et non de rester le pantin ébahi d'une machinerie visant son consentement ignare.

Mais,  les zélateurs du système ont dépeint  le socle comme un conditionnement de perroquet alors qu'il est pourtant le départ nécessaire de la pensée qui prend appuie sur la connaissance et peut alors un jour la questionner. En véritables dynamiteurs de l'organe de transmission des connaissances de nos sociétés modernes, l'école, ils ont scandé leurs mantras de novlangues dans les milieux scolaires à la manière des publicitaires ou de militants communistes, et mitraillé ainsi les pratiques d'acquisition des connaissances qui s'étaient développées de manières heuristiques dans les disciplines scolaires.

Je fais depuis longtemps l'hypothèse que le véritable et ultime conditionnement consiste à empêcher quiconque de s'apercevoir qu'il en est victime en ne l'outillant pas intellectuellement. On  a ainsi vanté l'inutilité de l'acquisition scolaire des connaissances générales parce que le Web offre maintenant toutes les connaissances voulues. Or, il est impossible de réfléchir adéquatement un domaine sans avoir une mémoire très développée par un long travail d'acquisitions, nous disent les sciences cognitives. Notre mémoire de travail ne peut alors réfléchir sans rapidement être débordée. En lançant les enfants dans mille et une activités en saupoudrant abondamment de terminologies savantes sans une préparation adéquate et sans se soucier de bien favoriser la mise en mémoire des connaissances, on fabrique l'ignorance à la chaine et le désintérêt pour les savoirs pertinents pour suivre lucidement et de manière critique la vie publique de nos sociétés complexes.
Ainsi, en lieu et place de l'acquisition des connaissances, avec la réforme et l'approche par compétence, on a prôné une théorie pédagogique des plus fumeuse d'acquisition des hautes compétences de l'expert. Or, aussi par les sciences cognitives, il est clairement établi que l'expert peut gérer mentalement des tâches très complexes parce que ses réseaux de connaissances sont bien développés en mémoire à long terme, ce qui lui permet de traiter l'information sans être débordée cognitivement et donc d'utiliser des processus cognitifs et métacognitifs plus élaborés. Mettre les jeunes constamment dans des activités qui leur demandent de gérer à la façon d'un expert leurs tâches ne peut donc se révéler être qu'une factice comédie qui les place dans une situation ingérable propre à encore plus les rebuter face au savoir selon le constat évident, que les sciences cognitives établissent aussi,  que ce qui nous dépasse et nous épuise nous lasse rapidement.
À observer le développement des sciences véritables et pertinentes au domaine de l'éducation dans les 3o dernières années, on se demande franchement comment on a pu en arriver à implanter une pareille révolution des pratiques sur la foi de prétentions idéologiques et peu fondées sur une compréhension validée de l'homme qui apprend. Quand on observe que ces changements semblent partout présents dans les pays de l'OCDE et que des organismes internationaux du même genre (des «think tanks» de la droite et des fondations dites philanthropiques largement financées par les fortunes de ce monde) en font la promotion, on se demande franchement si tout cela n'est pas l'expression finalement d'une science effective de manipulation des masses pour faire en sorte que l'éducation devienne une entreprise illusoire qui a l'apparence d'en faire sans jamais en atteindre ses finalités légitimes.
Une fois cette hypothèse posée, on peut concevoir qu'il est trivial de laisser aux intervenants faire les incantations pseudo-scientifiques qu'ils veulent avec les jeunes parce qu'ils sont pris dans un système qui ne veut pas donner à ces exécutants les outils effectifs de sa mission, qui même s'acharne à contrecarrer un enseignement efficace pourtant documenté sur la base d'études empiriques toujours plus nombreuses et convaincantes.


* Pour une clairvoyance des processus cognitifs pertinents au domaine de l'apprentissage et des limites qu'elles établissent pour l'enseignement aux jeunes, je ne saurais encore trop recommander la lecture du livre de Daniel T.Willingham, Pourquoi les enfants n'aiment pas l'école! Librairie des Écoles (2010) qui complémente celle des Légendes pédagogiques de Normand Baillargeon.
Jonathan Livingston

dimanche 15 décembre 2013

Comment intéresser les jeunes aux apprentissages de classe?




Le premier chapitre du livre de Daniel T. Willingham nous présente un premier principe qui peut s'avérer utile pour l'enseignant dans la préparation de ses cours et dans  l'action pédagogique sur le terrain.


«Par nature, les humains sont curieux, mais ils ne sont pas doués pour la réflexion; à moins que certaines conditions cognitives soient réunies, ils éviteront de réfléchir».

Quelles sont ses conditions?

Nous aimons réfléchir, «mais seulement à condition de rencontrer le succès».

Sans reprendre toute l'explication de ce spécialiste en psychologie cognitive et les multiples exemples (c'est l'intérêt de lire ce livre pour bien s'imprégner de ces connaissances), pour bien comprendre ce premier principe, je vais résumer à ma façon ( en faisant mes liens) son propos.

Nous avons un cerveau qui travaille surtout à interpréter ce qu'il voit et à adapter nos déplacements dans l'environnement. C'est une machine très efficace que nous peinons beaucoup à reproduire sur nos robots. Le résultat est presque toujours réussi, souvent instantané et obtenu sans effort.  Mais dans le domaine de la réflexion, nous sommes lents, limités, approximatifs. En fait, notre cerveau n'est pas fait pour réfléchir, mais surtout pour éviter de le faire. Réfléchir demande du temps, de la concentration (gros efforts), et son résultat est souvent incertain: on se trompe souvent et on ne trouve pas toujours la solution à un problème.

Alors comment faisons-nous pour gérer nos tâches complexes et intellectuelles? «Dès que c'est possible, nous nous reposons sur notre mémoire, car elle nous évite d'avoir à réfléchir».  
 Aussi nous automatisons la plupart des choses que nous faisons. C'est en mémoire. Mentalement, nous gérons ce que nous savons déjà faire la plupart du temps.

Si vous avez voyagé en pays étranger, méditez à l'aspect fatigant de cette activité pour vous imprégner de cette vérité. Sinon, pensez à tout ce que vous pensiez quand vous avez pris vos premières leçons de conduite et à l'évolution de cette activité dans votre vie.

Pourquoi en est-il ainsi?

Parce qu'on réfléchit dans un lieu mental limité que les chercheurs en psychologie cognitive appellent notre mémoire de travail. Les études montrent que nous sommes capables de jongler avec 7 plus ou moins deux éléments à la fois. Au-delà de ce nombre d'éléments, nous sommes débordés.

Bon, évidemment, vous vous dites peut-être: « mais je suis capable de lire des phrases, des bouquins compliqués, de donner un cours, je gère bien plus que 7 plus ou moins deux éléments» et vous avez certainement raison.

En fait, c'est possible grâce à une astuce que nos ordinateurs utilisent, nous avons une mémoire à long terme, une sorte de disque dur dans lequel notre conscience ou mémoire de travail est  efficace à aller chercher des infos utiles pour traiter l'information complexe que nous gérons pour résoudre nos problèmes ou faire ce que nous avons l'habitude de faire sans nous casser la tête. Aussi nous sommes capables de gérer des ensembles de données organisées («chunk»), que nous avons appris, déjà stockés donc en mémoire. C'est ce qui nous permet de lire des phrases sans se prendre le chou. Ainsi, on retient plus une suite de mots présentés dans une phrase compréhensible pour nous que dans un désordre syntaxique sans signification. Évidemment, notre mémoire de travail est aussi en lien avec notre environnement dont elle sélectionne les aspects que nous devons traiter sans nous déborder non plus.

Bref, quand nous lisons ou nous avons des problèmes, nous consultons en permanence notre bibliothèque mentale, sans nous en rendre compte, qui est remplie de connaissances et de techniques ou procédures déjà apprises pour venir à bout de nos tâches ou de nos problèmes.
Bon, on aura compris que l'école doit servir à remplir un peu cette bibliothèque, de ce que la vie normale n'arrive pas à donner simplement. Car évidemment, cette bibliothèque se remplit aussi de façon fort naturelle, on s'en doute par l'expérience des situations de vie que nous traversons.
Pour nous éviter de réfléchir, le cerveau change et emmagasine des informations, des façons de faire, les adaptations que nous réussissons tout au long de notre développement et de notre vie.
«À force de répéter des actions complexes qui demandent de la réflexion, nous n'avons plus besoin de réfléchir. Notre cerveau s'ajuste et s'habitue.» En d'autres mots, on apprend.

Paradoxe

On évite de réfléchir la plupart du temps parce que nous ne sommes pas très efficaces à le faire, mais aussi nous aimons réfléchir, car nous sommes curieux. Nous nous intéressons constamment à plein de petites choses que nous ne connaissons pas. En fait, la vie nous donne des problèmes à résoudre constamment, des petits défis comme de gros par moment, et nous aimons les relever dans certaines conditions: pourvu que nous puissions les résoudre au moyen d'un certain effort juste assez intense. Nous aimons réussir des défis à notre portée.

Si c'est trop compliqué pour nous, la curiosité diminue. J'imagine même qu'il faut aussi voir l'implication suivante: si nos problèmes sont importants et nous dépassent, nous devenons débordés et puis fatigués, enfin déprimés.

En somme, nous cherchons souvent des occasions de faire travailler nos neurones. Nous nous adonnons même à des jeux complètement inutiles pour garder  nos neurones en action. Nous nous intéressons à plein de choses inutiles comme la vie des gens riches et célèbres, des sujets sans rapport avec nos vies ou qui ont des rapports immédiats avec elle. 

Pourquoi?

Il y a des évidences en neurosciences qui montrent que lorsque nous résolvons des problèmes qui demandent un certain effort, nous obtenons une récompense biologique qui est en fait une drogue naturelle: la dopamine.  Bref, on se drogue à réussir des défis ou comprendre des choses qui nous demandent un certain effort en respectant deux conditions, il faut réussir, il faut avoir fait un certain effort (un travail).

Voilà comment comprendre finalement pourquoi des gens aiment se compliquer l'existence ou deviennent des intellectuels, ils se «shootent» à mettre des efforts à réussir des défis intellectuels.
On peut comprendre également que des gens deviennent amorphes et s'ennuient à manquer de défis dans leur vie.

On peut comprendre que le fait de ne pas réussir est frustrant, car en plus de ne pas avoir notre dose biologique espérée, nous avons perdu notre temps.

Bref, nous développons probablement nos intérêts dans des domaines susceptibles de nous donner des doses de dopamine régulières. Là où on relève des défis qui sont réussis ou qu'on espère réussir.
Bon, j'imagine que les mécanismes qui nous poussent à agir ne tournent pas seulement sur la gratification d'une réflexion réussie. Nous répondons à d'autres besoins: manger, dormir, nous sentir en sécurité, le plaisir de bouger, etc.

Mais pour l'éducation, c'est ce mécanisme libidinal qui peut certainement servir de levier.
Bref, «ce qui nous pousse à fournir un effort intellectuel, c'est la promesse de ressentir la satisfaction de la découverte de la réponse», c'est l'estimation que «notre effort intellectuel sera récompensé par la satisfaction que suscite la résolution d'un problème. »

J'avoue qu'en ce moment, j'aime assez méditer à toutes les implications de cette réalité et au comment utiliser ce principe pour bonifier ma pédagogie.

(Résumé personnel et encore incomplet du premier chapitre de
Daniel T. Willingham, Pourquoi les enfants n'aiment pas l'école! La Librairie des écoles (2010))

A Suivre!

vendredi 13 décembre 2013

Pourquoi les enfants n'aiment pas l'école?

Depuis 15 ans que je suis dans le métier, j'en ai entendu des niaiseries et j'en ai aussi lu!

Mon cours de psychologie cognitive était loin dans ma casquette, mais il en restait toujours des traces qui me faisaient douter des âneries du monde de l'éducation.

Pour faire changement, je suis en train de lire ce livre plus qu'intéressant, écrit par un expert en psychologie cognitive, David Willingham, enfin il est professeur à l'Université de Virginie. C'est un livre écrit à l'intention des enseignants sur le fonctionnement de notre cerveau et ses implications pour l'apprentissage.


Capitaine Hurlevent disait chez le Profquifesse qu'il achèterait 1000 Légendes pédagogiques pour moins expliquer ses refus de faire des projets avec les collègues. Moi, j'achèterai 85000 Pourquoi les enfants n'aiment pas l'école pour en donner un à tous les profs de la province. On arrêterait-tu d'en dire des niaiseries? Peut-être moins, en tout cas! Lecture obligatoire pour l'establishment des Sciences de l'éducation et nos amis du MELS.


C'est un livre qui nous explique avec bien des exemples comment fonctionne la conscience qui réfléchit (mémoire à court terme), emmagasine les informations, les traite et qui apprend. Il fournit des pistes pratiques pour l'enseignement et défait un bon nombre de mythes pédagogiques aussi en apportant surtout beaucoup de nuances, ce qui rend son exposé fort intéressant. D'ailleurs, on dirait qu'il a écrit son livre en essayant de respecter les principes qu'ils nous expliquent!


Je pense que si on prenait les deux livres, celui de Willingham et celui de  Baillargeon, qu'on ajoutait aussi n'importe quelle synthèse des recherches sur l'efficacité en enseignement (Hattie, par exemple) et qu'on passait en revue notre beau Programme de formation de l'école Québécoise et qu'on y enlevait tout ce qui ne devrait pas y être pour le salut de nos enfants, parce que sans fondement ou carrément erroné. Ben, j'ai l'impression qu'on serait bien obligé d'en réécrire un... Car, il ne resterait plus grand-chose. Maudit que nous sommes dus pour passer à autre chose!


Bref, il faut enseigner des connaissances, les connaissances générales permettent la compréhension en lecture qui est automatique quand le cerveau peut faire un sens avec ce qui est stocké en mémoire à long terme (le Nirvanet, les connaissances disponibles sur Internet ne servent pas trop à nous faire réfléchir efficacement); il ne faut pas avoir peur du par coeur quand c'est utile; apprendre, c'est faire et refaire, s'entrainer quoi. Ce n'est surtout pas penser que les jeunes peuvent penser et faire comme un expert (si on veut qu'ils apprennent quelque chose en tout cas). Les experts ont commencé par être des amateurs. Préparer une tête à penser, c'est surtout lui faire automatiser bien des processus pour dégager la mémoire de travail. Il faut au moins dix ans dans un domaine pour devenir un expert. La métacognition, la tête pleine ou débordée, c'est absurde et plate! Il est difficile d'approfondir et de faire approfondir la compréhension, de passer du concret que l'on connait à l'abstrait qui résume ou unifie beaucoup de situations qui obéissent à une règle ou une loi; nous restons le plus souvent dans des processus de compréhension de surface, idéalement il faut donner beaucoup d'exemples pour permettre l'éclosion de la pensée plus profonde; il faut pour cela surtout ne pas s'enfarger dans les détails à cause d'un manque de connaissances générales ou du domaine... et j'en passe et des meilleures.

Bref, pour apprendre, il faut y penser, et notre job est donc de faire en sorte qu'ils y pensent! Même si fondamentalement, on n'aime pas plus qu'il ne faut réfléchir. C'est logique, quelque chose à laquelle on doit trop souvent penser qui encombre notre mémoire de travail doit la dégager, la mémoire arrive à se dégager en automatisant ce qui nous occupe, ce qui laisse de la place pour penser à autre chose...

On a tous appris à conduire et à lire en étant au début bien occupé...

Bref, on n'aime pas faire des trucs trop compliqués ni trop faciles pour nous et nous aimons tous les histoires. Les jeunes obéissent aux mêmes lois.

En terminant, j'ai aimé une phrase qui disait en gros que la plupart des jeunes ont plus de points en commun pour apprendre que de caractéristiques qui les rendent différents.


À LIRE IMPÉRATIVEMENT!

mardi 10 décembre 2013

L'écueil de la lecture au secondaire

Mai dernier. C'est l'examen de lecture, mes jeunes sont au travail. Je compatis un peu, car j'anticipe les difficultés nombreuses et l'impossible interprétation de ces nouvelles trop subtiles pour les connaissances générales de ces jeunes de 4e secondaire que je connais bien maintenant. Je vois déjà tous les subtils non-dits de cette nouvelle sur un certain docteur qui raconte son exécution sans jamais employer ce mot dans une sorte de camp de concentration. Je suis certain que les jeunes vont s'embrouiller avec la coquette nouvelle suivante où il faut comprendre qu'une petite fille qui nous raconte ces déboires familiaux est en fait un fantôme à partir d'une phrase qui emploie les mots petit  jardin au fond pour évoquer le tombeau familial du domaine où elle irait dormir tous les soirs. Connaissent-ils le fait que, contrairement à ce qu'on voit ici, dans certains pays, dans les grands domaines, on fait de petits cimetières entourés d'une petite clôture où l'on met en terre les membres de la famille? Je note le nombre de questions qui exigent cette compréhension pour bien les réussir. Il est en effet difficile d'interpréter les réactions étranges des personnages, et c'est toute la finesse de cette nouvelle, si on ne saisit pas cette réalité qu'elle est morte. Aïe, ça leur laisse peu de chance. Et effectivement, la moyenne obtenue par le groupe a été dans les 40%. Pourtant, ce ne sont pas des élèves très hypothéqués, c'est même un bon groupe, qui a bien acquis de façon remarquable les éléments de l'argumentation et fait très bonne figure en écriture. Ce sont des jeunes capables d'offrir des performances remarquables lors d'un exposé oral.  Mais en lecture, c'est une autre histoire...


Je vais partager mes préoccupations dans ce volet très difficile de l'enseignement du français au secondaire. Cette réflexion fait suite à la lecture de  L'enseignement explicite des stratégies de lecture: des pratiques fondées par la recherche, publié par des chercheurs de l'université Laval qui m'a questionné. J'ai l'impression d'y retrouver le programme des socioconstructivistes ou de l'approche par compétence enseigné explicitement. Remarquez, c'est toujours le menu du programme de 2005 qui n'a pas changé, lui.  J'avoue que le sujet de la lecture n'est pas des plus simple à aborder. Comme on nous force la main depuis un moment, j'enseigne ou enfin je cherche comme bien des collègues, j'imagine, à avoir un impact en enseignant quelques stratégies de lecture.

Mais le domaine de l'apprentissage de la lecture est éminemment complexe et la sensibilité particulière aux difficultés des élèves est une aptitude qu'on développe dans le mouvement de l'enseignement au quotidien. Je m'attacherai à ce qu'on peut contrôler dans une école, car même si l'impact du milieu a certainement des effets importants dans l'apprentissage de la lecture, ce n'est pas une variable sur laquelle nous pouvons avoir beaucoup de prise comme éducateur scolaire. Regardons simplement s'il n'aurait pas lieu de nous interroger sur ce que nous faisons.


Le matériel


Depuis longtemps, je suis frappé par le décalage important entre, d'une part, le matériel qui est mis à notre disposition (manuels, examens d'évaluation, programme, progression des apprentissages, SAE, SE, etc.) et, d'autre part,  le niveau ou les capacités des jeunes que j'ai devant moi. Bon, j'ai travaillé dans les dernières années avec des jeunes particuliers dont le français est la seconde langue, mais j'ai aussi eu l'occasion de faire certains passages dans des milieux plus «réguliers» qui me donnent à voir aussi cette expérience particulière avec un certain recul. J'ai aussi travaillé avec des jeunes très doués à quelques occasions, ce n'est pas à eux que je pense quand je réfléchis sur l'enseignement. Enseigner à ces jeunes va presque tout seul. Les doués s'adaptent à presque tout. Les jeunes en difficulté sont au contraire très rigides et faciles à déstabiliser. Ce qui m'importe est de savoir comment avoir un impact avec des élèves en difficulté ou moyen. On nous bassine avec la différenciation pédagogique, mais, dans les faits, quand il faut travailler ce programme d'élite (pour moi, il est clair que l'approche du renouveau est un programme qui ne convient qu'aux classes favorisées de nos sociétés et à la douance) avec les jeunes en difficulté, on découvre bientôt que le matériel offre peu d'options quand ce n'est pas aucune pour faciliter notre tâche.


Aussi, j'ai dû bien malgré moi mettre mes jeunes devant des évaluations régionales en lecture (tout aussi décalées) de fin d'année. Si j'arrive à augmenter la performance à des examens d'écriture, j'ai constaté qu'en lecture, je peine à avoir un impact significatif auprès de cette clientèle particulière. En fait, j'observe que, dans l'ambiance actuelle, les élèves du début du secondaire avec lesquelles j'ai travaillé obtiennent des résultats très médiocres au début du secondaire et qu'en 3e, 4e et 5e secondaire, on voit une capacité plus claire, quoique très modeste, de se mesurer à ce genre d'épreuves de lecture émerger.


À mon sens, je crois que l'ambiance compte pour beaucoup dans mes déboires d'enseignant. J'ai l'impression que nous faisons fausse route pour une grande partie de nos populations d'élèves quant à la stratégie globale d'enseignement à adopter pour obtenir un impact significatif.


J'observe d'abord régulièrement dans les corpus de textes offerts par les différentes méthodes de coquets dossiers de textes sur des thèmes propices pour aborder, comme le veut l'esprit du programme, ces fameux domaines généraux de formation: santé et bien-être, orientation et entrepreneuriat, environnement et consommation, médias, vivre-ensemble et citoyenneté. On y trouve avec abondance aussi du matériel réputé intéressant pour les jeunes: des dossiers sur de grands voyageurs, des explorateurs, des découvreurs, la psychologie de l'adolescence, la cyberintimidation pour ne donner que quelques exemples.


Par ailleurs, la mode est à la pratique de l'intertextualité. Dans un dossier permettant de travailler la lecture, on retrouve la plupart du temps un ensemble de textes permettant de s'interroger sur les liens entre différents textes ou différents auteurs ou perspectives.


On s'ingénie aussi à offrir, en cours de français, des textes censés aborder des thèmes ou des situations que les autres matières de l'école traitent dans leur classe. Ainsi, on a droit à des sujets de géographies, d'histoire, de sciences, les planètes, les découvreurs du Nouveau Monde, etc. Malheureusement, je constate la plupart du temps que ces connaissances ne sont pas enseignées systématiquement et donc ne sont guère utiles pour aider notre lecteur novice ou en difficulté à se débrouiller.


Tout cet environnement est certainement stimulant, mais il l'est souvent trop, il comporte dans l'action de nombreuses difficultés qui m'apparaissent souvent assez insurmontables. La prescription du programme , les évaluations, les manuels, tout nous empêche de sortir simplement de cet engrenage mis en place par je ne sais qui pour qu'on ne puisse faire un boulot convenable avec ce genre d'élèves qui manquent cruellement de connaissances générales sur le monde et dont la palette de vocabulaire est très limitée.


Le référent


La complexité des sujets des textes est souvent ce qui pose le plus grand problème. J'ai souvent l'occasion d'observer qu'un texte comportant trop de difficultés joue grandement sur la motivation à lire en maintenant une impression d'incapacité ou d'échec: les jeunes ne contrôlent pas assez la tâche. Trop de jeunes, malheureusement, conçoivent d'une manière très partielle la géographie du monde et aussi ils ont des représentations limitées de l'histoire et des époques.   Je ne sais pas ce qu'on fait maintenant dans ces cours, mais les jeunes ont des représentations très limitées du monde et des époques.


Cependant, on s'ingénie à régulièrement leur offrir, et ce, dès un jeune âge, des textes qui concernent la vie d'enfants dans des pays étrangers aux prises avec des réalités fort différentes de la leur ou à leur faire lire des textes qui concernent une autre époque en s'acharnant en plus à leur expliquer ces univers comme des adultes cultivés le feraient. Quand je regarde le dossier de cette étude dont je parle au début de cet essai, je suis étonné de voir dans un même texte évoquer l'univers des dieux grecs et des héros d'Homère , celui de Tristan et Iseult avec la chevalerie du Moyen âge dans un même texte, tout en ramenant banalement nos conteurs québécois et notre classique Chasse-Galerie. Beau texte pour apprendre la technique du survol! Mes jeunes n'ont malheureusement pas, comme moi, grappillé des dictionnaires de mythologies grecques, ni entendu parler d'Homère. Ils n'ont pas lu Tristan et Iseult parce qu'ils n'ont pas fait littérature. Il y a de très fortes chances qu'au premier cycle du secondaire, ils ne connaissent absolument pas notre pourtant classique Chasse-Galerie puisque ce conte est souvent vu en 3e secondaire dans bien des méthodes, vu les complexités culturelles et historiques qu'il comporte. Présenter un tel texte qui présente en sus quelques bonnes difficultés de vocabulaire à des jeunes mal équipés pour en comprendre la plupart du contenu est puéril à mon sens quand on connait la réactivité des jeunes de nos jours. Et franchement, je me demande à quoi sert-il de mettre des jeunes devant des textes qui ne sont pas à leur portée. Il faudra tout expliquer et tout cela, en pure perte de temps, parce qu'ils manquent de réseaux de connaissances pour tisser des liens et vu qu'on ne va pas y rester des mois, ils vont oublier très rapidement tout notre «mémérage» savant.


Quant à la technique du survol, et bien, elle risque fort,  tout simplement, d'être évacuée de l'attention des jeunes par tant de parasitage de l'exercice.  Quand il faut régulièrement offrir une leçon d'histoire, de géographie ou de sociologie aux jeunes, il devient difficile de se concentrer sur les habiletés de lecture que nous sommes censés aborder ou sur la tâche qui nous occupent. Bref, les jeunes trop souvent ne connaissent pas les «référents» derrière les textes qu'on leur propose.


Le vocabulaire et les expressions


Le vocabulaire est souvent en cause. Quand un texte comporte trop de mots nouveaux, il devient très difficile à lire pour le lecteur novice. Quand on travaille avec des jeunes normaux pour qui le français est une langue seconde, rapidement les limitations du vocabulaire deviennent des freins d'importance dans la bonne marche de nos activités de lecture.

D'autres textes ou méthodes s'ingénient à intégrer à foison des expressions, des métaphores, des difficultés propres à permettre des questionnements sur les phénomènes de langue qui pourront ainsi être abordés, comme le prévoient nos programmes qui ont décrété que les difficultés de la langue doivent de nos jours être abordées en situation pour répondre à un besoin réel. C'est une noble idée certes, mais, pour le moment de la lecture, leur multiplication contribue à hausser la difficulté de compréhension des jeunes et à écorcher au passage leur motivation à lire. Quand on observe attentivement un texte, il est parfois étonnant de trouver un nombre remarquable de mots ou d'expressions qui jouent sur un sens figuré. Un lecteur adulte ne s'y arrête pas, mais pour les élèves en difficulté, c'est une source inconcevable de mésinterprétation. 


L'intertextualité et la lourdeur


De nos jours, on tente d'amener le jeune à développer des habiletés d'experts. La comparaison de texte ou des perspectives des auteurs sur un même sujet sont régulièrement au menu des situations d'évaluation. On peine à trouver dans le matériel scolaire des dossiers aussi bien faits pour travailler ce genre de haute capacité, à mon sens, fort ambitieuse pour les jeunes et on peine encore davantage à gérer ce genre de dossier que nous devons travailler pendant de nombreux cours dans des séquences étudiées. Toutes ces exigences nouvelles dans l'histoire de l'enseignement  pour ces âges imposent une lourdeur consommatrice de temps d'enseignement. Mon expérience me montre que les jeunes encore novices ou en difficulté en lecture ont beaucoup de mal à gérer la complexité d'un seul texte. Alors, quand il s'agit de travailler cette capacité à en appréhender plusieurs pour pouvoir les comparer, on peine beaucoup à garder leur attention et, la plupart du temps, nous n'y arrivons pas. Il est franchement difficile de convaincre certains jeunes de même commencer à lire un dossier coquet  de 7 textes sur l'amitié comme on en trouve dans la méthode Rendez-vous pour la 1ère secondaire, par exemple.


La longueur des textes


L'habileté à lire se travaille en classe dans une réalité concrète qui limite les périodes de travail à cause des grilles horaires. De nos jours, régulièrement, dans nos méthodes, nous sommes confrontés à des textes de bonnes longueurs qui requièrent un certain temps de lecture. Si on ajoute qu'il faut encore beaucoup de temps pour effectuer les tâches qui permettent d'approfondir la lecture, nous perdons beaucoup de temps en relecture pour nous remettre dedans. Au quotidien, il faut déployer beaucoup d'énergie pour contrer les «pas encore ça» de nos jeunes confrontés à des travaux trop longs pour l'unité d'enseignement prévue. Évidemment, cette réalité permet de travailler les habiletés de haut niveau et d'en montrer l'utilité: souligner des idées principales ou faire des résumés permet de limiter la relecture, mais encore faut-il que ces habiletés soient maitrisées un tant soit peu pour donner cette impression, ce qui n'est pas si évident. On ne soupçonne pas toute la difficulté et on parle assez rarement de l'objectif coriace de faire développer le sens de l'importance d'une idée dans un paragraphe. Pour le lecteur novice, tout est important parce qu'il manque de perspective globale de la tâche ou du domaine sur lequel il lit. Il manque de structure d'organisation interne pour ordonner et hiérarchiser l'information lue quand il ne saisit pas vraiment l'idée de hiérarchiser les idées d'un paragraphe tout simplement. Quand on y songe, trouver la phrase qui résume le propos d'un paragraphe suppose du juger un ensemble assez complexe et requièrent une représentation de ces différents aspects et détails qui le constituent. Par expérience, c'est la mise au défi régulière étalée dans le temps dans de nombreuses pratiques de lecture par de petites questions coutumières comme, par exemple, demander de donner un titre au paragraphe qui permet d'installer doucement le sens de l'idée principale d'un paragraphe. Je ne crois pas qu'on arrive comme ça en expliquant ce que font les lecteurs experts et qu'on montre une belle stratégie d'annotations et de soulignement qui permet d'intégrer cette connaissance. Et il faudra miser bien plus sur une mise en application très simple, mais régulière de cette stratégie pour en voir murir le sens.


L'approche de faire des lecteurs habiles en enseignant les stratégies du lecteur expert.

 

Bref, mon quotidien me donne souvent l'impression de devoir tenir à bout de bras comme sur un respirateur artificiel la compréhension des jeunes mis devant des situations d'apprentissage très exigeantes pour eux. Il est parfois très difficile de gérer les classes durant ce genre d'activité, les interventions disciplinaires augmentent en flèche et parasitent encore plus un climat d'apprentissage déjà difficile par la complexité des tâches abordées. Voilà pourquoi je me pose depuis un moment de nombreuses questions.


Comme enseignant, au fondement, on réfère souvent à son propre parcours d'apprentissage. Je n'ai pas grand souvenir de mes cours du secondaire, mais je me rappelle fort bien que jamais on ne m'a montré les habiletés de haut niveau du lecteur expert au début des années 80. J'ai rencontré ce genre de considération bien plus tard dans mes cours de psychologie cognitive. On ne parlait pas de ce genre de choses dans mes cours au secondaire. Je me rappelle avoir fait quelques lectures  obligatoires de roman, avoir lu des textes avec des questions à répondre. Je me rappelle avoir eu dans un cours vers la 4e secondaire (3e en France) une recherche à faire avec des outils de méthodologie classique (fiches, etc.) que j'ai assez bâclée. Nous lisions différents types de texte. Mais aussi à côté, nous travaillions beaucoup d'exercices sur les faits de langue et en parallèle nous suivions nos cours dans les autres matières. À cette époque, on ne nous enseignait pas vraiment la structure des textes par genre comme il est banal de le faire de nos jours et , pourtant, c'est au cégep vers l'âge de 18 ans que j'ai eu mes premiers vrais défis de lecture de texte difficile dans des cours comme la philosophie.


Je ne lisais pas plus qu'il ne faut pour un jeune de mon époque. J'étais jeune et occupé à d'autres tâches dans ma vie personnelle. C'est à l'université que je me suis trouvé confronté à d'importants corpus de lecture et à devoir faire des recherches fastidieuses. Aussi, c'est à cette époque que l'intérêt réel de comprendre le monde dans lequel je vivais m'a poussé à m'acheter des journaux spécialisés ou des ouvrages complexes dans des domaines que je ne connaissais peu et c'est à cet âge donc que j'ai dû développer les habiletés experts. C'est surtout à l'université, devant la réalité de la lecture de bouquins spécialisés de 200 pages et plus et dont la moitié était en anglais (j'étudiais la psychologie) que j'ai rencontré la nécessité évidente de faire des annotations, de les retranscrire, de les synthétiser et de les organiser pour me faire une mémoire et bien réussir des examens ou pour m'en servir dans l'élaboration de travaux longs que je me rappelle d'abord maladroits. J'ai souvent appris par nécessité dans des manuels de méthodes de travail pour étudiants les moyens de réussir. Et malgré cette vacuité des enseignements des hautes compétences de lecteurs dans ma formation élémentaire et secondaire, j'ai admirablement réussi et évolué très rapidement quand j'en ai eu besoin.


 Je suis toujours stupéfait de trouver de nos jours tous ces outils intellectuels au menu des jeunes du secondaire et, dans mes conversations avec des enseignants du primaire, de constater comment on commence dès ce jeune âge à leur enseigner cette quincaillerie plus appropriée à l'intellect d'un jeune adulte confronté aux études postsecondaires qu'à un enfant de 10, 12 ou 14 ans.


Quand je retrouve les notions d'intertextualité et ce vocabulaire ronflant de «parataxe», par exemple, dans le matériel offert aux jeunes dans cette étude sur l'enseignement explicite des stratégies de lecture, moi qui n'ait vu, il me semble, ces notions que rendu à l'université dans mon second bac (licence d'enseignement), en cours de littérature, je me demande souvent si trop de gens rendus à l'université n'oublient pas que nous travaillons avec des enfants et non avec des petits surdoués précoces. J'ai très souvent la même impression quand je parcours les revues spécialisées écrits à l'intention des enseignants de français souvent par des auteurs qui n'ont jamais mis les pieds dans une classe régulière du niveau secondaire.


Je veux bien que les études sur l'efficacité montre un impact de l'enseignement de telles stratégies à nos jeunes leur permettent de mieux réussir. Je n'en ai pas confirmation en ce moment. Sur le terrain, je peux attester qu'en leur enseignant, par démonstration et exercices réguliers, certaines d'entre elles, je me concentre sur l'annotation et le résumé, j'arrive à sauver quelques jeunes de l'hécatombe. J'enseigne aussi, en mettant les jeunes devant les instruments d'évaluations des années précédentes, comment espérer y survivre. Je leur fais aussi évidemment travailler des questions sur un texte en leur donnant quelques contraintes pour mieux faire: faire des phrases complètes, qui imposent le retour sur la question, souligner les mots-clés des questions, etc. Quand je travaillais avec des élèves en difficulté d'apprentissage dans une école spécialisée au début de ma carrière, avec ce genre d'approche, nous arrivions à des résultats au prix d'un fort soutien individualisé pour certains, mais de nos jours la complexité des textes et des formules d'évaluation sont devenus inaccessibles à trop de jeunes. Et je dois dire qu'avec ces jeunes lecteurs très limités que j'ai eus dans les dernières années, j'ai plutôt eu l'impression de perdre mon temps précieux de classe, car les résultats aux évaluations régionales, surtout au premier cycle, ont été très «abyssaux», si je puis dire, dans un gouffre sans fond de l'échec. Au deuxième cycle, ça a été un peu mieux, mais c'est au prix d'un fort taux de décrochage de jeunes qui n'arrivent pas à prendre le rythme d'une certaine discipline dans les apprentissages dans un monde où le décrochage est banal. Je constate que mes élèves aux meilleures capacités, dont une  assez talentueuse, obtiennent tout juste la note de passage à ces évaluations. Quand je pense que certains de mes élèves ayant des dyslexies et dysorthographies sévères il y a 15 ans réussissaient très bien les évaluations BIM (évaluation standardisée) des années 80-90, je me demande franchement s'il ne faudrait pas un peu réajuster le tir.


Comme le rappelait récemment Normand Baillargeon dans un article de Voir, pour bien lire un texte, selon les recherches en psychologie cognitive, il faut aussi beaucoup de connaissances générales. Je me souviens que, pour bien lire un texte, on disait dans mes cours de psychologie il y a bien longtemps de cela qu'il fallait connaitre déjà environ 80% du contenu d'un texte. De nos jours, nos jeunes perdus dans les approches conceptuelles de l'histoire et de la géographie n'ont même pas de représentations stables en eux au point où l'Irlande pourrait être située en Amérique du Sud par certains élèves de 4e secondaire. Je ne vois pas comment l'enseignement de stratégies de lecture du lecteur expert ou de la métacognition va changer à la réalité que nos jeunes sont trop souvent mis en classe de français devant des textes trop compliqués pour leur capacité cognitive en maturation et leur niveau de connaissances générales. Et franchement, ce sont des enseignements assez compliqués pour des dynamiques de classes qui ne tiennent qu'à un fil (contrairement à la classe de doués, la classe ordinaire et les classes comportant un bon nombre d'élèves en difficulté n'ont pas beaucoup de patience! On a avantage à savoir les occuper convenablement, car, quand ils décrochent, il est parfois long de les ramener...).


Les lubies du renouveau nous ont tous incités en plus à les lancer sur Internet où l'on a à sa disposition toutes les connaissances voulues. Combien de fois les jeunes se retrouvent-ils à recopier sur Wikipédia des extraits qu'ils ne comprennent pas vraiment? Que de perte de temps. Pendant ce temps, les jeunes n'apprennent pas leur grammaire, ne travaillent pas le champ spécifique des connaissances de base de la langue qui foisonnent de connaissances utiles en situation de lecture et évoluent très peu comme lecteur en plus de développer, j'en suis certain, un sentiment d'incompétence qui va les faire dorénavant fuir la lecture.


Faire autrement


Encore une fois, nous nous retrouvons dans le cul-de-sac et c'est moi qui vais maintenant reprendre un vocabulaire fort à la mode ces dernières années: faire autrement!


Faire autrement, c'est probablement abandonner nos ambitions démesurées et remettre nos jeunes devant des défis à leur portée. Si on veut susciter l'intérêt pour la lecture, il faut trouver le moyen de mettre des textes intéressants à la portée du lecteur novice et espérer qu'il en comprenne ce que son niveau de développement lui permet. Quand je vois des questions sur les valeurs, les intentions et la psychologie des personnages, dans un examen conçu pour des jeunes de 13-14 ans comme l'an dernier avec l'examen obligatoire en lecture pour la 2e secondaire, je suis honnêtement sidéré et pas un poil étonné de ce qui en résulte. Je n'ai malheureusement aucune solution miracle dans mon panier d'idées d'enseignant. C'est comme si on me demandait d'enseigner ce que je connais du jeu d'échecs à des débutants en quelques leçons pour les amener à un niveau intermédiaire en s'épargnant les nombreuses heures que j'ai mis, pendant quelques années, il y a longtemps à comprendre et intégrer à mon jeu un certain nombre de principes et de stratégies. Je ne vais pas le faire en une ou deux leçons!


Avoir à notre disposition, du matériel simple, des textes pas trop longs, complets, revus pour gommer un peu des tournures inaccessibles pour la plupart des novices serait un grand pas pour le travail quotidien des enseignants et le salut à long terme de nos jeunes. C'est exactement ce que font certaines recherches pour aider les jeunes en difficulté et c'est ce que je faisais souvent quand j'en avais le temps avec des programmes ROC  où l'on peut scanner et traduire en un document Word un texte et ensuite le retoucher. Cela permet de gérer le niveau de difficulté pour différents niveaux de lecteurs. L'idéal serait d'avoir un matériel déjà bien pensé parce qu'il n'est pas réaliste qu'un enseignant en exercice puisse régulièrement adapter les textes pour le niveau de ses élèves. Un enseignant devrait pouvoir trouver rapidement différents textes simples pour ces élèves assortis de questions permettant de faire travailler doucement la compréhension des jeunes.  En ce moment, tous les manuels ont été pensés pour cette réforme qui doit confronter les jeunes à la réalité du monde, avec des textes réels, non adaptés, ordonnés en dossier avec des questions lourdes pas assez nombreuses à vérifier une compréhension de base des passages des textes abordés. C'est, avec des jeunes en difficulté, risquer de s'enliser si on ne tient pas à bout de bras les démarches. Ce n'est pas normal ni très efficace. J'ai de belles méthodes avec beaucoup de textes dans nos manuels scolaires et dans certaines éditions beaucoup de textes supplémentaires, mais franchement on ne trouve jamais rien pour le lecteur qui cumule du retard dans ces connaissances générales. On ne retouche pas les textes pris dans des revues spécialisées ou des revues et journaux grand public, adulte, faudrait-il le préciser. En plus, régulièrement, ces articles nous viennent de France où l'on constate si souvent de nombreux décalages avec les manières de s'exprimer au Québec. Aucune mesure n'est prise pour adapter ces contenus. Les profs le feront ou ce n'est pas le propos, semblent se dire les éditeurs. En somme, le facilitateur-prof fait le plus souvent office de traducteur pour ces jeunes, de phrase en phrase, dans beaucoup trop de textes mis à la disposition des bancs d'école.


Je sais, on me reprochera de vouloir niveler par le bas. Mais c'est un peu hypocrite, je pense. En ce moment, nos jeunes quand ils réussissent en lecture c'est souvent à cause de notre indulgence et non de notre enseignement. Non, il y a certainement moyen de trouver des textes variés ayant des niveaux de difficulté progressifs dans nos manuels scolaires de sorte qu'un enseignant puisse y trouver un corpus approprié à ces élèves, ce qui fait grandement défaut depuis toujours.


Depuis le début de ma carrière, pour être passé dans différents milieux, je constate que les manuels en français servent peu ou fort occasionnellement et, au prix que nous y mettons collectivement, ce ne me semble absolument pas normal. Je veux bien qu'on fasse le jeu du secteur de l'industrie du livre en nous balançant tous les 7-8 ans une réforme qui légitime ce genre de dépense publique, mais pas aux frais des jeunes. Nous n'avons pas besoin d'un matériel de perfectionnement ou d'animation pédagogique, mais bien d'un matériel qui répondent aux besoins d'apprentissage de l'ensemble des élèves et qui conviennent à la réalité concrète des horaires des jeunes à l'école. Quand une démarche dépasse 2-3 périodes et qu'elle s'échelonne sur des semaines, je ne vois pas l'utilité que peut en retirer un jeune pour son avenir. Les tâches trop complexes qui ne finissent plus ont plutôt le don de décourager ou de dégouter les jeunes de l'école et de la lecture.


Bref, nous avons à bien réfléchir à nouveau.


Apprentissage inapproprié pour l'âge à éviter


Si nous sortons du cadre de l'approche par compétence et de la lubie qu'apprendre c'est se confronter à la réalité adulte sans la moindre adaptation, je ne suis pas vraiment sûr que la stratégie du survol, par exemple, doive être enseignée à un jeune âge. Si nous remettons à un niveau approprié celui des textes pour travailler le cœur de l'apprentissage de ces années-là, c'est-à-dire bien comprendre ce que dit ce texte que nous travaillons maintenant, pour en cerner certaines difficultés à l'intérieur d'un cadre que l'on maitrise à 80% (comme nous le suggère de nombreuses études en psychologie cognitive), nous n'aurons pas besoin de tenter de faire maitriser prématurément des techniques certes utiles pour l'intellectuel, mais encombrantes et improductives dans le contexte propre au lecteur novice ou en développement . Le survol est un technique banal qui ne méritera même pas une leçon, mais une simple suggestion agrémentée de conseils quand la réalité d'une recherche vraiment adaptée à la capacité du jeune adulte sera au menu. Le survol et l'anticipation des contenus sont utiles au lecteur expert dans la mesure où il peut gagner du temps en ne lisant que certaines parties du texte à fond pour atteindre ces buts, d'information ou de compréhension dans la perspective qui est la sienne, et tributaires d'un objectif intellectuel qu'il s'est fixé. Ce sont sa connaissance de l'organisation usuelle des textes acquise dans une longue pratique de lecture et sa connaissance du domaine concerné par le texte qui vont l'aider à rapidement par une lecture en diagonale ou en spéculant sur l'utilité de lire ou de ne pas lire telle partie d'un long texte qui va orienter son action. Sur le plan cognitif, nous parlons d'une tâche certainement très complexe qui mobilise beaucoup de connaissances acquises antérieurement et qui s'appuie sur une automatisation longuement acquise  de la pratique de la lecture. C'est l'expérience de l'expert qui lui permet de «surfer» avec pertinence sur le contenu d'un texte et de laisser son intuition le guider. Je ne vois pas en quoi il est pertinent d'initier le lecteur novice ou en développement à ce genre de raccourcis permis à l'expert.


 Et, à quoi sert-il d'évoquer des mots comme «parataxe» pour ce genre de tâche, si ce n'est que pour embrouiller l'esprit du lecteur novice? Les terminologies spécialisées encombrent nos manuels scolaires de nos jours, en plus de varier d'une édition à l'autre. On ne peut se passer par moment d'un vocabulaire permettant de nommer des réalités complexes, mais il faut savoir le garder à la portée de tous et en limiter l'abondance. L'apprentissage de base permettant d'installer une confiance et de réelles habiletés demande d'alléger la dose d'inconnu pour éviter  à l'apprenant  une surcharge de ces capacités. Autrement, il s'enlise, a besoin  d'aide continuellement et se décourage.


Mes jeunes ne veulent pas s'interroger sur leur intention de lecture parce que c'est proprement absurde dans le contexte des apprentissages de base. L'intention est simple et bancale: je veux réussir le travail que me soumet mon enseignant en qui j'ai confiance pour en mesurer l'utilité et la pertinence, parce que simplement je n'ai pas une vue générale de l'utilité de ce genre de choses à mon âge. Il n'y a que les élèves qui n'ont pas les capacités ou le goût de se concentrer ou la discipline personnelle pour le faire pour avoir envie de contrôler la tâche au point de remettre en question le jugement d'un enseignant le moindrement convenable. Je ne me suis jamais demandé avant de commencer un roman qu'elle était mon intention. J'avais le goût de le lire. Le sujet m'intéressait. Ou j'aime ce style. Tout cela à un niveau subliminal que j'aurais pu certainement évoqué si on me posait la question.  Je ne me dis pas systématiquement: je vais lire ce roman pour me divertir ou pour en apprendre sur l'histoire. Un jeune pareillement. Pourtant depuis plus de 20 ans, on continue à mettre ces niaiseries parasitaires et jamais remises en question dans notre matériel scolaire.


Ces dernières années, on ajoute à la compréhension, des niveaux d'interprétations assez délirants pour un jeune des premières années du secondaire. Vérifions s'il fait certaines inférences évidentes ou éveillons-le à cette réalité: beaucoup n'est pas dit et doit se déduire, dans un texte. Mais, gardons-nous de le prendre pour un fin psychologue. Quand je nous vois demander au jeune de percevoir les finesses de l'émotion ou aborder la notion abstraite de valeur encore très fragmentaire dans les schèmes du jeune apprenant sans le munir d'un certain vocabulaire, sans l'entourer de certains concepts repères qu'ils seraient vraiment longs d'étayer significativement, je me demande ce qu'on peut bien espérer par ce genre de travail inutile,  alors que trop de nos jeunes ont des lacunes importantes dans leur connaissance de l'humain pour la raison évidente qu'ils sont simplement très jeunes. Laissons le temps au temps faire son œuvre et les cours de religions ou de morale faire leur marque.  Ah oui, ils étudient maintenant les différents systèmes religieux dans une perspective de tolérance de nos jours pour le développement de l'esprit citoyen! Autre délire incommensurable!

Et que dire, de cette prétention à les faire réagir aux textes en argumentant bien avant de leur offrir un enseignement systématique du genre argumentatif, alors que nous sommes occupés par d'autres objectifs immédiats. On a abordé ce genre d'ailleurs depuis toujours aux âges de la trigo en maths, c'est-à-dire après l'accès à la pensée formelle, abstraite, mais, depuis quelques années, c'est dès le primaire qu'on doit s'y mettre. Pourquoi? Parce que le lecteur expert adulte le fait!

 

Ou encore, que doit-on penser de cette inouïe dérive qui veut leur faire porter des jugements critiques sur la valeur d'un texte en l'absence de toute culture du domaine et d'une culture générale. Ah oui, on arrive à leur faire écrire des réponses banales pas trop insensées en leur montrant la nature assez «pattern» des questions qui sont formulées par les questionnaires d'évaluations et en leur donnant des petits patrons de réponses toutes faites. Mais ces simagrées sont strictement inutiles, parce qu'inappropriées au niveau de développement de la plupart des jeunes de ces âges. Et à mon sens, nous sortons du domaine de la lecture, mais entrons dans celui de l'écriture dans un contexte assez tordu d'ailleurs.


On donne à ces deux derniers  aspects de la compétence en lecture une pondération conséquente de l'ordre de 30% des notes pour obliger les profs à patauger avec leurs élèves dans ce genre de sac de nœuds.


Arrêtons de mettre la charrue devant les bœufs


Il est temps de revoir ce programme des temps nouveaux proposés par les tenants des approches socioconstructivistes qui systématiquement veulent plonger nos jeunes dans une complexité, car nous savons que cette approche est inefficace, comme l'indiquent de trop nombreuses recherches sérieuses.


Il ne suffira pas de passer à l'enseignement explicite des stratégies du lecteur compétent pour faire avancer le «schmilblick». Le mot explicite n'est pas un label. Il faut se méfier de la poutine pédagogique. Il faut sortir de l'illusion de la pseudoscience PNL (démontée par Baillargeon dans ses Légendes pédagogiques) qui a déteint sur des courants de recherche devenus probablement trop influents et qui prétend qu'en imitant de la bonne façon la manière d'agir d'un expert, on le devient très simplement.  A-t-on évalué la validité d'une telle affirmation? On devient expert après de très longues années de pratiques répétées, nous dit la recherche et le gros bon sens. Espérer des raccourcis est une mentalité numérique ou d'idéalistes.


Il faudra vraiment se remettre dans la perspective d'un élève moyen et de son niveau de développement pour lui donner des tâches qui lui permettent d'évoluer sans trop de heurts vers une confiance en soi et la réussite réelle d'objectifs accessibles et appropriés pour son âge. On devrait en fait revisiter un peu le constructivisme de Piaget qui ne débouche pas nécessairement sur la folie du renouveau pédagogique. Ce dont je me souviens de l'enseignement de ce personnage important de la psychologie du développement est que l'intelligence se développe selon des stades et que la pensée formelle qui permet d'appréhender les concepts abstraits n'émerge qu'entre les âges de 12 et 16 ans. Peut-on méditer un peu cette connaissance, que tout un chacun est à même de constater au contact des élèves, dans le monde de l'éducation?


Quand on relira nos manuels scolaires en examinant tout ce qui demande de l'abstraction et propulse nos jeunes dans des tâches qui surchargent leur mémoire de travail  et le rythme normal de  maturation de l'intellect, nous ferons certainement une grande découverte dans nos errances des trente dernières années.


Et après cette compréhension, peut-être pourrons-nous revenir à une éducation de base plus appropriée pour permettre à l'ensemble des élèves de mieux évoluer.


Que faire?


Jouer avec les représentations simples qui structurent et fondent la construction de connaissances.


Des cartes, des arbres du temps, des réseaux de connaissances, stimuler leur mémoire, faites-leur voir et revoir dans différents contextes des habiletés de langage. Offrez-leur des textes qui leur parlent de réalités accessibles, déjà connues en partie, dans un vocabulaire aussi accessible. Amenez les difficultés doucement.  Il faut jouer avec le nécessaire qui structure des représentations stables et non jouer à se prendre pour des petits experts. Ça me fait penser à ces jeunes adultes aux prises avec un trouble de personnalité narcissique qui se prennent pour des vedettes qu'on nous montrait l'autre soir (je suis en France) à la télé dans un format de téléréalité. Ces jeunes sans talent s'évertuent à démontrer à leur entourage qu'ils sont des rois ou des stars alors que tous, autour d'eux, sont à même de constater qu'ils sont normaux, sans véritable talent, car ils n'ont jamais travaillé leurs habiletés. Malheureusement pour eux, la route qui mène au vedettariat est longue et sans garantie de succès comme le leur fait comprendre un expert à un certain moment. Comme ces jeunes narcissiques qui rêvent éveillé  - et qui doivent se rendre compte qu'ils doivent commencer par le début, c'est-à-dire développer un talent -, nous devons mettre les jeunes dans des situations qui permettent de développer un talent réellement et non pas  leur faire croire que, facilement, en imitant un expert, ils en deviendront un. Je pense aussi à cette nouvelle école du futur  à Paris où l'on a vu, sur TF1, des jeunes qui (youpi!) n'auront plus de cahiers. On les voit sauter partout dans des univers numériques savamment orchestrés, on le devine, par l'industrie numérique qui a à cœur, on le sait, le sort des enfants et de son chiffre d'affaires. De la belle poudre aux yeux! On nous vend l'école du futur comme de la bière au Canada. L'attrait du party (de la fête). C'est presque pathétique.


Sortir de l'illusion que la compréhension crée la mémoire


Ensuite, arrêtons de vouloir leur faire comprendre tout dans les plus infimes détails les choses. Arrêtons de toujours tout expliquer. Nous avons la vie pour comprendre. Il faut rester dans le niveau de compréhension permis par les connaissances antérieures de l'élève.  Dans le bréviaire actuel, apprendre, c'est comprendre. Ou la compréhension permet la mémorisation. Or, si la compréhension et l'organisation des informations permettent en effet un stockage plus efficace des connaissances en mémoire à long terme, il reste que la capacité d'organisation et la compréhension ne viennent pas par enchantement. Il est facile pour l'expert d'organiser et d'approfondir sa compréhension dans son domaine et donc d'emmagasiner rapidement l'information significative pertinente à son domaine parce qu'il navigue en terre connue. Il faut avoir appris à organiser ce qu'on connait avant de pouvoir utiliser cette capacité dans des domaines nouveaux et il faut passer par une longue immersion dans un domaine pour être capable d'en saisir significativement certains principes organisateurs. La compréhension vient souvent d'une maturation et d'une mise en relation de nombreux éléments ayant peu à peu pris du sens par une exposition répétée à des éléments de surface qu'on va intégrer en une compréhension de leur articulation. En apprentissage, la réutilisation, la répétition, la révision sont des actes éminemment plus importants pour la mise en mémoire et des actes souvent préalables à la saisie de compréhension qui permet ensuite l'organisation significative des contenus. L'apprentissage est pour cette raison un travail et non une saisie spontanée par une explication claire. Faire comprendre, c'est souvent faire interagir le connu de l'apprenant avec cet inconnu à maitriser pour tisser des liens éclairants et cela ne peut se faire que dans une interaction, un dialogue. La plus belle explication restera toujours une explication susceptible d'être incomprise par quelqu'un qui n'a pas ce qu'il faut pour en bien saisir les éléments.

Beaucoup d' enseignants novices pensent qu'il suffit de bien présenter un contenu clairement pour le faire apprendre aux élèves. S'il est un peu à l'écoute de son impact, le novice comprendra certainement que l'enseignement est un petit peu plus compliqué que ça.


J'ai souvent constaté qu'il est plus productif d'offrir des représentations dépouillées qu'on va ensuite enrichir progressivement quand on veut faire apprendre une habileté complexe à un apprenant novice. L'exhaustivité d'une présentation est pour cette raison improductive et permet peu les acquisitions. Tout l'art d'enseigner me semble se situer là: comment arriver à mettre en action le jeune à partir de représentations simples qu'on va tenter de stabiliser par divers exercices et d'enrichir progressivement.


En langue, des activités traditionnelles recèlent beaucoup pour la formation de l'intellect. L'analyse grammaticale et l'analyse logique structuraient doucement le jeune dans la connaissance de la langue par une discipline répétée permettant doucement l'éclosion d'une maitrise. En plus, elles permettaient de développer le sens analytique fort utile en lecture quand il s'agit de discerner des éléments distincts dans un ensemble complexe. En analyse logique sans rien expliquer ou si peu, on associait des mots repères (lieu, temps, cause, conséquence, etc.) qui structuraient les catégories de la pensée formelle. On les abordait d'ailleurs qu'au secondaire quand germait cette faculté de la pensée formelle. Mais, on ne fait plus ce genre d'exercices de nos jours, pratiques pourtant largement partagées par les enseignants d'une autre époque au point où je me souviens en avoir fait toutes les années du primaire et du secondaire à partir de le 3e ou 4e année.


Quand les jeunes de nos jours ne savent pas s'interroger sur la construction d'une phrase, il est évident qu'il patauge à éclaircir le sens de certains passages d'un texte. Quel est le sujet de cette phrase? Les réponses sont de nos jours trop souvent inadéquates...


Avec l'absence des connaissances de base en grammaire, ne serait que la maitrise de la classe des mots, il est devenu ardu, voire peine perdue, au secondaire, de faire avancer significativement la connaissance du fonctionnement de la langue par nos jeunes.  Tout est proposé dans un abord superficiel sans stratégie pour constituer un bloc solide de connaissances qu'on nous empêche de construire dans le contexte du diktat de l'apprentissage en contexte signifiant. Les cours de rattrapage au niveau post-secondaire n'ont jamais autant été aussi payants pour nos cégeps et universités que dans la dernière décennie. Pourquoi? Parce qu'on a plus le temps de leur enseigner leur base avec tout ce programme qui met la charrue devant les bœufs. J'aimerais bien qu'on m'explique pourquoi nous ne travaillons pas les choses dans le bon ordre de nos jours, c'est-à-dire enseigner les connaissances de la langue au niveau élémentaire et secondaire et les habiletés complexes du lecteur et du scripteur aux niveaux post-secondaires comme il serait plus approprié de le faire.


On veut tellement leur faire comprendre des phénomènes de langue de nos jours? À quoi sert-il honnêtement de parler, par exemple, de marqueur de relations quand nous les apprenons d'une manière plus classique comme des conjonctions de coordination ou de subordination, quand on les utilise plus intuitivement sans tout à fait comprendre leur rôle parce qu'on les a répétés tant de fois dans le cadre d'exercices structurants, cela devienne évident: ces mots sont nécessaires pour bien marquer les relations entre les idées. Et, qu'en lecture, on les constate utilisés pour la même raison. Eh oui, les gens portés à l'exhaustivité me rappelleront que ce ne sont pas tous les marqueurs qui sont des conjonctions. Je serais tenté de leur demander en quoi cela va faire avancer la cause de l'éducation de submerger les jeunes avec ces détails et une approche trop superficielle, sans assise, de ces éléments importants de l'articulation de la pensée, lancée vitement peu avant la rédaction des premières rédactions argumentatives. S'ils sont habités par des phrases qui en utilisent, ils les emploieront sans même savoir comment on nomme ce genre de mots comme on pense rarement à eux en cours de rédaction d'ailleurs.


Je ne vois pas comment l'enseignement de ces notions par des listes et des définitions et une invitation à les utiliser ou à les reconnaitre en lecture pourrait déclasser la qualité de leur imprégnation résultant d'années à répéter des analyses qui exposent le jeune à de très nombreuses bonnes phrases qu'il peut intégrer dans ses structures cognitives, dans sa mémoire profonde.


Mais de nos jours, nous ne faisons plus ces choses inutiles qui requéraient du temps de classe sans trop créer de complexes. Et on est à mille lieues de penser que ces exercices ennuyeux et bons pour des «perroquets», parait-il (j'aimerais voir cela!), pourraient avoir contribué aussi, dans la synergie de la formation de base, à la compréhension en lecture de textes complexes en plus de développer la patience requise dans le travail intellectuel de toute nature.


Dans les faits, j'ai plutôt observé qu'une tâche simple répétée dont les élèves connaissent bien le fonctionnement suscitait un calme étonnant (par exemple, mon activité de vocabulaire en première secondaire: recherche au dictionnaire, composition de quelques phrases avec les routines d'autocorrection en évidence, tableau de conjugaison d'un verbe à remplir) . C'est même la tâche la plus appropriée à une fin de journée où les élèves sont fatigués. Imaginez, quand je leur annonçais cette tâche, je les sentais souvent presque contents et impatients de commencer: ils me demandaient la feuille de travail. Ennuyeuse, la répétition?


Tout cela pour soutenir l'idée qu'il faut parfois travailler longtemps sans comprendre ce qu'on fait avant que la lumière de la compréhension ne s'allume. Va-t-on évacuer tout enseignement qui demande une longue préparation et où l'explication dépasse l'entendement de l'apprenant? Va-t-on perdre notre temps à légitimer des démarches qu'un jeune apprenant ne peut conceptualiser? Un moment donné, il faut arrêter de répéter des absurdités. Non, les jeunes n'ont pas un si grand besoin de comprendre chaque motif des démarches qui leur sont proposés. Ils ont surtout besoin de bien comprendre ce qu'on attend d'eux et d'obtenir de l'aide sur comment s'y prendre sans trop se prendre le chou.

Gardons donc les choses simples autant que possible pour la plupart de nos élèves.


S'il fallait conclure: revenir au «quoi enseigner» pour retrouver le «comment»


En somme, même si le débat du comment enseigner fait un peu rage en ce moment, je crois qu'il faut encore revenir plus en arrière et s'interroger aussi sur le quoi enseigner. En cela, il serait vraiment important de s'interroger sur les vertus formatrices de pratiques qui ont suscité à d'autres époques l'adhésion généralisée des éducateurs. Parce que je n'ai pas de complexe, moi, avec l'enseignement traditionnel, si on découvre que sa capacité à créer un sillon de connaissances utiles au développement de l'apprenant avait encore de sa pertinence.


Nous avons été prompts au Québec à condamner une tradition pour cause de relents d'odeur d'eau bénite alors que l'enseignement généralisé ne faisait que débuter.


Et, en terminant, il faudrait faire donc attention de ne pas bêtement plaquer les recommandations de l'enseignement explicite sur l'ambiance actuelle de la pédagogie instaurée sous le règne d'idéalistes  qui ont peu tenu compte de la réalité des jeunes, actuelle, et de tout temps,  tant ils étaient obnubilés par leur avenir et le besoin pressenti d'accélérer les apprentissages des jeunes. Malheureusement, ils nous ont tous habitués à aller trop vite en affaire et à mépriser un certain consensus de l'école traditionnelle qui a germé dans les deux derniers siècles.


Honnêtement, à voir l'allure de certaines publications, je crains qu'on cherche à récupérer le message de la recherche en efficacité de l'enseignement. Mais, peut-être aussi, je me trompe au niveau de l'intention qui est peut-être louable et qu'il est donc important de rappeler que s'il faut revoir notre manière d'enseigner, il ne faudrait pas oublier de réexaminer la pertinence de l'approche par compétence qui a, selon certains, certainement détourné le constat des états généraux de 1997 vers cette réforme qui nous mis dans cette fâcheuse situation.


Pour moi, il ne fait pas de doute que nous réussirons à améliorer la compréhension en lecture quand nous prendrons bien le temps de bien installer au primaire le décodage grapho-phonétique et que nous permettrons au jeune d'évoluer doucement comme lecteur en prenant soin de ne pas les mettre constamment en contact avec du contenu inaccessible.


C'est en leur fournissant dans l'ensemble de la formation de base des réseaux de connaissances d'abord simples qui vont évoluer tranquillement qu'on leur permettra de mieux lire plus tard des textes. C'est aussi en leur faisant travailler la langue dans ses menus aspects qu'on renforcera, un peu comme on apprend ses gammes en musique, les éléments qui permettent d'accéder au sens des phrases qui sont lues. C'est aussi en prenant soin d'attendre les âges propices où l'utilisation de stratégies cognitives complexes devient accessible et pertinente qu'on équipera nos jeunes pour l'avenir.

Malheureusement, je suis au regret d'affirmer qu'on ne remplacera pas l'impact d'une formation universitaire faite après un bon 13 ans de formation de base et échelonnée sur plusieurs années en enseignant des raccourcis à nos jeunes pour qu'ils deviennent des lecteurs critiques et outillés pour lire avec un certain sens critique des textes. Penser de cette façon, c'est tomber dans la pseudoscience ou l'idéal romantique.


Eh oui, ils ne feront pas tous ce genre d'étude. On doit aussi accepter la réalité.