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samedi 4 mai 2013

L'Ipad en classe: ni rose ni noir?

Enseigner apparait simple pour le profane. Pourtant, c'est un art des plus délicats. Je pense que mes collègues seront d'accord avec moi: il faut travailler constamment à capter l'attention des jeunes et à canaliser leurs efforts dans la direction des apprentissages. Préserver la concentration est une grande préoccupation de l'enseignant dans son quotidien. Sinon, à quoi bon?

Il est difficile d'avoir l'attention de beaucoup de jeunes de nos jours. Ils n'ont pas appris à écouter, n'en voient souvent pas l'intérêt. Un jeune qui décrète en son for intérieur que ce qui se passe autour de lui est plate développe une faculté de nous ignorer surprenante.


Ensuite, on ne doit pas sous-estimer l'influence des pairs. Quand on commence à discuter de la platitude du cours, du sujet, du travail ou de l'exercice, on peut être sûr que la contagion de l'inattention se répand. Tous les leadeurs connaissent bien la contagion d'un esprit dépressif dans un groupe, ou d'un esprit rebelle. On doit vite s'en occuper.

Puis, il faut aussi porter une attention particulière à ces jeunes qui ont besoin d'un public, certains ouvertement, d'autres discrètement. Toute leur énergie consiste à attirer l'attention du groupe ou d'un sous-groupe dans la classe. Ce sont des experts pour produire des petits spectacles à partir de rien. Évidemment, un prof doit les avoir à l'œil et intervenir promptement s'il veut garder l'attention à la tâche dans une classe.

Dans ma carrière, j'ai toujours été étonné de voir des collègues parler seuls à leur tableau  et ne pas se rendre compte que la classe est ailleurs. On voit ce genre de situation parfois en circulant dans les corridors d'une école. Je me demande souvent que font ces professeurs Tournesol dans le métier...

Pour ma part, je ne peux pas parler à un groupe perturbé et inattentif bien longtemps, parce que je ne peux que rapidement sentir en moi toute l'inutilité de la situation. On ne me paie pas pour parler à des murs ou dans le vide.

Donc, je m'arrange pour interagir, j'interviens, j'essaie de ne pas abuser du temps d'antenne, j'enseigne aussi dans les allées, je marche dans ma classe, je garde un oeil au groupe, je rappelle à l'ordre ceux qui nuisent à l'atmosphère de la classe. Il faut même parfois montrer les dents comme un chef de meute. Et il m'arrive d'aboyer! Et de mettre un jeune à la porte qui ne veut rien comprendre de cet enjeu vital en classe: on doit préserver une bonne ambiance de travail et d'apprentissage.

C'est beaucoup d'énergie garder un groupe concentré et au travail par moment. Ce dont je vous parle est le noeud, le coeur, l'enjeu vital de l'aventure enseignante. Sans cette capacité de s'imposer, on peut être certains que, comme dans n'importe quel groupe, humain ou animal, sans chef ou avec un chef faible, la discorde va apparaitre par manque de direction et de sens. Le groupe obéit à cette nécessité: établir sa hiérarchie qui lui permet de fonctionner dans l'harmonie autour d'un but commun. Plus ses membres sont immatures et plus cette nécessité se manifeste. C'est de la psychologie 101.

Bon, point n'est besoin d'exiger l'attention de tous à tout moment, il ne s'agit pas d'être totalitaire: un élève dans la lune ou qui crayonne discrètement son petit dessin ne nuit pas tant que ça, deux élèves qui chuchotent discrètement non plus, mais il faut les avoir à l'œil, car la contamination de l'inattention est rapide.

Voilà d'ailleurs pourquoi c'est épuisant d'enseigner: on ne doit pas seulement enseigner, il faut garder une attention à la gestion de classe assez constante: et intervenir fréquemment. Avec l'expérience, on trouve bien des façons d'intervenir sans faire de vague et on sent quand c'est le temps d'en faire une grosse.

Ceci étant dit, je suis assez étonné quand je lis ce passage dans l'article dont je reprends en partie le titre:

«Le premier désavantage qu'on a constaté est que l'iPad est une source de distraction majeure pour les élèves», note-t-il.

Tête baissée, les élèves ont les yeux rivés sur leur tablette. Pendant que l'enseignant parle à l'avant de la classe, ils sont sur Facebook ou s'envoient des messages.

Il n'est pas rare que tout le groupe éclate de rire devant l'enseignant déconcerté. Une blague qui mettait quelques minutes à circuler de pupitre en pupitre sur un bout de papier se répand maintenant à toute la classe en un seul clic. (C'est moi qui souligne)

Personnellement, je crois que ce n'est pas simplement un désavantage, c'est le dynamitage de l'enseignement qu'on institue. 

Quand on écrit: «Ils (les profs) sont obligés de se renouveler, d'être plus dynamiques, de se déplacer davantage entre les rangées d'élèves pour maintenir leur intérêt.», j'ai l'impression qu'on insinue quasiment qu'on ne connait pas notre métier.

Autant le dire tout de suite si, à chaque instant, il faut me battre contre la liberté instituée de laisser les jeunes communiquer entre eux sans pouvoir rien y faire, je ne sais pas si j'aurai toujours le gout de faire ce métier, parce qu'il est de l'ordre des choses certaines, que je devrais encore plus déployer d'énergie à remettre les jeunes dans le couloir de l'attention nécessaire à l'apprentissage.

Depuis quelques années, je navigue avec des groupes qui partagent une langue que je ne connais pas. Au moins, on les entend parler. Et donc, je peux gérer. Mais là...

Enfin, on se permet encore de dire de certains profs qu'ils semblent être des idiots de vouloir maintenir des moyens traditionnels dans leurs cours  en faisant acheter des livres papiers ou des calculatrices. Il faut être en dehors du métier pour ne pas comprendre que parfois il faut protéger le jeune contre lui-même de la distraction. Si nos jeunes peuvent être en permanence en communication, la tricherie devient incontournable. Mettre un plat de bonbons en permanence dans la face d'un enfant n'est peut-être pas le meilleur moyen de lui enseigner de saines habitudes de vie.

Avec cette fenêtre sur le monde ouverte en permanence avec en main des outils d'abord conçus pour la distraction bien avant le travail, on ne se rend pas compte que la transmission des connaissances et d'une certaine capacité de travailler de manière concentrée avec méthode devient de plus en plus impossible. Car pour le profane qui n'a jamais dépassé un certain stade dans l'analyse de ce qu'on transmet à l'école, il est difficile de comprendre que le cœur de l'enseignement n'est souvent pas toujours la connaissance «restaurant-minute», mais bien la capacité de traiter, d'analyser, de comprendre, d'organiser et de réfléchir. Je ne me contente pas de faire développer la capacité de copier-coller, car les jeunes n'ont pas de besoin de moi pour ça. Avec mes jeunes en 4e et 5e secondaire, j'arrive à parler de différents parcours intellectuels pour développer un propos même avec des jeunes parfois qui étaient peu équipés quand je les ai pris l'an dernier. En acceptant de me suivre, ils arrivent peu à peu à appréhender ce territoire qui ouvre à de grandes possibilités dans la vie. J'ai une élève qui voulait faire esthétique l'an dernier que je vois maintenant à l'université un jour.

Comme intellectuel, on a tous appris la vertu de l'isolement pour réfléchir et produire. Bref, si Facebook est en parallèle, on ne va pas y arriver. En salle informatique où Facebook passait un moment donné l'an dernier, j'ai une élève qui a fait sa crise en classe à cause d'une engueulade sur Facebook avec son père.

Malheureusement pour certains, les grandes compétences ne s'apprennent pas sur Facebook... Et il faut comprendre qu'on doive certainement demander aux jeunes de fermer les Ipad par moment...





1 commentaire:

Anonyme a dit…

Combien j'abonde, et combien m'effraie ce nouveau virage dont je ne suis même pas si certain qu'il ravisse tant que ça les élèves eux-mêmes. Ce n'est pas seulement les méthodes d'apprentissage qui seront affectées par ces outils, mais l'apprentissage en soi et jusqu'au rôle du professeur, de plus en plus périphérique, comme une clé usb de plus qu'on branche et débranche à volonté.