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lundi 3 juin 2013

Comprenons-nous vraiment la compréhension de nos jeunes?

 Avertissement: Voici un essai que je lâche dans la mêlée, avec l'espoir que d'autres m'aident à éclairer encore davantage ma lecture de la situation. Comme enseignant, nous travaillons dans des milieux restreints, avec une vision très obtuse de la réalité des jeunes. J'ai eu la chance de travailler dans des milieux très différents, mais je sais que mes 4 dernières années m'ont placé devant des élèves moins pourvus et je me demande parfois si j'oublie ce que j'ai vu ailleurs. Face à ce dossier de l'évaluation en lecture, je reste sur l'impression que nous délirons collectivement. Nous avons de trop grandes ambitions pour nos jeunes ou on mesure à l'aune de capacités exceptionnelles de certains jeunes, dans des programmes pour doués, la réussite de l'ensemble des jeunes de la province. 



Comprendre est une capacité qui évolue tout au long de la vie. Le bagage de connaissances et d'expériences que nous développons dans notre vie, si l’on se donne la chance d'en acquérir et d'en vivre, permet d'accroitre notre capacité de «prendre avec» ou de saisir les réalités complexes qui nous entourent ou, plus prosaïquement, de lire adéquatement les passages d'un texte écrit.

Quand je regarde l'évolution de l'enseignement de cette compétence fort complexe, je note en ce moment qu'on place la barre haute pour notre jeunesse en formation. On est loin des classiques questions de repérage et des questions d'inférence de naguère. Maintenant, nos jeunes, en plus de comprendre des réalités, doivent les interpréter, justifier des réactions et porter des jugements critiques en fonction de critère d'appréciation. Tout un programme!

Cette semaine, j'ai soumis l'ensemble de mon secondaire dans un milieu moins favorisé sur le plan de la langue et des repères culturels, une batterie d'épreuves de lecture que nous a concoctée l'organisme régional de notre réseau et aussi les tout nouveaux prototypes d’examen du MELS en 2e secondaire et 5e secondaire en français lecture. Résultat: une hécatombe.

Dans tout mon modeste secondaire, j'ai deux élèves sur un peu plus d'une vingtaine qui réussissent leur examen. Une seule, la doué d'ici, fait dans les 70%. En secondaire 1, la moyenne est dans les 20% avec un élève normalement capable de comprendre assez aisément les textes à lire qui ne franchit pas la barre du 60%; en sec. 2, dans le proto, la médiane est 35% avec mon élève douée dont la note est le double du second résultat de la classe; 3e secondaire: une élève parmi nos meilleures ne réussit pas l'épreuve, 4e secondaire: moyenne de 48%, car mes trois jeunes, prometteurs, se sont plantés dans l'interprétation d'une nouvelle dont la fin recadrait l'ensemble de la nouvelle, et l'examen posait une série de questions dont la réussite dépendait de cette interprétation. 5e: mon unique élève s'en tire de justesse.

Bon, sauf pour la 2e et la 5e, je n'avais pas les corrigés officiels: je m'attends à la «rigueur» de guillotine habituelle dans la correction régionale.

Honnêtement, je m'attendais à ces résultats, même si j'ai tout de même fait mon possible pour préparer mes jeunes à ces examens avec ce que j’avais sous la main. Car, honnêtement, je ne vois pas comment instiller ce genre de compréhension mature aux jeunes avec ce qu’on trouve dans les manuels comme matériel en ce moment. Je ne vois pas comment aider mes jeunes dont les repères culturels les excluent de la vie normale des jeunes du secondaire du sud. Je ne vois pas comment je pourrais leur partager ma compréhension du monde sans qu’ils passent eux-mêmes par une vie de curiosité et de questionnement, d’expériences et d’observations… Quand je constate que plusieurs de mes collègues du primaire, qui ont pourtant un bac, ne sont même pas capables de lire un guide du MELS pour comprendre le processus d’administration de ces épreuves, je me dis que l’enjeu est simplement irréaliste pour les jeunes dans ce genre d’épreuves.
Pourquoi est-ce si impossible? Bien simplement, parce que de nos jours, nous demandons à nos jeunes de comprendre que pour le tiers des questions. On leur demande d'interpréter aussi des passages, puis de justifier leur réaction à certains passages et ensuite de porter des jugements critiques en fonction de critères d'appréciation. (En passant, je ne trouve pas de critère d’appréciation comme matière systématisée à enseigner dans aucun des manuels approuvés du MELS).

Enfin, comme si cela ne suffisait pas, on a mis l’intertextualité des cours de littérature du postsecondaire de naguère au menu du secondaire et même je crois du primaire. On demande aussi donc de comprendre, interpréter, de justifier ses réactions et d'apprécier des textes en en comparant plusieurs. La belle affaire à travailler dans une classe de 30 élèves de niveau secondaire! Même à 6 élèves, quand on considère la complexité de la tâche, ce n’est pas gérable pour des esprits en développement qui ont en plus des fondements de gruyères derrière la casquette qui nécessitent qu’on leur explique à peu près tout. Il faut travailler des textes avec des ados pour voir parfois toute l’étendue de leur jeunesse sans expérience et constater que des textes qui nous semblent faciles à lire génèrent chez eux des interprétations tout à fait délirantes par manque de connaissance du sens des mots et de la réalité du monde.

Dans le cadre de ses formations occultes, le MELS a proposé que 70% des questions portent sur les deux premiers critères d'évaluation et 30% pour les deux derniers au secondaire. Sur ces recommandations étayées de descriptions fort abstraites des 4 critères d'évaluation mis en place, toute une armée d'enseignants apprentis sorciers dans des comités bâtit des épreuves d'évaluation assez costaudes et nouveau genre. Concevoir des instruments d'évaluation au secondaire a toujours été un enjeu délicat: trouver le lieu moyen de l'entendement de jeunes apprenants n'est pas une science exacte, loin de là. Mais ces derniers temps, on se demande parfois jusqu'où ira la folie de nos ambitions quand on regarde la complexité de certaines questions et même de certains dossiers de lecture.

Les prototypes d’examens du MELS étaient proposés aux enseignants pour apprécier où en étaient leurs élèves cette année. Leur utilisation n’était pas obligatoire. On pouvait aussi les modifier. Mais ici, dans ce milieu pourtant défavorisé, on a choisi de présenter ces épreuves dans leur version intégrale et en plus de concevoir des épreuves dans le même genre pour tous nos niveaux en imposant à l’évaluation en lecture 20% de la note de l’année avec ces charmants instruments.

Par ailleurs, je suis atterré de constater qu’on demande maintenant à nos jeunes parfois d'être fin psychologue dans quelques questions de compréhension déjà en 1re et 2e secondaire. Le vocabulaire des émotions aurait avantage à devenir un enjeu d'enseignement en français! À quand le cours de psychologie 101 pour les élèves de 2e secondaire? Avant ces derniers temps, je croyais que l'étude des nouvelles en 4e secondaire en était l'amorce, mais maintenant nous sommes à l'ère de l'enfance fin psychologue par nature, dirait-on.

En outre, il n'est pas rare aussi que les questions de compréhension développent des concepts que nos manuels oublient de faire travailler chez nos jeunes ou qui n'utilisent pas la terminologie des manuels.
Un jeune de nos jours doit faire plus que toutes les générations d’écoliers qui l’ont précédé, il doit interpréter les situations humaines pour le tiers des autres questions. J'ai vu passer une question en 1re secondaire qui demandait aux jeunes d'imaginer un dialogue qui se poursuivrait entre deux personnages suite à un long passage. Il y avait une entrevue dans le cadre d'une enquête pour meurtre entre un inspecteur de police, un tuteur (aussi ancien collègue de l'inspecteur) et un jeune suspect dans ce texte. Nos jeunes devaient imaginer le dialogue suivant cette entrevue entre les deux adultes. Je ne sais pas pour vous, mais moi je trouve ce genre de questions assez complexes pour un jeune de 12-13 ans. On devait évaluer la réponse sur la cohérence de la proposition de dialogue.

Les deux derniers critères prescrits demandent de développer des justifications. On leur demande de justifier leur jugement en reprenant des éléments du texte et en s'appuyant sur leur expérience personnelle. Je me demande encore comment on en est venu à encore demander à des jeunes qui en sont au balbutiement en moyenne de l'acquisition de la pensée logique et de la faculté d'abstraction à devoir exprimer des positions justifiées sur des réalités humaines nouvelles qu'ils découvrent souvent dans ces extraits de roman. On leur demande de fonder leur opinion sur leur expérience personnelle, qui est encore très limitée et sur laquelle ils peinent à verbaliser avec précision. Traditionnellement, le discours argumentatif prend place vers l'âge de 15-16 ans dans l'enseignement. Mais, depuis ces dernières années, on tente de faire faire des justifications chez des jeunes du primaire. Et pour ceux qui enseignent en 4e secondaire, on conviendra que l'adresse dans la justification de points de vue est loin de venir naturellement à tous.

C'est simple, le défi est proprement impossible pour la plupart de mes jeunes qui n'ont pas la chance d'entendre des raisonnements adultes autour d'eux régulièrement dans la langue de Molière pour fonder un tant soit peu une capacité qu'il devrait exprimer dans les examens de lecture de nos ministères et dans ceux des apprentis sorciers qui bâtissent des examens selon les nouvelles normes sans se poser de questions. Si, au MELS en 2e secondaire, on a mis finalement 60% de questions de compréhension dans le proto - quoique certaines me semblent faire appel à bien plus que de la compréhension de réalité à la portée d'un jeune de 2e secondaire -  nos apprentis sorciers de l'organisme régional, eux, ont respecté religieusement le nouveau bréviaire. 40% de questions de compréhension en première secondaire.

Je questionne évidemment cette nouvelle approche. Quand au MELS réussira-t-on à faire des programmes et des processus d'évaluation qui respecte la maturation moyenne des jeunes? Quand validera-t-on des instruments d'évaluation autrement que sur des points de vue d'experts mal avisés?

Nos jeunes doivent d'abord apprendre à décoder la langue, à bien naviguer dans le vocabulaire dans ses sens propres et figurés et à repérer précisément des informations, ou des informations pertinentes qui permettent de se représenter convenablement un récit. Pour beaucoup de mes jeunes, et d'autres que j'ai croisés dans ma vie dans des milieux beaucoup plus favorisés, cette capacité insuffisamment travaillée de nos jours n'est même pas développée. Apprendre la rigueur dans une lecture attentive  est de nos jours passé de mode. Apprendre à lire entre les lignes, à inférer ou faire des déductions simples à partir des informations explicitement données par un texte est aussi déjà un gros enjeu pour ces âges.

On peut certes exprimer un point de vue suite à une lecture, mais à mon sens cette faculté verse surtout dans l'expression et moins dans ce qui est à mon sens au départ la lecture. Oui un jour,  nous finissons par exprimer une lecture d'une situation, mais  peut-on laisser d'abord apprendre à décoder convenablement le vocabulaire, à se laisser traverser par le sens, à trier l'essentiel de l'accessoire dans une lecture pour se représenter convenablement les référents des textes. 

Je m'insurge contre cette phrase émanant des officines  ministérielles et qu'on répète à qui mieux mieux comme de bêtes perroquets:« On s'entend-tu que le repérage, nos jeunes sont capables d'en faire?» Justement, avec cette génération en déficit d’attention, trop souvent, non!

Peut-être que mes jeunes trop nuls perturbent mon appréciation de la situation. Ces jeunes qui ne veulent pas lire, qui font du tapage quand on leur propose de travailler un texte et d'entrer dans les détails. Mes jeunes qui pourtant parlent un français compréhensible semblent avoir autant de difficulté à lire un texte en français que lorsque je tentais de lire un texte en anglais quand j'étais jeune. Ces jeunes qui me demandent régulièrement le sens d'un mot banal à l'occasion pour le francophone que je suis. Pourtant, j'ai souvenir d'un passage en 3e secondaire en 2001, où des jeunes du régulier expédiaient leur compréhension de texte en un temps record avec des résultats pauvres, en se foutant de la précision de leur réponse. Je me souviens aussi de ces jeunes d'un milieu plus favorisé, qui faisaient tout pour ne pas lire un roman en essayant de me fourguer des résumés pris sur Internet. Je me souviens de ces romans d'adultes donnés à des jeunes en lecture dans une école privée auquel il fallait tout expliquer pour les aider à interpréter adéquatement ces textes.

Un jour, nous avons oublié que nous avons été jeunes et il serait temps de comprendre que nos jeunes ne sont pas si différents de ceux que nous étions. Encore et toujours, depuis trop d’années en éducation, nous avons décidé de confronter le jeune à la complexité du monde des adultes sans l’y préparer. En ce moment sur le terrain, encore une fois, comme enseignant, je constate un décalage énorme entre la capacité réelle de mes jeunes et ce qu’ambitionnent les penseurs en éducation qui rédigent des programmes et conçoivent des évaluations. Et encore une fois, je me dis que l’idéologie et la stupidité en sont les sources au lieu de la méthode et d’une appréciation avisée de la réalité des jeunes. Bref, encore une fois, je constate que nous ne comprenons plus les exigences du développement intellectuel des jeunes.

4 commentaires:

Le professeur masqué a dit…

J'ai 20 ans d'expérience en enseignement. Encore aujourd'hui, je me sens démuni quand vient le temps d'enseigner la lecture. Au-delà du décodage et du repérage, comment enseigner l'implicite, l'ironie, le sous-entendu, l'anticipation, les liens informels dans un discours?

La compréhension en lecture est basée sur des notions ténues, subtiles et demande une forme d'intelligence que certains de nos élèves n'auront jamais.

On place officiellement la barre très haute dans les épreuves actuelles mais le MELS a le tour de s'assurer que ce genre d'attentes soient comblées grâce à des corrigés ridicules, pour ne pas dire plus.

Jonathan Livingston a dit…

Effectivement, je pense que notre rôle consiste surtout à enseigner des stratégies et des notions pour permettre d'apprécier les diverses subtilités des textes. Ensuite, nous les accompagnons dans des échantillons de lecture et tentons d'ouvrir le chemin de la lecture, des lectures d'un texte.

Pour le reste, l'expérience et la connaissance du monde qui permettent de reconnaitre, de voir, de percevoir ce qu'on connait déjà dans une lecture, de faire des interprétations, c'est l'ensemble de l'éducation qui devient important.

Jonathan Livingston a dit…

«On place officiellement la barre très haute dans les épreuves actuelles mais le MELS a le tour de s'assurer que ce genre d'attentes soient comblées grâce à des corrigés ridicules, pour ne pas dire plus.»

Hé oui, c'est toute l'approche en éducation: faussement évaluer ce qu'on ne peut enseigner... au lieu d'évaluer l'acquisition de notions que nous pouvons enseigner et faire maitriser.

Espérer faire bien penser avec subtilités nos jeunes est un leurre. On pourrait plus utilement s'assurer qu'ils ont acquis des notions et des connaissances suffisamment maitrisées pour leur permettre de bien penser plus tard.

Pour le moment, les contrôles de lecture ont plus souvent l'air de tests d'intelligence, que de mesures de nos enseignements.

Le professeur masqué a dit…

Et puis parlons du libellé des questions et des corrigés. Quand il ne s'agit pas d'examens que j'ai conçus, je les fais toujours avant de les donner aux élèves. Cette année, j'ai eu un gros 80%...

J'ai ensuite regardé les questions et le corrigé. Désespérant. Comment réussir quand la question est mal formulée? Par moment, le corrigé était inexact ou incomplet. Et je n'écris pas cela par frustration. C'est un simple constat.

Avec quelques gentilles modifications, ce test - formés de trois textes - devrait s'avérer potable. Mais il demeure que dans le cas d'un texte en particulier, c'est peine perdue. C'est le risque de prendre des textes courants et de croire qu'ils répondent à ce qu'on enseigne en classe.