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vendredi 24 janvier 2014

Le débat stérile continue pendant que la réalité persévère

Un texte a fait jaser cette semaine. Il s'agit d'un billet publié dans La Presse de Stéphane Lévesque, Le diplôme d'études secondaires n'est plus, enseignant de français à la CS des Affluents (parait-il) qui s'est fait dire en réunion qu'on allait assouplir les règles de passage entre le 2e et 3e secondaire.

Monsieur Lévesque en profite pour relancer le débat, mais il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Selon ce que j'ai compris du système de sanction des études ou du régime pédagogique, les directions d'école sont assez libres de choisir les règles qu'elles appliquent pour faire passer leurs jeunes d'un niveau à l'autre dans les trois premiers niveaux du secondaire. Le non-redoublement de la première secondaire n'est plus aussi systématique qu'au début de la réforme. On a permis à des directions de faire des redoublements à ce niveau pour des dossiers bien documentés si c'est dans l'intérêt du jeune. Les enseignants sont toujours surpris de voir des jeunes qui auraient dû redoubler se retrouver l'année suivante dans le niveau suivant. Les directions peuvent faire ce qu'elles veulent pour des motifs administratifs, c'est ainsi et depuis fort longtemps.

Je croyais qu'on appliquait toujours la bonne vieille règle d'avoir réussi au  moins 2 matières de base pour passer d'un niveau à un autre. Il semble que ce soit un nombre d'unités qui guide les décisions de certaines directions.

De toute façon, il y a bien longtemps qu'on doit composer avec des jeunes à qui on exige moins. C'est décourageant parfois de constater le manque de connaissances préalables des jeunes dans nos classes.

Je note ici que les défenseurs de la réforme sont toujours aussi prompts aux attaques ad hominem.

Et dans un autre commentaire trouvé ici, je note exactement ce que je pense de la réalité et y observe: malgré la réforme, les enseignants continuent d'en faire à leur tête.

Dans le domaine des maths-sciences où je vais intervenir prochainement, je note que, malgré la réforme, on continue de travailler sensiblement de la même façon: passer beaucoup de temps à fixer les connaissances mathématiques indispensables à la résolution de problèmes.  On ne perd pas trop de temps avec les activités de découvertes. Bref, l'enseignant que je vais remplacer a une stratégie d'enseignement efficace et on s'entend super bien!

Ça explique peut-être pourquoi nos jeunes font toujours aussi bonne figure aux tests Pisa.

Mais le problème que nous vivons en éducation est toujours de devoir vivre avec un discours idéologique déconnecté  du savoir tangible en éducation et de devoir quasiment se cacher pour faire un bon boulot dans les classes. 


vendredi 3 janvier 2014

De la nécessaire idée de simplifier

La réforme s'est construite sur un certain nombre d'hypothèses d'apprentissage non vérifiées. Ce n'est pas n'importe quoi, mais un laboratoire national!

L'une de ces idées est de faire évoluer le jeune apprenant dans des situations complexes au lieu de fonder stratégiquement des connaissances avant de vouloir faire réfléchir les jeunes à de hauts niveaux. On a cru et l'on croit toujours dans ces milieux que c'est la seule façon de faire apprendre la complexité du monde («Rien n'est simple») contre une certaine tradition émanant de l'histoire des sciences et de l'évolution des savoirs qui se sont transposées dans les contenus scolaires. Les hommes du passé et les modernes ont surtout structuré le savoir en discipline pour mieux cerner et comprendre les lignes de force du réel jusqu'à il n'y a pas si longtemps. Le post-moderne réfléchira mieux pour son salut dans l'interdisciplinarité et la gestalt (saisie globale et immédiate des choses) de toute chose, semble-t-il.

Ainsi, les penseurs de la réforme ont prétendu que l'interdisciplinarité deviendrait la norme à l'école sans se soucier du fait que cette aptitude à faire des liens en dehors des disciplines  comporte un niveau de difficulté élevé qui est souvent pratiqué par des spécialistes déjà compétents et munis d'un bagage maitrisé dans leur domaine. On peut certes faire des liens interdisciplinaires en amateur ou avec un bagage de connaissances générales, mais ce n'est souvent qu'en forçant les choses et en élargissant les perspectives pour un résultat assez incertain, sujet à erreur. Dans ce mode de pensée, les pièges de la pseudoscience abondent. L'interdisciplinarité pratiquée par les sciences de l'éducation nous donne la preuve que même des spécialistes peuvent connaître des mésinterprétations en utilisant l'apport de disciplines complémentaires pour faire évoluer la pédagogie. Les Légendes pédagogiques de Baillargeon sont assez convaincantes à ce propos.

Ainsi, il est logique de faire des liens en histoire avec la géographie des lieux, puisque celle-ci fonde des possibilités de développement économique et explique l'évolution des us et coutumes en fonction du climat et de l'espace. On peut certainement faire à profit des liens entre ces réalités et mieux comprendre l'articulation du développement d'un territoire ou des civilisations qui y évoluent.

Si les manuels d'histoire proposent ce genre d'interprétations intéressantes à l'occasion, fallait-il pour autant structurer l'éducation dans le processus de l'interdisciplinarité? Faire étudier l'ensemble des variables d'une ville moderne comme Montréal pour appréhender la complexité historique, géographique et démographique, par exemple, est-il un bon plan pédagogique? Est-ce vraiment préférable à ces parcours disciplinaires imparfaitement structurés pour l'apprentissage et l'élaboration des connaissances générales?

Les études en efficacité de l'enseignement et les recherches en psychologie cognitive semblent clairement indiquer que non. Ce genre d'approche complexe à aborder avec des jeunes de première secondaire posée comme un objectif d'apprentissage chez le novice est assez ambitieux quand on considère que pour naviguer ou jongler dans des considérations complexes, il faut au cerveau un accès à des données bien installées en mémoire à long terme que des apprentissages antérieurs auront fixées. Autrement, les considérations demeurent superficielles et sujettes à erreur d'interprétation, quand elles ne sont pas parfois carrément insaisissables. Je suis d'accord avec Daniel Willingham, le spécialiste en psychologie cognitive, que rien ne nous empêche de faire des activités d'enrichissement avec les jeunes en restant à un niveau de simplicité adéquat pour leur donner des représentations partielles de certaines réalités complexes à l'occasion pour les motiver comme on explique l'histoire des débuts de l'univers aux enfants en première année qui fréquentent les écoles Montessori entre autres, mais on ne peut espérer les faire penser comme des experts si on veut leur faire acquérir des connaissances. On ne peut développer l'expertise que par la pratique des connaissances et savoir-faire en amont de la compétence qui automatisera les processus pour permettre éventuellement l'émergence à très long terme de l'expertise et les habiletés cognitives et métacognitives associées.

Quand les enseignants - des adultes ayant développé un niveau de connaissances générales et propres à un domaine - peinent à se sentir à l'aise dans ce genre de raisonnement, on ne s'étonne pas qu'ils ne se soient pas lancés aveuglément dans l'enseignement par projet interdisciplinaire avec de jeunes apprenants ou ils ne le font que lorsque certaines conditions sont réunies: avec des jeunes, par exemple, issus de milieux qui stimulent les connaissances générales. Il semble que certains jeunes enseignants s'y engagent avec n'importe qui pour les résultats que l'on constate aussi.

Il est portant déjà difficile de faire apprendre ce qu'on maitrise.

En grammaire, nous sommes dans l'hypothèse également que les jeunes peuvent appréhender la complexité sans bien avoir assimilé des connaissances de base.

Par exemple, l'observation et l'appréciation de l'impact stylistique ou sémantique dans les choix possibles de constructions syntaxiques auxquelles beaucoup d'exercices nous convient dans le matériel didactique au secondaire se révèlent la plupart du temps un cul-de-sac quand la plupart des termes de l'observation s'avèrent faiblement acquis ou pas du tout acquis. Très peu d'élèves accèdent à ces subtilités que même un adulte parfois peine à appréhender en l'absence d'une certaine habitude de  ce genre de considération que l'éducation spécialisée au domaine des langues permet. Dans la pratique, on ne refait pas les connaissances antérieures nécessaires à une acquisition comme ça sur le pouce. On n'essaie plus raisonnablement d'anticiper les impasses et on les évite avec les jeunes. Ou on s'y prépare longtemps.

Hier, je suis tombé sur le rapport d'un certain linguiste, Alain Bentolila, qui proposait en 2006 en France d'élaborer une simplification structurée du simple au complexe pour le domaine des langues et en particulier pour la grammaire, de mettre en oeuvre une simplification de la terminologie et de rompre un peu avec la pédagogie qui consiste à enseigner les stratégies d'experts. La lecture de plusieurs critiques de ce rapport, certes très imparfait, sur le site de Café pédagogique était éclairante sur la mentalité du courant socioconstructiviste de refuser de simplifier, car «rien n'est simple» selon eux.

La toujours très influente Madame Suzanne G. Chartrand continue de maintenir que ce n'est que l'entêtement d'une mentalité passéiste des enseignants qui ne se sont pas approprié sa grammaire renouvelée qui explique que nous peinons toujours collectivement à obtenir des résultats. Elle semble même militer pour abattre cet héritage qui crée chez les francophones une sorte de complexe négatif envers les langues. Son étude en 2012 révélait qu'aucun des 5 enseignants
observés finement n'utilisait les manipulations syntaxiques. Ils utilisaient encore les «questions», par exemple, pour faire repérer par les jeunes la fonction des mots. Dernièrement, au colloque Opale à Bruxelles, elle maintenait que l'on devait partir de la situation discursive pour observer les faits grammaticaux et que la discipline traditionnelle de la grammaire en soi était dépassée et n'avait jamais donné les résultats que certains lui prêtent, en plus d'être chronophage. Pour elle, la réalité discursive est la priorité.

Jamais, elle ne veut apprécier les raisons de cette résistance en dehors d'une sorte de rigidité de culture du corps enseignant. Jamais, elle n'ose penser pourtant à la considération pratique de la nécessaire simplicité que nous recherchons constamment pour arriver avec efficacité aux fins d'apprentissage avec les jeunes.

Ses manipulations syntaxiques, même si elle lui semble un jeu que des enfants devraient aimer pratiquer et donc propice à l'apprentissage, ne sont pas si simples à faire appréhender, à montrer et à faire pratiquer. La saisie de la structure profonde de langue n'est absolument pas si simple à faire découvrir. En plus, la mémorisation des opérations syntaxiques permettant de poser des jugements ou d'identifier des constituants se révèle difficile à obtenir chez l'apprenant comparé à un système, certes imparfait, de questions qui mènent effectivement parfois à des erreurs d'interprétation. Pourtant, le sens est souvent le territoire connu avec lequel on construit l'appropriation de la structure formelle de la langue. Je m'étonne franchement de ce refus obsessionnel des tenants des approches formelles de vouloir considérer la langue comme porteuse de sens et de cet interdit de vouloir utiliser cette entrée dans le processus pédagogique. À ce titre, j'oserais dire que leur entêtement à nous faire utiliser une approche absolument pas évidente sur le plan pédagogique rencontre le nôtre à vouloir maintenir un territoire où la compréhension peut être atteinte par des pratiques que la tradition a léguées. En ce moment, nous sommes pris dans cette absence de dialogue entre deux positions qui ne sont pas irréconciliables si on se donne la peine de s'entendre. Et les enfants paient le prix de ces erreurs maintenues en place par ce sourd bras de fer hiérarchique et insoluble.

La simplification trahit toujours la réalité, mais elle est une nécessité pratique en pédagogie, et pas seulement là si on y réfléchit, pour obtenir des acquisitions. Pour moi, l'art d'enseigner consiste à aider le jeune même dans des apprentissages fort complexes à suivre un chemin simple d'abord, même s'il faut  vivre avec l'imparfait jusqu'au moment où par enrichissement progressif les erreurs seront corrigées, les nuances seront abordées. Bombarder le jeune de nuances surcharge sa capacité de traitement cognitif et on ne peut espérer une mise en mémoire facilitée ni une grande motivation à persister dans ces conditions d'apprentissage. À ce titre, même si, dans l'environnement actuel, il est impossible de faire sans la grammaire renouvelée (comme on se plait, semble-t-il, à la nommer maintenant), comme pédagogue, je vois peu d'intérêt pratique à envisager la langue dans la structure des groupes avec des novices sans avoir fixé d'abord la structure simple sur laquelle on peut élaborer la réalité des groupements. Je me demande franchement où se trouve la supériorité pédagogique de faire appréhender les compléments de phrase par des jeux formels à la pratique qui consistait à faire observer des phénomènes sensés comme les circonstances d'une action dans la phrase par un jeu de questions et l'observation des groupes qui y répondent naturellement. On aura tout le loisir par la suite de montrer la propriété de ces groupes pour son utilité en ponctuation, puis en stylistique si on y tient. Il s'agit d'abord de discerner par des modalités opératoires simples et sensées, peu nous importe le moyen et l'exceptionnel complément essentiel et direct de lieu qui sort de la logique habituelle tout autant en nouvelle grammaire (il ne se remplace pas par quelqu'un ou quelque chose). Et c'est sans compter qu'on préfigure une saisie significative des subordonnées circonstancielles et les relations logiques qui de nos jours tombent du ciel!

Je maintiens donc que la pédagogie traditionnelle de la grammaire avait bien des avantages que nous aurions intérêt à méditer  tout comme de nombreuses innovations pédagogiques des dernières années, je pense à de nouvelles formes de dictées et au développement des routines orthographiques qui favorisent le transfert en situation d'écriture. Je suis toujours dubitatif sur l'enseignement de discours laborieux et chronophage sans la pratique de courts textes qui permettent d'intervenir beaucoup plus facilement pour rectifier les mauvaises habitudes en orthographe des jeunes. Je suis tout à fait d'accord avec l'idée que l'on doive enseigner la grammaire dans l'optique du transfert en situation d'écriture. Mais pour favoriser le développement de ces compétences, il faut passer par certains exercices primordiaux (conjugaison, vocabulaire, classement, reconnaissance des fonctions) puis par des raccourcis pratiques qu'on transmet dans l'enseignement de routines d'autocorrection et non par la lourdeur grammaticale abordée superficiellement à laquelle nous convient constamment les instruments didactiques sur le marché et dans nos écoles. Si nous n'aidons pas les jeunes à faire ces liens mémorisables, ils s'en créeront de toute façon et pas toujours profitablement.

La pédagogie pour les enfants ne peut se penser avec les critères exhaustifs des milieux universitaires. Même si rien n'est simple, un bon pédagogue doit trouver la simplification qui rend effective l'acquisition d'une structure de base du savoir et les occasions simples de les faire réutiliser en situation d'exercices pour le développement de compétences comme l'écriture. Pour le reste, il vaudrait certainement mieux faire développer des cartes mentales simples et même simplistes qui s'enrichiront au gré du parcours de formation de l'enfant en développement que d'espérer lui aménager des raccourcis par l'enseignement illusoire des stratégies de l'expert qu'il ne lui est malheureusement pas permis de gérer convenablement la plupart du temps faute de préparation suffisante pour la simple raison que l'expertise se développe sur une très longue période de temps. Dans l'univers actuel des promesses de la facilité ludique d'apprendre sans effort que nous scande à grand renfort d'artifices le temple des marchands, ce ne sera pas simple à revendiquer, j'en conviens!

À mon sens, on ne sortira pas de ces débats tant qu'on n'aura pas pris la mesure de cette nécessité pratique pour la pédagogie.

L'univers universitaire, royaume de la nuance fine, n'est peut-être pas pour cette raison un creuset favorable pour de bonnes idées pédagogiques effectives.

Je ne crois pas forcément que l'enseignement doive revenir à ce qu'on faisait avant ni qu'avant était meilleur pour tous. Mais, dans cette tradition qui persiste, malgré les réformes, il me semble qu'il y a des outils simples et éminemment plus formateurs pour les jeunes apprenants que nous avons jetés avec l'eau du bain qui mériterait qu'on les réhabilite pour leur valeur pédagogique.