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vendredi 4 juillet 2014

Quand en finira-t-on avec les compétences transversales?

Avec la fin d'année et les bulletins de fin d'année, est revenu ce détail débile dans la vie d'un prof: n'oubliez pas de faire vos compétences transversales. Le message était adressé au tuteur de niveau qui avait la charge de faire l'évaluation de ces fameuses compétences qui sont, de façon notoire et sans appel, qualifiées d'inutiles à l'unanimité par les profs que j'ai croisés dans ma vie dans les différents et nombreux milieux que j'ai visités.

J'étais donc responsable avec une collègue de poser un jugement sur la compétence: faire preuve d'un jugement critique et savoir communiquer.

Elle enseigne les sciences et moi les maths à ce groupe.

Bref, nous nous rencontrons pour arriver en moins de deux minutes à la conclusion que ces deux compétences si elles sont transversales ne se manifestent pas souvent de façon tangible dans nos deux cours. La prof me dit qu'elle va s'occuper de rencontrer la prof de français... Et au final, j'ai su qu'elle les a évaluées avec celui d'histoire...

Franchement, ce n'est pas sérieux. C'est comme une tâche souvent pas très longue à expédier qui nous fait sentir à chaque fois les dindons d'une farce qui n'a que trop duré. Une farce qu'on balance à la face des parents et des jeunes dans leur bulletin.

Comme le soulignait un collègue, un jeune peut ne pas développer une de ces fameuses compétences et tout de même développer une utilité certaine pour la société. On connait tous d'excellents élèves très timides ou renfermés qui n'ont pas trop d'habiletés sociales et qui feront certainement leur chemin dans la vie. Bref, ces jeunes ont plus de mal à coopérer, leur savoir communiquer est plus difficile que d'autres élèves très loquaces de nature.

Ces qualités souvent plutôt intangibles qui dépendent fortement de la personnalité et du caractère pour se développer ont-elles vraiment à faire l'objet d'évaluation.

Prenons la compétence résoudre des problèmes en exemple

Certaines compétences se développent plus clairement dans le cadre de certains cours au travers, je dirais, des situations plus propices à les faire développer ou s'exercer. La capacité de résoudre des problèmes, par exemple, est travaillée en mathématique et fait l'objet d'un critère disciplinaire qui compte pour 30% de la note.

Juste pour voir un peu, regardons ce que disait le MELS de ce que le jeune doit développer pour cette compétence au deuxième cycle du secondaire:
Au deuxième cycle du secondaire, les élèves doivent résoudre des
problèmes qui présentent un plus grand indice de complexité parce
que peu ou mal définis, ou situés dans des contextes plus ambigus.
Ils sont capables de cerner, dans une problématique donnée, les
caractéristiques des solutions potentielles et de structurer leur
démarche en conséquence. Ils analysent les tenants et aboutissants
de chacune des avenues qui s’offrent à eux. Ils évaluent leurs stra-
tégies et celles des autres afin de trouver la meilleure solution pos-
sible. Pour ce faire, ils recourent à une plus grande diversité de
ressources. Ils transposent les stratégies les plus efficaces pour
résoudre des problèmes analogues. Ils s’exercent à poser un regard
critique sur leur démarche et à mobiliser leurs savoirs antérieurs
pour résoudre des problèmes nouveaux.

Pour avoir fait vivre ce genre de situation problème et avoir évalué les démarches des jeunes, je peux dire que certainement les situations se présentent sous une allure de complexité pour ne pas dire alambiqué. Ces situations sont souvent construites pour mobiliser un maximum de connaissances mathématiques acquises dans l'année et dans les années antérieures au prix de créer un problème qui est rarement de nature à ressembler à des situations de la vie normale. 

De plus, on remarque rapidement un «pattern» dans ces problèmes. Tout est présenté dans des aspects qui vont devenir les étapes de la démarche pour établir des éléments préalables (par exemple, différents items d'un budget) pour répondre à la question centrale (comme un certain élément du budget) pour finir dans un contexte où l'on devra tester différentes solutions en fonction de diverses contraintes qui seront posées vers la fin du problème qui conditionne la solution à trouver. En général, il y a plusieurs solutions possibles et les jeunes doivent démontrer la pertinence de la solution proposée.  La difficulté tient surtout au fait que le problème se présente sur deux pages avec beaucoup d'énoncés à lire et comprendre. Et les jeunes doivent apprendre à discerner dans cet ensemble ce qu'on leur demande de déterminer. L'autre difficulté que j'ai observée chez les jeunes, c'est qu'il oublie souvent de respecter une ou deux contraintes.  Enfin, ils ont un peu de mal à démontrer la pertinence de la solution proposée qui est offerte sans trop de justifications.

Bon, j'ai été étonné tout de même de rencontrer des jeunes de niveaux réguliers plutôt bien gérer ce genre de défi. Comme quoi, on peut certainement montrer à faire face à des contextes compliqués par une certaine pratique régulière et en les confrontant à des genres de problèmes qui ont un «pattern» qui structure les démarches. Dans le milieu, des profs ont fait régulièrement vivre ces situations problèmes et ont exigé un certain nombre de pratiques comme la numérotation des étapes et des titres pour chaque étape. En général, 80% du problème est assez aisé à régler pour les jeunes. Les jeunes de ce milieu arrivaient admirablement à offrir des démarches bien structurées avec des titres, une numérotation des étapes et en général en développant assez correctement les calculs. Plusieurs arrivaient très bien aussi à nommer les connaissances mobilisées.   

Honnêtement, je ne sais pas si ces jeunes ont développé une capacité à résoudre des problèmes ou si on les a bien structurés à résoudre des problèmes typiques au cours de maths.  

Toujours est-il qu'on ne me demandait pas de poser un jugement sur cette compétence dite transversale où j'ai eu l'occasion comme prof de maths  de voir les jeunes à l’œuvre, mais sur la capacité de poser un jugement critique ou de savoir communiquer. Et même si j'avais eu à le faire, mon regard aurait été cantonné à l'angle que j'ai sur les jeunes, soit leur capacité à résoudre des problèmes en maths.

Je m'explique. En sciences de secondaire 3, ce ne sont pas les mêmes élèves, mais des élèves un an plus jeunes, j'ai eu l'occasion de faire vivre en atelier un projet où les élèves devaient réaliser une imitation de machinerie fonctionnant avec des mécanismes hydrauliques en utilisant deux seringues remplies d'eau réunies par un tuyau. En activant le bras d'une seringue, on créait un effet sur le bras de l'autre seringue. Les projets de réalisation ressemblaient à ceci: 
La plupart ont choisi de faire une pelle mécanique ou «pépine» comprenant plusieurs bras articulés, des pivots, un pelle, une base et plusieurs mécanismes hydrauliques pour faire activer leur machinerie miniature.

J'ai été étonné d'observer que les jeunes en général, même s'ils ont adoré faire ce projet, ont été en général incapables d'anticiper les problèmes techniques qu'ils ont systématiquement rencontrés. Même si j'avais attiré leur attention sur les caractéristiques qu'ils devaient anticiper, notamment de prévoir comment ils allaient fixer à leurs bras articulés les mécanismes hydrauliques, ils ont en général négligé ce détail pour se retrouver avec la question: comment installer les mécanismes? Et honnêtement, une chance que le prof a quelques années passées dans la rénovation où l'on doit faire preuve régulièrement de créativité pour résoudre des problèmes de ce genre et une bonne connaissance du potentiel des matériaux utilisés et qu'il a fait régulièrement des suggestions, car on n'en serait pas sorti. Le projet, pour la moitié des équipes, s'est prolongé d'ailleurs dans de multiples périodes de récupération.

Bref, je gagerais que ces jeunes s'en sortent plutôt bien dans les situations problèmes de maths de 3e secondaire. 

En fait, on le voit, cette soi-disant capacité générique est fortement tributaire d'une bonne connaissance du sujet ou du domaine pour donner lieu à sa manifestation. Sans les connaissances de maths assez bien ancrées, les jeunes n'arriveront pas à bien cerner les étapes du problème. En atelier, plusieurs jeunes avaient une méconnaissance des matériaux et de leurs caractéristiques, ils ne connaissaient pas l'utilisation des outils pour en exploiter les potentiels. Bref, ils manquaient d'expérience dans un atelier. Il n'avaient pas eu l'occasion comme moi de voir un père, un frère, d'autres employés trouver des solutions à différents problèmes. Ils n'avaient pas fait différentes expériences pertinentes sur lesquelles s'appuyer pour répondre aux exigences de ce défi. Ils n'avaient pas vécu des succès et des échecs dans leur tentative de résoudre des problèmes de natures techniques utilisant du bois ou du métal pour faire des constructions. Et ils n'avaient même pas le sens fin d’observation ou le bon sens simple de copier le prototype que vous voyez sur cette photo!

Ceci m'amène à la conclusion que cette compétence que l'on se propose de faire développer dans la salle de classe  ou en atelier est un bricolage intellectuel plus ou moins pertinent pour la vie. Sur un chantier, on trouvera généralement dans une équipe des ouvriers d'expériences qui auront avec les années développé une excellente créativité à résoudre les problèmes liés à leur domaine. 

Bref, on s'attaque à un objectif qui ne peut être atteint qu'après bien des années de mobilisation d'une certaine attention à des problèmes typiques au domaine, mais on peut certainement tout de même mettre les jeunes devant des défis de résoudre des problèmes  à l'école sans en faire une fin quant aux chances de se développer avec une certaine pertinence pour un domaine particulier.

Les autres compétences transversales

On pourrait certainement en dire long sur chacune des compétences transversales.

Ainsi, savoir exploiter l'information est une aptitude qui aussi se spécialise et prend des visages multiples en fonction des différents métiers que l'on pourra exercer dans sa vie. Dans mon métier, c'est une compétence assez importante, mais elle ne s'exerce pas comme elle le serait dans un contexte de journalisme, ou dans celui d'un éditeur ou d'un chercheur ou même d'un cadre dans une entreprise. L'école peut bien montrer sa dimension intellectuelle, elle trouvera des visages d'expression assez multiples dans la vie des gens. Ce serait, je pense, une utopie de pouvoir cerner l'ensemble de ces visages et d'abstraire un jugement global dans le développement de cette faculté qui comporte des facettes intangibles si on la considère comme une compétence générique.

Le jugement critique est une compétence tout aussi fortement colorée par le domaine où elle s'exerce et qui suppose évidemment sa connaissance étendue et aussi une certaine expérience de la culture du domaine qui aura permis de cerner l'essentiel de l'accessoire et la valeur des productions qu'on y trouve. A l'école, on ne peut souvent que faire faire une appréciation très amateur de domaines qui demeurent généralement étrangers pour les jeunes qui posent leur regard sur des réalités nouvelles qu'on leur fait aborder.

On pourrait certainement en dire autant des autres compétences proposées par le MELS: mettre en oeuvre sa pensée créatrice, se donner des méthodes de travail efficaces, exploiter les technologies de l'information et de la communication, actualiser son potentiel, coopérer et communiquer de façon appropriée. Ces compétences, qu'on reconnait se développer dans différentes sphères de l'activité humaine, prennent des visages très différents selon le domaine où elles s'exercent. Une connaissance approfondie du domaine et une longue expérience permettent de raffiner ces qualités remarquables que l'on voit développées chez certains experts dans leurs domaines propres.

Il reste que dans l'état de bourgeonnement dans lequel on peut les trouver chez un jeune qui est confronté au milieu scolaire qui lui fait vivre des expériences typiques du milieu scolaire, il apparait prétentieux de poser des jugements sur le fonctionnement d'un jeune pour ces différentes compétences à développer. On devrait d'ailleurs parler bien davantage d'aptitude ou de potentiel que de compétences qui supposent un acquis.

Un enseignant peut dans l'expérience qu'il vit avec ses jeunes faire à l'occasion des appréciations sur le développement du jeune dans le cadre des cours qu'il fait vivre à ses jeunes. Il est rarement en mesure de poser un jugement clair sur l'ensemble des réalisations d'un jeune à l'école. En fait, il le fait déjà souvent dans le cadre de compétence disciplinaire dont il s'occupe prioritairement: un enseignant de français observe régulièrement le potentiel du jeune pour la communication en lui faisant vivre des situations de production orale et constate souvent l'impertinence de son jugement critique tout à fait normale pour un jeune encore en train de s'imprégner des différents éléments de la culture générale dans laquelle il se développe. Il peut apprécier le fait qu'un jeune utilise ou  non les méthodes qu'il enseigne pour améliorer ses performances dans les productions typiques qu'un cours de français exige.  Un enseignant de français peut à l'occasion amener des jeunes à exploiter les informations ou à utiliser les ressources de la technologie de l'information, mais ces qualités qu'on doit solliciter pour produire de l'écriture ou des oraux demeureront des approches approximatives, partielles et trop rares pour permettre d'approfondir et de développer des aptitudes de haut niveau en ces domaines. Et tant qu'une exigence liée à un niveau de compétence spécifique propre aux nécessités d'un certain boulot n’est pas là, il est puéril de structurer une méthode appropriée d'exploitation des technologies de l'information. (D'ailleurs, quand on voit le programme idéologique parsemé de légendes pédagogiques que nous a produit le MELS avec sa réforme, sans tenir compte de la recherche crédible, il y a quelques-unes de ces formidables compétences que nous aurions aimé voir s'exprimer dans l'effectif humain de ce directif organisme.)

De même, un enseignant de math, s'il a beaucoup de mal à voir ce que son collègue de français examine régulièrement, pourra avec plus d'acuité observer la capacité à résoudre des problèmes, mais toujours dans les limites de la culture du cours de maths. Il pourra aussi évaluer la capacité du jeune à utiliser les méthodes de travail qu'il lui enseigne pour surmonter les défis reliés à sa matière.

On pourrait ainsi faire le tour des matières pour bien établir que l'enseignant ne pourra qu'apprécier que certaines des compétences transversales et avec les limitations que confère sa situation d'observateur dans le cadre de l'expérience pédagogique propre à sa matière.

Enfin, on soulèvera le fait que nous rencontrons beaucoup de jeunes dans une année scolaire et nous aurons en plus quelques difficultés à nous souvenir des particularités propres de dizaines de jeunes, voire de centaines pour certains.

Pour toutes ces raisons, il n'est pas étonnant d'entendre l'unanimité d'un jugement critique de l'ensemble de la profession qui me semble donc assez fondé: les compétences transversales ne sont pas vraiment évaluables et  cette demande toujours répétée de nous prêter à cette évaluation des plus amateur est un embêtement dont on se passerait franchement.

 Bref, quand en finira-t-on avec les compétences transversales?


1 commentaire:

Le professeur masqué a dit…

J ai vecu la meme situation stupide. Une perte de temps mais quand il faut permettre a certains de sauver la face...