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dimanche 7 décembre 2014

Progression dans le flou en éducation

Chez le Professeur masqué, je disais que le grand brouillard du Conseil supérieur de l'éducation traduit la brume croissante dans les milieux de l'enseignement. On ne parle plus trop de réforme. Il n'y a plus de direction et tout (et n'importe quoi) surgit dans le climat des plans de réussite et des conventions de gestions qui font qu'il faut décider sur un coin de table en quelques minutes de la stratégie de l'école pour atteindre des objectifs de réussite. Il s'agit évidemment de grosse poudre aux yeux, car personne ne sait vraiment où l'on va pour faire avancer le bateau.

Dans les dernières années, il est de bon ton partout de parler de la salutaire progression des apprentissages qui clarifierait tout... sans plus d'explications, on n'a qu'à la lire, cette bible des temps nouveaux.

Comme on met beaucoup d'énergie à nous former au TIC, à nous balancer du matériel informatique sans avoir une espèce d'idée des méthodes à employer avec tout ce bazar. On met dans les mains des jeunes HDAA de jolis joujoux avec des idées simplistes sur leurs effets. Chez nous, on croit dans le milieu que de bien faire utiliser une souris scanner pour que les jeunes s'écoutent leur texte à travailler avec la voix imbécile de Word Q va leur faire comprendre leur texte. Les jeunes eux-mêmes ont compris que ça ne les avançait pas et ils délaissent souvent d'eux-mêmes cette quincaillerie lourde et inutile. Les adultes comprennent le message? Ben non! Ils les chicanent de ne pas utiliser la solution couteuse qu'on leur a donnée. Je soulève doucement mes observations avec des collègues... C'est toujours comme ça: je suis presque toujours le premier à poser la question de l'efficacité. Pourtant, ça crève les yeux.

On en parle, on en parle, de l'enseignement explicite en lecture, mais je ne vois pas plus les jeunes prendre un crayon pour souligner et annoter un texte qui a des effets pourtant bien documentés. Pourtant, partout où je passe, on prétend qu'on l'enseigne et éternellement, je vois des jeunes beurrer au complet leur texte d'un surligneur vert ou pire bleu! J'enseignais pourtant ça en 1995 dans une école pour élèves en trouble d'apprentissage et je n'ai jamais recommandé les surligneurs, un crayon à mine fait l'affaire pour le soulignement et les annotations (tout-en-un, nous ne sommes pas en art plastique). Évidemment, une stratégie comme celle-là coûte du papier, c'est quand même moins cher qu'un portable et des licences qui font vivre une industrie qui ne veut évidemment pas que le brouillard se dissipe trop vite, car ils ont tout plein de «bidus» d'éclairage antibrouillard à nous vendre.

Mais revenons à cette progression dans le brouillard. Je suis content pour ceux que la progression a éclairés. Je reste encore surpris qu'on dorme tranquille quand 30% des élèves du réseau public se plantent dans l'épreuve unique de français qui n'est pas l'évaluation la plus sérieuse qui soit. Et la tendance est à la baisse «progressive et itérative» ces dernières années!

Mon analyse me porte plutôt à croire qu'on met beaucoup d'énergie à perpétuer des approches inefficaces pour la raison simple qu'elles sont bien trop ambitieuses au lieu de réfléchir à une stratégie qui permettrait l'atteinte d'objectifs plus réalistes.

L'approche «graduelle et itérative», que le Conseil supérieur de l'éducation souligne, est pleine de bon sens à la condition qu'on ne surcharge pas le contenu d'objectifs irréalistes. Sinon, on voit tout superficiellement, année après année, dans un climat d'urgence. Après, on se plaint que les élèves ne se souviennent de rien.  Le programme de français est tellement surchargé. Si on fait la grammaire en y mettant le temps qu'il faut, on n'en a plus beaucoup pour travailler les objectifs en lecture. On veut tellement être exhaustif dans les milieux universitaires qu'on en oublie que le jeune lui n'est pas prêt à tout embrasser du même coup.


Par ailleurs, la progression des apprentissages a remis les genres au menu, mais les manuels sont toujours faits pour voir tout en même temps au premier cycle en particulier, ce qui permet peu de fixer ou de stabiliser la connaissance. Nous devons souvent nous tourner vers du vieux matériel pour retrouver des séquences plus limpides et claires pour favoriser les apprentissages.

En français, je trouve qu'on veut tellement conscientiser des processus de stylistique avec une approche lourde, rébarbative et tout un jargon qu'on en perd l'attention des jeunes qui me maitrisent pas pourtant de nombreux aspects plus élémentaires de la langue. On devrait s'inspirer de l'apprentissage dans d'autres domaines: je ne crois pas qu'on donne les conseils appropriés aux athlètes de haut niveau à de jeunes débutants. Un temps pour chaque chose.

On va me confier le mandat de préparer des jeunes pour l'épreuve unique et je peine à trouver un matériel récent qui mise sur les ingrédients essentiels. Non, on veut faire conscientiser tous les phénomènes de langue et de logique à ces pauvres grands enfants hypothéqués par les lourdes approches inefficaces de la langue et qui ne veulent que réussir leur examen. J'aimerais qu'on m'explique ce qu'on gagne à enseigner la notion de fondements de l'argument. Elle est loin d'être évidente à saisir et observer, surtout en ce qui a trait à la notion de valeur assez impalpable pour beaucoup de jeunes, quand on peut leur proposer de soutenir leur argument par une explication qui intègre de manière cohérente des faits, des statistiques, des points de vue experts, des exemples qui corroborent. Ces éléments aisément discernables dans un texte sont bien plus simples à faire réinvestir dans les productions. Je ne parle pas du fondement qu'on nomme dans cette théorie raisonnement, j'ai moi-même du mal à conscientiser des processus qui, la plupart du temps, émerge dans un mouvement réflexif sans que je me sois une seconde aperçu que je fondais mon argument sur un raisonnement.

Évidemment, mon approche simple ne fera pas des rhétoriciens de premier plan. Mais, franchement, est-ce le but immédiat pour des jeunes qui auront encore bien des occasions d'évoluer vers ce sublime objectif si ce domaine les appelle? J'espère juste réalistement leur donner une allure présentable pour la certification.  

La théorie argumentative en vigueur trahit une vision toujours limitée de l'acte de convaincre qui s'acquiert surtout par l'exercice et les prises de conscience que cette pratique génère, pas par l'enseignement d'un vaste bréviaire de notions abstraites qui, à la limite, empêche la réflexion d'émerger. La théorie précédente, plus simple, issue du modèle des années 80 (pratique, objectivation, acquisition, pratique, etc. ) convenait bien davantage au niveau d'entendement général des jeunes de ces âges. Je m'emploie donc à m'y inspirer.

Je rigole quand je vois, dans un ouvrage dirigé par un pontife du domaine me parler de canevas de texte (la notion de plan étant bien trop simple, j'imagine), qui ne doit pas être une forme où verser son texte. Comme si d'enseigner le modèle scolaire, qui est évidemment bien trop structurant pour rendre compte de la diversité des formes du genre argumentatif, n'avait pas tout de même l'avantage indéniable d'aider à fixer un certain ordre dans les esprits en formation.  On ne verse pas son texte dans un plan, on le dessine et le construit dans une structure lisible qui favorise la communication. On voudrait tellement avoir encore une fois (je pense ici à cette néo-grammaire en passant) une théorie sans faille qui rend compte de tout ce qui se manifeste, sans voir que ce souhait est irréalisable et que, sur un plan pédagogique, le genre d'enseignement qui s'en inspire est voué à l'échec parce que l'esprit ne peut s'encombrer ainsi pour se déployer efficacement. On est voué à l'imperfection et à la lente acquisition des savoirs qui demeurent des balises dans un océan de possibilités. 

De vieux principes de l'apprentissage ont été oubliés. Mais bon, c'est toujours la même (et son clan) qui dicte depuis 20 ans ce qu'il faudrait enseigner dans les classes de français au primaire et au secondaire.

Quand on aurait besoin de conseils, on nous donne le lien d'un portail de l'université Laval qui n'a que la même approche tordue à proposer: de jolies et rares séquences didactiques faites selon une logique de linguistes modernes par de jeunes apprentis-enseignant(e)s ou enseignant(e)s qui n'ont pas une longue expérience de l'enseignement et qui semblent avoir beaucoup de temps pour penser à des activités souvent inapplicables et inutiles.

Je ne sais pas d'où viendra le vent du changement, mais il est à réclamer à mon sens. Une didactique efficace se doit d'émerger dans son contexte d'expérimentation quotidienne: la classe ordinaire; et ce, avec un regard critique et réflexif qui constate ce qui se passe et qui ne se laisse pas aveugler par des présupposés répétés ad nauseam par des gens déconnectés de la pratique de l'enseignement avec des jeunes. Enfin, il n'y a qu'un critère valable: l'impact et sa mesure.