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dimanche 5 mars 2017

Au sujet de l'étude sur les futurs enseignants de français: la grammaire nouvelle, un échec.

Récemment, le journal de Montréal publiait un article sur une étude réalisée auprès de 85 futurs enseignants de français qui auraient une «fragile» connaissance des notions grammaticales et une surévaluation de leur compétence en ce domaine. Je suis très d'accord avec le professeur masqué sur le fait que, dans l'évaluation, on ne permet pas d'«insister» auprès des élèves pour travailler avec eux les connaissances grammaticales, ce qui explique que  l'on puisse sortir du réseau scolaire en surestimant ses capacités.

Méconnaitre le GN

Cependant, il est assez troublant de constater que certaines notions enseignées au premier cycle du secondaire ne soient pas maitrisées par de futurs enseignants de français et ceci peut aussi expliquer pourquoi on peine tellement à transmettre simplement, par exemple, la notion de GN (groupe nominal) et de ses constituants et de ses fonctions au premier cycle du secondaire. (Le questionnaire donné à ses enseignants se trouve sur un site du RIRE en passant et il est instructif d’aller fouiller le document.) Je constate que, comme autrefois, on n'enseigne pas la base à ces futurs maitres de la langue en assumant que l'école secondaire a fait son travail...  D'après un commentaire lu sous l'article sur le site du RIRE, on présente aux étudiants des analyses en didactique de pointe sans s'assurer qu'ils maitrisent les bases pour pouvoir suivre ces savantes démonstrations. À l’université, on fait la même erreur que celle qu’on nous fait faire avec les jeunes au secondaire en voulant entrer dans des ramifications grammaticales sans nous assurer que le système d’analyse et les connaissances associées sont suffisamment maitrisées. Si l'on se penchait plus souvent sur cette difficulté, peut-être découvririons-nous que le système d’analyse est assez difficile à simplement transmettre. Peut-être est-il tout simplement trop lourd et inefficace.

Une grosse partie du problème: 22 ans de nouvelle grammaire

Ainsi, je crois que d'autres questions que celles concernant l'évaluation sont également à se poser. La nouvelle grammaire est seulement enseignée au Canada dans 4 provinces et cette pédagogie de pointe  ne se remet pas en question non plus. Après plus de 20 ans de délire et de constats d'échecs lamentables à transmettre de cette manière une compréhension de base satisfaisante de la langue, je pense qu'on devrait un moment donné revenir à ce qu'on faisait.

Lourde, soporifique, encombrée, inefficace

La grammaire nouvelle est d'une inconcevable complexité de maitrise. La lourdeur des définitions utilisées, la complexité des structures syntaxiques employées (groupe machin chouette), sa vaste terminologie qui encombrent l'esprit (groupe, expansion, noyau, remplacement, dédoublement, suppression, donneur d'accord, receveur d'accord, phrase graphique, phrase syntaxique, etc.),  la variété fabuleusement procédurale des manipulations syntaxiques qui sollicitent trop de mémorisation d'abstractions, la difficulté technique de les exposer efficacement, ne rendent pas notre tâche facile. Comme de nombreux enseignants de français de ma génération, j'ai appris sur le tas cette soupe d'analyse grammaticale des plus soporifique.

J'essaie de faire mémoriser ces contenus et de les faire mettre en action pour un résultat assez  navrant. En désespoir de cause, je recours encore à des simplifications de la grammaire traditionnelle. Ces grands grammairiens des universités qui tentent de transmettre les nouveaux développements en didactique de pointe de la grammaire pour que les enseignants du secondaire les transmettent aux jeunes sous-évaluent la capacité générale de ces derniers à entrer dans ce genre de ramifications complexes de la langue. J'en ai en général 1 ou 2 par classe d'une quinzaine d'élèves qui ont une capacité de ce genre et, encore, ce n'est pas simple pour eux quand je m'aventure sur ces terrains, car la démonstration des connaissances est malaisée dans le contexte d'une classe qui se sent souvent dépassée.

J'ai regardé le questionnaire donné à ces futurs enseignants. Même si certaines questions concernent des connaissances assez de base, plusieurs questions sollicitent des connaissances assez pointues et supposent des explications données par une analyse très lourde de type nouvelle grammaire. Il est rare d'avoir un auditoire d'élèves au secondaire suffisamment équipés en connaissances préalables pour entrer dans les ramifications de la grammaire avancée. On est souvent donc à refaire et refaire des bases qui servent en situation d'écriture et à aborder superficiellement ces analyses plus avancées puisque l'on perd rapidement l'attention d'une classe d'élèves quand les connaissances abordées les dépassent.

Honnêtement, quand j'observe dans cette étude toute la complexité d'une analyse permettant par exemple de corriger une phrase complexe contenant une erreur d'accord du verbe avec son sujet (simplement inversé) en reconstruisant en analyse les phrases de base pour observer finalement que le sujet est inversé, je me dis que la didactique de pointe est dans le champ. Oui, quelque part dans l’esprit on peut avoir recours à cette manipulation. Mais il est bien plus simple d’avoir appris à vérifier l’accord sujet-verbe par une démarche procédurale simple qui consiste à poser une question devant le verbe et, par le sens, à le localiser comme le faisait pratiquer l’analyse grammaticale traditionnelle. Oui, on peut distinguer des subordonnées complétives et des subordonnées relatives en retrouvant les phrases de base en reconstruisant la phrase subordonnée si c’est possible en constatant qu’on a un pronom relatif «que» qui remplace un CD. En grammaire traditionnelle, on avait la procédure simple qui consistait à poser la question «quoi» après le verbe de la subordonnée pour voir si le mot «que» était bien un pronom avec son antécédent. Tout cela était enseigné dans une systématique analyse logique des propositions qu’on apprenait à classer et à distinguer. La répétition de ces procédures  - qui partaient d’une structure simple que l’on complexifiait avec le temps dans une démarche régulière souvent répétée d’analyse grammaticale, puis d’analyse logique  -  permettait avec le temps de placer en soi une connaissance peut-être approximative ou incomplète, certes, mais stable de la langue. Sans ces connaissances procédurales que ma formation au primaire et au secondaire m’a données, il serait franchement ardu pour moi de comprendre bien de ces savantes et lourdes analyses de la nouvelle grammaire. L'analyse structurale et formelle de la langue peut être un intéressant approfondissement pour celui qui a reçu un enseignement traditionnel. Comme enseignement de base, c'est développer une erreur fondamentale en pédagogie qu'on devrait s'efforcer d'éviter: compliquer ce qui peut être simplifié.


Des notions peu utiles et pas assez souvent vues dans le parcours

Quand on regarde les manuels et les cahiers d’exercices du secondaire, on constate que la connaissance du GN ne fait que l’objet de quelques pages par an. Quand je vois ce qui reste du travail de ces quelques pages après une semaine chez les jeunes, je ne m’étonne pas que la plupart n’aient rien retenu de cette notion à la fin du secondaire et que, d’année en année, il faille recommencer sans arrêt une approche trop complexe et encombrée qui ne fonctionne pas sans obtenir le moindre résultat.

À quoi sert-il franchement d’apprendre à mémoriser les différents groupes qui peuvent être expansions (les compléments, pourquoi 2 mots?) dans un GN si ce n’est dans une perspective d’enrichissement stylistique des textes? Quand on peine régulièrement à enseigner ces structures, on  doit admettre que les visées stylistiques sont peut-être un peu trop ambitieuses.

À quoi sert-il de faire mémoriser les fonctions possibles d’un GN? Y a-t-il une notion encore moins utile que celle du complément de la préposition? Ce genre d'analyse n'a aucun sens, une préposition n'a pas de sens  plein mais un sens de liaison.  Le complément d'objet indirect CI est-il plus compréhensible parce que l'on constate qu'il est souvent rempli par un groupe prépositionnel en grammaire nouvelle?

Traditionnellement, on arrivait pourtant à de meilleurs résultats sans l’intervention de la notion de groupe (ce doublon encombrant) tout en maintenant un rapport le plus souvent avec le sens des mots et la logique des idées. Pour moi, l’analyse formelle et structuraliste de la langue est un échec total comme stratégie didactique auprès des jeunes. À l’époque de la plate répétition systématique de l’analyse grammaticale de la phrase simple et de l’analyse logique des phrases complexes, il fallait vraiment être peu doué pour ne pas apprendre ses classements (les natures de mots) et ne pas avoir une notion claire des fonctions dans la phrase. Pour apprendre à lire et écrire correctement, c'était suffisant. Les jeunes, de nos jours, n'apprennent pas à classer les mots au primaire. Les «mon ton son notre votre leur», c'est terminé.  Et la fonction des mots est une section dans un cahier d'exercices - elle avait complètement disparu en passant de certains cahiers d’exercices des années 2000 - plutôt que la deuxième constante après la nature des mots de l'analyse grammaticale. L'analyse grammaticale est devenue une activité plutôt rare dans les classes de nos écoles offertes sans constance dans différents contextes sans vraiment permettre de développer son utilité. L'analyse en arbre est un processus casse-gueule, superficiel, couteux en temps et qui n'apporte vraiment rien au moulin.


C'est toute la mécanique de ce système d'analyse inefficace et surchargé qui est à remettre en cause.

Mais voilà, en 20 ans, je n’ai pas vu grand monde oser critiquer l’approche de la nouvelle grammaire de  Suzanne G. Chartrand. Non, j’ai vu que des ânes répéter la supériorité de cette approche comme on le leur a répété à l’université ou dans des formations. J’ai vu aussi beaucoup de professionnels ignares dans ma vie faire semblant de tout comprendre pour ne pas passer pour des incompétents.