Comme tout le monde,
j’ai un téléphone. S’il est intelligent, je ne sais trop, en tous cas, c’est un
iPhone qui date et dont je ne serais pas capable de désigner le modèle. Mon
forfait est à la carte que je le recharge une fois l’an et je m’en sers à l’occasion
quand je ne suis pas avec ma femme qui a le téléphone principal de notre maison
qui nous suit partout. Je m’en sers très rarement, sauf parfois quand je suis
en vadrouille de quelques jours pour aller en ville voir mes jeunes par
exemple. Il est ouvert à la maison et en lien avec le WiFi, mais jamais personne ne m’appelle sur cette
ligne, parfois je le prends parce que la tablette est trop loin et que je suis
trop fainéant pour aller la chercher ou aller sur mon ordinateur portable. Je l’ai
eu parce qu’une amie s’en débarrassait pour un modèle plus nouveau, sinon j’avais
toujours mon cellulaire, pas intelligent celui-là, que j’avais acheté à la fin
des années 2000 avant ce changement dans nos vies, enfin dans la vie des
autres.
Je n’ai pas trop de
mérite, j’ai enseigné dans les 8-9 dernières années en région éloignée, dans
des coins reculés où le signal est inexistant ou de faible qualité dans le cas
de ma dernière «mission». Enfin, de par mon métier, je suis assez constamment
en train d’utiliser un portable soit à l’école soit à la maison et même, au
salon, depuis quelques années, j’ai une tablette commode pour le confort. Je ne
vois pas la nécessité de m’engager pour un forfait assez couteux qui ne me
servirait pas vraiment. ET cette année, je ne suis mis en sabbatique et je ne
bouge pas trop de chez moi…
Bref, je suis un peu
mal à l’aise d’éduquer des jeunes à utiliser convenablement cet appareil comme
suggère cette «experte» selon La
Presse dont on me dit qu’il est devenu un «fléau» en tous cas en France,
au point que cette dernière compte en interdire l’utilisation à l’école.
Bon, je ne suis pas
complètement bête, je me doute bien du «fléau» en question, puisque dans ma
dernière «mission», comme j’ai dit, les jeunes en avaient et on devait gérer le
«problème». Mon acte éducatif occasionnel à ce sujet s’est borné à en
confisquer quand un malheureux avait oublié d’éteindre sa sonnerie! Nous avions
une politique assez claire et les jeunes devaient les laisser éteints dans leur
casier dès leur entrée dans l’école. Les jeunes m’ont bien évidemment interpelé
sur la question, car ils lisent, sur le Net, différents avis. Je leur
expliquais mon utilisation, ce qui ne manquait pas de les surprendre même en
région éloignée. Et je disais aussi que la littérature sérieuse n’était pas
trop chaude à l’idée que cet «outil» serve vraiment la cause des
apprentissages, même si des «vendus» à la cause des multinationales du numérique
inondaient régulièrement l’espace public des effets «soi-disant» magiques des
outils numériques sur les apprentissages, sans jamais toutefois prendre la
peine d’aller au-delà de leur expérience extraordinaire pour démontrer leur
vérité qui l’était du fait que des milliers d’autres moutons répétaient la même
chose qu’eux… Évidemment, j’étais un peu plus clair dans mes explications ou
enfin j’essayais d’être un peu plus pédagogique!
J’ajouterais que,
lors d’une projection du film 1 : 54
que la direction a décidé de faire voir à l’ensemble de nos élèves du
secondaire dans le cadre de l’éducation sur les effets de l’intimidation qui
est un sujet assez constant dans nos écoles ces
dernières années depuis une certaine politique qui a vu le jour il y a
quelques années, lors de cette projection, donc, j’ai pris conscience de l’élément
fléau pour ce que l’«outil» pouvait devenir «arme psychologique» dans un
contexte que j’ai bien connu à une autre époque dans les «petites guerres de
popularité» qui se jouent ordinairement dans les milieux scolaires chez les
jeunes de ces âges. Sporadiquement, ces guéguerres éclaboussent nos gestions de
classe ou la vie scolaire. En fait, même si les téléphones étaient interdits
dans nos murs au point que les enseignants qui s’en servaient à l’occasion se faisaient
regarder avec de gros yeux, nous avons régulièrement géré dans l’école des
situations les impliquant et avons fait plusieurs formations aux jeunes à l’aide
de différents intervenants.
«Quand on dit non, on n’éduque pas»
Quoi?
Notre experte
reprend une idée phare du lobby du numérique, un mantra répété pour frapper les
esprits très sensibles de nos jours sur la question de l’autorité qui est
devenu un tabou. Bref, ce n’est pas une experte, elle est comme toutes les
directions qui n’ont plus le souci quotidien de gérer une classe et qui sont
devenus le jouet des vendeurs de bébelles pédagogiques qui se disputent le
micro dans les congrès ou les réunions des directions d’une CS pour vendre leur
popote numérique ou leur meuble pédagogique (sans blague, sont tendance les
pupitres à table ajustable pour adonner des hyperactifs qui voudraient écouter
votre cours debout si l’envie leur en prend. Misère!)
Or, je ne sais pas
exactement ce qu’on entend de nos jours par éduquer, je fais le malin, mais, à
mon sens, le gros de ma pratique consiste à instruire, c'est-à-dire faire assimiler
des connaissances et développer des savoir-faire que nos sociétés dans une
certaine tradition considère importante de faire apprendre à ses jeunes. Je
suis un enseignant de français au secondaire et n’ai aucun diplôme en éducation
à l’utilisation des cellulaires. Tout au plus, je peux enseigner des programmes
différents du mien si j’en ai quelques connaissances et si cela accommode ma
direction qui se doit de me rentabiliser en me tenant occupé, ce qui fait que j’ai
enseigné, enfin instruit aussi les jeunes en maths, en certaines sciences et en
ECR. C’est mon mandat premier, on ne me demande pas vraiment d’éduquer et, comme
je le répète souvent, je ne suis pas le parent des jeunes qui entrent dans ma
classe. Une définition de l’éducation concerne le fait de développer la
personnalité du jeune. On s’entend qu'on ne me demande pas d’être le maître du
jeune de nos jours, mais de lui enseigner dans le respect des programmes le
français ou les maths, etc.
Mais bon, forcément,
quand on met 10, 15, 25 ou 35 jeunes dans un espace et que l’on compte les
instruire, il faudra mettre en place une certaine forme d’éducation. Il faudra
gérer les rapports humains et, ce faisant, nous transmettrons des règles, des
valeurs, de «bonnes manières» en classe pour que le climat y soit favorable aux
apprentissages que l’on vise.
Et disons qu’à cette
fin, on dit souvent «Non» avec toutes les ponctuations possibles et sur tous
les tons!
Évidemment, dire non
n’est pas le seul ingrédient de l’éducation nécessaire au cadre de l’instruction
dans lequel tout bon enseignant doit apprendre à survivre au début puis à nager
autant que faire se peut avec plus ou moins de succès. On enseigne des règles,
on les fait intégrer, on les explique, certains les font même débattre (je ne
suis pas chaud à cette idée), enfin on régule le comportement qui déborde
forcément du cadre par moment, car la vie n’est pas un long fleuve tranquille
quand on travaille avec des jeunes!
Et puis souvent on
dit simplement «non». Non. Parce que si l’on essaye d’éduquer en profondeur un
jeune avec toutes les explications du monde, on ne va pas s’en sortir et,
finalement, on ne va instruire personne.
Un coup les règles enseignées et réexpliquées à l’occasion,
on gère le comportement avec les moyens du bord, voilà l’éducation. Car l’éducation
n’est pas seulement, comme certaines âmes naïves aiment à le croire, de bien
faire entendre les raisons d’une conduite morale, mais c’est aussi d'intervenir
et de gérer des comportements avec une certaine autorité. Nos sociétés n’en
font pas autrement. Sinon, c’est le bordel.
Tiens, aux nouvelles
hier sur TV5, au TJ de France2 (que je regarde régulièrement, en raison de mon état
matrimonial particulier!), la France constatait son inefficacité à éduquer les
gens au sujet de la délinquance routière. Les accidents mortels y sont toujours
en hausse. Le reportage comparait ce résultat à celui de la Grande-Bretagne,
qui avait un bien meilleur score en ce domaine. En plus d’éduquer, la Grande-Bretagne
a aussi multiplié la surveillance par radar au point qu’il est difficile de
faire de la vitesse sans se prendre une contravention. Ensuite, on donne des
amendes sans limites, ce qui fait qu’on a déjà donné une amende de 60 700 euros
à un délinquant trop imbibé. On suspend même des permis à vie. À vie! Bref, les
gens y pensent à deux fois…
La gestion de
classe, c’est la même chose…
Bref, on peut
interdire les cellulaires à l’école, tout en éduquant les jeunes sur ces
questions. Enfin, quelque part, éduquer sur les questions de l’intimidation
suppose que nous nous positionnons aussi en gérant cet aspect du problème pour
au moins maintenir entre les murs de l’école un certain sentiment de sécurité
contre ces nouvelles «armes». Après, ce qui se passe le soir, après l’école et
durant les weekends, ce n’est pas de mon ressort ni de celui de mes collègues. Enfin,
tant que ça ne prend pas des proportions dans le vivre ensemble de l’école. Et
puis, si vous n’aimez pas que les gens vous «textent» en pleine face, gérez
donc votre «classe»… N’attendez donc pas que l’école le fasse à votre place.
Bref, malgré les
difficultés techniques que certains soulèvent, je ne serais pas contre l’empêchement
par une loi des jeunes d’user à l'intérieur des murs de l’école de ces instruments
qui leur apprennent si peu la patience et qui procurent des occasions illimitées
de distraction. Quant à ceux qui revendiquent leur utilisation à des fins
pédagogiques, j’y reviendrai peut-être, mais, pour le moment, je suis étonné qu’on
utilise des outils que tous les jeunes n’ont pas en main, parce que forcément,
moi qui n’en ai même pas un grand usage, je n’aurais pas payé un cellulaire à mes enfants. Je
ne suis probablement pas le seul, puisqu’on laisse entendre ici et là qu’au
moins 20% des jeunes n’en ont pas. Il y a autre chose dans la vie que les
réseaux sociaux… Bref, dans cette interdiction qui ne vise qu’à aider le climat
de nos classes à demeurer propice aux apprentissages, comme on dit, il n'y a
pas mort d’homme…
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