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vendredi 30 juillet 2010

Dune

" Le mystère de la vie n'est pas un problème que l'on doit résoudre mais une réalité qu'il faut expérimenter.

Méditations de Bifrost Eyrie.
Texte bouddhislamique

Le propos de l'argument est de changer la nature de la vérité
Précepte Bene Gesserit

Quand vous posez une question, voulez-vous vraiment connaître la réponse ou essayez-vous simplement votre pouvoir?
Dimitri HARKONNEN, Notes à l'Usage de Mes Fils."

Dans Avant Dune. 2. La Maison Harkonnen


Je lis et achève mon deuxième tome de Avant Dune cette semaine. Une savoureuse semaine! Je suis toujours captivé par cet univers que j'ai découvert il y a une douzaine d'années avec le premier tome de la saga Dune. C'est un plus gros pavé que le premier de la trilogie écrite par le fils, Brian, de Frank Herbert, le  créateur du monde complexe de Dune, avec un certain Kevin J. Anderson. Comme dans la saga, l'action est lente, les intrigues sont multiples, enchevêtrées, les rebondissements sont souvent inattendus, surprenants, avec une certaine invention et parfois de l'humour. On se surprend à sauter, impatient, des chapitres, à revenir en arrière pour reprendre le fil d'une autre développement. Dune a l'intérêt de proposer une longue réflexion sur la condition humaine mise en scène dans un univers transposé aux dimensions mythiques. Comment pourrais-je communiquer cette complexité? Impossible! J'essaye quand même!

On y étudie le prolongement de nombreuses fascinations humaines dont celle, pour conjurer la peur, du pouvoir absolu divin incarné: immortalité, pouvoir absolu, ubiquité, prescience, mémoire de l'expérience universelle, etc. On découvrira dans la saga la surprenante contre-partie du pouvoir absolu: l'ennui mortel du prévisible et de la sécurité absolue et son prix: la perte de sa qualité humaine. Eh que j'ai trouvé cela fascinant, je me souviens!

J'y retrouve l'univers riche de la saga, de nombreux personnages bien développés auxquels on s'attache ou que l'on déteste, les coulisses du pouvoir dans un monde futuriste, galactique, géré dans une manière ancienne avec des nobles administrateurs et tous les travers qu'elle comporte, des tableaux intéressants de différentes pathologies psychiques humaines, une réflexion constante sur le pouvoir, l'écologie, l'adaptation,  la moralité, l'honneur, l'équilibre, la paix, etc. Comment faire la synthèse de cette affreuse chose?!

La lecture de ces appendices à la saga écrite par Frank Herbert est certes plus facile pour moi parce que je connais déjà les principaux attributs de ce monde. Je me souviens encore du premier chapitre de Dune que j'ai dû relire 3 ou 4 fois pour commencer à saisir la teneur épicée de cannelle du monde dans lequel j'allais plonger. Dune est avant tout un univers dense, coloré, sensuel, imprégné de différentes cultures qui s'affrontent dans l'arène d'un monde aux tensions innombrables où différents personnages se disputent d'infinies ambitions. Avant d'entrer dans la compréhension (les comprends-je?) de ses subtilités, il faut y passer d'innombrables heures. Mais passé ce premier choc de lecture, ce premier roman en deux tomes, le meilleur de la série, selon la plupart des lecteurs de Dune, avait le souffle pour nous entrainer dans l'univers du Shai Hulud et de la tentation divine  du Kwizatz Haderack qui y prend forme.


Il est intéressant de lire finalement un développement de la genèse de cet aboutissement fascinant, de peut-être se donner une meilleure vue des personnages qui nous avaient intrigués et fascinés dans la série principale. Comment avait pu se préparer cet événement extraordinaire qui prend vie dans le premier livre de Frank Herbert, le passage d'un homme à la condition de dieu vivant? Voilà le projet de cette trilogie d'Avant Dune.

Comme dans la saga, on retrouve encore des réflexions souvent profondes, voire complexes, tirées de personnages historiques propres à cet univers mis en exergue de chaque chapitre, on retrouve aussi des passages en italique qui donnent les pensées du personnage en contrepoint de ses déclarations ou de son action avec une économie de moyen. Pourquoi n'est-ce pas plus souvent utilisé comme procédé? Par ce procédé, on entre dans une certaine intimité et dans les obsessions des personnages pour nous en faire sentir la singularité.


Et  toujours, ces ambitions humaines portées à leurs plus inconcevables limites. Des femmes unies dans un ordre religieux qui ont accès à la mémoire de leurs aïeules en elle, riches des expériences de leurs innombrables vies, obsédées par la maîtrise d'elles-mêmes, de leur corps, de leurs tentations. Des diseuses de vérité. Une substance convoitée, le Mélange, qui fournit le carburant de la plupart de ces pouvoirs surhumains, la prescience, la longévité, des pouvoirs mentaux spéciaux, la capacité de calculer les voyages spatiaux dans une monde qui a renoncé aux machines pensantes. Des peuples technologiques suspects. Des interdits venus d'un passé dominé par des machines. De méchants psychopathes qui abusent de leur puissance, des victimes exceptionnelles, des experts en génétique qui clonent, qui produisent des espèces de mutants caméléons capables de prendre la place de n'importe qui (Danseurs-visages), des experts en analyse (Mentats), hommes quasi-ordinateurs qui, à l'aide de substance de transe, analysent des possibilités, que les dirigeants consultent pour leurs stratégies d'intrigues et de complots dans un univers politico-militaire complexe suspendu dans une très relative paix cosmique. Bref, on retrouve la saveur du Mélange complexe et mystérieuse que nous sert la saga de Herbert: un équilibre fragile de forces réparties entre différents groupes d'intérêts.

On y trouve aussi des traditions d'enseignements, des personnages initiés à des disciplines, des mauvaises influences. Dune est aussi une saga qui parle souvent d'éducation, de discipline et en propose une certaine réflexion. 

Dune met en scène d'une manière intéressante et captivante la plupart des problématiques humaines dans une transposition tout à fait magistrale. On y trouve en sourdine, je dirais même une réflexion sur la condition humaine qui tient de la philosophie: une synthèse historique, politique, sociologique, psychologique de l'humanité et ce, à différents niveaux, perçue et formulée dans différentes traditions que Herbert a su mettre en scène de façon brillante.

Évidemment, dans cette fascinante mosaïque, on retrouvera parfois des passages qui semblent plus faibles, parfois puérils ou invraisemblables. Mais franchement, la richesse de l'ensemble compense largement ces égarements. Je me surprends à rester accroché au bout de 700 pages de certains pavés. Je suis assez surpris de la capacité qu'ont eue les auteurs posthumes d'Herbert de prolonger l'esprit et le style de la saga initiale.

Dune est aussi une longue peinture de différents environnements habités de créatures fabuleuses qu'on se fascinera à imaginer. L'ensemble propose aussi une dimension mythique avec un arrière-fond symbolique inspiré. Frank Herbert, un touche-à-tout,  a été un temps psychanalyste jungien et son oeuvre est imprégnée de cette dimension complexe des rapports entre la psychologie intime, les pathologies et les complexes mystico-religieux. Ses gigantesques vers des sables qui sillonnent les dunes d'Arrakis ont l'allure insoumise et spectaculaire de la figure du dragon qui selon sa logique propre détruit tout compétiteur qui se manifeste dans son environnement et figurent, je crois, l'égoïsme destructeur que l'humain doit surmonter et maîtriser (tuer ou dompter le dragon). Pour survivre dans un environnement régi par la loi du plus fort, il faut souvent apprendre et observer pour travailler avec les forces conflictuelles et mortelles qui nous menacent. Les Fremens, ces «primitifs» adaptés aux déserts d'Arrakis (Dune), auront sans doute beaucoup à nous apprendre. Pour ceux qui se sont perdus ou retrouvés dans les méandres de la riche pensée de la psychologie des profondeurs et les archétypes de Carl Gustave Jung, on dégustera l'ensemble qui s'en inspire tout à fait. Les amateurs de spiritualité y trouveront certainement leur compte.


En somme, Dune évoque la quête toujours infinie  de l'homme (et très moderne non?) de trouver le meilleur équilibre humain, de développer le pouvoir personnel pour faire sens parmi les autres et pour faire face à la réalité, avec les dangers de l'environnement habité de ses tensions créées par la rencontre de différentes vies qui luttent toutes pour leurs survies dans différents milieux. On a aussi qualifié cette œuvre d'écologique. Frank Herbert aurait été un consultant en environnement aussi! Le champ de cette exploration est évidemment assez considérable et les illusions, limites humaines multiformes, à dépasser, nombreuses. L'œuvre pose aussi avec acuité la question d'un certain vivre ensemble et analyse les différents culs-de-sac de multiples formes d'égoïsme caractériel et destructeur.


J'ai peu rencontré de lecteurs de Dune dans ma vie... Je suis peu étonné. Évidemment, il faut avoir un peu de temps pour le lire! Et aussi peut-être une certaine aptitude pour la patience et l'attrait des mystères complexes. Si vous ne l'avez pas déjà faite, je vous souhaite la meilleure chevauchée qui soit au pays de Shai-Hulud.

3 commentaires:

Le Prof a dit…

J'avais des élèves cette année (5e secondaire) qui sont des lecteurs de Dune et qui en ont fait part lors d'un exposé.
Ils avaient suscité ma curiosité et je pense que vous m'avez convaincu de plonger!

L'engagé a dit…

Savez-vous que le Courrier international de la semaine dernière avait un CAHIER COMPLET sur la science-fiction?


Aussi, j'ai fait un mémoire de maitrise sur Dune... alors j'étais bien content de vous lire.

Jonathan Livingston a dit…

Le prof: bonne lecture!

L'engagé: un mémoire de maîtrise! Vous avez donc réfléchi un peu à cette chose! Je lirais bien! Non, je ne savais pas pour le cahier...