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mercredi 9 janvier 2013

Folie évaluative

Épreuves uniques, épreuves obligatoires, prototypes, épreuves régionales, c'est pas mêlant, j'ai à mes 5 niveaux du secondaire 2 gros examens auxquels je dois préparer mes jeunes vraiment en difficulté avec notre langue. Quand je regarde l'avalanche de documentations qu'on me balance pour soi disant me préparer à préparer mes élèves, ça me sort par les oreilles. Et toutes ces folies auront lieu en mai. Autant dire que mon année d'enseignement se terminent en avril avec eux. Après, il restent une semaine ou deux avant l'autre session d'examens de juin. Ridicule.

Mes jeunes ne sont pas des cent watts ni très motivés par l'école, en partie en réaction face à la langue seconde pour des raisons culturelles. Leur rythme de travail est lent et ils ont besoin de soutien constamment. Il manque de vocabulaire à un point où un texte d'une page d'un bête fait divers devient souvent un défi de compréhension. Après pas loin d'une quinzaine de mois avec eux, j'arrive à les faire travailler un peu notre langue de Molière en  faisant attention de ne pas trop les brusquer, en évitant de les mettre en situation d'échec constamment et  en essayant de monter une à une les marches de l'escalier de l'apprentissage. Le fait de rester avec eux plus qu'une année, au contraire de la plupart de profs qui passent par ce village éloignée de la consommation névrotique et trop froid en hiver, me permet d'obtenir cette modeste réussite. Je déploie beaucoup d'énergie de trouver de nouvelles façons de les exposer à la langue. Bref, je fais de l'adaptation scolaire en plein programme régulier.

Mais, nos charmants programmes et nos institutions provinciales et régionales s'acharnent à nous faire atteindre l'inaccessible et, en regard de leurs exigences, nous serons probablement encore cette année dans les bas-fond de l'échec.

De gros textes, avec des démarches d'annotation, de prise de notes, des questions Réagir au texte, ou Porter un jugement critique sur le texte courant ou littéraire en fonction de critère et ce, dès secondaire 1. Mes jeunes ont du mal à lire un texte d'une page en ce moment et à répondre à des questions de repérage simples (où? quand? quoi ? pourquoi? comment?). Porter un jugement critique? Sur des extraits de roman en secondaire 1 (la découverte d'hier dans mes documents d'info). Pffff! Je n'arrive pas encore à faire lire un roman par année à la majorité d'entre eux et ce, à tout niveau, il faudra que je consacre des périodes de lecture en classe animées pour y arriver et j'hésite à me lancer là-dedans, car il faudra sacrifier ce temps précieux pour autre chose d'aussi important. Je sais, on me dira, fais-les lire à la maison. Faut pas rêver, ils ne font rien à la maison pour l'école par ici. Les devoirs ne rentrent pas déjà. Et ces jeunes, dans leurs cultures, sont libres, peu encadrés depuis toujours. C'est à l'école qu'ils apprivoisent cela.

Ainsi, il faudrait que je passe la moitié de mes années à leur montrer comment gérer convenablement ce genre de démarches d'évaluation qui s'étalent sur des semaines. Et ce n'est malheureusement même pas praticable, ils s'enliserait certainement, car leur développement cognitif ne permet pas vraiment de gérer ce genre de tâche. D.'ailleurs, à ce stade, c'est tout le contraire qu'il est indiqué de faire: sérier les tâches, garder ça simple, miser sur la répétition qui mène à des petites maîtrises. Ce n'est absolument pas encore le temps de les lancer dans les aventures intellectuelles.

Car les bases, faire de bonnes phrases, maitriser un peu mieux l'orthographe, savoir lire, développer du vocabulaire, ne sont même pas là pour une bonne partie d'entre eux. Dès qu'un texte dépasse une certaine longueur, il n'en finissent plus avec les tâches demandées.

Ils nous arrivent du primaire dans un tel état de vacuité d'apprentissage qui consterne au début. Et quand on sait toute l'agitation que vivent les profs au primaire par ici avec des enfants difficiles à gérer, qui ont encore tout à apprendre de l'éducation de base, on comprend que l'apprentissage en souffre.

Pendant ce temps-là, on nous bassine toujours avec des concept oiseux comme la pédagogie différentielle. Pffff! Où est l'espace pour faire différent avec cette folie de cols blancs qui se fichent de la réalité de certaines situations du plancher des vaches? J'ai demandé de décaler de quelques jours l'examen d'écriture obligatoire en sec. 2, parce qu'ici, on sera en relâche la semaine d'avant (congé culturel traditionnel) et qu'on ne pourra pas faire les activités de préparation convenablement. On m'a répondu que ça ne demandait que trois heures de préparation et qu'on pourrait trouver le moyen de faire faire ça les deux jours qui précèdent l'épreuve.

C'est une réponse de fonctionnaire. Ils se prennent vraiment au sérieux ces mecs et «mèques»! Pour une épreuve corrigée par ici, où il n'y a aucune surprise de dernières minutes, qui ne sanctionne pas grand chose aussi. Le pire est que l'organisme régional qui devrait être plus sensible au réalité d'ici se prend autant au sérieux, bref, j'aurai trois niveaux (sec. 1 à 3) de situations d'écriture à gérer dans ce contexte pas très favorable aux performances. On me parle de rigueur, je pense rigidité.

Bref, folie.











4 commentaires:

Louise a dit…

Eux, cachés derrière leur mur de fonctionnalité et nous, affaiblis par une réalité méconnue et des moyens inappropriés, inadéquats. Un gouffre érodé entre les deux.

Ren a dit…

La folie, c'est un programme qui n'a aucune chance de réussite, mais quand il échoue on blâme ceux à qui on l'a imposé. Courage.

P.S. Je fais du surfing des blogues juste pour mon plaisir. J'espère que cela vous fait un plaisir également.

Le professeur masqué a dit…

Ta finale résume le tout: rigidité n'est pas rigueur.

Jonathan Livingston a dit…

Loulou: Un abîme!

Ren: Nous sommes toujours dans le même programme commun conçu seulement pour les doués et non pour la masse depuis la réforme. On tente encore de le peaufiner au lieu de le remettre en question. On nous arrive au Mels avec des prototypes d'examen en sec 2 et 5 en lecture cette année... On ne demandait pas tant d'un point de vue cognitif au secondaire dans les cours de français des années 80. On pouvait en sortir avec une meilleure maitrise de la grammaire. Aujourd'hui, on n'a plus le temps de bien l'enseigner. On doit se contenter d'un survol léger des notions pour travailler des objectifs inaccessibles avec peu de maitrise.

Puis, j'ai appris à véritablement développer mon jugement, l'analyse et l'argumentation dans les études postsecondaires. On tente de faire cela de nos jours dès le primaire parfois. Après on se demande pourquoi nos groupes de jeunes se désorganisent souvent...

Il y a longtemps que je dénonce cet écart entre les objectifs et la capacité générale des jeunes à les atteindre.

Professeur masqué: hep, et de voir continuer le système à toujours aller dans le même sens absurde nous le démontre.