Je reviens à ce domaine depuis quelques mois et je vais d'étonnement en étonnement.
Je ne suis pas un expert de ces domaines, j'en conviens parfaitement. Mais bon, j'ai un parcours qui m'a fait voir et enseigner certains niveaux du programme de 1994 en maths et celui d'un élève qui autrefois a fait ses maths et sciences au début des années 80. J'étais doué pour ces matières. ET j'apprends toujours assez vite en ces domaines, même si je sens que l'art de maîtriser la distraction si vite arrivée dans un raisonnement mathématique revient trop doucement à mon goût! Je dois vieillir.
Enfin, une école m'a proposé le mandat de terminer une année déjà bien engagée dans un contexte où il leur était difficile de trouver une ressource peut-être plus expérimentée en ces domaines assez complexes. Bref, je fais de mon mieux et sans trop faire de gaffes majeures et, jusqu'à maintenant, je tiens le rythme effréné d'une telle adaptation pour rendre la marchandise à un niveau que je pense convenable.
J'entre dans le processus le plus délicat en ce moment: les révisions avec les élèves des notions de l'année, alors que je ne les ai pas accompagnés pour les deux tiers de l'année. Un vrai terrain miné avec les yeux bandés! Je ne connais pas les difficultés des élèves et les découvre au gré des exercices de révision. J'apprends souvent que tel aspect est vu depuis deux ans par les élèves et que cependant la maitrise est loin d'être acquise pour plusieurs. Les yeux médusés de certains élèves sur une question bête de résolution d'un système d'équation de premier degré à deux variables sur le quoi faire en pareille situation me laisse pantois, d'autant plus que ce système d'équation nu comme une évidence n'est même pas dissimulé derrière un énoncé écrit qu'il
faudrait formaliser ou traduire mathématiquement comme on en retrouve
dans les évaluations du MELS de 4e secondaire. Je suis assez dérouté, surtout que j'ai vu des jeunes de 3e secondaire faire des exercices sur les trois méthodes enseignées dès ce niveau à mon étonnement le plus complet, car j'ai bien connu le programme de 3e secondaire de 1994 pour l'avoir enseigné plusieurs années, je lui reprochais de ne pas assez faire faire de résolutions d'équation à une variable.
C'est qu'il y en a de la matière dans ce 3e secondaire. Tout y est presque, tellement qu'on a l'impression en ce qui concerne le profil CST du moins, je l'enseigne aux deux derniers niveaux, que l'ensemble est grosso modo une revue en y ajoutant quelques détails de cette 3e année du secondaire devenue costaude. Bon, OK, ils verront apparaitre la trigo, quelques autres joujoux de calculs en géométrie, quelques fonctions nouvelles. Pour le reste, c'est souvent une redite verbeuse de ce qui a été vu. En 5, le programme est si léger, qu'on a le temps de se permettre un bon mois de synthèse et de révision. La difficulté est ailleurs, dans l'application mathématique aux situations qui miment la vie réelle que les jeunes connaissent très peu ou d'un angle très limité qui est le leur.
En fait, ce programme est verbeux! On noie le poisson structurant des mathématiques dans la tentative de rendre les propriétés des choses palpables pour les jeunes. Et honnêtement, j'ai l'impression que ça foire pas mal comme stratégie. Tous les profs de maths me le disent: les jeunes ont du mal à cause de la langue. Pas juste de la langue, c'est trop verbeux point et facticement tournée vers des simulations d'applications à une vie réelle qui n'est pas celle des jeunes ni des vieux d'ailleurs!
Bref, les jeunes manquent d'exercices de ce qui constitue le noyau dur des apprentissages en math. J'en ai une qui confond encore en résolution d'équation simple la manière de gérer un coefficient de x de celle de gérer un terme constant à déplacer pour isoler la variable. On a tellement de temps à perdre à leur parler de concepts totons comme les propriétés des fonctions qu'on apprend mal à gérer la résolution d'équations. On leur fait avaler à ces imberbes de l'isolation de variable trois méthodes de résolution d'un système d'équations dès 3e secondaire avec toutes les considérations contextuelles: le plan cartésien, la table de valeur associée. Mais on ne s'arrête pas là: il en ajoute une couche avec les inéquations.
Bref, la 3e secondaire semble un programme assez surchargé où on aborde avec les élèves dans les manuels des détails que je vois disparaitre en 4e secondaire comme la relation inverse dans les nuages de points et même dans le répertoire des fonctions.
En sciences, j'observe aussi ce phénomène: on a élagué le cours de biologie traditionnel pour y faire bourgeonner les notions de chimie et de physique qui seront retravaillé en sec.4 et 5 et les termes de la science spectacle qu'on voit dans les médias. Je dois leur répéter les mantras de la variable indépendante, dépendante et des hypothèses à chaque lab pour une intégration assez nulle quand je constate régulièrement que la question à savoir s'ils ont vérifié leurs hypothèses mérite mon intervention. Un vocabulaire qu'on essaie de leur entrer depuis le primaire dans la tête et qui se rebelle à l'appréhension de l'appareil intellectuel en maturation. Non, il n'est pas là le gain du lab au plan pédagogique, mais dans cette occasion de redire simplement les notions théoriques que l'on enseigne avant, pendant et après le lab! À chaque fois que je leur parle de la vraie science des laboratoires de métier, la majorité d'entre eux n'y pigent que dalle malgré qu'on leur répète depuis tout jeune la méthode scientifique. Cette structure leur échappe. Elle n'est peut-être tout simplement pas exposée au bon moment dans le processus d'acquisition globale du savoir.
Bref,on a vraiment poussé très loin que la maitrise s'obtiendra par le processus en spirale où sans cesse on aborde de front un peu tout chaque année en y ajoutant chaque année quelques détails supplémentaires au lieu de passer le temps nécessaire sur moins de notions pour laisser une trace significative. Les jeunes que je côtoie, malheureusement, retiennent très peu ou sur un mode des plus friables les notions vues antérieurement pour, chaque année, replonger dans cette complexité sans limites.
Pourtant, il semble de plus en plus démontré que pour réussir un bon apprentissage, il faut se concentrer sur des noyaux durs, des notions-clés bien travaillées, qu'on ancre solidement dans une pratique répétée jusqu'au surapprentissage. Voilà ce que l'abondance prescrite des programmes qu'on nous somme de couvrir nous empêche de faire année après année. Et je ne parle même pas ici de cette pédagogie fortement prescrite que sur le terrain on se voit souvent contraint de repousser ou de limiter pour les besoins d'évaluation, faute de temps, qui consisterait à faire vivre aux élèves des situations d'apprentissage-évaluations (SAE) qui mobilisent toutes ces connaissances fragiles et diverses pour accomplir des tâches dites significatives.
Et dire qu'on taxe les approches qui s'appuient sur l'enseignement explicite de bourrage de crâne.
Pourtant avec peu bien maîtrisé, on peut même s'improviser prof de maths de nos jours. J'en suis la preuve chaque jour. Après trente ans, je n'ai jamais oublié comment on résout un système d'équations à deux variables. Je sais travailler avec une formule et l'appliquer à des situations variées. Je peux même me lancer dans un système à trois variables sans jamais avoir fait la chose en m'appuyant sur ce que je sais et en tâtonnant. Je peux comme hier avec mes élèves retrouver la règle concernant le fait que lorsqu'on résout des inéquations on doit faire attention de changer le sens de la comparaison (< ou >) quand on multiplie ou divise par un nombre négatif les membres de l'inéquation en observant quelques cas et en jonglant avec ce que je sais très bien. Eux ils n'étaient plus sûrs d'une notion pourtant vue et répétée pendant 3 ans, encore moins capables de la démontrer.
Une chose cependant me sépare d'eux, je n'ai pas fait leur école et j'ai une expérience de la vie autrement diversifiée. On en faisait certainement moins, mais on le faisait mieux.
À mon sens, la logique de faire des ponts constamment entre tous les savoirs sans s'assurer d'un minimum de solidité des acquisitions propres à chaque domaine est l'impasse la plus grave des programmes actuels.
La réforme est toujours vivante et ses effets tout aussi délétères, mais comme me le répète ce dernier titre de billet, chaque fois que je vais voir s'il y a du nouveau du côté de la phénoménologie masquée, on n'en parle plus. Et si elle a réussi, c'est bien sur ce point!
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