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samedi 7 novembre 2015

Ma thèse sur la purge budgétaire cyclique

Il y a 20 ans, pour trouver l'argent pour payer des profs (et probablement des fonctionnaires, je connais moins leur évolution), on en a mis à la retraite. Évidemment, les jeunes qui remplaçaient se retrouvaient au bas des échelles et ils coutaient moins cher. En ce temps-là, on favorisait les retraites... Bon, accessoirement, il y avait une réforme à tenir visant à faire prendre des vessies pour des lanternes l'intégration des élèves en classe ordinaire, la nouveauté de l'époque avec, en guise de poudre aux yeux, une réforme faussement présentée comme l'aboutissement de la recherche la plus avancée où il fallait tendre vers les compétences plutôt que la connaissance.

La stratégie marchait encore très bien en 2008 quand je suis revenu enseigner, après trois années d'«écoeurantite» aiguë de ce système qui s'imposait contre le sens commun et, on allait le découvrir, contre tout ce qu'une science digne de ce nom en éducation pouvait mettre en évidence. J'ai vu jusqu'à un concierge d'école prendre la charge d'élèves parce que nous étions soi-disant en pénurie de ressource. Je n'ai rien contre les concierges, mais évidemment ils ne montent pas vraiment les échelons. On doit avoir atteint des summums dans le dossier des dérogations de toute sorte dans ces années-là.

Enfin, je mesure mal cet aspect, mais les nombreuses jeunes et nouvelles enseignantes qui nourrissaient le baby-boom des années 2000 et qui ont été remplacées régulièrement par un bataillon d'enseignants de seconde zone, ces 40 et quelques pour cent à statut précaire, ne coutaient pas trop cher non plus.

Bref, tandis que tout ce beau monde n'avait pas grand-chose à dire parce que majoritairement à statut précaire et médusé par d'hypothétiques promesses de statut à temps plein un jour, parce que les autres profitaient de leurs congés parentaux ou étaient simplement en burn-out et tandis que les retraités coulaient des jours heureux, on pouvait continuer de faire avaler des couleuvres à qui le voulait bien et embaucher toute une batterie d'aide-enseignants et de spécialistes pour justifier le démantèlement des classes spéciales. En ce temps-là, on avait aussi des budgets pour des enseignants-ressources pour aider les directions à garder le cap et les enseignants à survivre dans tout ce joyeux foutoir.

Mais tout ce beau temps des économies de bas d'échelle salariale semble en voie d'être révolu. Des gars (ou des femmes) comme moi qui viennent d'atteindre, après un parcours de combattant, le haut de l'échelle salariale, et ce, dans  mon cas, en arrivant à la conclusion qu'il fallait que je m'exporte en des régions fort éloignées pour y arriver, il doit y en avoir de plus en plus, à l'heure où les ouvertures de poste se raréfient et la profession affichent complet!

Conséquemment, le coût de la masse salariale doit s'envoler ces dernières années dans le monde de l'enseignement. Surtout que les enfants du baby-boom des dernières années sont faits et que les enseignantes stabilisent un peu partout leur pratique tout en gagnant de l'expérience et des revenus qui ont motivé, j'imagine un peu, leur venue dans le métier.

Alors, si l'on n'a jamais eu les moyens de payer les enseignants quand ils arriveraient dans la haute courbe de la génération où plus de la majorité gagnera un plein salaire, on comprend qu'il faille maintenant parler de la réalité des choses budgétaires.

Cette analyse, qui n'est qu'un essai, arrive mal, à ce stade-ci,  à prendre en compte cette volonté obscure du gouvernement de garder les enseignants deux ans de plus. Mais peut-être, fait-on le calcul qu'à ces âges, ils seront rares ceux qui seront capables de durer encore 3, 4 ou 5 ans dans le dilemme de la grande tentation et dans le climat toujours plus exigeant de l'enseignement. Évidemment, les flammes s'éteignent quelque part dans le tournant de la cinquantaine dans la fatigue des adaptations délirantes que la profession a exigé dans les 15 dernières années. Nombreux vont tout de même s'amputer des quelques pour cent de leur retraite pour enfin se retirer de ce monstre assoiffé qui les siphonne jusqu'à la moelle depuis tant d'années. Enfin, avec cette annonce, j'allais manquer ce petit détail loin d'être anodin, il y en a plus d'un qui se prépare à lever les pattes prochainement pour profiter de moindres pénalités. Juste dans mon petit milieu, je vois plusieurs personnes très concernées par cet aspect de la chose. Elles vont très certainement prendre leur retraite plus tôt que prévu. L'effet est donc le même: des jeunes moins couteux pour l'état viendront prendre le relai et participer à l'équilibre budgétaire global. Comme quoi l'écriture réflexive permet de comprendre souvent ce qu'on ne fait que subodorer.

Enfin, brulé un peu (j'admets) par ce début d'année plus chargée que de coutume, je regarde cette joute à laquelle je n'ai pas d'autres choix que de me prêter parce que, parait-il, je ne pourrais même pas faire le choix d'entrer travailler en ces jours de grève, car je serais sous le joug d'une certaine loi anti-briseurs de grève. Moi, jeudi, j'en profiterai pour terminer mes corrections et parachever mes bulletins tout en peaufinant le départ de cette seconde étape de l'année en essayant de relaxer un peu pour garder mon équilibre...

Honnêtement, je gagne bien ma vie, si je regarde le milieu d'où je viens, si je me compare à tous ceux qui en arrachent avec beaucoup moins, même si oui je fais souvent du 60 heures par semaine à titre de prof de français au secondaire. Je fais déjà mes 40 heures par semaine à l'école depuis fort longtemps et, pour le reste, je les fais je vous laisse imaginer où! À cause des aléas de parcours qui sont les miens, je vais très certainement faire ce métier jusque dans ma soixantaine, pendant encore au moins 15 ans. Enfin, s'il fallait me vexer pour le manque de reconnaissance affichée à l'encontre de ma profession, il y a longtemps que j'aurais lâché ce métier de fous où il faut quelque chose comme une volonté un peu débile de faire front à l'adversité ou à l'hydre mythique pour d'obscures et, j'imagine, peut-être pathologiques motivations inconscientes!

Enfin, je fais partie de cette tranche d'âge parmi les moins favorisés par les cycles étatiques et encore une fois je ne serai pas là pour profiter de ce contexte et serai parti quand on en proposera un autre pour purger le système de ces «temps pleins» couteux. Encore une fois, cette grève, pour laquelle j'ai stupidement voté d'ailleurs, n'est pas la mienne.

Mais bon, on aime relever le défi de faire bouger des jeunes ou on n'aime pas!

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