On vient encore de trouver une solution technologique à nos
problèmes de bancs d'école. Une autre!
On apprend ce matin dans le Journal de Québec qu'il "
est « assez urgent » de « faire une place à l’ordinateur » dans la classe de
français, selon lui : « L’école fait place à plein de nouvelles approches, mais
on travaille encore l’écriture comme on le faisait il y a 200 ou 300 ans. La
réalité, ce n’est plus ça. Je ne comprends pas qu’on s’oppose à intégrer
l’écriture numérique à l’école alors que c’est quelque chose qui fait partie de
la réalité quotidienne. »"
On travaille l'écriture comme on le faisait il y a 200 ou
300 ans... (Belle hyperbole, pour bien marquer que la pratique est dépassée).
Vraiment? Franchement.
Après l'hécatombe de la semaine dernière sur nos taux de
réussite comparés à l'Ontario et donc l'«urgence» d'agir, voilà des solutions qui prendront quand même
10 ans à s'implanter selon notre bon spécialiste qui mène des études pour le
ministère de l'Éducation.
Il est vrai qu'ils ont l' «Antidote» à nos maux (ou mots?).
Antidote, en classe, je connais très bien le sujet!
Bon, je n'ai rien contre Antidote, excellent outil à mettre
dans sa boite pour tout professionnel de l'écriture pour l'économie de temps
qu'il permet dans la vérification de nos textes. J'apprends, moi aussi,
régulièrement des aspects de la langue dans ses raffinements avec cet outil.
Toutefois, pour le travail de l'apprentissage de l'écriture
à l'école, je suis loin d'être convaincu de l'intérêt de l'outil.
Pourtant, j'ai vu et fait de petits miracles avec Antidote
en enseignement au secondaire. Il est d'usage de plus en plus répandu de mettre
à la disposition des élèves en difficulté d'apprentissage des écrans et des
correcteurs, dont Antidote, et j'ai pu accompagner des jeunes avec des outils
pour produire des textes «qui passent» et même bien souvent des textes qui
montent dans les 75% et même dans les 80%. Il est clair que l'outil permet une
amélioration des textes des jeunes au niveau de la forme moyennant qu'on
enseigne aux jeunes quelques «trucs» à mettre en pratique.
Le problème de ces «béquilles» est qu'elles permettent
d'améliorer la performance, mais absolument pas la connaissance de la langue.
Je m'explique. Antidote corrige assez aisément les fautes
d'usage comme Word d'ailleurs, mais il va un peu plus loin en fournissant des
surveillances de ce que le programme appelle des «faux amis» (mauvais emploi).
Il attire aussi l'attention sur des homophones ou des anglicismes possibles, entre autres. Le
correcteur propose également des corrections grammaticales plus avancées, avec
des explications pour bien peser ses corrections. Néanmoins, l'élève en
difficulté est rarement en mesure de comprendre ces explications et de prendre
des décisions appropriées, faute d'une connaissance approfondie du
fonctionnement de la langue. En plus, Antidote ne réfère pas dans ses
explications à une grammaire que nous enseignons dans nos classes, donc à celle
qu'on appelle «nouvelle ou rénovée» qui a été imposée à notre système scolaire
depuis 1995. Non, Antidote recourt à une version plus internationale, donc plus
«française» de la grammaire. En France, on enseigne encore les classes de mots
comme dans ce «bon vieux temps» très dépassé, comme nos partisans du tout
technologique ne manquent jamais de le souligner. Enfin, Antidote choisit une grammaire pour la vaste majorité de sa clientèle francophone et ce n'est pas celle qu'on enseigne dans nos écoles à cause d'une sorte de sectes de fanatiques (pour tous, je blague un peu, pour ceux qui me connaissent, pas du tout), malheureusement.
Néanmoins, ces deux avantages du correcteur ne sont souvent pas suffisants
pour faire réussir notre élève en difficulté, surtout si ses limitations sont
très marquées. On l'ignore souvent, mais Antidote se réserve (ou est incapable) de montrer certaines fautes dans des phrases qu'il a du
mal à analyser. Je vois encore des profs venir m'interpeler pour me souligner qu'Antidote
n'avait pas montré certaines fautes pourtant évidentes dans le texte d'un
jeune.
Recette qui marche!
Configuration requise: un élève en difficulté, un portable, un traitement de texte, Antidote.
Pour ceux qui accompagnent des jeunes de ce genre,
sortez vos post-its, voilà le «truc» des trucs avec Antidote: il faut faire
reformuler toutes les phrases qu'Antidote marque de petites zébrures jaunes jusqu'à ce qu'elles disparaissent totalement du texte. Ces zébrures
jaunes notifient le scripteur qu’Antidote ne reconnait pas la phrase dans aucun
de ces nombreux modèles de phrase que les concepteurs ont programmés dans le
logiciel. Bref, ne sachant pas comment analyser cette phrase, Antidote se tait. Il se contente de relever quelques impairs d'orthographe
d'usage évident.
Habituellement, pour l'aider à supprimer le problème et
travailler sa reformulation, je suggère en plus aux jeunes de surveiller
surtout, les virgules oubliées ou en trop, les trop longues phrases, les fautes
d'homophones. Très souvent, c'est un homophone grammatical inapproprié qui rend
la phrase incompréhensible pour les schèmes intégrés d'Antidote. Quand ce n'est
pas un homophone évident, de ceux que les jeunes connaissent bien, car ils ont
accumulé une expérience répétée d'erreurs à leur sujet, après avoir regardé du
côté des virgules, je leur suggère de rechercher un homophone invisible qui est
souvent un mot qui existe dans la langue, mais il ne convient pas dans cette
phrase. Il s'agit d'un homophone ayant un sens très différent du mot que l'on
voulait utiliser. Je n'ai pas d'exemple qui me vient, mais ils sont assez
fréquents dans les cas de dysorthographies sévères. Tiens, écrire «con» à la
place de «qu'on» peut passablement mêler un logiciel de correction. Alors,
quand le jeune ne trouve rien du côté des virgules, ou des homophones classiques, je
leur suggère donc, pour pallier le problème des zébrures, de vérifier si les
définitions de leurs mots conviennent au sens qu'il donne aux mots qu'ils ont voulu
employer. C'est une manipulation très facile à faire avec Antidote (clic droit,
dictionnaire).
Je rappelle que ces reformulations visent à aider le logiciel
à trouver d'autres fautes qu'il n'aurait pas soulignées autrement. Et les
jeunes voient bien que ces efforts sont payants, car, dès le moment où les
zébrures disparaissent d'une phrase qui était mal construite, les soulignés
rouges «poppent» comme par magie (En passant, le professionnel qui utilise trop vite Antidote sans se relire devra souvent imputer les nombreuses erreurs laissées par le logiciel à des fautes de syntaxe qui n'ont pas permis au logiciel de faire son travail).
Après, avec Antidote, on peut aller plus loin avec les
jeunes qui ont de grandes difficultés, notamment pour surveiller la cohérence
verbale dans les textes narratifs. Des filtres d'analyse sont aisément
exploitables pour montrer les phrases non verbales ou trop longues, mais aussi
pour souligner les temps de verbe dans le texte.
Et le miracle s'accomplit!
Bon, comme je l'ai dit, c'est tellement miraculeux que ça en
devient un peu gênant, surtout quand les notes passent dans les 80% pour un
jeune supposé être en difficulté. J'ai soulevé la question qu'il faudrait
peut-être réfléchir à mettre en place des plans d'intervention qui diminuent
progressivement l'aide de ces correcteurs si magiques, mais on m'a répondu que
je devais peut-être juste être content des résultats que j'arrivais à obtenir...
Évidemment, entrer dans les détails que je suggérais était d'une gestion assez
complexe. Il n'est pas possible d'atténuer la capacité d'analyse d'un outil
performant comme Antidote.
Et peut-être, au fond, est-on simplement content de
faire augmenter les moyennes des jeunes. Tout le monde est heureux: le jeune,
le parent, le ministère... Juste moi, qui me dis que le jeune apprend à gérer
sans rien comprendre de la langue. Qu'un jeune qui fait des 80% dans ses textes
avec un logiciel ne va par la suite plus rien apprendre d'autre que de gérer
adéquatement son logiciel et encore, chaque année, je devais revoir la routine,
la lui faire écrire sur un post-it que l'on collait sur le portable. Pire,
notre jeune se met à «off» complet quand vient le temps des leçons de grammaire
ou des exercices sur les routines de correction. Il n'en a pas besoin pour
réussir.
Concluons
Bref, je vois très bien que l'emploi d'Antidote peut avoir
des effets très marqués sur la performance d'un jeune, car, de 2014 à 2017,
j'ai mené de multiples essais avec plus d'une vingtaine de jeunes en difficulté
dans une école où les portables pour élève en difficulté étaient d'emploi
courant et, faute d'orthopédagogue disponible pour les besoins du secondaire,
il m'incombait de faire capitaliser les jeunes avec ces outils. Et j'ai obtenu
assez rapidement des résultats assez fulgurants au point qu'on doutait que le
logiciel puisse autant donner de résultats. J’ai fait réussir des cas aux
examens du ministère qu’on aurait pu croire «insauvables» ou leur faire atteindre une
note juste assez haute pour permettre la diplomation.
Mais bon, je sais comment jouer une partie avec des règles
définies et stratégiquement en profiter pour marquer des points. Je suis juste malin!
C'est tout. Dans toutes ces interventions, on a travaillé très peu la langue,
on a surtout répété quelques instructions basées sur des connaissances très
limitées de la langue. Pour le reste, c'est le programme qui travaille!
Pourquoi croirais-je donc ces gens qui ne jurent que par
l'approche technologique? Pourquoi croirais-je à une soi-disant urgence?
Pourquoi croirais-je à un évident gain dans l'apprentissage des autres jeunes? Si ce n’est
que pour de meilleures performances, je suis tout à fait d’accord avec eux. Le
doute n’est même pas permis, d’ailleurs leur étude l’établit. Pour le reste,
pour le gain pédagogique, ils ont beau se prétendre des spécialistes, je crois
qu’ils ne savent tout simplement pas de quoi ils parlent et qu’ils font des
promesses en l’air, qui, en plus, vont coûter la peau du… au système scolaire.
4 commentaires:
Ouaip. On a commenté ce matin le même texte en «urgence». Les grands esprits se rencontrent... Je partage pas mal plusieurs des points que tu soulèves.
Je n'étais pas venu ici depuis des années, quelle erreur!
En 10 minutes j'ai trouvé 2 perles :
votre suggestion de lecture des récits de Champlain (ça devrait être un corpus québécois obligatoire dans les cours de lettres, au lieu de lire Ringuet ou Gérin-Lajoie) et le roman de votre femme.
Merci
Bonjour L'engagé,
Je suis content de vous voir enthousiaste! Néanmoins, je ne classerais pas Champlain dans les littéraires. Il a le style objectif et tout militaire qui s'attache à décrire des positions, des conduites, des faits. Selon des documents retrouvés assez récemment qui montrent que Champlain a reçu des soldes, il aurait appris à décrire ainsi les choses dans le cadre de la fonction qu'il occupait dans les armées de cette décennie militaire des années 1590 dans le service des logies qui s'occupaient de la logistique des camps militaires lors des campagnes. Bref, il fallait connaitre le terrain, l'aménager, s'assurer les ravitaillements, ce genre de choses. Pour tout dire, son style n'est pas des plus gaillards! Mais on y trouve de vieilles anecdotes d'un autre temps entre les descriptions de terrains très nombreuses... Les longues introductions d'Éric Thierry sont très instructives dans la mesure où elles sont fondées sur les plus récentes découvertes au sujet de cette époque. Bonne lecture!
Merci pour le texte.d
Enregistrer un commentaire