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samedi 6 mars 2010

La solution qui me faTIC (2)- L'étude de l'école privée Saint-Joseph

J'étudie patiemment les fameuses études que M. Asselin m'a envoyées pour soutenir le nouveau paradigme de l'apprentissage que nous devrions mettre en œuvre dans nos classes sous l'ère de la réforme et du renouveau qui dure depuis 10 ans.

Regarder attentivement ces documents et leurs implications demande pas mal de temps. J'ai fait hier le tour d'une première étude que je commente dans les commentaires de mon essai du 1er mars. Je termine aujourd'hui un tour attentif de cette étude à laquelle Monsieur Asselin a participé à titre de directeur, si je ne me trompe pas. J'ai passé un gros 4 heures à lire et à noter bien des choses. Si ça vous amuse, voici le lien.

A fouiller donc, il y a de nombreux problèmes ici encore pour penser que l'application d'une solution à tous les contextes du système scolaire québécois puisse avoir des chances de succès.

Je mets ici le résumé de l'étude pour se faire une idée avant de la passer en revue sous un regard analytique.

Résumé:

«La présente recherche propose un portrait ethnographique de l’activité de transformation de l’environnement d’apprentissage d’une classe de 3e cycle du primaire. L’analyse de la relation Sujet-Instrument-Objet, motivée par les intentions des acteurs, et du déploiement de la division du travail et des règles qui se créent dans la communauté, nous permet d’analyser les contraintes que génère la nouvelle activité de transformation. Dans le cas de notre étude, l’intériorisation et l’extériorisation des instruments conceptuels (communauté d’apprentissage, stratégies pédagogiques socioconstructivistes et culture de réseau) et techniques (TIC, retours réflexifs, plans de travail et organisation physique de la classe) ont offert aux acteurs la possibilité d’adopter des stratégies pédagogiques socioconstructivistes, par l’entremise du travail en équipe d’enseignants, pour favoriser le développement d’une communauté d’apprentissage en réseau, de démocratiser et de faire apparaître de nouveaux rôles ainsi que de transformer collectivement des règles. Nous constatons que la généralisation de ces actions et de ces opérations a contribué positivement à la mise sur pied d’une communauté d’apprentissage en réseau tout en faisant émerger des pratiques favorables à la coélaboration de connaissances.»

D'abord, parlons des conditions:
(Les gras dans les citations sont de moi):

L'expérience menée en 2003-2004 qui a fait l'objet de cette étude a eu lieu dans une école privée. Je n'ai pas fait de recherches sur sa clientèle, mais bon déjà les 43 élèves de 5e et 6e année pour l'étude se sont fait acheter par leurs parents chacun un portable. Ensuite, «La répartition des élèves entre la 5e et la 6e année a été réalisée selon le nombre d'inscriptions par année. Toutefois, même si aucun test de capacités intellectuelles n’a été administré, une sélection a été faite en fonction des capacités des élèves à travailler en coopération et en collaboration tout en étant autonomes

On a aménagé un local spécial pour accueillir ces 43 élèves. 3,4 profs (100%, 100%, 80%, 60%) en terme de pourcentage de tâche ont été assignés à cette expérience, qui se sont partagés des spécialisations (français écrit, français lecture, math, math et sciences). On parle donc d'un ratio d'environ 12, 35 élèves par prof. Avec un bassin de seulement 43 élèves, je le répète. Un prof d'éducation physique et un autre prof qui prenaient les élèves au moins une demi-journée, je crois, par 6 jours, permettaient aux 4 profs réguliers de tenir des réunions d'équipe.

Jusqu'ici, je note que certaines conditions sont ici très favorables à la conduite de ce genre d'activités socioconstructives. Il  me semble que jamais le Mels n'a parlé de mettre en place ce genre de conditions pour aider la mise en oeuvre de sa réforme. C'est d'ailleurs un détail, et des moins accessoires, qu'on a vu d'aucuns balayer du revers de la main comme une mouche fatigante à plus d'une reprise dans nos admirables formations. Bon, je ne parle pas de l'implication du directeur qui est non comptabilisée, ni de la personne chargée de la recherche qui est venue 3 fois par semaine qui a interagi avec la dynamique pour la comprendre et des personnes-ressources dont on parle sans trop préciser ce qu'elles ont pu y faire.

La nature descriptive de cette étude

Bon, cette étude est de nature ethnographique. «La recherche s'attarde sur l’activité de transformation d’un environnement d’apprentissage au niveau primaire. L’objectif n’est pas de tirer, pour l’ensemble des environnements d’apprentissage au niveau primaire, des lois générales quant à l’activité de transformation observée sur le terrain. Cette étude qualitative vise plutôt à brosser un portrait descriptif de l’activité des acteurs concernés, telle que perçue par les personnes directement impliquées, et ce, selon le cadre conceptuel de la théorie de l’activité d’Engeström (1999) présenté au chapitre 3.» (1.6 Limites de l’étude) On comprend que ce n'est pas l'affaire de cette chercheuse de mesurer ce que les enfants ont effectivement appris dans le processus.

La conclusion est assez explicite:

«Notons que cette communauté d’apprentissage s’est déployée dans un contexte favorable où les instruments techniques étaient largement disponibles. Néanmoins, rappelons que la littérature relate d’autres cas où la mise sur pied de communautés d’apprentissage et de coélaboration de connaissances a été réalisable avec des dispositifs moindres (par exemple, quelques ordinateurs disponibles pour une classe où un seul enseignant est titulaire). Les stratégies pédagogiques innovatrices – tels la différenciation pédagogique, le multitâche, l’intégration des matières (notamment en impliquant les différents intervenants de l’école) et l’établissement de partenariats avec l’extérieur – représentent des vecteurs clés favorisant le développement de communautés où le ratio est plutôt d’un enseignant pour une trentaine d’élèves.»

Bon, j'aimerais voir cette littérature qui relate d'autres cas. Elle me semble vite en affaire la chercheuse. Comme le souligne, plus loin, il serait certainement intéressant de voir sur une étude longitudinale, sur plusieurs années, l'impact d'une telle approche. Je n'ai malheureusement pas entendu parler de telles études.

Problème de solution:

Bref, je comprends que, dans de bonnes conditions, on peut faire des communautés d'apprentissage dans un paradigme socio-constructiviste et que cela crée un fort sentiment d'appartenance à la communauté d'apprentissage. Quelles est l'impact de cette approche sur la qualité des acquisitions ou les résultats scolaires? Pas de réponse. Est-ce qu'une telle approche aurait un effet aussi mobilisateur dans la durée sur de longues années? Pas de réponse.

J'ai du mal à ne pas voir cette recette-solution très conditionnée dans sa réussite par un ensemble assez appréciable de conditions facilitantes. J'ai vraiment du mal à penser qu'à partir d'une telle étude, on puisse penser que des profs de français au secondaire, par exemple, puissent, en 8h présence seul en classe environ par semaine avec 30 élèves et avec 3 groupes dans sa tâche, bien suivre et devenir le facilitateur de 3 communautés d'apprentissage «culturelles» avec 3 équipes de profs idéalement à joindre par groupe, tous pris dans des horaires alambiqués.

On demande à M. Principe de Réalité de se présenter au MELS le plus rapidement possible!

Est-ce que quelqu'un, dans ce nid de penseurs, a assez de jugeote pour voir que cette solution magique ne peut pas s'appliquer à tous, dans tous les contextes, sans un remaniement spectaculaire des conditions de travail et des fonds assez substantiels pour y arriver? A-t-on les moyens de vos utopies? Non, me semble la réponse appropriée. Il faut trouver autre chose pour l'école à 25-30-35 élèves par classe de l'école publique.

Encore là, je le réaffirme: sans l'analyse adéquate et différenciée de la réalité de terrain sur laquelle on veut intervenir, une solution préemballée n'a aucune valeur. Que les hauts lieux nous entendent!

3 commentaires:

Mario Asselin a dit…

Je vous laisse continuer vos lectures avant, peut-être, de réagir sur le contexte entourant les ressources que j'avais aménagées du temps où j'étais directeur... Aujourd'hui (2009-2010), cette classe (http://cyberportfolio.st-joseph.qc.ca/classes/carriere) comprend plus de soixante cinq élèves avec moins de ressources (en terme de profs) qu'auparavant. Je voulais tout de même vous souligner qu'il y a une expérience du même type qui se déroule depuis plus longtemps que celle de l'Institut St-Joseph. Le Programme PROTIC (http://www.protic.net/) de l'école Les Compagnons-de-Cartier au secondaire public. Voici un document qui devrait vous intéresser: http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/viepedagogique/numeros/132/vp132_40-41.pdf

Cette école dispose de blogues où les élèves publient beaucoup de contenu. C'est possible d'y avoir accès par ici, http://proticblog.net.

Vous avez raison de penser qu'il n'est pas possible de généraliser quoi que ce soit, à partir de ces projets.

On s'en reparle.

Jonathan Livingston a dit…

Merci pour ces liens!

Mais bon, je reprends le boulot demain, il y a fort à parier que je mette pas mal de temps à regarder tout cela.

Hier, tout de même, je me disais, comment se fait-il qu'on ait pas dans nos ministères des gens qui soient capables de regarder une étude en l'interrogeant sur son véritable potentiel en faisant justement ce que je fais, m'attarder aux facteurs ou conditions qui font qu'une expérience éducative connait un succès pour en estimer le potentiel de généralisation. Pourquoi faut-il toujours que l'on soit si enthousiaste au point de refuser d'apprécier les petits détails nombreux qui pourraient achopper lors d'un transplantation du modèle dans un autre contexte?

Je serais prêt à admettre un idéalisme dans nos programmes si leur discours était moins unilatéral et sans nuances. Je serais prêt à participer si l'on reconnaissait d'abord que, dans le système actuel, les contraintes et conditions organisationnelles de l'école secondaire ne permettent pas fonctionnellement de mettre en œuvre simplement cette vision de l'éducation. Non, on nous inonde d'un discours unilatéral qui procède par déni des difficultés et franchement, c'est faire insulte à l'intelligence de trop d'enseignants qui voient dans cette stratégie une sorte d'endoctrinement où l'on nous demande de taire notre connaissance de terrain, ce qu'on croit juste de la réalité, pour nous la faire fermer.

Ce faisant, on nous prend pour de vulgaire pion dans une stratégie de Grand Maître. En plus, on attise le fanatisme, l'esprit de clan, plutôt que l'intelligence et la collaboration.

Pourquoi, dans cette école, n'y a-t-il pas une place pour expérimenter plusieurs approches?
Pourquoi imposer le paradigme de l'apprentissage à tout le système?

Réalisez-vous que s'il s'avérait irréalisable et non généralisable (comme je le crois d'instinct) dans les conditions actuelles, même en y mettant le meilleur de nous-mêmes, avec ce déni et ce rejet radical des autres approches pédagogiques, on laisse le système entier se détériorer, se déstructurer? Et en bout de ligne, c'est des élèves et aussi des profs qui perdent tranquillement la foi en un système devenu trop contraignant, irréaliste et invivable.

Hier, en lisant ce rapport, la chercheuse mentionnait que 16 études pilotes avaient été lancé en 1999 pour la réforme. Et en 2000, nous étions en selle. Qu'a-t-on su de ces études pilotes? Selon plusieurs intervenants du Net, pas grand chose. On a même des contre-exemples assez spectaculaires comme l'école Bienville (CSDM)selon d'autres.

Comment peut-on avoir eu un tel entêtement à lancer tout le monde dans une entreprise aussi globale et incertaine avec une foi aussi inébranlable et sourde à la critique?

L'engagé a dit…

Et il y a une contradiction : si le prof hyper-socioconstructiviste-pro-tic-approche-par-compétence-super-maitrisées-vigilent-proactif-intégrateur-stimulateur-de-communauté-génie-de-l'évaluation est effectivement ce qu'il faut pour faire fonctionner ce type de vision, le prof en question sera par définition un penseur indépendant-qui-a l’expertise et qui est donc le seul habilité a vraiment «coacher» sa classe.


Il n'a donc pas besoin d'un ministère et d'un renouveau, d'un cadre pour lui dire quoi faire, on doit l'écouter et lui donner de l'indépendance. Si le cadre scolaire organisationnel ne correspond pas à ses croyances et à son expérience, il devra par définition être hérétique et rebelle, et ce, pour s'occuper de ses étudiants au mieux.

La réforme, ou administration scolaire n'a donc pas à être pilotée par le haut, on est dans ce que l'on appelle en systémique devant un changement de type 2, changement qui agit sur le système. Or, comme notre cher goéland nous le fait remarquer, dans nos formations, dans la « vente » de ce modèle ou pire, dans nos cours :


« on nous inonde d'un discours unilatéral qui procède par déni des difficultés et franchement, c'est faire insulte à l'intelligence de trop d'enseignants qui voient dans cette stratégie une sorte d'endoctrinement où l'on nous demande de taire notre connaissance de terrain, ce qu'on croit juste de la réalité, pour nous la faire fermer.

Ce faisant, on nous prend pour de vulgaires pions dans une stratégie de Grand Maître. En plus, on attise le fanatisme, l'esprit de clan, plutôt que l'intelligence et la collaboration.»

En d'autres mots, le ministère impose «verticalement» (par l'exercice de structures, de pouvoirs bien définis) des changements qu'il souhaite horizontaux (vision «progressiste», constructiviste du savoir, projet, découvertes, tics).

En procédant de la sorte, il véhicule, dans sa façon même de procéder aux changements, la croyance selon laquelle les profs ne sont pas capables d'opérer le changement, il doit les diriger, imposer des programmes, des cursus, des profils et des évaluations qui balisent enseignement et apprentissage.

Comment donc peut-il s'attendre à notre collaboration s'il admet tacitement notre incapacité à bien faire notre travail?

Les syndicats ont parfois manqué de subtilité, voire d'intelligence dans leur bataille, mais ils avaient très bien saisi la nature schizophrénique du renouveau.

Donc avant même d'attaquer les fondements de la vision qu'avaient le ministère et les administrateurs de leurs solutions, on sent que ces derniers ont échoué «dans l'aptitude sociale » à créer des réseaux et générer des consensus.


Une approche fondée sur les compétences, ne peut plus seulement être légitimée par les savoirs, les compétences étant liées à celle ou celui qui les exerce, ceux qui doivent «vendre» la réforme (ou toute solution) devront à leur tour être compétents.

Ils n'ont pas fait preuve de transparence, ils n'ont pas été rigoureux dans leur vulgarisation et enfin, ils ont scientifiquement et philosophiquement fait preuve de paresse.

Voilà, pour le novice, les failles de ceux qui prêchent pour cette vision idéale. À partir de ce constat, «Et vera incessu patuit dea», à la démarche de ceux qui prêchaient cette croyance, nous avons évalué les vertus de cette dernière...

Peut-être eut-elle dû se trouver de meilleurs ambassadeurs... Quand j'ai lu dans «Contre la réforme» à travers quelles magouilles, le développement de compétences entrepreneuriales avait pu s'insérer dans les programmes de l'école québécoise, j'ai fini par être convaincu que les gains de cette «vision» ne pouvaient pallier les problèmes qu'elle allait générer.