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dimanche 28 février 2010

Les tests de français

On discute fort ces derniers temps du nouveau test de français (TECFEE) pour qualifier les enseignants: ici, ici. C'est que les bas taux de réussite des aspirants à la profession après 2 essais en laissent plus d'un inquiets. Et partout, on assiste à une critique de la sévérité du test qui évaluerait surtout la capacité de mémorisation des exceptions.

J'ai mes réserves sur ce point de vue.



Franchement, je sais que certaines subtilités de règles de la langue sont difficiles à retenir. Je connais bien des profs de français qui vont régulièrement se rassurer en vérifiant l'orthographe d'un mot dans un dictionnaire ou maintenant sur Internet ou qui se plonge dans une grammaire pour rafraîchir leur mémoire au sujet de certaines règles assez poussées. Par exemple, l'accord des participes passés avec les verbes pronominaux est assez difficile à fixer pour l'éternité dans ma mémoire. Je redécouvre ces règles régulièrement.

Cependant, je crois que si on a une bonne compréhension de la grammaire et qu'on  a régulièrement consulté une grammaire depuis qu'on est sorti de l'école, parce qu'on sait comment s'en servir, il n'est pas long de faire sa révision et de très bien s'en sortir aux examens. Évidemment, si on n'a jamais rien pigé à l'affaire, si on s'est répété pendant des années que ce n'est pas sa matière forte, que l'important c'est le message pas la forme, et tout ce qu'on peut se dire pour éviter de travailler à l'apprentissage de la compréhension du système grammatical, ce doit être une toute autre histoire.

Perso, oui, je l'accorde, j'ai une formation d'enseignant de français au secondaire, j'ai toujours écrit, et j'ai mon Grevisse et mon Multidictionnaire qui trainent généralement autour de moi. Mais bon, par goût, j'ai eu une carrière plutôt généraliste au secondaire. Je n'ai donc pas passé 15 ans à  enseigner le français, ce qui, on en conviendra, peut être assez formateur en maîtrise fine de la langue. Des fautes d'inattention, j'en commets, des paresses aussi. Je ne suis pas du tout un maniaque de précision de la langue, je ne me rends pas malade avec la langue, mais en gros, je fais attention et de temps en temps, je consulte mes outils. Même si je n'avais pas choisi le métier d'enseignant de français en particulier, si j'avais quelque peu le devoir de présenter régulièrement des rapports, des notes ou des communications, je ferais attention. Je m'imagine qu'on devrait tous, du moins les gens qui exercent dans des métiers où la communication écrite est pratiquée, avoir un peu ce souci de rigueur. Bref, on devrait avoir à disposition une grammaire, un dictionnaire dans nos environnements et assez régulièrement les ouvrir. Si je suis un étudiant, qui présente régulièrement des travaux écrits, ce devrait, il me semble, être assez normal.

Bref, quand en 2004, 10 ans après ma formation, j'ai dû aller faire ce maudit test du SEL (même genre d'examen que le TECFEE) , j'étais tellement choqué de devoir payer pour encore prouver ma compétence, après deux diplômes universitaires très bien réussis, que j'ai retardé à la dernière minute ma révision. Je crânais! J'ai ouvert Internet à 11h, j'ai fait un petit test que j'ai trouvé pour voir mes faiblesses et j'ai lu pendant 45 minutes sur Internet des points de grammaire subtils pour me les remettre en tête. A 13 heures, après 45 minutes de métro-bus où je n'avais même pas une grammaire pour me rassurer, je m'échinais sur le test de langue avec les exceptions.

Et, à ma propre surprise, j'ai eu un résultat digne d'un prof de français, même si j'y allais pour un job de math à l'époque. Et oui, il y avait bien des subtilités de langue et des pièges au rendez-vous!

Pourtant, je suis loin d'avoir une mémoire, à mon sens, fabuleuse ni de passer mes journées dans une grammaire. Mais bon, je m'intéresse à ma langue, d'abord parce que j'écris et j'ai le souci d'être compris et d'être jugé sur mes idées, pas sur la forme. Bien après, parce  que j'enseigne le français souvent. En ce moment, j'explique des notions de primaire aux adultes. Franchement, je connais tout ce que j'ai à savoir. Mais j'ouvre toujours les outils de temps en temps.

Mais surtout, je comprends très bien tout de suite quand je lis une grammaire de quoi il en retourne. Et vous savez quoi, j'ai appris mon français et comment me servir d'un Grevisse au primaire et au secondaire, il y a plus de 25 ans déjà au début des années 80. Pas dans mon bac d'enseignement. J'ai beaucoup pratiqué l'analyse grammaticale à l'ancienne, l'analyse logique aussi. On écrivait beaucoup moins de textes longs à l'époque. Je me souviens de la nouvelle littéraire que j'ai pondue en secondaire 4. Il s'agissait en fait de terminer une nouvelle à partir d'un début de récit. 200 mots tout au plus. En français enrichi. Je crois que j'ai presque manqué mon examen écrit de secondaire 5 pour un quasi hors-sujet. 62 % ! je ne me rappelais pas de cela. On ne nous entrainait pas aux examens et j'étais ailleurs en secondaire 5, j'avoue. Y avait la gente féminine qui me dérangeait! Mais bien que je n'aie jamais pu voir le détail de ma note, je crois que ma connaissance de la grammaire assez maîtrisée m'a permis de passer.

Au cégep, malgré cet impair, j'étais dans les meilleurs de mes cours de philo et de français.


En fait, j'ai commencé vraiment à comprendre la rédaction longue et à m'y intéresser au cégep.

Évidemment, je n'étudierais pas dans une nouvelle grammaire, je n'en ai même pas une. Beurk! Ça m'embête pas mal d'enseigner cette aberration qui n'utilise pas l'économie mnémotechnique d'une grammaire plus classique comme celle de Maurice Grevisse, mais s'embourbe dans des procédures complexes pour discerner les éléments syntaxiques de la phrase. J'exècre ce traitement superficiel de l'analyse grammaticale qui n'a aucune chance de créer des sillons durables dans la mémoire des jeunes. Je rage de voir ce langage savant patenté à la hâte lourd et indigeste qui rend encore plus rébarbatif l'apprentissage de la grammaire. Et inutile de dire que, quand j'ai vu qu'on allait mettre des Grevisse à la poubelle, dans une école il y a deux ans, parce qu'ils ne servaient plus, y avait en moi comme un dégoût du système qui est monté!


Je plains sincèrement la génération qui a fait son secondaire après 1995. Le cours de français de base devrait être un lieu d'entrainement quotidien aux gammes obligées du langage. Un moment dans la journée où l'on est forcé de voir à cet aspect de sa langue, comme les pianistes se réchauffent les doigts avec des gammes.  Ce travail devrait être valorisé par tous comme une discipline formatrice, nécessaire. On a  le cégep, l'université et la vie pour devenir des écrivains ou des rédacteurs accomplis. Si c'était le cas, je crois qu'on parlerait beaucoup moins des échecs aux tests de qualifications en français.

Je trouve douteux ce discours qui sous-entend que le test est injuste parce qu'il empêche de consulter des outils de référence. Dans la vie, en situation de performance, il est mieux d'avoir automatisé un certain nombre d'apprentissages. Quand un enseignant écrit au tableau, il est mieux d'en savoir un bout, non? Il y a là juste une question d'efficacité à l'ouvrage. Déjà qu'il est difficile de garder une attention corrective quand en même temps on parle, pense à ce qu'on va dire et tient une attention flottante sur la classe. Si une secrétaire doit arrêter constamment son travail pour venir consulter un prof de français, comme je l'ai vu l'an dernier, on ne s'étonnera pas qu'elle manque de temps. Les outils de référence doivent servir à rafraîchir la mémoire à l'occasion, pas à suppléer les carences de formation.

A mon avis, la formation de base en français est donc mise en cause par la sous-performance aux divers tests de français qui jalonnent le parcours des étudiants. On a trop tardé à se pencher sérieusement sur cette question. Il est temps de remettre la charrue derrière les bœufs!

5 commentaires:

Armand a dit…

Cher Prof,
De mon temps, on écrivait à peu près correctement dès la sortie de l'école primaire.
Mes études n'ont jamais été axées sur ma langue, car je suis un ancien scientifique.
La sénescence du verbe est due au manque de pratique, car je parle surtout néerlandais (mon épouse est néerlandophone et je me suis adapté).
Sais-tu que la langue correcte est la raison principale de mon intérêt pour les blogs d'enseignants, question de probabilité? ;)
Amitiés
P.S. Grevisse est un Belge!

Le professeur masqué a dit…

Jonathan: je crois que le SEL et le nouveau test sont assez différents. Mais cela dit, je partage ton avis: «Les outils de référence doivent servir à rafraîchir la mémoire à l'occasion, pas à suppléer les carences de formation.»

Ouvrir sa grammaire pour des règles concernant les adjectifs de couleur, ben, il me semble que c'est un signe que tu ne maitrises pas la chose.

Les pronominaux semblent difficiles mais, dans 85% des cas, ils se résument à deux règles assez simples.

Jonathan Livingston a dit…

De mémoire, le SEL version B: 50 questions de langue dont plusieurs assez «insécurisantes» faisant le tour des difficultés de langue et un texte argumentatif de 300 mots sur une question surprise, le tout bouclé en deux heures! Euh, je n'ai pas eu le temps de réviser 4 fois mon texte! A peine une fois à la hâte. Pas d'outils de référence. Bref, solide à mon sens, sans trop de chance de cacher ses carences!

L'an dernier, mon amie l'a fait, même formule.

Jonathan Livingston a dit…

Et prof masqué, de toute façon, sans retenir toujours tout, faute simplement de les utiliser rarement, on peut certainement faire une bonne révision. C'est pas les ressources de nos jours qui manquent pour pratiquer son français.

Jonathan Livingston a dit…

Armand, tu es Belge, si je comprends bien!

Tu as raison, je crois que si l'on mettait l'objectif et les moyens à la bonne place, on transmettrait la capacité d'écrire son français à peu près correctement dès la fin du primaire.

Comme disait un prof en fin de carrière que je n'ai pas connu: «Vous n'êtes pas plus cons que les élèves que j'ai eus il a trente ans, alors travaillez!»