Je sais. Chez bien des enseignants, Virginie n'a pas la côte. On y trouve un reflet fort irréaliste parfois de notre quotidien.On a du mal à retrouver la réalité de nos groupes et de certains élèves rébarbatifs qui nous empoisonnent souvent le quotidien qui sont une réalité fort corrosive à laquelle la plupart des enseignants se sont frottés un jour. Voir ces enseignants insouciants discuter de tout et de rien et parfois même de choses fort compliquées avec en arrière-plan des élèves d'une docilité remarquable est franchement choquant, car ce n'est pas la réalité. Quand on sait la vigilance de tous les instants qu'exige la pratique enseignante dans de grands groupes d'adolescents qui peuvent souvent se désorganiser rapidement, on se croirait dans un rêve.
Mais bon, les lignes de force qui se déploient et les débats qui animent les protagonistes sont tout de même intéressants et appellent souvent une réflexion qui n'est absolument pas dénuée d'intérêt. Enfin, il m'arrive souvent de suivre cette émission sans en faire vraiment une habitude.
Ces derniers temps, je dois dire que franchement les aventures à Sainte-Jeanne-D'arc sont assez captivantes. Une sexologue tourmentée et qui enseigne Éthique et culture religieuse procède à l'implantation d'un programme conçu on ne sait trop où, par on ne sait trop qui, et qui promet rien de moins que d'aider les jeunes à trouver du sens à leur vie et à les rendre heureux. C'est, à ce qu'on en comprend, une sorte de démarche avec des cahiers-niveaux et des défis personnels à relever pour augmenter son potentiel humain qui, je le rappelle, est la compétence 7 dans nos fameuses compétences transversales.
Le programme semble avoir beaucoup de succès et suscite un grand enthousiasme chez les élèves qui commencent à afficher de curieuses attitudes d'adeptes convaincus d'avoir trouvé là une voie pour trouver le bonheur. Tous leurs problèmes vont se résoudre avec une bonne attitude.
Tout le microcosme de l'école en est bouleversé dans ses équilibres subtils et ce qui ressort de cette vague d'influence est franchement fascinant.
Rapidement, on voit les profs avoir du mal à se positionner face à l'effet du programme Soleil neuf, car en plus il vient de la sexologue qui a connu dans les derniers temps de drôles de signes de déstabilisation de sa personne dans une aventure à Paris où elle a d'abord prétendu avoir fait l'objet d'un viol, comme pour attirer la sympathie ou la pitié pour ramener vers elle son ex-conjoint: un intervenant policier de l'école qui est tombé amoureux de la Virginie. Elle a fini par admettre qu'elle n'avait pas été clairement violée. Elle va faire planer une accusation de violence conjugale de la part justement de son policier pour l'atteindre, qui s'avérera fausse complètement. Bon, c'est éminemment complexe comme arrière-plan et pas trop sain, on en convient aisément.
Je ne souhaite pas nécessairement rendre compte de ces «tiraillages» de couples, d'ex et de nouvel amour entre intervenants dans une institution qui suscitent souvent pas mal de passions dans les commentaires des autres intervenants. Je vais plutôt examiner ce programme décrit par plusieurs comme ayant des allures sectaires. Je me propose ensuite de faire certains liens avec la psychologie qui prend beaucoup de place de nos jours dans l'école et d'envisager certains rapports avec la réalité du système d'éducation actuel pour soulever quelques dangers des avenues téméraires dans lesquelles il nous pousse dans ce contexte de renouveau.
Ce programme est séduisant en ce qu'il travaille l'estime de soi et l'actualisation du potentiel des jeunes qui est franchement une préoccupation contemporaine dans le monde éducatif influencé par la psychologie humaniste de Carl Roger. Toutefois, la ferveur étonnante que Soleil neuf génère suscite des interrogations et des réactions d'ambivalences chez plusieurs intervenants. D'ailleurs, ce qui ressort assez bien de la situation, c'est le conflit que crée le programme du bonheur avec une autre dimension phare de l'école qui est cette fois liée à la compétence transversale 3: exercer son jugement critique.
Ce qui fait peur justement, c'est l'impression de plusieurs que la faculté d'exercer un jugement critique est de plus en plus absente chez les jeunes fascinés par l'enseignante du cours d'Éthique et culture religieuse. Même Lacaille, le prof de sciences humaines qu'on voit souvent débattre de politique et d'économie avec un esprit décapant proprement sur-dimensionné face aux idées reçues semble perdre de son ascendance face à l'étoile montante de Soleil Neuf. La prof d'art plastique, la blonde un peu naïve qui tombe toujours sous le charme d'agresseur potentiel, est aussi conquise parce que Soleil Neuf favorise la créativité de ces jeunes et une attitude en classe positive pour l'expression artistique.
Rapidement, ce programme qui est appliqué sans avoir reçu l'aval du ministère, mais qu'on a permis de commencer à cause de l'enthousiasme des parents siégeant au Conseil d'établissement, devient une patate chaude pour la nouvelle directrice pro-cogestion et un sujet de discorde fabuleux au sein de l'ensemble des intervenants de l'école. Hier, les policiers débarquaient avec le juge colérique et protecteur de la cour de la protection de la jeunesse avec un document à diffusion restreinte sur l'entrée des sectes dans les écoles. Hier aussi, la direction discutait fort de la patate chaude: on ne veut pas intervenir avec le risque d'accuser à tort un programme qui a ses côtés séduisants, alors qu'on sent bien qu'il y a quelque chose de potentiellement dangereux pour les jeunes à laisser ce programme hors de contrôle s'implanter dans l'école sans encore savoir les conséquences potentielles précises. On le voit, jouer dans le bonheur des gens avec un programme est un sujet qui rapidement sort du champ des compétences de la plupart des intervenants. Car, ce n'est pas franchement un truc évident, mais un questionnement qui touche tous les humains et auquel chacun apporte sa réponse toute personnelle et, à laquelle je trouve peu évident qu'on apporte une réponse ou une démarche structurée pour en favoriser l'éclosion. Enseigner un programme pour trouver le bonheur, pour trouver le sens de la vie, est presque faire de la religion, quand on y pense... Voilà ce qu'on a du mal à discerner clairement.
On évoque assez peu les conséquences négatives potentielles de Soleil neuf qu'on appréhendent, bien qu'on parle vaguement de bombe à retardement. Déjà, quelques jeunes, qui montrent un certain esprit de dissension, se taisent au sujet de leur enthousiasme modéré pour le programme de Véronique parce que la pression du groupe des fans du prof d'Éthique joue à plein. Un jeune un peu tourmenté sous médication a déjà décompensé lorsqu'il a goûté l'intervention assez cavalière de l'étoile de Soleil neuf qui s'est avérée aller jouer, en téméraire apprenti-sorcière qu'elle est, dans son complexe fort fragile d'infériorité ou lié à son estime de soi.
Au delà de l'évidente humanité de ces intervenants au prise eux aussi avec des problématiques personnelles assez inquiétantes parfois, quand on pense qu'ils sont des enseignants, des psychologues (alcoolisme), sexologue (attitudes de gourou); directrice (tourmentée par le désir d'être aimé de sa fille), il y a dans cette mise en scène de forces de société pénétrant dans le petit écosystème de cette école une mise en évidence de dynamiques intéressantes à surveiller qu'on peut percevoir, je crois, dans différents milieux scolaires.
Je trouve assez intéressante d'abord cette mise en évidence du concours de popularité des profs pour l'appréciation de leurs élèves qui prend place dans bien des écoles. Cette réalité fort incrustée dans l'inconscient de l'école, qui a ses manifestations régulières, connait ici une remise en question à cause d'un déplacement surprenant de la position des élèves dans le concours de popularité. On peut soupçonner que les stratégies que certains enseignants déploient pour arriver à remporter ce concours de popularité ne sont pas toujours fort éthiques. On a soulevé la semaine dernière, dans l'émission, cette réalité que certains profs donnent des notes fortes pour des travaux peu rigoureux afin d'amadouer les élèves. Ici, une enseignante joue à la sauveuse éclairée. Lacaille, lui, gauchiste avoué, remporterait souvent le haut du pavé de la popularité en dépit de la sévérité de ses exigences en raison de son esprit critique et de sa personnalité plutôt «rebelle» qui plait normalement aux jeunes. Mais son auréole est remise en cause en ce moment.
Je trouve aussi parlante cette fixation de la nouvelle directrice sur sa petite fille qui ne l'aime pas, selon elle, ce qui la perturbe dans cette histoire de popularité. Elle déploie elle-même un art subtil de contrôle de son personnel qui rappelle les outils de la PNL ou programmation neuro-linguistique qui a eu ses heures de gloire dans les formations des intervenants des milieux éducatifs et dans le monde des vendeurs de balayeuse. Il est remarquable de voir cette maître PNL désarmée face à ce désamour qu'une photo iconique souvent montrée dans l'émission nous rappelle. Il y a quelques ressemblances, inversées cette fois, aussi chez son adjoint qui projète son père sur toutes les figures d'autorité qui le confronte. On est dans cette époque où l'adulte cherche à se faire aimer de son enfant, alors que cet amour est souvent assez naturel et n'exige souvent que la présence significative, dans la vie de l'enfant, d'un parent ou d'un substitut.
Ce désir d'amour insatiable et souvent presque inconscient ou aussi parfois inavouable, on dirait, semble prendre beaucoup de place comme si les autres fonctions parentales ou d'éducateurs étaient reléguées en second plan. Les enseignants cherchant à se faire aimer de leurs élèves ou de leurs supérieurs ne me semblent pas rares à observer dans les milieux. Je verrais là souvent une tendance chez beaucoup d'acteurs sociaux à «projeter» inconsciemment leur conflit sur des «figures parentales» ou sur «l'enfant à protéger» qu'ils ont été. L'estime de soi est encore dépendante du regard de l'autre. Beaucoup d'enseignants seront un jour sensibilisés à ces phénomènes inconscients qui finissent par les épuiser. Vouloir l'amour d'enfants peut entrer en conflit avec notre rôle d'éducateur et nous pousser à nous épuiser dans cette réalité où bien des jeunes en ont rien à foutre qu'on veule leur amour. Comme chacun sait, vouloir être aimé de tous est une tâche impossible à assumer. Vouloir plaire à certains «abuseurs» parce qu'ils figurent des scénarios inconscients de l'enfance quasi hypnotiques est aussi destructeur.
Ce penchant de la directrice se transpose, j'en ai donc l'impression, sur beaucoup d'enseignants qui cherchent l'approbation de leurs élèves comme mesure de leur valeur et qui investissent dans ce besoin au delà de ce qui me semble souhaitable pour camper avec professionnalisme toutes les dimensions de l'acte enseignant. D'autres critères d'évaluation de la pratique semblent oubliées. Il faut développer une relation de confiance ou pédagogique nous enseigne-t-on dans la formation des maîtres, mais l'expérience nous apprend à lui mettre une certaine limite. Il faut aussi garder une certain distance. Nous ne sommes pas des parents, encore moins des conjoints potentiels. D'ailleurs, on voit à Sainte-Jeanne-D'arc l'exemple d'une prof qui se laisse séduire par un adolescent figurant une sorte d'Apollon magnifique que toutes les jeunes femmes adulent. Il y a une certaine conscience à avoir de ces débordements de la relation pédagogique si l'on n'y prend pas garde. Enfin, notre rôle d'évaluateur objectif de la progression des élèves nous impose de faire attention au conflit d'intérêt. Nous avons aussi le devoir d'objectiver l'apprentissage. Être sensible à la flagornerie peut ainsi altérer notre jugement et nous rendre aussi injuste.
Mais ce qui attire surtout mon attention, c'est la résonance qu'a le programme Soleil neuf avec l'esprit de la réforme et de la pédagogie centrée sur l'élève. J'ai l'impression que nos programmes nous incitent souvent à jouer les gourous quand il nous demande d'aller toucher des aspects de la personne comme l'estime de soi des élèves ou l'actualisation du potentiel. Il est clair que le Programme de formation de l'école québécoise (PFÉQ) ne va pas jusqu'à suggérer l'enseignement du bonheur qui est peut être une intrusion franchement délicate dans la vie des jeunes surtout quand il s'agit de les orienter vers ce qui devrait faire leur bonheur. Toutefois, des notions comme l'actualisation du potentiel issus de la psychologie et qui touchent de nombreux aspects de la psychologie intime du jeune m'apparaissent quelques peu délicates. Intervenir dans les sphères des émotions, du sentiments, de l'estime de soi me semblent quelques peu hasardeux pour des intervenants qui n'ont, la plupart qu'une conception fort vague de ces dimensions de l'expérience humaine.
Ainsi, à l'examen, la transmission du développement de la compétence transversale 7 : actualiser son potentiel ouvre la porte à cette dérive. Quand on entre dans les rouages fort délicats de la psyché pour conscientiser des processus, franchement obscures, comme ce qui fait l'équilibre de la personnalité surtout à un âge délicat comme celui de l'adolescence, il faut s'attendre à des surprises parfois et des effets inattendus souvent indésirables. Je pense qu'il n'est pas rare pour un enseignant qui s'aventure sur ces pentes périlleuses un jour d'assister à des décompensations comme on l'a vu lundi de jeunes fragiles confrontés à une fouille cavalière dans leurs «bébittes» par un intervenant qui ne prend pas le temps de mettre en place des conditions pour entrer dans un processus thérapeutique ni ne demande l'avis de la personne sur la perspicacité d'entrer dans son processus thérapeutique. Franchement, je ne crois pas que nous avons l'espace ni la formation pour oser entrer dans le temple secret de la psyché d'autrui comme cela. Il faut souvent s'imposer une certaine réserve.
Pousser des jeunes au bout de leur potentiel en faisant miroiter des miracles est malheureusement une attitude trop souvent mis de l'avant sans une claire compréhension de la dynamique que l'on provoque. Exiger des performances n'est pas un problème. Faire miroiter des réussites dans des contextes où l'on peut se tromper sur le potentiel réel du jeune et le mettre devant un mur fracassant de désillusion est tout à fait autre chose. Il faut que le «vas-y, t'es capable» soit soutenable.
Je m'interroge franchement sur cette intrusion de l'école dans la psychologie de tous sans avoir au préalable sans que ces intervenants aient une claire conscience des dangers liées à ces pratiques d'apprenti-sorcier. Quand on reçoit une formation de psychologue, on va être longuement suivi et supervisé pour découvrir les dessous fort délicats de ce qu'on appelle le contre-transfert qui est en quelque sorte une projection de ces propres conflits ou des solutions à ses propres conflits sur les personnes qui sont sous notre dépendance. C'est un grand biais subjectif sur le regard qu'on porte sur la dynamique de l'autre. Tous, sans être psy, quelque part, nous projetons sans cesse nos drames, mais aussi nos conceptions du monde, sur les autres. Mais bon, on peut apprendre à le faire plus consciemment et cela se fait souvent dans le cadre d'une thérapie, rarement cela peut faire l'objet d'un enseignement, car cet examen de soi suppose une maturité adulte et est fort lié à nos histoires personnelles. Mais bon, déjà comprendre le mécanisme de projection favorise l'émergence d'une capacité plus objective d'écouter l'autre et de respecter son intégrité dans nos interventions.
Ainsi, nos conflits intérieurs, liés à notre histoire personnelle, d'adultes souvent vont être reportés sur notre façon de voir les autres et les jeunes et nous mettre dans une position fort discutable au plan éthique de les manipuler pour nous conforter dans notre propre psychologie et cela d'une manière souvent inconsciente. Il est très difficile de voir le processus projectif ou ce que Freud a appelé le contre-transfert qui est la relation d'amour un peu inappropriée, voire perverse, que le thérapeute va déployer en retour de l'amour que son patient lui donne. Cet investissement d'un être devenu dépendant du point de vue de l'autre ou de sa science est souvent justement l'objet de la thérapie et un domaine d'apprentissage puissant et de découvertes de ces fonctionnements inconscient. Un bon thérapeute travaille en conscience cette dimension et s'en ouvre souvent en supervision professionnelle pour tenter de ne pas venir contaminer la dynamique de son client et travailler à la mise en conscience de ce transfert du client plutôt que de lui répondre et profiter de lui, ce qui est peu éthique ni professionnel.
Mais nous, les enseignants, avons-nous conscience de la projection de nos propres conflits psychologiques sur les jeunes que nous influençons? Quand nous nous mettons à vouloir rendre heureux nos jeunes ou à vouloir leur amour, à les sauver, n'y a-t-il pas là une attitude névrotique discutable? On ne peut certes pas totalement se prémunir de ces effets totalement, mais disons que les enseignants fortement impliqués dans leur relation avec les jeunes sont beaucoup plus susceptibles de perdre les pédales dans certaines situations. Une certaine distance équilibrée par une relation pédagogique humaine permet l'espace d'une communication saine et respectueuse. Le respect est en fin de compte celui de l'intégrité de l'autre. Répondre à son besoin d'affection dans le cadre de la relation pédagogique m'apparait franchement inapproprié. Et l'on doit tous donc avant d'aborder des sujets très personnels et intimes avec des jeunes savoir où tracer une ligne permettant de respecter l'intimité de chacun. Avec la tendance fort américaine d'imposer la confession publique comme allant de soi, je crois que comme éducateur nous devons rester vigilants au signe d'embarras qui, à mon sens, sont des indicateurs psychologiques fiables à percevoir dans nos rapports avec les autres. Évidemment, la distance de proximité respectable a, en plus, des variations selon la culture et des sous-cultures. Enfin, on trouvera souvent des gens qui jouent avec les frontières intimes des autres pour les déstabiliser et aussi les manipuler.Quand on travaille dans l'humain, il est mieux de connaître un peu ces mécanismes.
Je crois qu'on nous prévient assez peu chez les enseignants de l'équilibre à trouver entre la relation pédagogique et une certaine distance saine avec les jeunes. Mais une chose m'apparaît certaine, entrer dans les dynamiques des jeunes trop profondément est périlleux, voir dangereux. Forcer les frontières d'intégrité de l'autre s'apparente au viol. Jouer aux psys de sessions de groupes n'est clairement pas souhaitable dans une école. Il faut garder une certaine objectivité donc à mon sens et nous limiter souvent à rester dans l'axe de l'apprentissage de contenus objectifs.
Mais l'école veut nous mener plus loin au nom d'un idéal irréaliste et c'est maintenant ce point que je vais maintenant aborder.
Quand nous nous mettons en projet de faire comprendre aux jeunes leurs émotions, leurs sentiments, leurs valeurs et leurs possibilités, de leur faire découvrir leurs forces et leurs limites, de les aider à juger de la qualité et de la pertinence de leur choix d'action (PFÉQ), ne risque-t-on pas trop souvent de déterrer dans cette aventure téméraire des blessures psychologiques pour lesquelles nous sommes mal équipés pour accompagner le jeune? Ces dimensions ne devraient-elle pas être maniées par des gens bien formés à ces tripatouillages de l'âme humaine? Et franchement, est-ce le rôle de l'école de faire ce genre d'éducation? Entre développer le vocabulaire émotionnel pour enrichir des descriptions de personnages et entrer dans la compréhension de ce phénomène assez complexe, il y a d'évidentes marges? Qui nous prévient des dérives possibles de mandats si délicats confiés à tous les enseignants?
Dans le débat qui oppose différentes visions de l'école, je remarque une attitude prudente et aussi plus empreint de pudeur dans le souci de certains d'en rester à la mission de l'école comme lieu de transmission des savoirs. Entrer dans le projet de nourrir l'être humain dans toutes ses composantes de sa personne m'apparaît quelques peu intrusifs et présomptueux de la part des intervenants de l'école. J'ai retrouvé cela dans le«Pourquoi éduquer? » d'un Legendre, celui du fameux dictionnaire de l'éducation, qui fonde l'intervention scolaire dans la nécessité d'armer l'enfant contre un monde fou qu'il dépeint fort longuement. Il répond à cette question par notre obligation d'aider le jeune à conjurer deux peurs: celle de l'angoisse existentielle et la peur de l'avenir. Il propose donc de les aider à se développer pour trouver le bonheur: «Telle devrait être la première mission fondamentale de l'éducation: assister l'être humain dans son désir d'apprendre à être, à devenir et à se situer.» (UNE ÉDUCATION... à éduquer, Guérin, 2002, p.36) Enfin, Legendre propose: «Instrument privilégié de l'accès au savoir, l'éducation doit devenir le catalyseur d'une évolution permanente de la société; telle est la deuxième mission fondamentale de l'éducation. Au chaos et au développement débridé de la société actuelle, l'éducation doit opposer une vision globale et précise du futur.»
Je prends la peine de citer Legendre, parce que je trouve ses énoncés assez représentatifs des missions de l'école que l'on s'est données récemment dans ce renouveau pédagogique. Pour ma part, la prétention de l'école, au travers le regard éclairé de ses enseignants, d'offrir une vision claire et globale au futur m'apparaît franchement irréaliste et franchement discutable. L'école, à bien des points de vues d'ailleurs, traduit assez évidemment le chaos de la société et la plupart des intervenants peinent à dégager justement une vision globale et clair de l'avenir. Va-t-on nous fournir des boules de cristal?!!
Je ne respecterais pas évidemment l'ensemble des intentions du Programme de formation de l'école québécoise en le réduisant totalement à ces missions proposées par Legendre qui m'apparaissent quelques peu irréalistes pour une formation de base, mais bon on y retrouve en effet cette volonté de voir les intervenants de l'éducation travailler dans les recoins de la psychologie de l'enfant et de l'adolescent pour l'équiper à faire sens, à mieux se connaître et faire face à ses désirs de sens, à sa quête du bonheur. D'ailleurs en introduction du PFÉQ, on peut lire ceci: «Le Programme de formation établit les bases d’un contrat moral entre les établissements scolaires et la société, tout particulièrement les parents et les élèves. À la lumière de la mission de l’école, il propose un projet de formation qui concerne le développement de l’élève dans toutes les dimensions de sa personne.» (PFÉQ, avant-propos, je mets en gras)
Tous les aspects de la personne concerne-t-il l'école? Je pose franchement la question. Personnellement, je trouve assez inconcevable que l'école s'arroge le droit de faire de la thérapie collective de la sorte en intervenant dans toutes les facettes de la personne. Il y a là une témérité certes discutable et un côté intrusif à entrer dans la dynamique d'un être humain. A bien des niveaux, c'est loin d'être à l'école qu'on trouvera des réponses personnelles à ses quêtes personnelles, à ses propres projets et interrogations. Cette prise en charge totale de l'école qu'on finit par faire porter par les enseignants constituent à mon sens l'outre-passement du mandat traditionnel de l'école qui est d'instruire, de préparer au travail en société et de favoriser le développement intellectuel et social de chacun.
Je n'ai pas abordé ici les prétentions - monter l'apprendre à apprendre- de l'école de conscientiser tous les processus d'apprentissage - à une époque où nous ne faisons qu'amorcer notre compréhension claire des processus cognitifs ou intellectuelles - et de la nécessité de pousser les gens à «métacognitiver» et à suivre des méthodes toutes faites qui laissent peu de place à une évolution graduelle de la capacité d'apprendre qui est personnelle à chacun et va se raffiner en fonction des choix professionnels et des besoins d'apprentissage qui viendront plus tard dans la vie. Devoir sans cesse se faire tirer les vers du nez quand on travaille pour voir si on conscientise pleinement nos processus, c'est comme oublier que de nombreux automatismes vont tout seul et qu'il n'est pas toujours franchement important de les conscientiser pour obtenir un résultat si ce n'est qu'au moment de les apprendre ou de les modifier. Encore là, ne joue-t-on pas au apprenti-sorcier et aux gourous en promettant des maîtrises que nous ne pouvons pas franchement transmettre faute d'avoir la pleine connaissance de ces processus qui font toujours l'objet de recherche fondamentale dans le domaine de la psychologie cognitive fondamentale. On en est à peine à commencer à nuancer les travaux de Piaget et on a lancé les jeunes dans une pédagogie de la découverte et des démarches d'apprentissage sans se soucier de la capacité intellectuelle moyenne des jeunes à soutenir ce genre d'apprentissage. Pire, on a lancé l'idée que nous devrions, nous les enseignants, savoir et posséder ce que la science peine encore à comprendre.
Oui, à l'instar des scénarios proposés ces jours-ci dans Virginie, je crois que l'esprit des sectes est bien entrée dans les écoles! Esprit d'apprenti-sorcier, «bonenfant», porté par des adeptes convaincus qui prétendent nous sauver du péril de l'angoisse existentiel et du chaos ambiant de changement actuel et à venir. Le problème le plus évident, c'est qu'il annihile l'esprit critique et pousse le rôle de l'école à prendre en charge de manière intrusive, voir abusive, tous les aspects de personnalité des jeunes. Le corps enseignant ne peut honnêtement jouer le Grand Sorcier pour conjurer l'adversité du monde. Là, aussi, y a sûrement quelques bombes à retardement à redouter.
Enfin, il ne faudra donc pas s'étonner de trouver sur la route de l'application de cette réforme et de ce renouveau, l'expression d'un concept bien connu de la psychologie: la résistance. La résistance, en psychologie, renvoie un peu à la difficulté que nous avons de conscientiser les patterns ou nos processus inconscients car ces derniers, souvent constitutives de nos mécanismes d'adaptations à un environnement difficiles à gérer, nous orientent dans nos adaptations à tout niveau et nous protègent contre les atteintes à notre intégrité physique et aussi psychologique. Changer n'est pas simple et n'est pas toujours souhaitable. Pour certains jeunes, aussi étrange que cela puisse paraître, réussir les place en conflit de loyauté avec un environnement qui ne pourrait envisager ce genre de succès.
L'objet de la thérapie qui est de rendre conscient des mécanismes inconscients pour les transformer demande des conditions assez particulières pour permettre la réussite de ces processus. Certains processus inconscients sont constitutifs de la personnalité et les révéler peut s'avérer périlleux pour la personne. Bref, la résistance peut être parfois l'expression positive d'une force visant à maintenir une intégrité qui n'a pas à être brisée.
Dans la réalité scolaire, donc, on voit s'exprimer de la résistance et personne ne peut présumer qu'elle est simplement négative. D'abord, il est clair qu'en poussant de nombreux intervenants à s'improviser apprenti-sorcier dans l'intervention holistique qu'on nous demande de faire sans avoir une pleine maîtrise de la matière explosive dans laquelle nous jouons, on risque de les amener à prendre des risques pour leur propre intégrité. Assister à la décompensation (crise psychotique) d'un jeune poussé au delà de ces capacités d'apprentissage a été pour moi une expérience fort déstabilisante. J'avais pris part naïvement à un contexte irréaliste pour ce jeune. Je garde depuis le souci de garder un regard le plus juste possible sur le potentiel des jeunes ou adultes qui me font confiance pour les préparer quand il est nécessaire à la possibilité d'un échec face à l'entreprise irréaliste qu'il se donne ou que leur entourage induit en eux. On est au première loge parfois dans ce métier de drames assez éprouvants.
Combien d'enseignants se compromettent trop dans des projets qu'eux-mêmes ne peuvent assumer tant la pression du milieu est forte pour jouer les superhéros sans jamais que personne ne leur aient transmis tous ces pouvoirs dont ils auraient besoin pour répondre à ses exigences irréalistes et surhumaines. L'état de santé d'environ 50 % des enseignants est en fâcheux états, 20% sont en arrêt maladie et je ne crois pas que ce soit étranger au fait qu'on leur demande massivement l'impossible.
Ensuite, pensons que les jeunes vont exprimer aussi et, en fait, exprime une résistance indéniable à ce programme qui les enserrent dans ses mailles pour les pousser trop souvent au-delà de leurs limites. La démobilisation palpable d'un nombre croissant d'élèves n'est pas non plus, à mon sens, étrangère à cette situation de renouveau. Offrir des interprétations psychologiques «patentées» à une psyché trop jeune a des effets fort néfastes connus depuis longtemps, je crois qu'on doit se garder de forcer la porte de la psyché et ceux qui ont une sensibilité adéquate sentent très bien jusqu'où on peut aller. Le rôle des enseignants n'est pas de jouer les thérapeutes ni de sauver le monde. Quand on suppose que nos jeunes peuvent apprendre à conscientiser leur cognition pour gérer leur tâche, sait-on franchement dans quoi l'on joue? D'ailleurs, y arrive-t-on facilement, combien de fois un jeune se défend de notre intrusion dans sa gestion mentale en nous ignorant poliment. Il a raison de se dire qu'on n'a pas à lui dire comment penser jusque dans ces petits détails. Et dire qu'on nous demande de tenir compte aussi des particularités ethniques aussi, mais a-t-on franchement une idée de l'infinie diversité culturelle en ce monde? Non, franchement, au delà de proposer des démarches, d'en obliger quelques-unes dans des méthodes liés à des domaines, entraîner à apprendre est suspect. Dans notre naïveté, comment croire que nous offrirons une représentation juste des processus d'apprentissage, quand on sait qu'il y a bien des manières et autant d'objet divers d'apprentissage qui ont leur contrainte propre. C'est naïf, puéril et réducteur, de prétendre que nous allons éduquer à apprendre à apprendre. Au mieux, nous passons quelques méthodes reconnues d'organisation du travail dans quelques domaines. Prétendre le contraire, a des allures de totalitarisme. J'irais jusque là.
L'école aurait pu simplement offrir des connaissances utiles accessibles en fonction des âges et proposer des stratégies d'apprentissage sans espérer viser l'éducation maîtrisée de ces processus encore méconnus, encore moins prétendre éduquer le jeune dans toutes ses dimensions. A force de vouloir tout contrôler, on risque de créer encore plus de problèmes. La sagesse enseigne à laisser l'autre aussi vivre son cheminement, à accepter la réalité de ce qu'il vit et à faire confiance au processus global de la vie. L'école n'est pas la seule influence dans la vie et ne doit pas outrepasser son champ normal d'action. Pourquoi ne se contente-t-elle donc pas dans un premier temps de transmettre des savoirs de base et de bien le faire, d'initier un peu à différents domaines et outils utiles? Pourquoi ne pas laisser les formations professionnelles jouer leur rôle de développer les compétences et laisser finalement à la vie, sa profonde faculté de nous pousser à toujours développer nos capacités d'apprendre pour mieux nous adapter ou exprimer notre singularité en ce monde?
3 commentaires:
WOaOW
C'est pas pour flagorner, mais juste comme je pense parfois que vous avez fait le tour d'une question, vous arrivez et jetez un éclairage inédit.
Sur le plan «littéraire», l'entrée en matière avec Virginie était franchement bien tissée.
Vos collègues connaissent-ils (elles) leur chance?
Cher Prof,
Les enfants (grands ou petits) ont toujours eu besoin de belles histoires.
De mon temps, c'était Andersen.
Pour améliorer les taux d'audience, on a eu Madame Oprah (je ne la connais pas, ses émissions ne "passant" pas en Europe), Raël et autres "Star Academie".
Chacun(e) avec son style, évidemment!
Pour avoir du succès, je comprends que de petites exagérations (simulacre de viol, par exemple) puissent être utiles pour "épicer"...
Plein de bloggeurs s'inventent des vies de chef d'entreprise, alors que leurs carnets sont bourrés de fautes d'orthographe et de contradictions.
Alors, pourquoi une "enseignante du cours d'Éthique et culture religieuse" ne pourrait-elle pas faire comme les autres?.
Amitiés
J'ai fait quelques ajouts mineurs notamment pour mettre en relief la notion de distance acceptable entre enseignant et apprenant. J'ai aussi revu les nombreuses coquilles! Le texte est long à contrôler dans son entier.
Mes collègues me trouvent souvent original au début, puis avec le temps fouille-marde. Dans nos écoles, l'esprit critique est justement moins répandu que l'esprit de sectes ou des professions de foi doctrinaires surtout que notre avancement en dépend souvent pour le 44% de statut précaire de la profession!
Écrire pour moi vient dans une transe où tout s'assemble autour d'un fil conducteur qui rassemble le propos après la méditation de nombreuses questions éparses et difficiles à relier et souvent quelques essais non aboutis. Disons aussi que j'ai noirci un quantité fabuleuse de pages dans ma vie. Pour le reste, nos parcours nous nourrissent.
Hier, en me levant, méditant mes rêves, le filon d'analyse en partant de Virginie m'a lancé dans l'expression de préoccupations convergentes. Voilà il n'y a pas de magie, mais de longues préparations. J'ai eu de nombreux maîtres sur ma route. J'ai donc beaucoup de mal, comme Lacaille (savoureux passage hier!), avec les Imbéciles qui ne sont pas cons, parce qu'ils sont très créatifs, mais bien parce qu'il croit naïvement que les choses sont faciles ou simples!
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