«Un décret publié hier par le gouvernement Charest a consacré en douce leur éradication complète du vocabulaire de l'éducation », annonçait jeudi la une de La Presse.
Par exemple, dans l'article 15 du Régime pédagogique, on expliquait ainsi ce qu'est un cycle: une période d'apprentissage pour acquérir «un ensemble de compétences disciplinaires et transversales». Dorénavant, cette période servira plutôt à l'acquisition de «connaissances et compétences disciplinaires».
Ma première réaction a été de penser que comme d'habitude nos dirigeants sont prodigues à changer de vocabulaire et les journalistes, prompts à frapper notre imaginaire avec style («éradication», «consacré»). Mais bon, j'y vois un changement de philosophie. La notion de compétences transversales recouvrait l'idée d'habiletés générales liées aux finalités de l'éducation. On prétendait pouvoir mettre les jeunes élèves, dès leur plus jeune âge, en apprentissage de ces grandes habiletés qu'on a tenté de définir de façon opérationnelle: exploiter l'information, résoudre des problèmes, exercer son jugement critique, mettre en œuvre sa pensée créatrice, se donner des méthodes de travail efficaces, exploiter les technologies de l'information et de la communication (TIC), actualiser son potentiel, communiquer de façon appropriée.
Bien que l'objectif semblait louable, au plan pratique, il s'est avéré difficile de mettre en œuvre un enseignement qui permettait de travailler substantiellement ses grandes finalités dans le cadre de nos cours disciplinaires. Au moment d'évaluer ces progrès chez nos élèves dans l'acquisition de ces dernières, on pataugeait franchement. D'ailleurs, les caucus de profs à ce sujet, dont j'ai été témoin, avait l'air assez peu sérieux, à des millénaires d'une quelconque rigueur.
Cela sautait aux yeux pourtant que nombre de ces grands objectifs de formation avaient un caractère inapproprié dans la progression des apprentissages des jeunes en train de lentement apprivoiser les fonctionnements intellectuels de base qui permettraient éventuellement l'accès à ces grandes transversalités. Combien de ces compétences s'apparentent quelque part à des réalités de l'ordre du talent ou de certaines prédispositions. Certains jeunes montrent des talents dans l'ordre de ces compétences générales sans en avoir jamais reçu un enseignement orienté en ce sens. En même temps pour les autres, la maturation des apprentissages est nécessaire pour leur permettre de gérer cognitivement et «métacognitivement» une amélioration de leur compétence par l'examen de stratégies appropriées et de méthodologies permettant l'expression de ces compétences.
Il m'a toujours paru que ce projet grandiose, cadré dès le primaire dans les préoccupations des enseignants et des apprenants, mettait la charrue devant les boeufs.On sait que finalement ces stratégies transversales étaient la plupart du temps gérées par l'enseignant lui-même qui tenait à bout de bras l'organisation de ces fameux projets permettant de développer les dites compétences transversales. Ses finalités ne vont certes pas disparaître de l'esprit des éducateurs, mais la pédagogie de projet risque de devenir moins systématique nous permettant de nous tourner vers des pratiques connues depuis longtemps pour leur valeur éducative dans la transmission des bases du savoir général.
Remettre le focus sur les connaissances et les compétences disciplinaires, en ce sens, recadre un petit peu notre travail vers les essentiels qui requièrent un temps d'apprentissage assez consistant. On ne va pas cesser d'enseigner des trucs en résolution de problème, de faire faire des recherches sur Internet en conseillant nos jeunes sur de bonnes façons de s'y prendre ou de leur demander de réagir aux textes qu'ils lisent, mais on remet dans notre ligne de mire les connaissances qui permettent aussi de devenir compétent car, pour résoudre un problème en math ou bien communiquer, il faut aussi connaître solidement les connaissances mathématiques à mobiliser et les règles de grammaire.
Malheureusement pour les utopistes, l'acquisition consistante de telles connaissances en amont des grandes finalités de l'éducation requiert chez la plupart des jeunes un exercice régulier pendant des années. Ce n'est pas en essayant de gommer cette réalité qu'on a bien avancé dans le défi de l'éducation ces dernières années.
En terminant, le recadrage de cette réforme aux effets assez indésirables ne devra pas s'arrêter là. L'abolition des compétences transversales, ces abstractions quelque peu gênantes, de nos préoccupations premières n'évacuent pas la problématique des compétences disciplinaires. Car, il ne faudrait pas oublier que l'esprit de la réforme par sa propension tentaculaire à formater les esprits s'est aussi insinué à l'étage plus bas. Dans les programmes de certaines matières, il y aurait du ménage à faire. Pour le moment, le mot connaissance y a encore une place bien trop accessoire à mon sens. On y décèle aisément aussi une conception toujours prétentieuse et irréaliste de la progression des apprentissages. Souhaitons donc qu'on n'en restera pas là.
6 commentaires:
Je suis tout à fait d'accord avec votre analyse. J'ai aussi l'impression qu'on mettait «la charrue avant les bœufs». Il faut tenir compte du développement cognitif des jeunes et ainsi leur faire apprendre des notions et les confronter à des concepts et défis qui soient adaptés à leur âge. Je suis enseignant en physique et math en 5e secondaire (de retour après une pause d'un an) et remarque que les jeunes n'ont vraiment pas actuellement ce qu'il faut pour poursuivre des études supérieures. Ils sont d'une passivité, n'écoutent pas les consignes et font le strict minimum. Ils ont en général une attitude attentiste car de toute manière ils ont été habitués à passer grâce aux entourloupettes des bulletins actuels.
Ti-casse
Je crois qu'ils sont passifs parce qu'ils leur manquent la solidité des préalables, ses connaissances systématiques qu'on a négligées de bien enseigner et de renforcer suffisamment pour se concentrer sur les compétences brumeuses.
Effectivement et je ne les condamne pas, ils sont plus victimes que coupables... De plus, quand on veut donner une formation plus solide, on se fait rabrouer par les directions qui continuent de croire que la réforme est messianique... et que nous n'avons pas encore compris la Vérité avec un grand V.
Ti-casse
"Ils sont d'une passivité, n'écoutent pas les consignes et font le strict minimum. Ils ont en général une attitude attentiste car de toute manière ils ont été habitués à passer grâce aux entourloupettes des bulletins actuels."
Anonyme, vous avez raison et je pense que le problème vient de l’enseignement dispensé en primaire : beaucoup d’élèves ont été mal formés, tant dans les différentes disciplines (ils n’ont pas les connaissances fondamentales indispensables pour aller plus loin) que dans les comportements scolaires (organisation du travail , curiosité, sens de l’effort, application etc…) qui eux aussi doivent faire l’objet d’un enseignement explicite et structuré. Ce point est essentiel car la plupart du temps, on fait comme si les attitudes scolaires étaient innées et devaient venir naturellement.
Les méthodes pédagogiques qui s’auto-proclamaient actives, laissant croire que tout apprentissage devait passer par des situations de découverte, n’ont rien produit d’autre que des élèves passifs, des élèves zappeurs, des élèves peu curieux et peu enclins à l'effort.Bref, des élèves qui n'aiment pas apprendre.
Cordialement,
Bonjour,
L'aventure des transversales me fait penser à un prof de musique du primaire qui, après avoir assisté à un spectacle des "grands du jazz", voudrait enseigner l'improvisation à ses élèves puisqu'il considère que c'est le summum de l'expression musicale. Après dix sans trop de succès, il constate que de l'improvisation sans vocabulaire, ce n'est pas pareil. De bonnes intention mais une ignorance et une naïveté contre laquelle le MELS tarde à se protéger.
Paul C.
Avez-vous pris le temps de bien regarder le nouveau bulletin proposé par le MELS? À cette adresse vous trouverez un modèle pour le primaire (http://www.mels.gouv.qc.ca/bulletinNational/) et vous constaterez qu'à la rubrique 3 on voit apparaître ceci : « Commentaires sur deux des quatre compétences suivantes : exercer son jugement critique, organiser son travail, savoir communiquer et travailler en équipe ». Ne sont-ce pas des compétences transversales sans le nom? N'y lit-on pas que vous devrez les « commenter » deux fois par année? Avant cette modification du bulletin, vous deviez « évaluer-commenter » au minimum une fois dans l'année. Ce qui d'ailleurs, était une pratique régulière au secondaire. Le nom est disparu et le nombre est diminué, mais elles sont toujours présentes. Le MELS a pris soin de faire disparaître la compétence qui risquait de lui coûter de l'argent, exploiter les technologies de l'information et de la communication (TIC), car pour les exploiter il faut qu'il y en ait dans les écoles. D'ailleurs, ce sera le cheval de bataille des institutions privées, vous n'avez qu'à consulter le dernier livret promotionnel des écoles privées paru dans le journal La presse dernièrement. Le fossé numérique, en plus de se creuser entre les pays pauvres et les pays riches se creusera entre l'école publique, incapable de se payer la technologie et les écoles privées qui le pourront. Même si je sais pertinemment qu'un enseignement efficace ne repose pas que sur la technologie.
Je ne comprends vraiment pas votre mépris à l'égard des compétences transversales. Peu importe la discipline, les stratégies de résolution de problème, l'exploitation de l'information des et des TIC, communiquer adéquatement et apprendre à travailler en équipe sont des incontournables et ne venez pas me raconter que tout cela est incompatible avec l'enseignement de connaissances. Bien avant l'arrivée de la réforme au secondaire, des enseignants se préoccupaient d'intégrer ces « compétences » à leur enseignement sans que cela ne devienne le sujet de discordes à n’en plus finir.
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