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samedi 20 novembre 2010

Paresses contemporaines ou travailler sans base

La première étape s’achève et avec les quelques petits examens, on peut constater le résultat de notre travail. Parfois, c’est décevant. Mais généralement, c’est sans surprise. On voit ce qui entre et ce qui n’est pas entré.

J’ai deux groupes qui avancent bien, lentement, mais sûrement. De grandes difficultés en lecture, mais de belles forces en écriture. Une certaine capacité d’apprendre les bases de la grammaire. J’ai confiance de les mener un peu plus loin. Avec celui de sec 3, j’ai trois ans. Celui de 5, on entrera dans les urgences pratiques bientôt : l’argumentatif. Par contre, le troisième groupe n’a pas vraiment le projet d’apprendre, il est plus occupé à bouffonner, à attendre qu’on mastique tout pour eux, qu’on lui dise les réponses : les jeunes veulent remplir leurs cahiers de bonnes réponses. Point. Ils ont du mal à saisir la notion qu’une idée se formule de différentes façons. Inutile de dire que le sillon ne se fait pas sur le disque dur trop trop.

En math

Je regarde ce groupe plein d’énergie. Il n’est pas dans le projet d’apprendre, d’acquérir. Une rencontre hier avec les collègues  des cours de math et d’anglais m’a permis de constater que c’était pire pour eux dans les deux autres matières de base. Le prof de math était un peu découragé qu’aucun  des élèves n’ait repéré dans un développement algébrique l’erreur simple d’un élève fictif qui a interverti ses données x et y. Je lui ai dit que, selon moi, ce n’est pas trop étonnant. J’ai  fait une suppléance avec eux un jour pour me rendre compte qu’ils n’avaient pas en eux les bases de connaissance de la résolution d’équation. Il faut leur rappeler tout au fur et à mesure : isoler la variable, utiliser le produit croisé, bouger des termes algébrique, savoir que f(x) est le y, l’ordre des manipulations. La relation entre le graphique, la table de valeur et l’équation est «valsante» en eux. Ils ne sont pas capables de faire une résolution, mais ils peuvent probablement pitonner le tout dans une calculatrice graphique, ce que je ne sais pas faire. Encore que j’aimerais bien les y voir faire!

Alors comment pouvoir repérer une erreur dans le développement algébrique?

C’est un territoire plein de mystères pour eux. Ils ne connaissent rien à ce monde. Comment suivre un raisonnement pour en évaluer la justesse quand on peine à faire ce raisonnement nous-mêmes.

Les démonstrations sur le TBI n’y changent pas grand-chose. Ils sont tranquilles, mais ils demeurent passifs, les maths ne coulent pas en eux. Ils demeurent dépendants de l’animateur, on fait quoi après? A chaque geste.

J’étais comme d’habitude sidéré par la progression des exercices des manuels qui, à chaque question, compliquent. Comment faire apprendre dans une telle instabilité cognitive? Je me le demande encore. Toujours la même poutine depuis le programme de 1994. C’était des exercices à présenter après la maîtrise des bases à mon sens, en fin de parcours. 

Tout le système s’entête à vouloir les voir raisonner. Avant le temps propice.

Ils n’ont pas ce qu’il faut. 

On ne peut pas raisonner un problème sans avoir une certaine conception stable des sous-jacents. 

Et on s’étonne de les voir raisonner comme des idiots ou de s’immobiliser,  inertes. Essayer de résoudre un problème mécanique sur une voiture sans avoir une certaine conception de ce qu’est un moteur est pratiquement impossible.

Platement, je trouve qu’il faut retravailler les bases, que j’ai suggéré, qu’il faut sortir du manuel. Revenir aux séries, leur faire faire les bases. Ils raisonneront plus tard dans l’année ou plus tard dans leur parcours. Il faut sortir du cycle des fatalités…

J’ai été étonné de sa réponse : «Quand je suis arrivé ici, je voulais faire des contrôles réguliers, les élèves refusaient de les faire…»  Bon, on travaille dans une réserve avec des jeunes assez gâtés pourris et sans aucune sécurité d’emploi, c’est une donnée. Évidemment que, dans ce contexte, on se retrouve avec des surprises aux examens d’étapes. Et probablement, du camouflage de l’hécatombe, pour ne pas trop mal paraître. Évidemment aussi, à force de camoufler, les problèmes grossissent. Bon, je suggèrerais le retour au «tout compte» ce qui permet de trier et de passer des contrôles sans trop le dire.

Retravailler les bases. Mes collègues ne le voient pas toujours. Quand j’avais parlé à mon collègue de mes observations, il avait éludé la question en disant que les élèves devraient savoir. Mais ils ne savent pas. Il croit qu’en montrant et redémontrant à bien raisonner, les élèves devraient comprendre. Or, il faut faire faire. Et faire faire ce qui est trop compliqué, quand les bases n’y sont pas, est une pure perte de temps.. On constate l’inertie, juste de l’inertie mentale.

En français, j’ai constaté vite que les bases n’y étaient pas. Comment aborder les subtilités de la phrase
complexe qui est l’objet de maîtrise du 2e cycle du secondaire avec cette méconnaissance globale?
Juste faire séparer des phrases syntaxiques dont ils ne connaissaient même pas le nom a été un défi. Et ce n’est pas gagné. Ils ne distinguaient rien dans l’amas de mots. Sec 3, 4, 5, idem.

Comme je l’ai dis ailleurs, souvent la grammaire ne s’enseigne plus. On essaye un manuel, on s’enlise, on patauge puis on lâche prise. Pis on fait des grosses SAE (lecture, écriture) qui durent des semaines pour finir par les occuper à bricoler avec notre soutien  des textes, en les laissant copier des passages. On leur montre des trucs pour ramasser leurs fautes. Jamais ils n’accèdent à la compréhension du fonctionnement de la langue vraiment. On évalue tout ça. Et on recommence et on espère qu’ils apprennent quelque chose dans tout ça.

En fait, en leur demande de raisonner avant la maturité des connaissances sous-jacentes, on leur montre à rester dépendants et ils ne maîtrisent jamais rien. Et en bout de ligne, une immense paresse les envahie.

Pour moi, la «déséducation» n’est rien de moins que cela.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je suis complètement d'accord avec ce que vous venez d'écrire. «Chaque chose en son temps». J'enseigne les math de 5e secondaire et je remarque que les élèves ont beaucoup de lacunes en algèbre. Ils n'ont pas assez fait de «drill» et n'ont pas beaucoup d'autonomie. Il faut que les élèves apprennent par l'exemple au secondaire : ils ont des techniques et connaissances à intégrer avant de pouvoir faire des résolutions de problèmes trop complexes (les «pédagogues du MELS» connaissent-ils les phases du développement d l’intelligence? Il faut les confronter à des problèmes situés à leur niveau et tranquillement augmenter la «dose») J'avais espoir que les choses puissent changer avec l'entrée du nouveau bulletin mais le ministère ne va pas assez loin, il me semble qu'il reste beaucoup de relents de langages de la réforme dans leurs communiqués. Je pense qu'il faut continuer à faire à notre tête et enseigner les connaissances et les techniques qui s'y rattachent pour que les élèves ne soient pas trop pénalisés par cette réforme qui semble vouloir persister.
le chourave

Anonyme a dit…

J'ai lu ce billet avec intérêt. Je vis, cette année, une expérience désolante pour ne pas dire traumatisante... J'ai toujours enseigné au 1er cycle du secondaire, mais, cette année, j’ai un groupe de 4e sec. Première étape = retour sur la base avec examens élémentaires (verbes auxiliaires, 1er et 2e groupe, retour sur la théorie des constituants de la phrase, etc.) idée de me faire un portrait du groupe… Échec lamentable! À peine 4 ou 5 élèves ont réussi l’ensemble des examens. Je ne parle même pas de leur faiblesse en lecture ou en écriture. Je ne sais plus quoi faire! Vous avez tellement raison : ils n’ont pas les bases. Que faire : retour en arrière ou foncer tête baissée par en avant (après tout, on a un programme à passer!). Je suis continuellement en réflexion, tergiversant sur ce qui serait le mieux. C’est l’enfer!

Jonathan Livingston a dit…

Oui, le chourave, c'est bien la situation dans laquelle nous sommes depuis des années, engagés dans un porte-à-faux avec cette réforme qui recommande un enseignement inefficace orienté vers des objectifs inaccessibles alors que notre mission demeure instruire et socialiser. Bon, les dernières déclarations à l'effet qu'on doit enseigner les connaissances aussi peuvent nous permettre de nous éloigner de l'esprit aérien des programmes pour passer ce qui nous semble juste en terme de connaissances utiles à maîtriser pour la suite des études de nos jeunes.

Comme le souligne Anonyme, prof de français, l'ennui, c'est que l'accent n'est pas mis sur l'enseignement systématique des connaissances et la révision régulière des bases. Aussi, on se demande comment suppléer à 9 ans de non renforcement de ces connaissances. Développer la réflexion, la résolution de problème, le jugement critique, l'expression de sa pensée, cela se prépare.

Je suis aussi continuellement en réflexion dans ma pratique. J'essaie de ne pas perdre mon temps dans des activités de niveaux cognitifs élevés qui deviennent ingérables et de cibler des objectifs importants: la grammaire de la phrase pour développer l'analyse logique des phrases me semble un terrain à travailler davantage pour des gains en syntaxe. Évidemment, en 4e secondaire, le texte argumentatif demeure un enjeu important. Enseigner la structure de ce type de texte est payant en général.

Évidemment, enseigner les subtilités de langue prévues à ces niveaux à des jeunes qui n'en n'ont pas la capacité est une pure perte de temps. On peut laisser tomber les verbes irréguliers au programme pour s'assurer que les bases plus utiles en production sont plus consistantes. Évidemment, beaucoup d'exercices prévus dans les cahiers d'exercices sur le marché sont tellement mal faits pour instiller une compréhension. Il faut souvent refaire un matériel progressif... moins sophistiqué et répéter beaucoup!

Bref, on fait ce qu'on peut. Un peu, chaque jour, vaut mieux que des cours entiers trop théoriques, trop chargés. Enfin, selon moi, apprendre passe par l'action. Il faut faire faire. Il faut être patient dans ce métier et donc avancer doucement sans se laisser enliser.