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jeudi 21 juillet 2011

Réfléchir à une pédagogie qui tient compte de l'élève, de sa situation culturelle

 Je partage ici quelques réflexions sommaires sur mon année scolaire sur laquelle je me suis assez peu exprimé.

L'été est un moment propice pour moi pour réfléchir à ma pratique et me stimuler un peu pour trouver de nouvelles pistes à explorer. Curieusement, il y a deux semaines, quand le Professeur Masqué a demandé dans un petit sondage de son cru si on pensait consacrer du temps à penser à notre enseignement, j'ai répondu spontanément «un peu». Mais c'est finalement un peu plus que cela qui est en train de se produire. Il faut dire que j'étais à ce moment en train seulement de retomber sur mes pattes après un surcroit de mouvement. Le temps nécessaire au repos, à la mise à distance de l'expérience n'avait pas fait encore son œuvre.

Le Web est assez stimulant pour mettre en contrepoint de notre pratique des points de vue, des techniques et des visions d'enseignement. Et je profite de ce moment de calme pour réfléchir à la manière de mieux encore travailler, de mieux encore expérimenter l'espace fabuleux qu'est la classe et l'enseignement pour induire une direction de croissance à des jeunes que nous avons le privilège d'éduquer.

J'ai peu parlé cette année ou peu verbalisé mon expérience qui sortait de l'ordinaire. J'ai été confronté à des jeunes assez particuliers dans un climat tout à fait différent de ce que j'avais connu. J'ai dû apprendre à composer avec des classes toujours en mouvement en raison d'un absentéisme chronique qui a cours dans les écoles de ces nations que je continue de ne pas nommer. La relation pédagogique n'a pas été simple à établir, je dirais qu'il a fallu plus de la moitié de l'année pour devenir un pôle significatif pour ces jeunes d'une culture différente,  habitués de s'économiser dans la mesure où les enseignants passent et où chacun évalue sa chance de réussir avec l'enseignant en place. Certains attendent certainement le prochain pour revenir à l'école, croyant mieux réussir ou avoir moins d'efforts à fournir avec le suivant, je ne sais.

D'ailleurs, cette notion d'effort est justement un point très délicat à mobiliser chez ces jeunes, tant ils sont libres ou laissés à eux-mêmes très souvent pour choisir la vie qu'ils veulent mener.  C'est dans la culture. Il n'est pas rare que des adolescents mènent ici des vies tout à fait semblables à celle d'adultes. Les jeunes femmes tombent enceintes très jeunes ici.

Je me suis commis* à regarder un film récent sur Philippe Meirieu que j'ai trouvé en surfant comme ça et j'ai été interpelé par certaines idées. Il y dit notamment que la pédagogie repose sur deux postulats selon lui: d'abord, que tout humain est éducable et, ensuite, que chacun est libre de suivre l'éducation de l'autre. D'où la nécessité selon lui de créer des univers stimulants pour favoriser l'adhésion des apprenants. Dans l'univers où j'ai évolué, cela n'a jamais été aussi vrai. Cependant, je suis loin de croire comme lui qu'il faille plonger dans des situations qui sollicitent des défis trop grands. La pédagogie est un endroit des dosages délicats et ici, la métaphore de Meirieu sur l'éducation comme une escalade où il faut donner des prises aux élèves est plus que jamais éclairante pour moi. Toute l'année, j'ai dû me remettre en question sur des choses simples que je demandais à mes élèves et travailler à leur donner des prises sur ces buts à atteindre qui leur semblaient inaccessibles. Leur rythme de réalisation des travaux était fabuleusement lent dans l'ensemble avec une dynamique étonnante où les plus forts et les plus rapides attendent les plus lents, conforme à l'esprit d'entraide et de partage de cette culture où il n'est jamais bienséant de trop se distinguer des autres au risque de subir la moquerie collective qui est la hantise première de tous dans ce petit monde particulier. Car s'il n'est qu'un principe de contrôle social dans ce monde, il est bien là. Il est ridicule de trop se distinguer.

Tranquillement, j'ai mis intuitivement en place un contexte permettant de dépasser ces difficultés. Un tableau de suivi des travaux sur un mur a permis bien au-delà de mes attentes de mobiliser les jeunes et surtout les absents qui revenaient avec une claire image de leur retard et qui les mobilisaient dans un certain rattrapage à faire. J'ai dû développer souvent des outils de préparation intermédiaires leur permettant de réaliser des tâches complexes comme des résumés et l'écriture de différents types de textes.

Bref, sans les lancer dans de grands projets idéalistes, j'ai su trouver quelques instruments de mobilisation qui ont fonctionné avec la plupart. J'ai connu aussi plusieurs ratés. La mobilisation à la lecture de romans notamment, une montagne sans gros d'intérêt palpable pour eux. J'ai fait tout de même quelques avancés en production orale vers la fin de l'année dans les trois niveaux en vantant les mérites de l'utilisation d'un Powerpoint pour détourner les regards, car ils sont d'une timidité inconcevable.

Beaucoup restent à faire pour améliorer la prise sur le monde argumentatif, car  la pratique de la discussion avec arguments n'est pas très développée, je crois, dans leur monde. On a beaucoup d'opinions qui tournent autour le plus souvent de la persécution de ces peuples sans aller bien loin. C'est très peu construit, peu soutenu, on répète un discours entendu. L'intérêt de débattre pour avoir une juste compréhension des enjeux d'une question n'a pas trouvé beaucoup d'échos. J'ai avancé certes un peu avec certains outils. J'ai commencé à préparer le terrain en amont chez les plus jeunes, mais bon...   Mais il y a place à amélioration et un grand défi là. Beaucoup de notions  restent à travailler, à développer davantage: cause, conséquence, avantages, inconvénients, utilité, justice, valeurs, principes, etc. Aucune fluidité dans ces concepts qui rend la flexibilité de la pensée très peu heureuse.

Enfin, la tradition de ces peuples est une enseignement par imitation simple. On ne fait pas d'explications, de discours, on fait. Si ça intéresse ou si celui qui fait nous intéresse, on peut toujours regarder comment on fait et au petit bonheur la chance, les savoirs utiles de la communauté se passaient. La patience et l'attention que ces gens mettent dans leur artisanat suscitent même l'admiration. Bref, je médite souvent ce fond culturel pour essayer d'en tirer ce qui peut l'être pour trouver la manière de mieux capter. D'ailleurs, ils écrivent tous comme on tricote, gare à la maille manquée, car on reprend tout à partir de l'erreur. On en vient à se retenir de critiquer en situation un travail, au risque de décourager le scripteur. Il faut être là souvent, intervenir phrase à phrase ou attendre plus tard. J'ai perdu beaucoup de salive à tenter de faire comprendre l'idée utile du brouillon! Vivement les traitements de texte dans nos classes pour ce genre d'élèves!

Bref, les exposés visant à expliquer une démarche, à anticiper, à négocier ne cadrent pas trop avec la pensée de ces gens. C'est pourquoi j'ai beaucoup utilisé le «faire» en simplement guidant au fur et à mesure. C'est assez contraignant, j'en conviens, mais les classes sont petites. Il s'agit de préparer des activités, étape par étape. De faire passer les concepts à utiliser et à réutiliser plusieurs fois sur le chemin pour en saisir l'utilité pratique. Le parcours était au final très individualisé. C'est pour le moment, la formule qui m'a semblé mettre les élèves dans un temps maximum de travail avec la matière et favoriser les apprentissages. Je veux cependant développer un peu plus de faire collectif au service de l'apprentissage, avec le TBI qu'on me promet l'an prochain dans un nouveau milieu**.

Bref, je ne sais pas si je donne à voir un peu ma réalité, mais il a fallu beaucoup apprendre de l'apprenant pour arriver à communiquer avec lui sur son terrain fortement teinté culturellement et souvent en conflit assez clair avec les valeurs de l'école et celles de la société dominante dont la réalité est pour beaucoup d'élèves méconnue. Dans  ce village isolé, de nombreuses réalités courantes et banales du monde moderne échappent facilement à la compréhension de ces gens.

Mais, étonnamment, ces jeunes d'une autre culture ont beaucoup en commun avec la nouvelle génération aussi et je ne serai pas surpris que ces observations puissent trouver ailleurs quelque utilité.


* Je ne suis pas un fervent, mais je suis assez ouvert d'esprit pour écouter d'autres points de vue, et enfin, nous avons en commun le souci de la pédagogie.

** Eh oui! victime d'une ironie du sort délirante de la vie, ce printemps, qui ne se raconte même pas sur un espace public, tant encore une fois les aléas politiques de villages minuscules sont sensibles; mais j'aurai grosso modo, même clientèle et même tâche dans un autre village isolé.

2 commentaires:

Le professeur masqué a dit…

Vous devenez technologique! Je partage entièrement votre conclusion.

Jonathan Livingston a dit…

Ouin, on n'échappe pas à notre temps!

Il faut dire que le contexte où j'évolue favorise l'exploration de ces nouveaux outils que, pour le moment, j'incorpore à la sauce avec parcimonie.

J'ai toujours l'impression que ces outils peuvent facilement nuire si on n'encadre pas de près leur utilisation. Bref, ce n'est pas si simple qu'on nous le dit.

Contrairement au discours du sous-financement qui est politique à mon sens et sur lequel je ne m'étendrai pas, on a des facilités d'accès au matériel technologique, sauf peut-être la bande passante qui est souvent désespérément lente et le contrôle d'accès aux sites qui limitent. Ensuite, le ratio prof/élève très favorable et la patience parfois inquiétante de ces élèves permettent de se lancer en terrain moins connu sans craindre la désorganisation des groupes aux moindres pépins.

Tiens, je me magasine un locigiel OCR en prévision des adaptations à faire de mon matériel à l'univers TBI. Si quelqu'un a des suggestions ou des bons plans sur la question, ne vous gênez surtout pas.

J'en ai aussi ma claque de retaper des trucs pour les repiquer à ma sauce.