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vendredi 10 février 2012

Quand le goût d'enseigner s'émousse

Je suis de mauvaises humeurs souvent de ce  temps-ci. J'ai de plus en plus l'impression d'être mêlé à une situation sans issue, à une mission perdue d'avance. Un défi, passé un certain temps à se cogner constamment à des obstacles insolubles, finit par devenir une galère. La situation finit par briser le mince espoir qui, comme enseignant, me fait déployer souvent beaucoup d'énergies pour préparer mes cours et me présenter en classe jour après jour et participer à la vie de l'école dans tous ces aspects. C'est un métier intense qui déborde souvent, très souvent dans la vie privée.


Je n'ai pas bien choisi ma matière, le français qui suppose un investissement cognitif constant. On ne travaille pas dans le texte comme on travaille des problèmes de maths. Enseigner le français, c'est se lancer constamment dans mille sujets avec les jeunes. On y fait de la géographie, de l'histoire, des sciences, de l'économie, de la politique, etc. En plus de la grammaire, en plus des notions reliées à notre matière, en plus d'une auto-surveillance constante en matière d'orthographe et de justesse du sens des mots qui mobilisent beaucoup d'attention en situation d'enseignement. Et bon, comme tout prof, on a de la gestion de classe, de l'attention aux élèves, à la dynamique, les cas problèmes à gérer... En plus, cette année, je roule dans les 5 niveaux à la fois. C'est un peu infernal. Je n'arrive pas à investir autant dans tous mes niveaux à la fois. Je donne des «bourrées» à  un niveau, puis un autre. Ceux qui ont déjà enseigné beaucoup de niveaux ou de matières doivent comprendre de quoi je cause. Il n'est pas simple de bien répartir son énergie pour être prêt sur tous mes niveaux ou enfin d'offrir une bonne prestation selon mes critères.


Hier, on a eu droit à une conférence imprévue - qu'une situation des plus burlesque nous a fait vivre moi et quelques collègue-  «Think positif» ou «tout est une question d'attitude». Je ne ferais pas ce métier, si je n'avais pas une bonne capacité de résilience, si j'étais parano, exagérément susceptible ou encore rancunier.

Je manque parfois de sens de l'humour. Ou je suis beaucoup concentré à tenir une certaine ligne de conduite, à indiquer un direction à prendre et à tenter de faire passer tout le monde par là.

L'enseignement ou l'apprentissage est tellement l'objet d'un torpillage constant comme un vent coquin qui empêche  que l'étincelle allument la flamme du feu de camp. On est souvent là à tourner le dos au vent pour allumer son feu. Parce que c'est ma job d'allumer du feu d'intelligence et c'est pas évident avec le bavardage, avec des jeunes enfants-rois pas vraiment concernés, des administrations qui annulent des cours à la dernière minutes régulièrement, une école où dès qu'un suppléant entre - et ils en entrent tout le temps - fait que l'ensemble de l'école perd beaucoup de sérieux. Des fois, les suppléants sont en retard. Alors, un prof prend les élèves dans le corridor et les intègre à son cours ou amènent tout le monde jouer au ping pong! Je rigolais hier, nos tables de ping-pong servent plus que notre matériel pédagogique des fois. Nos jeunes du sec. 1 entrent en classe et première question: «On va jouer au ping pong, on va en informatique?» Bref, on est «casseux» de party à chaque période... C'est vrai, le CP fait deux périodes de ping pong par jour. ¨Ça marche comme récompense et pour garder l'école calme en situation de survie, peut-être un peu trop. On dérive vers l'école-garderie plus l'année avance.

C'est comme ça par ici, avec la petite équipe de profs. En plus, on en a toujours un parti en formation ou en sortie avec des élèves  et quand ça arrive c'est pour au moins une semaine. Depuis les fêtes, on a perdu un joueur, il n'a pas été remplacé. Ça «brette» en avant ou on cherche à faire des économies  jusqu'au premier avril (ici les budgets sont souvent dépensés avant la date fatidique...) Un collègue se tape du 5 heures d'enseignement quotidien depuis. Il est immigrant, il n'est pas capable de chialer ou de s'affirmer et s'épuise peu à peu, mais bon « en avant », vu qu'on a pas vraiment la compétence pour apprécier ce qui se passe dans l'école, on s'occupe de trucs triviaux, alors que mille urgences secoue la baraque. Comme la pénurie de papier qui menace par exemple... On a aussi un prof qui est pratiquement aussi absent que présent depuis le début de l'année. Elle n'est même pas en maladie, cherchez l'erreur.

Après, il y a les activités culturelles. Bon, c'est bien, des marches pour aller encourager des causes. Mais bon, quand le deux tiers des élèves se pointent à l'école au lieu d'aller marcher et que 3 profs vont marcher avec 4-5 jeunes tandis que deux autres tiennent le fort, évidemment, l'école joue au ping pong au lieu de faire des classes. Hier, on avait trop d'activités spéciales pour la capacité de l'école à les gérer. Enfin, la capacité de gestion de certain ici est une rengaine burlesque, mais bon... On a donc eu une activité culturelle qui a foiré dans son but, un autobus scolaire qui est parti avec tout le secondaire en laissant sur place tous les profs. Oui tous les profs... Un conférencier oublié, pourtant débarqué la veille dans le grand Nord pour motiver des élèves qui se retrouvent à motiver des profs laisser en rad par une désorganisation qui dépasse tout ce qu'on avait vu jusqu'ici... Pis, en après-midi, j'ai bricolé mon traineau en périodes maisons pour me refaire un peu de santé mentale. Mais à l'école, je me suis fait raconter par ma collègue conjointe estomaquée, on a eu doit à une conférence de 10 minutes, un chocolat chaud, puis une marche forcée à se battre pour faire sortir des élèves de l'école pour sensibiliser des jeunes à l'intimidation sur internet. Faut juste ce dire que c'est probable dans les communautés et que le comble de l'improvisation se sécrète naturellement par ici. Au final, pour la mission éducative, une journée foutue en l'air.


Bref, une semaine dérisoire, non scolaire ou si peu... Quand je vois certains élèves, récemment chroniquement absents, se pointer car on leur a fait un ultimatum, je suis gêné, j'ai presque honte.

Ah oui, et je ne peux pas vraiment avancer dans mon programme depuis trois semaines à cause d'évaluations de pratique d'un organisme qui tente de prendre le contrôle régional de nos écoles. On n'a pas le choix, il faut que je passe ces examens de niveau prototype d'examen du mels tout niveau. Bref, dans le contexte de mes élèves pas de niveau, d'une inconcevable inutilité. 5 niveaux de guides, de cahiers de préparation, de cahiers de version provisoire, de cahiers de version finale, de feuilles de notes, de corrigés, de fiches de rétroaction, documents auxquels il manque des copies en couleurs en format cahier.  Des heures de plaisir en gestion de papiers... Ensuite, je ne sais pas si on s'imagine trois démarches du genre  avec des activités de préparations dans une même classe, parce que oui j'ai le 3-4-5  ensemble! Je suis aussi mobilisé par ces aberrations que mes élèves. Le pire, c'est qu'on va faire 20 % de la note avec ce genre d'épreuves à la fin de l'année très probablement sans appliquer le principe du ministère qui est de faire passer 80 % des élèves ou de reproduire grosso modo les moyennes historiques comme j'ai lu dans un savant document du Mels. L'an prochain, je ne sais pas si on a réfléchi à ça quelque part, les élèves seront tous pratiquement recalés si l'on maintient la logique de cette machine infernale...

Et la fin d'étape qui se pointe à l'horizon et les foutus oraux que j'aimerais bien lancer pour respecter l'obligation d'évaluer au moins deux fois une compétence et aussi parce que, selon le programme de mes évaluations de pratique du dit organisme régional, je devrais avoir réglé ça depuis fin janvier...

Et la semaine prochaine, je dois réintégrer l'élève que j'aurais agressé qui a agressé en tous cas ma réputation. Une grosse semaine dans une grosse dynamique de classe s'annonce.

Je dois dire que depuis un mois je songe quotidiennement «à toute sacrer ça là»!

Et je médite cette formule entendu hier: «Tout est une question d'attitude»!

Je ne sais pas où est le moment jovialiste où on devient complice de la nullité. C'est une assez délicate question.

Enfin, je fais l'aveu que j'ai des égarements d'attitude et de mauvaises réactions parfois qui ont des effets repoussants. Mon honnêteté et ma sincérité font que je sais dire à quelqu'un:« je suis profondément irrité en ce moment par la situation» ou, au capitaine, que «je ne me sens pas aidé dans mon enseignement cette semaine» quand il me déclare que les choses, ce matin, se passeront ainsi, que «c'est comme ça» et qui signifie que j'ai jonglé pour rien depuis mon réveil à trois périodes que je ne donnerai pas.

Je me suis fait dire par ma proche que je suis parfois «lourd» et, c'est ce qui me fait me dire, que je devrais peut-être me mettre en sabbatique, une fois de plus. Je ne sais plus, de ce temps-ci, comment être constamment heureux avec un «sourire permanent et sincère» si dynamisant pour les autres! Je ne sais pas avoir plus d'attitude que de compétence. Il parait qu'on engage plus les gens pour leur attitude que pour leur compétence.

Aujourd'hui, pédago: certainement une réunion pour constater une fois de plus que ça ne tourne pas rond. Et probablement pour se dire qu'on est un peu tanné de tenter de régler des choses et qu'au final rien ne change, même que tout empire. Et pour qu'on rêve d'un autre capitaine à la barre qui  naviguera avec son équipe au lieu de «barrer» contre elle. Mais bon, on va peut être juste se mettre dans la bonne attitude.

J'ai compris récemment pourquoi les équipes qui nous ont précédés avaient eu des approches dont l'apparence était limite professionnelle.

Ils survivaient.








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