Pages

samedi 12 mai 2012

De la difficulté de définir la propriété des idées et des productions en général


On discute.

Je vais oser une analogie. Des ouvriers sous la supervision d’une certaine direction, mettons une compagnie, construisent une maison disons un peu novatrice, écologique, tiens! Pour la construire, une somme incalculable de compétences issues de l’expérience de ces contributeurs est mise à profit. Puis, finalement, on vend la maison. Tout le monde qui y passe admire le travail. Le nouveau propriétaire ne se lasse pas d’expliquer à tous comment sa maison est fabuleuse et tous s’accordent avec lui pour dire que l’ensemble est pratique, esthétique et ingénieux.

Quelques années plus tard, le propriétaire vend sa maison et en tire un profit, devrait-il donner des redevances à ces créateurs, à ces ouvriers qui y ont mis toute leur âme, qui ont parfois suggéré des améliorations ou solutionné des problèmes que n’avait pas prévus le plan? Et, à qui devraient-elles revenir, ces redevances?

L’œuvre se trouve dans chaque chose que l’on produit. J’ai fait un traineau cet hiver en me servant du modèle de celui d’un ami, qui s’était inspiré aussi de celui d’un autre. Le mien est différent de celui de mon ami, et le sien certainement aussi de celui qui lui avait servi de modèle. Je serais bien en peine de payer tous ceux à qui je suis redevable pour cette production qui m’est utile dans mes petites expéditions. Dois-je demander, à celui qui le scrute de trop près pour s’en faire un, des droits? Et si je vois un jour un traineau qui copie le mien, devrais-je m’indigner qu’il ne me paie pas un dû? 

Je pense à ce dictionnaire que je consulte à l’instant pour me rassurer sur l’orthographe du nom «dû». Cet ouvrage colossal qui est disponible partout dans nos institutions pour consultation, devrait-on payer une redevance à chaque fois qu’il sort du rayon de la bibliothèque de l’école ou de celui de ma classe?

Non, franchement, je trouve que la notion de propriété des idées n’est pas une simple affaire à comprendre et à délimiter… Enfin, dans la réalité de la production des choses tangibles, palpables, on n’a pas ce genre de considération. Je ne crois pas que les tableaux qui se revendent dans des marchés spéculatifs et finissent par prendre de la valeur ne rendent plus riches ceux qui les ont peints. 

Dans notre monde, la manière dont sont rétribués les gens repose souvent sur un certain rapport de force. Il est très malaisé de définir le mérite quand il s’agit de la rétribution pour la production que l’on fait. Dans le cas de la maison, si l’entrepreneur a bien joué son jeu, c’est habituellement lui qui, dans l’affaire, fait le plus de profit, peu importe si son contremaître s’est démené comme un diable pour s’assurer que le travail avançait même s’il est payé à salaire fixe. Pour le reste, après la vente, le bien est transmis totalement.
Ces rapports de force, dans notre monde, s’inscrivent habituellement dans des contrats, on s’entend sur l’échange précis, ponctuel, délimité dans le temps. 

Évidemment, dans certains domaines, on a réussi à faire en sorte que des contrats se prolongent dans le temps. Le domaine des droits d’auteur en est un exemple. Des maisons d’édition et des auteurs ont certainement signé ensemble des contrats pour partager les risques de la publication d’un ouvrage avec la négociation d’un pourcentage par livre vendu. Puis, ces entreprises se sont prémunies du phénomène de la copie que pourrait faire un tiers en faisant reconnaître des lois pour protéger leurs productions de plus en plus facile à reproduire avec l'arrivée sur les marchés des photocopieuses.

Tout cela a été bien pour tout le monde dans la mesure où cette entreprise a permis de mettre à la disposition du monde des œuvres écrites qui sont certainement un bien immense dans la culture humaine moderne. 

Mais, en même temps, on le sait, les contrats ne sont pas toujours rédigés de cette façon dans ce monde. On a des traducteurs, on a des écrivains payés à contrat limité pour rédiger des livres pour les autres sur lesquels ils ne tireront pas de redevances. Tout dépend des contrats signés.

Mais les livres produits de cette façon continuent de tirer des bénéfices de la même façon que ces autres livres protégés de la copie et vont aux poches de ceux qui ont engagé ces écrivains de métier. Est-ce juste? Je n’en sais rien. Les gens signent les contrats qui leur semblent profitables. 

Avec Internet, la chose se complique. Les  textes sont facilement reproductibles s’ils apparaissent en ligne un certain temps. Et en plus, cela se fait souvent sans but lucratif souvent par simple ignorance. Il devient complexe de mettre une réglementation en place et de la faire respecter et, en plus, les législations varient d’un pays à l’autre et le réseau, lui, est international et donc ne connait pas de frontières. On peut traduire en un rien de temps un texte provenant de n’importe quelle langue importante du monde avec certains outils pour voir de quoi il en retourne. En plus, avec le web, c’est la contribution anonyme ou gratuite de millions de gens qui se répand comme culture littéraire nouvelle : ces «littératies» comme dit le monde anglophone.

Tout change. Même si une certaine éthique est partagée de façon générale dans le monde des intellectuels (citer ses sources, ne pas abuser des emprunts à d’autres auteurs, etc.), cette nouvelle façon de produire du texte et de l’expression fait qu’on est bien en peine parfois de savoir ce qu’on peut utiliser, ce qui est libre de droit et ce qui ne l’est pas. 

Et ces fameux droits, pendant combien de temps ont-ils cours? Pourquoi certains textes sont-ils mis à la disposition du grand public et que d’autres demandent des frais pour pouvoir les lire et ce sur les mêmes sites de presse par exemple? On est là dans la stratégie de ventes d’un journal plus que dans une histoire de droits d’auteurs liés au texte qu’on y publie.

Tout cela pour dire que dans cet inconcevable sac de nœud que sont les droits d’auteur, on se rend compte que différents textes ont différents statuts. Et pour nous aider dans notre travail, les fonctionnaires du Mels pourraient choisir ou trouver matière à négocier les droits de manière à ne pas embêter les enseignants de formulaires à remplir pour réutiliser les épreuves antérieures pour exercer nos jeunes. On a déjà assez de paperasse à gérer. 

Enfin, je répète encore, nous tentons au quotidien de développer chez nos jeunes le goût d’apprendre et de lire, nous les amenons à s’intéresser au monde et à celui des idées et des œuvres écrites, mais aussi à d’autres produits culturels. Même si ce n’est pas une tâche des plus aisée, ce faisant nous contribuons à faire en sorte que les adultes de demain achèteront des livres, ou paieront des gens qui produisent du texte ou vendent  du savoir ou de la réflexion. Si  nous ne développons pas la culture intellectuelle de nos jeunes, les familles québécoises pourraient dans l’avenir acheter encore moins de livres, ou payer des droits pour lire la littérature des auteurs de demain. On pourrait comprendre que, dans ces circonstances, les quelques textes que nous empruntons pour faire nos exercices ne sont pas un abus indu. Et ce n’est pas moi qui tire profit de ces utilisations, je le fais pour le bien commun en travaillant pour l’État ou une organisation orientée dans la même direction du bien commun, ce qui, on l’espère, profitera à tous.

1 commentaire:

Le professeur masqué a dit…

Prof Solitaire: comme je l'ai écrit précédemment, l'utilisation de textes en éducation est aussi un «exposure» qui pourrait se monnayer.

Quand une collègue est venue me demander si elle pouvait utiliser des extraits de mon livre en classe avec ses élèves, j'ai dû officiellement lui répondre de voir ça avec mon éditeur et de remplir la paperasse administrative. L'a-telle fait? Je ne le sais pas. Par contre, j'ai vendu deux livres cette semaine-là à des élèves de mon école.