Croyez-le ou non, nous n'avons pas eu de cloches pendant un an dans mon école. Avec un peu de concertation, beaucoup de patience, nous sommes arrivés à fonctionner, dans un coin où étrangement le temps rappelle les Montres molles de Dali. Ici, pour une raison que j'ignore, qui a surement à voir avec le fait qu'on est alimenté par une mini-centrale électrique locale, le temps de nos réveils oscille bizarrement. Mon réveil a en ce moment 20 minutes d'avance, mais à d'autres moments, il peut prendre du retard. Nous avons tous des réveils défectueux par ici qui fonctionnaient pourtant normalement en bas. Je ne sais pas si le cycle électrique est branché sur le débit de la rivière, en tout cas, nos réveils nous confirment que nous vivons dans l'«Indian time» comme on dit souvent dans les communautés!
Je ne sais pas aussi si c'est ma tentative de janvier de rétablir une cloche dans l'école, mais depuis 2 semaines, ça sonne.... avec 5 puis 6-7 minutes de retard dans l'école! En janvier, l'idée m'était venue de voir en profondeur ce qui se passait avec cette fichue cloche. Je suis venu à bout de comprendre qu'on ne pouvait plus entrer dans le logiciel (corrompu à cause d'un crackage puisqu'on avait perdu le mot de passe pour y accéder) qui gère le système de communication dans l'école (communément appelé «électrovox» dans le milieu). Enfin, un conflit légendaire entre la compagnie qui a fait l'installation et notre organisation aurait fait qu'il était impossible d'avoir une solution au problème... Devant cette impasse, j'ai pris un vieux portable, j'ai téléchargé un logiciel gratuit de sonneries, j'ai programmé les cloches, j'ai ajouté une cloche trente secondes avant chacune de nos cloches pour avertir la secrétaire de venir activer manuellement l'électrovox comme si elle faisait un message vocal et de mettre le combiné devant le petit ordinateur portable au moment où il jouait la cloche. J'avais mis une musique du film Indiana Jones qui a marqué pendant une semaine les esprits!
Bon, ce mécanisme comportait un facteur humain et disons qu'il a tenu environ une semaine, puis le facteur humain a décidé que ça ne le concernait plus et tranquillement mon système de cloche s'est mis à agoniser et nous, nous sommes remis à tenir nos horloges à l'heure et à tenir fermement nos élèves en classe jusqu'à la fin de nos cours.
Ce passage a certainement laissé des traces, car il y a deux semaines, un beau matin après plus d'un an, la cloche de l'école, la vraie, s'est remise à sonner... avec 5 bonnes minutes de retard. Il semble qu'un technicien spécialisé soit passé arranger le système finalement.
Pendant une semaine, nous avons continué nos habitudes et la cloche en retard de 5 minutes étaient devenue une sorte de deuxième cloche pour marquer une limite aux retards des élèves. Notre technicien était malade ou je ne sais, tout le monde était persuadé que ce décalage serait corrigé. La bonne nouvelle était que nous avions une cloche. Patience!
Et ben non! Le temps ici n'est pas si simple. Quand je suis allé voir le fameux personnage de la technique revenu vaquer à ses occupations dans notre école, il m'a dit que l'horloge de la cloche avait été réglée sur l'heure de Radio-Canada. J'ai eu beau argumenter que tout le monde était 5 minutes en avance sur son heure de Radio-Canada, rien à faire. Devant la fermeture complète de la discussion pour ne pas parler du personnage, je suis allé trouvé la «direct» par intérim parce que notre «direct» est longuement absent en ce moment. Je lui ai exposé le burlesque de la situation. Elle était au courant de l'impasse temporelle. Notre personnage de la technique est légendaire aussi ici, pas juste l'heure!
Déterminée, elle semble avoir tenté de faire la démonstration du temps à notre technicien, car quelques heures plus tard, elle est passée dans les classes nous dire que, dès l'après-midi qui allait suivre, nous commencerions à suivre les cloches de l'école. Elle m'a affirmé qu'elle avait vérifié avec Technos, notre dieu des machines, et l'heure de Radio-Canada était bien 5 minutes en retard! Et nous, tous, au village, n'avions pas la bonne heure. Je me suis mis à réfléchir et, peu à peu, à comprendre pourquoi nos jeunes étaient en retard systématiquement le matin!
Mais j'ai eu un reflux de bon sens et lui ai dit que je ne comprenais pas comment son ordi pouvait afficher des pages de radio-canada 5 minutes en retard car, dans ma classe, elle s'affiche bien à l'heure de mon ordi et de l'horloge que je tiens à une certaine heure dans ma classe. Et nous sommes allés ensemble de mon portable sur le site de Radio-Canada qui affiche l'heure au moment où on télécharge sa page. L'heure de Radio-Can dans ma classe concordait avec mon heure 5 minutes en avance sur la cloche de l'école.
Comme dans un problème de mathématiques, avec une question du genre: qui a la bonne heure dans ce débat, je me suis mis à lui expliquer: « Si à 10h15, mon heure, j'entre le site de Radio-Can à 10h15 et que toi, au même moment dans ton bureau, tu entres sur le même site et voit 10h10, l'heure de Technos, tu dois avoir, pour une raison inexplicable, un délai de retard sur la page affichée. Car mon heure est nécessairement celle qui est valide, puisque l'horloge ne recule pas à Radio-Can. On s'est demandé si le fait que je sois sur le réseau wifi et elle, directement connectée sur le serveur de l'école pouvait expliquer ce décalage étrange du temps. Ou bien, par un concours de circonstance incroyable, au moment où elle et Technos consultaient le site de Radio-Can, le temps s'était arrêté 5 minutes à Montréal ou il y avait eu une quasi-panne de serveur qui avait affiché la même page pendant quelques minutes! Heureusement, mes élèves étaient au travail parce qu'on a mis quelques minutes à se convaincre de ce raisonnement!
Toujours est-il que les discussions étant difficiles avec Technos, on a décidé tout de même de suivre la nouvelle heure dans l'après-midi au retour du diner ce jour-là.
Bref, en après-midi nous vivions un moment attendu avec une attention toute particulière, presque solennelle. Nous avons réglé la cloche de la grande salle d'accueil 5 minutes plus tôt. Tout le monde était aux aguets pour noter la nouvelle heure et régler son horloge en classe sur la nouvelle heure. A 13h15, nous devions mettre nos horloges à 13h10 au son du timbre!
Aussi incroyable que cela puisse paraitre cette cloche tant attendue m'a pas sonné! Technos devait être dans le coup et, si c'est le cas, la rumeur qui veut qu'il ne veut pas changer l'heure parce qu'il ne sait pas comment me parait improbable. Mais connaissant le tempérament de grand seigneur du personnage, il est plus plausible qu'il s'agissait pour le dieu de marquer à tous sa toute-puissance. Toujours est-il que nous avons mis nos horloges à l'heure de la cloche à la pause suivante où la cloche a repris sa cadence normale.
Plusieurs ont noté que Radio-Canada avait encore pris presque 2 minutes de retards sur l'ancien délai de 5 minutes, mais bon, au secondaire, voyant les avantages de suivre une cloche, même avec 7 minutes de retard sur l'heure de convention, nous nous sommes tous solidairement adaptés à cette situation rocambolesque. Certains ont fait remarqué qu'il y aurait certainement une diminution des retards en classe le matin et le midi.
Et toute la semaine, nous nous sommes habitués à arriver le matin à l'école beaucoup plus en avance. Avec ce 7 minutes de décalage entre nos horloges de maison, et celles de l'école, nous avions tout d'un coup un bonus inattendu, nous avions du temps. Tous les matins, je remerciais intérieurement Technos qui devaient avoir un lien de parenté avec Chronos, de faire descendre mon stress et de me laisser du temps pour jaser avec les collègues en déchaussant nos bottes, détendus!
Bref, je recommande aux gens pressés de reculer leur montre de quelques minutes, c'est thérapeutique.
Mais bon, oui encore un mais, hier je surveillais les jeunes, c'était ma journée de surveillance, et, pour une fois, j'étais sur les talons des jeunes au départ pour aller diner quand j'ai remarqué que l'autobus étaient là qui attendait, ce qui est inhabituel, car elle ramasse d'abord les élèves du côté primaire et tarde toujours un peu. Connaissant notre chauffeur, toujours prompt à repartir aussi vite qu'il arrive, je me suis lancé à sa rencontre lui dire de patienter un peu, nous venions de sortir des classes. On a parlé donc un peu cloche et délai du temps et que probablement le côté primaire ne nous avait pas suivi et que donc il fallait attendre un peu nos jeunes qui suivaient cette cloche en retard. Je me suis rendu compte à ce moment que les temps nouveaux n’accommodaient pas tout le monde. D'ailleurs, l'ami conducteur chialait à propos de cette aberration.
J'ai appris aussi par la suite que nos jeunes profs à tempérament du primaire (pour ne pas dire les choses autrement) avait refusé de suivre la nouvelle heure. C'était inadmissible de nous faire travailler 5 minutes de plus!
Ces derniers temps, je remarque un fossé générationnel qui se creuse entre les nouveaux profs et les plus vieux, dont moi qui finis par faire tranquillement partie des vieux. Nous, les vieux, avons comme un certain sens des responsabilités que les plus jeunes ne semblent pas comprendre de la même manière. Au secondaire, nous étions plusieurs consternés d'apprendre cette défection du primaire. Enfin, je suis tellement concentré à créer, repiquer des examens et à préparer mes élèves aux évaluations qui viennent que je n'ai pas remarqué la discorde du temps qui se jouait dans l'école cette semaine à d'autres niveaux. Puisque nous avons des enseignants, dit spécialistes qui œuvrent des deux côtés (primaire et secondaire) qui ne sont plus synchronisés, les heurts entre enseignants se sont multipliés. On a même une enseignante, excédée par les interventions intérimaires, qui a déclaré se mettre en maladie jusqu'au retour de la vraie direction... Du côté des vieux, on est vraiment estomaqués par ces enfantillages, mais bon au primaire, c'est toujours la discorde, semble-t-il, même après le départ des 2 «chialeux» du début de l'année, d'autres semblent prendre la relève...
Avec la critique adressée au primaire de n'avoir pas majoritairement fait classe vraiment ce vendredi il y a une semaine, mais des activités récompenses, dans une semaine où nous avions eu une journée et deux avant-midis de fermeture d'école en raison du temps, avec un conflit homérique autour d'un partage de cuisine entre les deux ordres, primaire et secondaire, qui a tourné au vinaigre, avec aussi ce sentiment vécu apparemment par certains de façon intense qu'on avait bafoué leurs droits inaliénables en leur enlevant lundi dernier une journée pédagogique pour reprendre du temps de classe avec les jeunes, la question du temps et des cloches a semblé mener nos jeunes enseignantes à certaines extrémités de leurs nerfs.
Bref, lundi Zeus revient, il faudra peut-être qu'ils nous aident tous à remettre nos pendules à l'heure!
2 commentaires:
Par ici, c'est juste normal! On fonctionne sans cloche avec des horaires spécialistes qui ont des nombres de minutes variables. On s'habitue!
On s'habitue à tout. On a fait plus d'une année sans la cloche et sans trop de heurts, mais dans le passage entre les deux fonctionnements, bien des accrochages!
Comme quoi, le changement dérange!
Mais honnêtement, une cloche objective le processus et évite des discussions inutiles sur l'heure qu'il est...
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