Avertissement: Voici un essai que je lâche dans la mêlée, avec l'espoir que d'autres m'aident à éclairer encore davantage ma lecture de la situation. Comme enseignant, nous travaillons dans des milieux restreints, avec une vision très obtuse de la réalité des jeunes. J'ai eu la chance de travailler dans des milieux très différents, mais je sais que mes 4 dernières années m'ont placé devant des élèves moins pourvus et je me demande parfois si j'oublie ce que j'ai vu ailleurs. Face à ce dossier de l'évaluation en lecture, je reste sur l'impression que nous délirons collectivement. Nous avons de trop grandes ambitions pour nos jeunes ou on mesure à l'aune de capacités exceptionnelles de certains jeunes, dans des programmes pour doués, la réussite de l'ensemble des jeunes de la province.
Comprendre est une capacité qui évolue tout au long de la vie. Le
bagage de connaissances et d'expériences que nous développons dans notre vie, si
l’on se donne la chance d'en acquérir et d'en vivre, permet d'accroitre notre
capacité de «prendre avec» ou de saisir les réalités complexes qui nous entourent
ou, plus prosaïquement, de lire adéquatement les passages d'un texte écrit.
Quand je regarde l'évolution de l'enseignement de cette compétence fort
complexe, je note en ce moment qu'on place la barre haute pour notre jeunesse
en formation. On est loin des classiques questions de repérage et des questions
d'inférence de naguère. Maintenant, nos jeunes, en plus de comprendre des réalités, doivent les interpréter, justifier des réactions
et porter des jugements critiques en
fonction de critère d'appréciation. Tout un programme!
Cette semaine, j'ai soumis l'ensemble de mon secondaire dans un milieu moins
favorisé sur le plan de la langue et des repères culturels, une batterie
d'épreuves de lecture que nous a concoctée l'organisme régional de notre réseau
et aussi les tout nouveaux prototypes d’examen du MELS en 2e secondaire et 5e
secondaire en français lecture. Résultat: une hécatombe.
Dans tout mon modeste secondaire, j'ai deux élèves sur un peu plus d'une
vingtaine qui réussissent leur examen. Une seule, la doué d'ici, fait dans les
70%. En secondaire 1, la moyenne est dans les 20% avec un élève normalement
capable de comprendre assez aisément les textes à lire qui ne franchit pas la
barre du 60%; en sec. 2, dans le proto, la médiane est 35% avec mon élève douée
dont la note est le double du second résultat de la classe; 3e secondaire: une
élève parmi nos meilleures ne réussit pas l'épreuve, 4e secondaire: moyenne de
48%, car mes trois jeunes, prometteurs, se sont plantés dans l'interprétation
d'une nouvelle dont la fin recadrait l'ensemble de la nouvelle, et l'examen
posait une série de questions dont la réussite dépendait de cette
interprétation. 5e: mon unique élève s'en tire de justesse.
Bon, sauf pour la 2e et la 5e, je n'avais pas les corrigés officiels: je
m'attends à la «rigueur» de guillotine habituelle dans la correction
régionale.
Honnêtement, je m'attendais à ces résultats, même si j'ai tout de même fait
mon possible pour préparer mes jeunes à ces examens avec ce que j’avais sous la
main. Car, honnêtement, je ne vois pas comment instiller ce genre de
compréhension mature aux jeunes avec ce qu’on trouve dans les manuels comme
matériel en ce moment. Je ne vois pas comment aider mes jeunes dont les repères
culturels les excluent de la vie normale des jeunes du secondaire du sud. Je ne
vois pas comment je pourrais leur partager ma compréhension du monde sans
qu’ils passent eux-mêmes par une vie de curiosité et de questionnement,
d’expériences et d’observations… Quand je constate que plusieurs de mes
collègues du primaire, qui ont pourtant un bac, ne sont même pas capables de
lire un guide du MELS pour comprendre le processus d’administration de ces
épreuves, je me dis que l’enjeu est simplement irréaliste pour les jeunes dans
ce genre d’épreuves.
Pourquoi est-ce si impossible? Bien simplement, parce que de nos jours, nous
demandons à nos jeunes de comprendre que pour le tiers des questions. On
leur demande d'interpréter aussi des passages, puis de justifier leur réaction à certains
passages et ensuite de porter des jugements critiques en fonction de
critères d'appréciation. (En passant, je ne trouve pas de critère
d’appréciation comme matière systématisée à enseigner dans aucun des manuels
approuvés du MELS).
Enfin, comme si cela ne suffisait pas, on a mis l’intertextualité des cours
de littérature du postsecondaire de naguère au menu du secondaire et même je
crois du primaire. On demande aussi donc de comprendre, interpréter, de
justifier ses réactions et d'apprécier des textes en en comparant plusieurs. La
belle affaire à travailler dans une classe de 30 élèves de niveau secondaire!
Même à 6 élèves, quand on considère la complexité de la tâche, ce n’est pas
gérable pour des esprits en développement qui ont en plus des fondements de
gruyères derrière la casquette qui nécessitent qu’on leur explique à peu près
tout. Il faut travailler des textes avec des ados pour voir parfois toute l’étendue
de leur jeunesse sans expérience et constater que des textes qui nous semblent
faciles à lire génèrent chez eux des interprétations tout à fait délirantes par
manque de connaissance du sens des mots et de la réalité du monde.
Dans le cadre de ses formations occultes, le MELS a proposé que 70% des
questions portent sur les deux premiers critères d'évaluation et 30% pour les
deux derniers au secondaire. Sur ces recommandations étayées de descriptions
fort abstraites des 4 critères d'évaluation mis en place, toute une armée
d'enseignants apprentis sorciers dans des comités bâtit des épreuves d'évaluation
assez costaudes et nouveau genre. Concevoir des instruments d'évaluation au
secondaire a toujours été un enjeu délicat: trouver le lieu moyen de
l'entendement de jeunes apprenants n'est pas une science exacte, loin de là.
Mais ces derniers temps, on se demande parfois jusqu'où ira la folie de nos
ambitions quand on regarde la complexité de certaines questions et même de
certains dossiers de lecture.
Les prototypes d’examens du MELS étaient proposés aux enseignants pour
apprécier où en étaient leurs élèves cette année. Leur utilisation n’était pas
obligatoire. On pouvait aussi les modifier. Mais ici, dans ce milieu pourtant
défavorisé, on a choisi de présenter ces épreuves dans leur version intégrale
et en plus de concevoir des épreuves dans le même genre pour tous nos niveaux
en imposant à l’évaluation en lecture 20% de la note de l’année avec ces
charmants instruments.
Par ailleurs, je suis atterré de constater qu’on demande maintenant à nos
jeunes parfois d'être fin psychologue dans quelques questions de compréhension
déjà en 1re et 2e secondaire. Le vocabulaire des émotions aurait avantage à
devenir un enjeu d'enseignement en français! À quand le cours de psychologie
101 pour les élèves de 2e secondaire? Avant ces derniers temps, je croyais que
l'étude des nouvelles en 4e secondaire en était l'amorce, mais maintenant nous
sommes à l'ère de l'enfance fin psychologue par nature, dirait-on.
En outre, il n'est pas rare aussi que les questions de compréhension
développent des concepts que nos manuels oublient de faire travailler chez nos
jeunes ou qui n'utilisent pas la terminologie des manuels.
Un jeune de nos jours doit faire plus que toutes les générations d’écoliers
qui l’ont précédé, il doit interpréter les situations humaines pour le
tiers des autres questions. J'ai vu passer une question en 1re secondaire qui
demandait aux jeunes d'imaginer un dialogue qui se poursuivrait entre deux
personnages suite à un long passage. Il y avait une entrevue dans le cadre
d'une enquête pour meurtre entre un inspecteur de police, un tuteur (aussi
ancien collègue de l'inspecteur) et un jeune suspect dans ce texte. Nos jeunes
devaient imaginer le dialogue suivant cette entrevue entre les deux adultes. Je
ne sais pas pour vous, mais moi je trouve ce genre de questions assez complexes
pour un jeune de 12-13 ans. On devait évaluer la réponse sur la cohérence de la
proposition de dialogue.
Les deux derniers critères prescrits demandent de développer des
justifications. On leur demande de justifier leur jugement en reprenant des
éléments du texte et en s'appuyant sur leur expérience personnelle. Je me
demande encore comment on en est venu à encore demander à des jeunes qui en
sont au balbutiement en moyenne de l'acquisition de la pensée logique et de la
faculté d'abstraction à devoir exprimer des positions justifiées sur des
réalités humaines nouvelles qu'ils découvrent souvent dans ces extraits de
roman. On leur demande de fonder leur opinion sur leur expérience personnelle,
qui est encore très limitée et sur laquelle ils peinent à verbaliser avec
précision. Traditionnellement, le discours argumentatif prend place vers l'âge
de 15-16 ans dans l'enseignement. Mais, depuis ces dernières années, on tente
de faire faire des justifications chez des jeunes du primaire. Et pour ceux qui
enseignent en 4e secondaire, on conviendra que l'adresse dans la justification
de points de vue est loin de venir naturellement à tous.
C'est simple, le défi est proprement impossible pour la plupart de mes jeunes
qui n'ont pas la chance d'entendre des raisonnements adultes autour d'eux
régulièrement dans la langue de Molière pour fonder un tant soit peu une
capacité qu'il devrait exprimer dans les examens de lecture de nos ministères
et dans ceux des apprentis sorciers qui bâtissent des examens selon les
nouvelles normes sans se poser de questions. Si, au MELS en 2e secondaire, on a
mis finalement 60% de questions de compréhension dans le proto - quoique
certaines me semblent faire appel à bien plus que de la compréhension de
réalité à la portée d'un jeune de 2e secondaire - nos apprentis sorciers de l'organisme
régional, eux, ont respecté religieusement le nouveau bréviaire. 40% de
questions de compréhension en première secondaire.
Je questionne évidemment cette nouvelle approche. Quand au MELS réussira-t-on
à faire des programmes et des processus d'évaluation qui respecte la maturation
moyenne des jeunes? Quand validera-t-on des instruments d'évaluation autrement
que sur des points de vue d'experts mal avisés?
Nos jeunes doivent d'abord apprendre à décoder la langue, à bien naviguer
dans le vocabulaire dans ses sens propres et figurés et à repérer précisément
des informations, ou des informations pertinentes qui permettent de se
représenter convenablement un récit. Pour beaucoup de mes jeunes, et d'autres
que j'ai croisés dans ma vie dans des milieux beaucoup plus favorisés, cette
capacité insuffisamment travaillée de nos jours n'est même pas développée.
Apprendre la rigueur dans une lecture attentive est de nos jours passé de
mode. Apprendre à lire entre les lignes, à inférer ou faire des déductions simples
à partir des informations explicitement données par un texte est aussi déjà un
gros enjeu pour ces âges.
On peut certes exprimer un point de vue suite à une lecture, mais à mon sens
cette faculté verse surtout dans l'expression et moins dans ce qui est à mon
sens au départ la lecture. Oui un jour, nous finissons par exprimer une
lecture d'une situation, mais peut-on laisser d'abord apprendre à décoder
convenablement le vocabulaire, à se laisser traverser par le sens, à trier
l'essentiel de l'accessoire dans une lecture pour se représenter convenablement
les référents des textes.
Je m'insurge contre cette phrase émanant des officines ministérielles et
qu'on répète à qui mieux mieux comme de bêtes perroquets:« On s'entend-tu que
le repérage, nos jeunes sont capables d'en faire?» Justement, avec cette
génération en déficit d’attention, trop souvent, non!
Peut-être que mes jeunes trop nuls perturbent mon appréciation de la
situation. Ces jeunes qui ne veulent pas lire, qui font du tapage quand on leur
propose de travailler un texte et d'entrer dans les détails. Mes jeunes qui
pourtant parlent un français compréhensible semblent avoir autant de difficulté
à lire un texte en français que lorsque je tentais de lire un texte en anglais
quand j'étais jeune. Ces jeunes qui me demandent régulièrement le sens d'un mot
banal à l'occasion pour le francophone que je suis. Pourtant, j'ai souvenir
d'un passage en 3e secondaire en 2001, où des jeunes du régulier expédiaient
leur compréhension de texte en un temps record avec des résultats pauvres, en
se foutant de la précision de leur réponse. Je me souviens aussi de ces jeunes
d'un milieu plus favorisé, qui faisaient tout pour ne pas lire un roman en
essayant de me fourguer des résumés pris sur Internet. Je me souviens de ces
romans d'adultes donnés à des jeunes en lecture dans une école privée auquel il
fallait tout expliquer pour les aider à interpréter adéquatement ces
textes.
Un jour, nous avons oublié que nous avons été jeunes et il serait temps de
comprendre que nos jeunes ne sont pas si différents de ceux que nous étions. Encore
et toujours, depuis trop d’années en éducation, nous avons décidé de confronter
le jeune à la complexité du monde des adultes sans l’y préparer. En ce moment
sur le terrain, encore une fois, comme enseignant, je constate un décalage
énorme entre la capacité réelle de mes jeunes et ce qu’ambitionnent les
penseurs en éducation qui rédigent des programmes et conçoivent des évaluations.
Et encore une fois, je me dis que l’idéologie et la stupidité en sont les
sources au lieu de la méthode et d’une appréciation avisée de la réalité des
jeunes. Bref, encore une fois, je constate que nous ne comprenons plus les
exigences du développement intellectuel des jeunes.
4 commentaires:
J'ai 20 ans d'expérience en enseignement. Encore aujourd'hui, je me sens démuni quand vient le temps d'enseigner la lecture. Au-delà du décodage et du repérage, comment enseigner l'implicite, l'ironie, le sous-entendu, l'anticipation, les liens informels dans un discours?
La compréhension en lecture est basée sur des notions ténues, subtiles et demande une forme d'intelligence que certains de nos élèves n'auront jamais.
On place officiellement la barre très haute dans les épreuves actuelles mais le MELS a le tour de s'assurer que ce genre d'attentes soient comblées grâce à des corrigés ridicules, pour ne pas dire plus.
Effectivement, je pense que notre rôle consiste surtout à enseigner des stratégies et des notions pour permettre d'apprécier les diverses subtilités des textes. Ensuite, nous les accompagnons dans des échantillons de lecture et tentons d'ouvrir le chemin de la lecture, des lectures d'un texte.
Pour le reste, l'expérience et la connaissance du monde qui permettent de reconnaitre, de voir, de percevoir ce qu'on connait déjà dans une lecture, de faire des interprétations, c'est l'ensemble de l'éducation qui devient important.
«On place officiellement la barre très haute dans les épreuves actuelles mais le MELS a le tour de s'assurer que ce genre d'attentes soient comblées grâce à des corrigés ridicules, pour ne pas dire plus.»
Hé oui, c'est toute l'approche en éducation: faussement évaluer ce qu'on ne peut enseigner... au lieu d'évaluer l'acquisition de notions que nous pouvons enseigner et faire maitriser.
Espérer faire bien penser avec subtilités nos jeunes est un leurre. On pourrait plus utilement s'assurer qu'ils ont acquis des notions et des connaissances suffisamment maitrisées pour leur permettre de bien penser plus tard.
Pour le moment, les contrôles de lecture ont plus souvent l'air de tests d'intelligence, que de mesures de nos enseignements.
Et puis parlons du libellé des questions et des corrigés. Quand il ne s'agit pas d'examens que j'ai conçus, je les fais toujours avant de les donner aux élèves. Cette année, j'ai eu un gros 80%...
J'ai ensuite regardé les questions et le corrigé. Désespérant. Comment réussir quand la question est mal formulée? Par moment, le corrigé était inexact ou incomplet. Et je n'écris pas cela par frustration. C'est un simple constat.
Avec quelques gentilles modifications, ce test - formés de trois textes - devrait s'avérer potable. Mais il demeure que dans le cas d'un texte en particulier, c'est peine perdue. C'est le risque de prendre des textes courants et de croire qu'ils répondent à ce qu'on enseigne en classe.
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