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dimanche 8 février 2015

Système en perdition

Vous l'avez vu cette semaine. La réforme n'a pas donné les résultats attendus, même qu'on fait moins bien qu'avant, notamment chez les garçons et les élèves en difficulté qui ont augmenté en nombre dans le cadre de la réforme. Les élèves du renouveau ne réussissent pas en plus grand nombre qu'avant. Ils ne sont pas plus motivés qu'avant. Dans les médias, on parle d'échec.

Réponse du ministre dans le Devoir:

« Dans toutes les provinces, les filles réussissent mieux que les garçons au secondaire. Il faut s’attarder à ça pour offrir aux garçons des [programmes] plus adaptés à leur façon d’apprendre », a répondu le ministre. Il a toutefois défendu le Renouveau pédagogique, en minimisant l’étude et alléguant que l’échantillon n’est pas suffisamment grand et que les cohortes étudiées proviennent des débuts de la réforme. « Le chercheur le dit lui-même, il faut être prudent », a souligné M. Bolduc.

Y de quoi s'énerver avec cette mauvaise foi évidente.

L'échantillon, plus de 3724 élèves et 3913 parents, trois cohortes réparties dans le temps, avant la réforme et après qui montrent que les résultats empirent. 

D'ailleurs, on l'a vu à la télé, notre valeureux ministre trouve que c'est normal au début de rencontrer des difficultés. 15 ans, 10 ans pour le secondaire. Me semble...

Bref, comme d'habitude, nous aurons eu un vague espoir, vite perdu, vite oublié.

Examiner la pédagogie qui se pratique et ses résultats n'est pas dans les priorités ministérielles en ce moment. On ne veut que s'occuper de cette fusion des administrations qui va faire économiser le trésor public. On va annoncer des lieux communs, du rapiéçage.

J'ai lu en diagonale le rapport. Les écarts sont rarement significatifs, mais constamment en défaveur des jeunes qui ont subis la réforme pédagogique (RP). Les élèves de la dernière cohorte examinée ont terminé en 2013.

Le rapport développe longuement sur 3 théories motivationnelles sociocognitives. Je trouve ces théories assez nulles et on peine à trouver des fondements à ces théories qu'on ne peut valider qu'en lançant tout un système dans une RP alambiquée. Et on constate que les résultats ne changent pas, même qu'ils se détériorent. Pourtant, c'est l'évidence, on ne peut pas tant que ça faire s'autodéterminer un jeune, car c'est une injonction paradoxale.

Dans la réalité, plusieurs jeunes accumulent des déficits d'apprentissage que l'incitation à l'autodétermination ou l'automotivation ne va pas aider. Ces jeunes requièrent plus d'encadrement et de soutien sinon, on le sait, ils vont échouer, se laisser aller dans une structure qui les laisse trop libres d'errer et de ne pas réaliser les tâches.

On est au cœur de cette erreur monumentale de stratégie pédagogique. 

On travaille toujours sur des composantes à impact limité sur les facteurs de réussite.

Il faut intervenir jeune et surtout bien encadrer dans des tâches productives les jeunes pour les préparer à  accéder en secondaire avec une certaine force des acquis. L'apprentissage de la lecture est capital. En maths, on en parle peu, on devrait resserrer les objectifs pour permettre une fluidité du calcul mental qui semble sous-exercé. C'est une véritable limite à la compréhension et à la pratique des exercices au secondaire. En français, on devrait  ramener de la simplicité et de la répétition dans les apprentissages des composantes de la langue.

C'est tout le contraire de ce que fait cette école depuis 15 ans dans trop de milieux sous l'influence d'un PDF qui erre et ne cible pas les priorités.

Les jeunes arrivent au secondaire avec des lacunes en calcul mental qui sont franchement questionnant. L'incapacité de rapidement mémoriser de nouveaux termes clés servant de repères dans les apprentissages est aussi une observation banale. En français, ils ne distinguent pas grand-chose dans les classes de mots qui permettent d'aller plus loin dans la compréhension des mécanismes de la langue.

Je discutais avec le prof d'univers social, il serait périlleux de nos jours de tenter de faire mémoriser la carte du monde et le nom des 180 pays ou à peu près et de leur capitale comme nous le faisions naguère. Non, on se promène dans le monde sans cartes mentales dans les cours de géographie. On part de réalité d'ici pour observer la réalité d'ailleurs sans avoir d'abord une représentation intériorisée du monde qui soit assez solide pour permettre de se construire une représentation unifiée et intériorisée des réalités du monde que l'on observe à l'école. On fait du tourisme «fast-food» à l'école via des manuels, finalement. Et on le fait dans tous les cours: en français, j'aborde des textes qui portent sur les favélas de Rio de Janeiro avec des jeunes qui ne travaillent pas les cartes. Mes manuels sont remplis de textes pour faire des liens avec les autres matières. La difficulté est la même qu'en math: le dénominateur commun est difficilement discernable!

L'utilitarisme de cette RP détruit la possibilité de fonder l'apprentissage sur un socle stable de connaissances. On lance les jeunes constamment dans la complexité en espérant que l'exposition à cette diversité va enrichir leurs représentations. Malheureusement, pour la plupart des jeunes, l'apprentissage ne fonctionne pas de cette manière. On les perd, on les éloigne du cœur de ce que l'on veut enseigner dans nos cours en les plongeant dans la perplexité.

Paradoxalement, on leur montre davantage qu'avant dans ce système à apprendre dans l'instant présent au gré des tâches à accomplir qu'à se construire une représentation de base qui permet d'entrer en relation avec les nouveaux savoirs pour se développer une représentation riche des réalités du monde. Ils oublient tout rapidement parce qu'ils n'ont pas de repères intérieurs qu'on ne travaille plus de nos jours. D'ailleurs, cet oubli est normal quand on multiplie les tâches et les diversifie systématiquement pour répondre à l'exigence d'enrichir les représentations et d'offrir des parcours qui intéressent. On en voit  trop, tout simplement.

Malheureusement, on passe à côté de l'essentiel: le besoin d'un socle solide de représentations stables pour fonder l'activité intellectuelle qui se pratiquera plus tard chez ces jeunes. On ne peut réfléchir quand on n'a rien appris.

Car apprendre, c'est bien cela, acquérir des représentations stables pour les réutiliser plus tard. 

Bref, nous n'en avons pas terminé avec les «patchs», les trucs et les raccourcis qui ne marchent pas.

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