samedi 23 mai 2009
Des dates par coeur... Qui est vraiment l'abruti? (avec quelques ajouts)
Je l'ai encore entendu d'une prof qui a mis toute son âme dans la réforme: « A .... (école privée de la région), ils font encore apprendre des dates par cœur en histoire (sur un ton de dédain).»
Le par-cœur (je prends la liberté d'en faire un substantif comme au Québec on le fait régulièrement en parlant et je propose cette graphie), en aurons-nous fait des affirmations gratuites sur son dos? Calamité du passé, la réforme décrète depuis des années qu'il faut faire du sens, développer des compétences dans des contextes signifiants. Le par-cœur a perdu sa cote: il est devenu le reliquat d'un behaviorisme associationniste lointain et décadent. Apprendre par cœur, c'est bêtement répéter des informations sans les comprendre. Ça sert pour l'examen et on oublie tout... On a tous entendu cela...
Mais bon, j'ai vécu l'époque du par-cœur, enfin celle où l'on ne devait pas se cacher pour faire apprendre des notions par cœur. Oui, on en est là... On dit que j'aurais tout oublié de mon histoire.
1534, 1608, 1755, 1760, 1763, 1838-39, 1867 sont les années jalons d'histoire du Québec qui sans effort me reviennent en tête. Allez demander à un jeune de nos jours d'aligner au moins ces dates et un minimum de contenu... Dois-je me souvenir dans le menu du détail des aléas de la vie parlementaire dominé par les Anglais depuis 1763, les différents actes et jalons de ce parcours? Question d'intérêt...
Comme pour le reste de mon secondaire, j'ai oublié les nombreux détails qui ne m'ont pas servi, ce que je n'ai pas recroisé et j'ai gardé ces quelques repères de l'histoire du Québec . Mais j'ai encore en mémoire, bien des concepts appris ces années-là dans mes cours de sciences, d'histoire, de français, de maths, etc. si bien que j'ai pu des années plus tard me rendre utile et enseigner dans des domaines que je n'avais pas approfondis à l'université.
Dans tous mes cours, j'ai dû apprendre des connaissances par cœur. Je me souviens d'exercices de mémoire au primaire: mémoriser un poème par exemple. On y arrivait en répétant beaucoup et un moment donné, magie, on le savait sans effort. C'était un fabuleux exercice.
Si je n'avais pas appris par cœur mes mots dans mes cours de sciences, dans mes cours d'anglais, mes tableaux en français, et tant d'autres choses, je ne crois pas que j'aurais cette capacité polyvalente me permettant de m'intéresser à différents domaines de la vie humaine.
Malheureusement, je n'ai pas la mémoire «eidétique», celle des détails, comme je l'ai vu chez de nombreux surdoués. Mon frère l'avait et de nombreux amis aux études l'avaient. Cette espèce rare de chanceux pouvaient se taper un bouquin la veille de l'examen et s'en sortir haut la main. Ils avaient beaucoup moins besoin de faire des exercices de mémorisation ou d'organisation de l'information pour intégrer les notions. Moi, je devais travailler un peu. Activer ma mémoire avec ce que j'avais appris au primaire et au secondaire: en répétant, en écrivant et en organisant... Pire, je perds plus rapidement que ces surdoués ma mémoire, il me faut passer du temps parfois pour réapprendre, resolidifier des connaissances que je n'ai pas utilisées depuis longtemps...
D'avoir appris la valeur, le sens d'un concept, des notions de base d'un domaine, n'empêchera jamais par la suite de réfléchir avec ses concepts. Mais réfléchir avec des concepts incertains, approximatifs ne mène pas bien loin. Tout ce qu'on apprend, c'est à répéter des formules creuses ou à trouver les adultes donc intelligents de manier des idées aussi compliquées... Et ce procédé fabrique à la tonne du décrochage en prime...
Bref, l'idée que le par-cœur est une activité bête n'a aucun fondement. Mais on la répète comme des ânes dans nos milieux de l'éducation.
Le programme de formation actuel n'accorde à mon sens pas assez d'attention à cette capacité fondamentale, préalable à toute activité intellectuelle qui est celle de mémoriser. Mémoriser des concepts-clés, des classements, des cartes, des structures dans le temps ou dans l'espace, des dates donc, qui permettent d'intérioriser souvent une base pour les représentations futures. On intègre les nouvelles connaissances à des réseaux organisés d'associations d'idées vus et revus qu'il a bien fallu apprendre un peu par cœur. Construire en apprentissage m'a toujours paru semblable à la construction d'une maison: il faut solidifier des bases. L'art pédagogique, au départ, me semble plus l'art de faire répéter sans qu'on s'en rende compte... Après oui, on passe l'art de la subtilité, de l'analyse, de l'examen attentif des choses... Mais c'est vraiment plus tard dans le cheminement d'apprentissage. Car la réflexion demande du vécu de toute façon... ce que les jeunes n'ont pas.... Par contre, ce qu'ils ont c'est une facilité de mémoriser... Mais on ne l'active plus de nos jours trop occupé à essayer de leur faire comprendre le monde...
Le programme manque de vision à ce sujet. Ce qui est central pour le moment, c'est un faire significatif, le reste est accessoire. Ainsi, en français, écrire est l'acte central à pratiquer. On apprends par la pratique. Certes, mais sans faire ses gammes et développer le doigté, il est difficile de devenir un bon musicien, précis... Évidemment, connaître le nom par cœur des notes n'est pas indispensable, mais c'est préférable si l'on vise de lire la musique et de l'interpréter...
Aujourd'hui, on a toutes les peines du monde à faire retranscrire des phrases dans un exercice parce qu'il est notoire que ça ne sert à rien. Pourtant, écrire des mots avec attention a toujours été un acte utile depuis que l'on connait l'écriture. Il n'y a qu'à faire une liste d'épicerie et de l'oublier pour s'en rendre compte...
Il est aussi impossible de faire faire une activité aussi répétitive et structurante que l'analyse grammaticale classique dans la mémorisation des connaissances utiles en grammaire, car ça ne sert à rien au premier abord... Et pourtant... c'était un mur porteur du développement de l'intelligence analytique à mon sens... Non, aujourd'hui, faut que tout aille vite, vite, vite et soit cool...
En écrivant, on a besoin pour corriger la forme, de référer aux connaissances sur la langue. C'est beau les outils, mais c'est long aussi. Sans un peu de par-cœur, on n'y arrivera pas... Faire des calculs avec des fractions sans connaître ses tables, c'est un peu comme vouloir travailler le bois avec des gants de boxe... Pourtant, mes deux jeunes, réussissant tout deux leurs maths aisément, en sixième, se trompaient régulièrement dans leurs tables de multiplication... Après, on s'étonne qu'en 1ère secondaire, les jeunes ne maîtrisent pas leurs fractions. Mais combien de temps perdu dans des résolutions de problème qui, sur le plan de la demande cognitive, dépassent la capacité normale d'un enfant du primaire?
Peu importe le domaine nouveau que l'on tente de comprendre, il faudra tranquillement se faire une base de connaissance de concepts-clés permettant ensuite de montrer les relations entre la réalité et ces concepts et, éventuellement, d'apprécier les interprétations ou théories intéressantes dans ce domaine ou de développer son propre point de vue. Le par-cœur est souvent une étape...
D'ailleurs constamment, le programme de formation met la charrue devant les bœufs en visant bien davantage des intégrations complexes avant d'asseoir le réseau de connaissances préalable. Les manuels présentent depuis des années des lacunes à ce sujet. On passe trop rapidement au niveau de complexité sans prendre le temps de bien fixer les bases dans des séries d'exercices. L'évaluation ne s'occupe plus des connaissances en tant que réseau de connaissances qu'on peut apprendre, souvent dans une certaine mémorisation. Non, on évalue l'application sans se soucier de la qualité du réseau de connaissances acquis en amont. Du coup, ce genre d'activité qui teste la mise en mémoire des concepts utiles a perdu toute valeur et la plupart des jeunes n'en ont plus l'habitude. Je dirais même plus, il y a comme un interdit tacite sur ce genre de pratique dans le milieu. Ce n'est pas réforme... C'est un peu comme si on interdisait à des athlètes d'aller travailler leur musculature parce que idéologiquement l'entraineur est convaincu que c'est en pratiquant son sport qu'on améliore sa performance... A mon sens, toute cette vision superstitieuse est inadmissible dans nos écoles.
Aussi, on fait faire des textes et des textes et des textes, longs, longs, longs et nos jeunes ne connaissent pas plus leur tableau de conjugaison. Mais nous continuons le refrain ministériel: c'est inutile d'apprendre par cœur, pourvu qu'ils appliquent... Il ne font pas le transfert... car ça ne fait pas de sens! En fait, quand on n'a pas appris à apprendre, quand on n'est pas forcé par évaluation de faire du par-cœur, on fait de l'à-peu-près... Vous aurez noté: parfois apprendre signifie pour tous apprendre par cœur.
Voilà pourquoi j'observe que globalement dans un groupe moyen, il y a quelques talents et une masse de jeunes en plus ou moins grande difficulté, peu capables d'utiliser des stratégies rentables, car ils n'ont jamais appris à faire l'effort de les utiliser en y étant un peu forcé.
Quand on observe la performance des jeunes, on voit plus souvent une double cloche qu'une distribution normale dans une classe...Et quand c'est le cas, à mon sens, c'est que notre stratégie globale d'enseignement est dans le champ.
Il est temps qu'on se pose des questions: pourquoi la tradition éducative, millénaire, bonne pour l'élite, depuis que l'éducation se démocratise, semble devenu tout d'un cou désuète, passéiste, illogique?
Une bonne façon de garder le contrôle, tout patron le sait, c'est de ne pas donner toute l'information. Enfin, les gens trop intelligents, trop capables de réfléchir par eux-mêmes font de bons gestionnaires, rarement de bons employés, car ils sont capables de critiquer le fonctionnement de l'organisation... Dans bien des tests et entrevues de sélection, on les écarte.
Évidemment, un système ne peut admettre qu'il vise à abrutir sa population, il a besoin d'une couverture... La réforme actuelle, idéologie non scientifique, tissus d'âneries répétées, est la forme la plus évoluée de la mystification éducative moderne.
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