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dimanche 3 mai 2009

Échelles de compétence: on lance la patate chaude aux profs...

Puisque j'ai quitté l'enseignement de fin 2004 à début 2008, trois grosses années, il m'a manqué des bouts que je rattrape de temps en temps au gré des réunions, des communications et des discussions entre collègues. Ainsi, l'évaluation des apprentissages connait de grands bouleversements, parait-il, ces années-ci. On a eu droit pour le secondaire à un document préliminaire de 150 pages il y a 2-3 ans assez soporifiques qui annonçait une approche plus critériée, descriptive et individualisée de l'évaluation des compétences. Je n'ai pas vu la copie achevée de ce document pour le moins vague en passant... Je dois donc dire, d'entrée de jeu, que les choses ne vont pas mieux dans ce domaine devenu hautement complexe pour ne pas dire chaotique de notre profession.

Les échelles de compétence:

Cette semaine, on nous a communiqué les échelles de compétence pour les bilans de fin de cycle dans le cas du premier cycle et celui qui doit être fait en fin de chaque année au deuxième cycle. Notez bien que, dans cette logique, un seul niveau n'est pas évalué: le secondaire un. Commode pour ne pas donner de services là où c'est justement un besoin criant dans le système. On veut éviter le décrochage et on le prépare par ce genre de vide coupable...

Bon, ce n'est pas sorcier, même si le principe est fortement discutable, l'échelle de compétence est une échelle critériée de 5 niveaux de compétence. Cela aurait pu être A, B, C, D, E traditionnel, c'est 5,4,3,2,1 avec un + pour des nuances. Ce qui est confondant, c'est que l'habitude de traduire les résultats des pourcentages critériés (oui, la connerie qu'on a depuis quelques années: 92, 84,76, 68, 60,52, 44...) pour les présenter en 5,4,3,2,1 avec le + pour nuancer, se faisaient depuis quelques temps.

Or, le bilan est censé être une évaluation finale de l'enseignant à partir des traces récentes en fonction de l'échelle descriptive des niveaux de compétences attendues. Bref, ce n'est pas une moyenne des bulletins, ni une traduction des pourcentages, mais une appréciation basée sur notre jugement professionnel qui est attendue. On doit situer chaque élève dans l'échelle officielle du ministère.

Voici le niveau 4, celui de la compétence assurée attendue en écriture qu'on peut lire dans l'échelle pour le bilan de fin de 1er cycle:

Écrit des textes dont le contenu est suffisamment développé et est organisé de façon cohérente. Adapte ses textes à la situation d’écriture et exploite des informations pertinentes. Fait progresser ses idées et maintient le point de vue adopté. Construit des phrases présentant une certaine complexité et les ponctue de façon généralement appropriée. Utilise des substituts variés, un vocabulaire évocateur et des termes justes en fonction de la situation. Rédige la version finale de ses textes en laissant peu d’erreurs dans les termes courants et dans les accords grammaticaux. Dans certaines situations d’écriture, intègre des informations pertinentes tirées d’une documentation ou d’autres sources. Améliore ses textes en y apportant des modifications de différents ordres.

Bref, une échelle présente, de 5 à 1, cinq portraits types d'élèves censés décrire le niveau atteint dans la compétence. Si on observe bien phrase par phrase, chaque sous-aspect est repris avec des nuances pour chaque niveau. Ainsi, pour apprécier par vous-mêmes, au niveau 3, on a:

Écrit des textes dont le contenu et l’organisation sont adaptés à la situation d’écriture. Structure ses textes en différentes parties et les ordonne de façon logique. Emploie adéquatement un vocabulaire courant et évite les répétitions abusives en ayant surtout recours au pronom personnel. Rédige la version finale de ses textes en laissant peu d’erreurs dans les accords les plus simples. Dans certaines situations d’écriture, utilise des informations tirées de sa documentation ou d’autres sources. Améliore ses textes en ajoutant, en retranchant ou en modifiant des éléments selon les suggestions reçues.

Vous notez qu'on passe de la cohérence à la simple adaptation au contexte qui peut être moins cohérente, je présume.

Commentaire

Je ne doute manifestement pas du sérieux (on aurait, en concertation avec des enseignants, trouvé des formulations jugées satisfaisantes pour décrire les niveaux de compétence, nous dit-on dans la partie élaboration des échelles dans le document; cela ressemble à la stratégie courante depuis une dizaine d'année des changements au ministère, des enseignants ont été consultés, comment? Ici, en répondant à des questionnaires, apprend-on) qu'on a mis à tenter de faire une description la plus claire qui soit pour bien évaluer les élèves et fournir un portrait utile et clair du niveau atteint de l'élève, reste que je me pose beaucoup de questions.

1- N'est-ce pas un peu compliqué pour une petite tête de prof pourtant bien éduquée de tenir compte de toutes ses petites nuances fines que délimitent des intensités fort vagues non quantifiées quand elles le pourraient? Ainsi sur le sous-aspect orthographe, en fouillant entre les lignes , on trouve: 5: pas ou peu d'erreur; 4: peu d'erreurs dans les termes courants et les accords grammaticaux; 3: peu d'erreurs dans les accords les plus simples; 2: rédige en corrigeant certaines erreurs d'orthographes d'usage et d'orthographe grammaticale qu'on lui a déjà signalé et 1: il les corrige avec de l'aide.

Bon, quelle valeur relative faut-il donner à chaque sous-aspect? Imaginons un cas de style assez raffiné dans le contenu avec un orthographe lamentable. Que fait-on? Heu... Ce genre de cas existent plus qu'on ne le pense. Et l'inverse aussi, des idiots sans faute!

2- Pourquoi les échelles demeurent-elles aussi vagues. J'aurais beau faire des discussions avec les collègues, mettre du marqueur jaune sur chaque aspects pour bien voir l'échelle du sous-aspect orthographe que je viens de résumer, participer à des petites séances de comparaison de copies d'élèves pour valider mon jugement comme le suggère notre responsable de français sur les recommandations des formations du ministère, la place laissée à l'interprétation est assez fabuleuse. Les adverbes m'ont toujours paru nuancer moins finement qu'un nombre un niveau attendu. Le document évite de placer des seuils clairs

3- Et j'ose poser la question: combien d'erreurs dans les accords les plus simples doit-on compter? Parce que beaucoup de jeunes pourraient se retrouver à ne pas atteindre le minimum attendu. Pour moi, peu c'est quelques-unes, je dirais un gros maximum de 5 fautes dans les accords les plus simples dans un texte de trois cents mots. J'ai l'impression qu'on lance la patate chaude aux profs, aux départements et aux niveaux de français qui vont trancher avec la direction pédagogique. Que de temps fabuleusement perdu à discutailler de nos valeurs sur ce que peu bien vouloir dire peu d'erreurs dans les accords les plus simples parce que le ministère refuse de mettre ses culottes et d'assumer une norme acceptable et de la proposer comme seuil de réussite.

4- Enfin, pour l'autre aspect de l'écriture qui se quantifie assez bien, même si rien n'est parfait, je l'admets, la syntaxe et la ponctuation, je note que dans cette échelle le niveau 5, ne mentionne rien. 4: Construit des phrases présentant une certaine complexité et les ponctue de façon généralement appropriée. 3: néant. 2: Construit et ponctue correctement de courtes phrases. 5: rien.

Désolé, mais pour moi, ces échelles de compétences, c'est du grand n'importe quoi...

Ainsi, on nous dit de situer nos jeunes, un à un dans une échelle globale plein de sous-critères mêlés, sans donner aucun repère sur la valeur relative à donner à chacun. On nous laisse organiser des outils pour y voir clair en suggérant comme pour s'excuser de prendre des marqueurs et de colorer nos échelles pour y voir clair. Pour moi, c'est clair, même s'il a beau claironner dans son document que les échelles fournissent les références officielles sur lesquelles doivent être fondés les jugements portés sur les compétences des élèves à la fin du cycle (Document sur les échelles de compétence du premier cycle, p.10), le ministère ne fait pas son job, soit de nous aider à définir des seuils clairs de compétence. Il n'y arrive pas. Et nous allons le faire?

D'un côté, on nous demande de garder des traces, pour finalement justifier notre jugement, si on nous demande des précisions. De l'autre, de ne pas faire un jugement trop tatillon: «Il faut donc éviter de faire une association point par point entre les traces consignées et chacun des énoncés d’un niveau.» J'ai l'impression qu'on nous place encore dans la situation de ne pouvoir porter finalement un jugement sensé et donc, pour éviter de nous emmerder dans des raisonnements tordus, on va mettre des notes pour faire passer tout le monde.

On nous rappelle que «le bilan des apprentissages ne résulte pas d’un calcul arithmétique réalisé à partir des résultats enregistrés en cours de cycle, mais d’un jugement porté sur le niveau de développement de la compétence atteint par l’élève à la fin du cycle». Je reste toujours stupéfait de cette prétention que nous pourrions avoir à porter un jugement sur la compétence du jeune à un temps t quand tout ce qu'on peut faire, c'est de l'inférer à partir d'un nombre de performances ou de réalisations concrètes. Voilà pourquoi des repères chiffrés nous donnaient une indication certes imparfaites, mais tout de même un résumé commode de nos jugements antérieurs sur des performances antérieures de l'élève.

Pour finir, il est assez clair qu'à vue de nez, on voit le niveau d'un jeune à parcourir une copie d'écriture d'un élève. Ce qu'on attend du ministère, ce sont des repères objectifs simples et pratiques pour faire nos évaluations, pas qu'il nous complique la vie. Les grilles de corrections du passé n'était pas parfaites, mais présentaient l'avantage de nous donner une heure plus juste au sujet des niveaux attendus et de l'importance relative des différents sous-aspects. Là, on nous laisse dans un flou artistique...

Nous ne sommes pas des machines à computer des évaluations justes et parfaites. Apprécier plusieurs productions demandent du temps. Au moins avant, nous gardions une traduction chiffrée des évaluations, que nous intégrions à nos jugements finaux par le procédé statistique de la moyenne. Aujourd'hui, il n'est pas praticable de gérer les portes-folios, ni d'accorder une attention précise à chaque cas dans sa globalité. C'est un travail d'orthopédagogue à mon sens qui travaille le cas par cas.

Un prof ne peut faire qu'un rapport du fonctionnement d'un jeune par rapport à l'ensemble du groupe (écart à la moyenne) et donner un indice du fonctionnement de l'élève face à l'objet des apprentissages qu'on lui présente normalement de façon graduée d'année en année, de simples à toujours plus compliqués. Un 60% de secondaire 5 vaut certainement plus qu'un 60% de 6e année du primaire parce que l'objet à l'étude et les exigences en secondaire 5 sont censés être plus complexes. A chaque production, nous donnions une valeur à la qualité du travail et une valeur relative du travail dans l'ensemble des activités d'apprentissages et nous faisions des moyennes. Les profs d'un niveau matière s'entendaient sur un certain volume d'évaluation commune, souvent basé sur des instruments validés ou qu'ils bâtissaient en se fiant à de tel instrument. Bref, notre note correspondaient à une démarche qu'on tentait d'objectiver sans nous compliquer la vie. Et je crois que, la plupart du temps, nous y arrivions sans nous prendre la tête.

Là, je note simplement que beaucoup de profs interprètent ce jugement global à partir de traces comme une façon de s'éviter de grosses évaluations. On fait passer tout le monde et pas de corrections. Vive la subjectivité efficace! Franchement, ce genre de réflexions et d'interprétations m'horripile tellement elles manquent de sérieux. Pourtant, avec les salmigondis que nous présentent le ministère pour ne pas virer fou, c'est presque un réflexe sain.

L'approche par compétence est certes intéressante, cependant elle repose sur une vue idéalisée de nos capacités d'appréhender la compétence. En psychologie, on voyait en cours de psychologie cognitive la célèbre distinction de Chomsky entre la performance et la compétence, qui en gros soulignait que la compétence ne s'infère qu'à partir de multiples observations, des performances. On semble avoir oublié cela au ministère...

Mais bon, je note en terminant, que dans un document ministériel pour l'examen de 2e secondaire écriture qui vient bientôt, on nous permet d'utiliser le résultat de l'évaluation pour faire 15 à 30 % de la note finale de l'élève. Serait-ce un signe que le balancier revient un peu vers le bon sens! Pour la qualité de notre santé mentale, il est à souhaiter que oui!

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