Le weekend dernier, j'ai suivi et participé à un échange sur le blogue de Mario tout de go, qui portait sur l'intervention d'un certain François Taddei et où il était question de transformer l'école dans ce nouveau contexte de l'explosion de l'information. L’école ne peut plus se contenter d’être un lieu de transmission du savoir | Mario tout de go. J'ai finalement regardé ce vidéo et un peu le programme que propose ce personnage: avoir une école qui développe les autodidactes.
Bon, c'est assez à la mode, de nos jours, de poser en argument une vidéo avec un type crédible qui dit des choses intéressantes. Le vidéo de Taddei, nous fait voyager de Kasparov, champion du monde battu par la machine, au projet I can d'une Indienne, Kiran Bir Sethi, qui aussi a fait sa conférence sur TED, ce site de diffusion d'idées de valeur qui propose des conférences, et nous parle de la contagion de son idée de changer le monde avec les jeunes. Tout cela en passant par des métaphores diverses proposant le partage, la collaboration (l'oiseau chantant), la nécessité d'être informé (Alice au pays des merveilles) et d'aller vite, vite pour aller ailleurs et ne pas rester en place.
Ce chercheur de l'Institut de la santé et de la recherche médicale (Inserm) propose la maïeutique nouvelle dans le contexte techno-informatique qui émerge et pose des questions à l'école.
Bon, il est difficile d'être contre la vertu de ces belles idées. Mais bon, moi aussi, je me pose bien des questions depuis que j'ai vu cette vidéo. En quoi, un type qui travaille en recherche fondamentale peut-il bien connaître la réalité de l'éducation au quotidien? Je vois très bien sa perspective. Le monde de la recherche doit collaborer, favoriser le partage ses connaissances, diffuser de l'information, favoriser l'interdisciplinarité (il est lui-même ingénieur ayant travaillé en sciences médicales où il a été primé en 2003 pour sa contribution en recherche fondamentale). Je comprends sa perspective de voir le monde collaborer pour le changer notamment dans les défis environnementaux qui attendent l'humanité. Je comprends aussi l'obsession d'un chercheur pour la mise à jour des connaissances dans un monde qui évoluent rapidement.
Je vois bien l'intérêt de cette activité qu'il a faite pour stimuler l'intérêt dans les banlieues rouges de Paris où il a probablement investi une partie de son substantiel prix de 1 200 000 Euros dont il nous précise le montant.
Je vois aussi le potentiel de ces phénomènes nouveaux d'expression qu'Internet procure, de ces événements impressionnants par leur ampleur qu'on peut générer avec le potentiel des réseaux du Web.
Mais bon, car voyez-vous, l'enthousiasme a besoin d'un peu de raison aussi, et les raisonnements d'être un peu revisités avec cette compétence transversale qu'on nomme l'esprit critique: un événement bien financé par les dons généreux, alimenté par des artistes, et des scientifiques de prestige a certes des chances de créer de l'enthousiasme. Cependant, l'école n'a pas vraiment ces moyens au quotidien et enfin, un événement de motivation ne constitue pas en soi une formation qui s'acquiert,elle, au prix de l'effort et de la détermination. Même chose pour la contagion I can. Ces événements, où des enfants prennent une ville ou déclenchent un événement d'alphabétisation des parents par leurs enfants en Inde, ne fondent pas une éducation non plus. Enfin, dans une exposition de ces beaux tableaux d'enthousiasme collectif humain, on ne peut pas vraiment savoir l'impact réel de tel événement. Comme on sait, l'hypnose d'un Messmer a été abandonnée par Freud parce que l'hypnose avait un effet d'assez courte durée dans les programmations qu'elle opère au niveau inconscient. Ça n'empêche pas Messmer de très bien gagner sa vie, remarquez!
Bref, quand je regarde ces grandes idées de valeur sur le Net, je demeure dubitatif, un peu. Je vois en filigrane le «preacher», le gourou, la réédition du show culturel américain qui a façonné notre manière de vivre moderne avec des valeurs bien américaines exhibitionnistes et où le show déclasse la profondeur des idées. Combien de fois, de nos jours, l'emballage a-t-il plus d'importance que le contenu? Le message est le média, disait, il y a déjà un bout, McLuhan, non?
Je suis aussi plein de questions au sujet de ces mêmes idées qui nous font devenir des exhibitionnistes de Facebook, de portfolio, ou qui rendent suspect de conserver une certaine pudeur et de ne pas vouloir s'exposer à tous. Je ne peux m'empêcher de voir les enfants de 1984 qui dénonçaient leurs parents à Big Brother. Les enfants sont fervents sans grand esprit critique. On a formé bien des soldats, des fanatiques, des jeunesses hitlériennes en mettant des enfants sur un piédestal. Bref, je suis un peu inquiet qu'on propose de mettre les enfants en avant pour manipuler le monde, car ils sont de si serviles serviteurs et franchement, je pose la question: qui profitera de cette manipulation des esprits innocents. Est-ce cela franchement la pédagogie centrée sur l'enfant?
Je suis donc obligé d'opposer à ce prestige convaincu ma modeste observation de la condition humaine et donc essayer de tempérer les enthousiasmes qui peuvent s'avérer des mirages et de fort mauvaises idées en somme.
Je suis obligé de voir que la prise de la ville par les bambins des Indes avait l'air bien appuyée par des adultes et tournée vers le divertissement. Bref, je ne vois pas vraiment ce qu'il y avait de très différent d'une fête pour enfants organisés par une ville, si ce n'est qu'on les a consulté pour leur faire choisir des activités qu'on aurait sûrement faites sans l'avoir fait. Évidemment répéter des mantras comme I can, change the world et contagious démontre encore que la réalité se façonne par la répétition d'une certaine idée en l'emballant dans les sourires et l'émotion positive. Yes, we can!
Je suis bien obligé de voir chez les jeunes enfants des êtres profondément influençables et manipulables, même si c'est pour de belles intentions. Et ce sont très certainement des adultes qui tirent les ficelles. Bon, évidemment, cela n'enlève rien à l'intérêt dynamisant et motivant de ce genre d'événements, mais de grâce pondérons tout de même les conclusions: on a réussi à mystifier les enfants, à leur faire croire qu'ils accomplissaient quelque chose de grand grâce à des technologies nouvelles dans un événement x. Va-t-on passer nos journées à transformer le monde, à faire le théâtre de la transformation du monde, qui reste assez superficielle franchement un peu comme l'humoriste Jean-Marc Parent créait des enthousiasmes en faisant flasher les lumières au Québec il y a quelques années? Allegria!
Bref, offrir ces exemples pour orienter l'école du futur me laisse assez dubitatif si c'est pour transformer l'école en une foire d'exhibition de grands événements motivants et transformateurs de la société. Je crois encore que les humains ont besoin d'une certaine gouverne et d'un esprit rationnel pour débattre des solutions de vie communes à adopter en favorisant la communication et les débats au sein des adultes pour considérer l'ensemble des aspects dans des problématiques de changement à faire. Je m'inquiète de voir cette tendance affirmée d'utiliser les enfants pour des propagandes à grandes échelles qui ne laissent pas beaucoup de place pour la discussion, car, on le sait, les enthousiasmes collectifs ne sont pas toujours les phénomènes les plus rigoureux et intelligents que l'on puisse observer dans la nature.
D'ailleurs, la macaque «nobelisée» par Taddei découvrait fort probablement ses innovations dans la quiétude d'une concentration de l'attention au moment d'un accident imprévu de son expérience qui l'a fait comprendre la valeur de sa découverte, pas dans l'hyperactivité d'une excitation collective. Bref, il faut temporiser la valeur des collaborations en cette observation assez courante que les collaborations fructueuses mettent à profit bien souvent de multiples expertises qui se rencontrent pour partager leur point de vue développé dans le recueillement, soutenu par une longue expérience et des formations rigoureuses. Les découvertes suivent des processus fort complexes dans un cheminement lent de patiente préparation.
Ainsi, l'interdisciplinarité qu'on veut enseigner comporte une difficulté de taille appliquée à l'enfance. Pour passer au niveau du regard interdisciplinaire, il faut bien souvent en passer par la lente appropriation d'une première discipline, d'un certain savoir avec ses méthodes, son angle d'aborder les problèmes, sa perspective que l'expérience finit par ouvrir à d'autres disciplines pour un échange intéressant. Taddei a-t-il oublié son parcours avant de devenir l'expert abordant dans son quotidien l'interdisciplinarité?
Depuis longtemps, on a pensé l'enseignement des savoirs dans certains couloirs qui soutenait leur perspective propre, qui traçait un fil conducteur pour fonder une mémoire, une structure propre à l'intégration des faits et connaissances qui la constituent. Cette fondation du savoir dans des disciplines permettait à des experts, des gens en maîtrise de transmettre adroitement, enfin on le souhaite, ces structurations de l'expérience humaine.
Mon observation courante des enfants m'amène à voir en eux de grandes limites dans leur capacité de gérer la complexité. Il est même assez difficile, au point que s'en est parfois ahurissant, de les voir peiner pour discerner des choses fort simples. Bref, l'apprentissage, a besoin de temps avant de s'aventurer dans la complexité. Il faut bien souvent monter patiemment les marches de la connaissance. Évidemment, cela n'empêche pas un enfant de boire la complexité du réel et de s'en faire des représentations. N'empêche que franchement, un enfant mettra pas mal de temps avant de pouvoir considérer ses représentations et les penser, les critiquer, les simplement comprendre, en voir les rouages et devenir un acteur clé pour transformer la réalité dans un domaine de savoir.
J'irais plus loin, je côtoie aussi des tas d'adultes qui ont franchement du mal à comprendre un tas de choses pourtant assez simples. Des adultes qui n'ont pas eu la chance ou la patience de monter certaines marches d'apprentissage doucement. Cela ne les empêche pas d'avoir des opinions sur tout. Mais bon, quand on est attentif, on remarque que ça ne dépasse pas beaucoup l'ordre des idées reçues. En de nombreux domaines où je n'ai que peu d'expériences et de connaissances, moi aussi je n'arrive pas bien souvent à fonder un regard vraiment pertinent.
J'ai l'impression qu'Internet nous plonge dans la mégalomanie: cette impression d'être des dieux capables de tout. Or, nous demeurons limités et il est bon de se le rappeler et je crois qu'il faut souvent détromper l'enfant qui se croit un dieu. Car ce n'est pas la réalité.
On peut certes faire vivre dans nos écoles des projets enivrants pour enthousiasmer. Mais franchement, avant de devenir un autodidacte, il y a tout de même certains préalables, certains passages obligés. Apprendre sa langue, développer son cerveau. Apprendre la rigueur, la patience, la concentration, le respect de ce lieu qui pourrait permettre ces valeurs d'émerger aussi. J'ai l'impression qu'en transformant l'éducation en show permanent, on fuit les vraies questions. L'enfant a-t-il besoin d'autant d'expression? de pouvoir? d'être arbitre et juge de ses maîtres? d'être un petit roi qu'on doit intéresser? Ou n'a-t-il pas besoin d'être un peu réfréné, entrainé à la patience, au respect du caractère posé, incité et un peu forcé à un certain travail, encadré, structuré. Pour devenir un être capable de réflexion, de compréhension, d'attention, de respect des autres.
Il aura ensuite toute sa vie pour trouver sa propre interprétation de l'éducation qu'il a reçue, développer s'il y voit sa route, l'interdisciplinarité, de suivre des démarches autodidactes et puis, de prendre part significativement aux décisions et aux transformations durables de la cité.
On apprend aussi, avec la vie, contrairement à la course folle hyperactive d'Alice et de la reine, que de se poser pour réfléchir un moment à ce qu'on vient de voir, entendre ou faire, permet d'économiser son énergie et de finalement sauver du temps.
4 commentaires:
Cher Prof,
Les enfants "influençables", il y en a de tout âge.
Je connais un prof qui me disait (il s'occupait de doctorants en collaboration avec l'industrie) qu'il n'y a rien de plus facile que d'influencer un étudiant: le rapport de force en était garant.
Dans les sciences humaines ou la contestation fait partie de la vie, il en va probablement autrement (facs). ;)
Au lycée, ceux qui influencent ne sont, hélas, pas toujours les profs...
Sur cette petite note pessimiste, je te souhaite une bonne soirée!
Amitiés
vous faites vraiment des textes forts à chaque fois.
J'abonde précisément dans le sens de votre billet, mais chez Mario.
J'ai malheureusement laissé quelques coquilles, mais sinon c'est en fait précisément à vous que je demande d'évaluer ma critique au début de mon commentaire.
Je vous aurais laissé le texte ici, mais l'espace de dévolu aux commentaires ne me le permet pas.
Vous remarquerez que je suis pas mal influencé par vos idées et par celles de Baillargeon, mais peut-être que mon argumentaire encore incomplet...
Charles
Bonjour Charles,
J'ai lu votre texte qui apporte d'intéressants, et même originaux, contre-points d'analyse des propositions de Taddei dans une perspective plus structurante de l'école. Je ne crois pas qu'il faille être complet dans l'argumentaire, mais faire avancer les débats selon nos perspectives afin qu'ils s'enrichissent.
J'essaie de bien faire mes textes, de suivre le processus intuitif et réflexif de l'écriture analytique. Évidemment, je succombe comme tout le monde au besoin d'aller vite pour suivre notre train en marche folle qu'est la blogosphère. Mais bon, y a pas le feu. C'est surtout intéressant d'avoir ce lieu d'échange et de pouvoir à notre humble mesure influencer les débats.
Évidemment, on n'a plus les conditions d'universitaire pour peaufiner et lécher nos réflexions, la vie active a ses exigences.
En éducation, nous avons tous notre angle de vision et notre infini «champ d'aveugle». On tente tous de comprendre une monde fabuleusement opaque et difficile à appréhender dans sa totalité.
Il est clair que sur le terrain, nous sommes nombreux à vivre un grand malaise avec cette folie des grandeurs, panacée de la morosité ambiante. On veut tous croire aux miracles et c'est ce qui nous perd. Les idées délirantes ont fait beaucoup de ravage, j'en ai trop l'impression. Mais ça change, et Monsieur Asselin le verra, on intègrera évidemment l'ordinateur et Internet à l'école, mais peut-être plus calmement que prévu. Le coup de barre à un retour plus conscient à une certaine manière d'apprendre n'est pas pour jeter au panier les transformations du monde, mais simplement pour renouer avec la tradition et doucement intégrer ces changements en triant l'utile de l'accessoire.
La griserie de la vitesse pour avancer plus vite sans réfléchir, cette hypomanie bien stimulée, par exemple, dans les formations pour travailleurs autonomes conduit souvent aussi ces derniers à la faillite. On est en train de brûler le corps professoral. La réforme n'a pas donné de gros résultats, il faudra un moment donné en convenir.
L'école doit prendre son temps avec les technologies et d'abord comprendre ce qu'elle fait. Pour le moment, je crois qu'il est temps de simplifier un peu. Franchement simplifier et faire l'effort de la patience.
Bonjour,
Merci pour vos réflexions, je vais les méditer, patiemment. Comme je vous l'ai signifié, votre analyse des capacités des enfants (et de la méthode qu'il faut employer pour ne pas les mêler) m'est très utile. J'enseigne à de très jeunes adultes et quand je pense à mes étudiants très faibles, je pense souvent à vos raisonnements. Mon enseignement est pas mal plus explicite depuis que je réfléchis en incluant certains de vos raisonnements dans mes équations cérébrales...
C'est d'ailleurs ce qui m'a amené à lire Baillargeon, Comeau et coll. ainsi qu'un certain Steve Bissonnette qui a produit une thèse qui abonde précisément dans le sens de vos propos.
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