Je viens de terminer la lecture intéressante d'un article d'un enseignant d'histoire de l'UQAM, Julien Prud'homme: Réformer les programmes, réformer les maîtres qu'on peut lire dans le collectif Contre la réforme pédagogique (2008). J'ai compris peut-être enfin pourquoi la nouvelle grammaire est venue saboter mon métier. Le plan global était simple: nous couper de nos racines disciplinaires pour l'éclosion de l'école vue par les psychopédagogues.
L'auteur propose que la réforme éducative actuelle a des racines qui plongent loin dans le passé (Il n'est pas le seul, plusieurs témoignages corroborent cette vision des choses et le fameux livre de
Gosselin, G. et Lessard, C. (2007), même si ce n'était pas son intention, en aurait révélé de grands plans. Les deux principales réformes de l'éducation du Québec moderne : témoignages de ceux et celles qui les ont initiées. Québec : Presses de l'université Laval)
Avec la révolution tranquille et la création du MEQ dans les années 60, sont nés de nouvelles professions comme celle des conseillers pédagogiques et des psychopédagogues qui ont tranquillement mener leurs billes pour prendre de plus en plus de poids politique et finalement imposer leur vision de pédagogie à l'ensemble du système éducatif actuel. Dans le creuset des facultés des sciences de l'éducation, au MEQ et à travers des appareils influents comme le Conseil Supérieur de l'Éducation, tranquillement ce petit réseau a pu asseoir son pouvoir et mettre de l'avant ses idées et ses intérêts.
Un gros obstacle sur sa route: les enseignants spécialisés et les spécialistes des disciplines traditionnelles. Si les programmes des années 60 et ceux du début des années 80 sont largement écrits sous l'emprise de ces traditions comme le montre Julien Prud'homme, ceux fait dans les années 1990 et 2000 le sont maintenant sous l'emprise complète des psychopédagogues et dans leur perspective: l'éclatement des frontières disciplinaires et l'enseignement des processus d'apprentissage dans le paradigme socio-contructiviste.
C'est dans les années 1990 à la faveur du renouvellement du corps professoral que tous ces changements prendront d'ailleurs forme en dépit des États généraux dont on a détourné le mandat originel de M. Garon qui ne devait que poser des questions à la population sur des lignes générales. Il n'était nullement question à l'époque d'un grand remaniement pédagogique. A la faveur d'un remaniement ministériel, on aurait ainsi profité des circonstances pour transformer le mandat de la commission. La plupart des commissaires, choisis pour leur représentativité de la société, se sont donc trouvé de facto incompétents en cette matière, ce qui a donné tout l'espace à Bisaillon et Inchauspé pour mener le bal. Pour des gens qui ne voulaient pas d'États généraux, on avait adroitement manœuvré pour non seulement poursuivre le plan, mais pour lui donner un semblant de caution populaire. Des commissaires ont témoigné avoir été manipulée. André Caillé: «pour les commissaires qui s'y connaissaient en éducation, la consultation n'a eu d'autre effet [...] que de raffermir certaines convictions de départ». Céline Saint-Pierre: «Cela ne vient pas de nous [...]. Cela ne vient pas des États généraux [...]. Nous n'avons pas établi de compétences attendues, encore moins proposé que l'évaluation porte sur l'acquisition de compétences». (p.131, tiré de Gosselin et Lessard (2007)).
On remarque que dès 1994, on change complètement le cadre de la formation des maîtres pour la rendre plus orientée vers l'enseignement de la pédagogie au détriment de la spécialisation disciplinaire. Dans ce creuset, on formera plein d'enseignants dans la nouvelle pensée qu'on veut donner à l'école: développer des compétences transversales dans une pédagogie de projet. Les facultés de l'éducation avaient manifestement intérêt à profiter de l'occasion pour s'agrandir. "Comme l'indique rétrospectivement Claude Lessard, à l'époque doyen de la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal, «si nous ne changions pas les programmes [de formation des maîtres] dans un court laps de temps, les jeux auraient été faits pour les vingt-cinq prochaines années»" (Julien Prud'homme, 2008 dans Contre la réforme, p.142 qui la tient de la lecture de Tardif. et al. (dir.), Formation des maîtres et contextes sociaux. PUF, 1998, p.115).
En forçant, les nouveaux enseignants du secondaire à devenir des généralistes, on a réussi du coup à affaiblir le rapport de forces des différentes disciplines dans la revendication de leur place à l'école et de leur intégrité disciplinaire dans l'enseignement. Maintenant, les disciplines sont au service de domaines plus généraux (univers social, éducation à la citoyenneté, etc.) et les psychopédagogues ont plus de liberté d'orchestrer l'écriture de l'ensemble des programmes, dans la mesure où toute l'école a été soumise à leurs conceptions.
J'ai compris en lisant ce texte ce matin, comme une révélation, que la nouvelle grammaire a été dans tout cela un moyen fort commode de couper les profs de français issus d'une tradition disciplinaire encore en place de leur savoir disciplinaire et donc de les déstabiliser suffisamment pour ouvrir toute grande, sans trop de contestation, la porte à leurs idées novatrices.
Or, pour enseigner, il faut un minimum de maîtrise de l'objet d'enseignement. Peut-être que tout commence là: en minant nos savoirs, on a affaibli nos assises et depuis nous galérons dans un paradigme dans lequel nous n'avons jamais baigné, qui n'a aucune légitimité si ce n'est que politique. Elle n'a même pas de précédents historiques valables pour se justifier. Elle est le fruit de l'excroissance sans résistance d'une frange de l'éducation, la psychopédagogie qui a profité de sa position centrale pour incorporer et dissoudre les autres acteurs de la scène de l'enseignement. Partout, dans les pays, où ont éclos les sciences de l'éducation, cette tendance s'est affirmée jusqu'aux exagérations que l'on connaît.
Je termine ce petit billet avec la conclusion de Julien Prud'homme qui mérite d'être appréciée : «Et ces individus liés au Ministère, au CSE, aux facultés universitaires, s'ils ne conspirent pas n'en sont pas pour autant des électrons libres (Qui l'est): ils véhiculent du groupe, du réseau auquel ils appartiennent, celui de la psychopédagogie qui ne trouvera sa place au soleil qu'en déracinant l'enseignement de son assise dans le savoir. Politiquement motivé, mis en place par des acteurs politiques usant de moyens politiques , ce projet, et c'est la moindre des choses, est aujourd'hui justement soumisà une critique publique à laquelle ses promoteurs ne devraient pas dédaigner de répondre franchement, comme il est attendu de toute entreprise politique.»
Je repense à la question d'un certain de ces individus sur le blogue du Raeq:« Vraiment, que ceux qui ont enfin trouvé un meilleur plan que celui que l'on s'est donné en 1997-1998, se lèvent et parlent!» Franchement, quand on comprend que ce plan n'est absolument pas issu des États généraux, mais d'un détournement de ceux-ci qui a permis à Bisaillon et Inchauspé de passer les idées de la gang comme dans du beurre, on se demande franchement si l'invite est de bonne foi!
Comme je l'ai dit ailleurs, mon plan est simple: qu'ils battent les pattes sans trop faire d'histoires et maintenant qu'on redonne la place qui convient à la transmission des savoirs dans l'enseignement. Il fallait être franchement prétentieux pour ainsi croire qu'on pouvait balayer la tradition scolaire sans créer d'immenses perturbations dont on est franchement loin de s'être remis. Quel gâchis!
1 commentaire:
C'est une question que je me posais et que je posais souvent à mes profs : « d'où vient cette mainmise de la psychopédagogie dans l'univers de l'enseignement, pourquoi considérons-nous ses concepts plus que nous le faisons des concepts de la socio, de la philo ou de l'histoire?
Comme ceux à qui je posais la question ne connaissaient ni l'un ni l'autre, mais ne maitrisaient que la psychopédagogie, ils ne pouvaient répondre. Je devais faire confiance à quelqu'un qui ne connaissait pas Arendt pour apprendre à appliquer des stratégies d'enseignement.
J'étais proprement scandalisé qu'un ignorant m'évalue...
J'ai enfin compris pourquoi ils voulaient tant qu'on «s'autoanalyse» et que l'on «réfléchisse», c'est la seule partie de notre travail disciplinaire qu'ils pouvaient comprendre.
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