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dimanche 2 mai 2010

Chicanes d'enfants, éducation et autres facettes

Hier, je discutais avec M autour du feu. Une petite bande, des profs du coin, s'est improvisée autour du feu que F a fait dans un tambour de sèche-linge en plein après-midi. Il veut essayer son cadeau: une grille pour tenir des steaks au-dessus d'un feu. Il coupe du pin à la hache en Blanc par le dessus de la bûche. M fait remarquer que les gens d'ici s'y prennent autrement, ils couchent la bûche. On en vient à conclure que c'est franchement moins dangereux pour les doigts!

Autour de nous, des enfants du village sont là, des filles en fait. M a trois appareils photos dans le cou et se plaint des nuages. Il passe régulièrement ses appareils à un enfant en lui suggérant un sujet à poser. C'est la grosse affaire de M ça la photo avec les enfants. Ça fait dix ans qu'il est par ici comme un missionnaire à animer la vie des jeunes avec ses différents talents artistiques et bricoleurs. Il a fait notamment 4 livres de photos avec les jeunes qui ont été publiés. Il m'en a donné un l'autre jour. J'ai aimé l'inventivité riche de leurs photos. Le produit est intéressant à feuilleter. Enfin, j'aime bien regarder des albums du genre à observer le travail et la recherche du photographe qui sélectionne des photos intéressantes.

Mais bon, je fréquente M depuis peu, je ne travaille pas dans la même école.  J'ai été surpris, M traîne une espèce de lassitude avec lui. Il part bientôt d'ici: il a manifestement fait le tour du jardin, il est allé au bout de ses ressources et est à l'heure des bilans. Il est un peu amer. Il a donné beaucoup, il voit peu de résultats et aussi: bien des jeunes qui auraient tout de même mal tournés.

Je l'écoute souvent quand je le croise, je ne sais pas s'il dit tout ça juste à moi! Je pense pas... Peut-être quand même un peu, je suis de la sphère extérieure un peu de l'univers de l'école autochtone pour les jeunes où il y a de bonnes chances que je migre bientôt pour de nouveaux défis. Quand ma conjointe est allée à une des projections de films de M (il en fait avec les jeunes aussi), dès qu'elle a parlé de moi, il s'est mis à lui parler autrement. Enfin, je ne sais pas, je l'avais croisé depuis des mois comme ça au village sans lui adresser la parole. C'est peut-être mes cheveux longs, ma blague de Drums avec mes rouleuses,  ma bagnole. Enfin, des mois à se croiser dans un village sans se parler, comme c'est très possible de le faire ici, finissent par créer des conditions propices à la projection: on imagine ce qu'est l'autre, on s'en fait un personnage. J'ai l'impression qu'il fait de moi un artiste avec peut-être l'espoir d'une relève pour son œuvre ici. Je l'ai recadré l'autre jour un peu. Euh, j'ai de modestes aptitudes en ce domaine et très certainement moins de patience que lui avec les enfants. Mais bon, j'ai été franchement captivé par l'univers qu'il a construit dans cette école. Il y a là de l'équipement audio-visuel de grandes qualités pour faire bien des projets.

On a bavardé comme ça, F a disparu avec ses steaks, les enfants tournant toujours autour jusqu'au moment où ils se sont chicanés. Une petite s'est retrouvée en larme près du feu, les autres fillettes sont parties avec leur chef avec une attitude de défi. M réagit à l'exclusion de la jeune. Il me dit qu'il n'aime pas la chicane. On parle des enfants qui ont pour modèle les rivalités de leurs parents. Moi, je pense à mes jeunes années et à cette réalité quotidienne des tensions entre enfants, de ces chicanes. M demande à la petite si elle est triste, elle hoche un non-oui, comme pour ne pas admettre complètement sa peine. Je me dis que c'est assez temporaire, les enfants se chicanent et, une demi-heure après, ils se retrouvent souvent à partir pour d'autres aventures. Mais M est en train de me parler de ces moments de tension où des bandes d'enfants se réunissent pour faire passer un mauvais quart d'heure à une jeune. Les adultes, les profs, sont souvent autour des enfants, mais ils ne savent pas toujours toutes ces tensions, que les jeunes ramènent de la communauté ou rejouent pour vrai entre eux. Il y a des meneurs comme la petite qui est partie avec les 3 autres. Je pense à cette vie enfantine où certains expérimentent le leadership pas toujours avec de très belles réalisations. Tout de même, ils se développent d'eux-mêmes souvent sans notre aide. Parfois, on peut calmer le jeu. Mais, on ne peut pas vraiment s'interposer trop. Ils ont leur place à découvrir parmi les autres aussi. Et si on ne faisait pas un peu trop de morale avec tout ça.

M continue: on ne voit pas ici les parents jouer avec les enfants (comme lui le fait j'imagine). Ils ne construisent pas de jeux pour enfants. M généralise, moi je vois souvent des parents avec leurs enfants dans le bois et il y a des balançoires sur la réserve faites de troncs d'arbres dans une manière très amérindienne. Enfin, jouer avec les enfants comme une prescription me dérange un peu. La plupart des parents vont jouer à des moments ou un autre avec leurs enfants, mais bon un adulte n'est pas le jouet de ses enfants non plus, ni un enfant. Garder un œil, donner de l'information, nourrir, prendre soin, pousser aussi en bas du nid, voilà la matière.

Je ne l'ai pas dit à M, mais bon, je regarde autrement tout ça. Dans la vie, on peut voir les nuages, les chicanes, le manque de cohérence culturelle ou certaines ignorances, on peut aussi voir une certaine beauté dans tout ça. Je me rends compte au contact de M que je réagis intérieurement au négativisme courant. Je veux toujours contre-argumenter. Proposer l'autre face de la réalité. Mais bon, c'est peut-être ma façon de réagir: s'il était Jovialiste, je serais peut-être en train de montrer les nuances de gris que je vois aussi pour  compléter la vision des choses ou l'enrichir ou simplement pour parler.

Hier, encore, un peu plus tard, parti me perdre avec ma douce sur une plage inconnue, j'étais fasciné de voir que, pendant un temps, elle ne voyait que les déchets qui trainaient et en parlait avec de grands jugements. Ah, ces autres si insouciants... Oui ,oui, certes, certes... Mais la vue est superbe, le sable avec ses rouges de fer est magnifique pourtant et la mer tout aussi majestueuse. Et par rapport à l'autre plage plus près du village aussi riche en tessons de bouteille polis qu'en cailloux, on est ici près de la pureté!

On a parlé de M. Il me semble devoir se donner des raisons de partir, car certes il lui faut partir. S'il avait fait ici finalement une (trop?) longue rencontre et un échange dans lequel il a mis beaucoup de lui-même... Nous venons souvent ici en éducateur montrer le bien agir, le bien créer, le bien qu'on croit. Mais en bout de ligne, l'autre prend bien ce qui lui convient et ça, il faut quelque part l'accepter.

On a marché longtemps, finalement tout était bien sans tout à fait l'être...

1 commentaire:

Le professeur masqué a dit…

Un beau texte. une belle réflexion.