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dimanche 15 décembre 2013

Comment intéresser les jeunes aux apprentissages de classe?




Le premier chapitre du livre de Daniel T. Willingham nous présente un premier principe qui peut s'avérer utile pour l'enseignant dans la préparation de ses cours et dans  l'action pédagogique sur le terrain.


«Par nature, les humains sont curieux, mais ils ne sont pas doués pour la réflexion; à moins que certaines conditions cognitives soient réunies, ils éviteront de réfléchir».

Quelles sont ses conditions?

Nous aimons réfléchir, «mais seulement à condition de rencontrer le succès».

Sans reprendre toute l'explication de ce spécialiste en psychologie cognitive et les multiples exemples (c'est l'intérêt de lire ce livre pour bien s'imprégner de ces connaissances), pour bien comprendre ce premier principe, je vais résumer à ma façon ( en faisant mes liens) son propos.

Nous avons un cerveau qui travaille surtout à interpréter ce qu'il voit et à adapter nos déplacements dans l'environnement. C'est une machine très efficace que nous peinons beaucoup à reproduire sur nos robots. Le résultat est presque toujours réussi, souvent instantané et obtenu sans effort.  Mais dans le domaine de la réflexion, nous sommes lents, limités, approximatifs. En fait, notre cerveau n'est pas fait pour réfléchir, mais surtout pour éviter de le faire. Réfléchir demande du temps, de la concentration (gros efforts), et son résultat est souvent incertain: on se trompe souvent et on ne trouve pas toujours la solution à un problème.

Alors comment faisons-nous pour gérer nos tâches complexes et intellectuelles? «Dès que c'est possible, nous nous reposons sur notre mémoire, car elle nous évite d'avoir à réfléchir».  
 Aussi nous automatisons la plupart des choses que nous faisons. C'est en mémoire. Mentalement, nous gérons ce que nous savons déjà faire la plupart du temps.

Si vous avez voyagé en pays étranger, méditez à l'aspect fatigant de cette activité pour vous imprégner de cette vérité. Sinon, pensez à tout ce que vous pensiez quand vous avez pris vos premières leçons de conduite et à l'évolution de cette activité dans votre vie.

Pourquoi en est-il ainsi?

Parce qu'on réfléchit dans un lieu mental limité que les chercheurs en psychologie cognitive appellent notre mémoire de travail. Les études montrent que nous sommes capables de jongler avec 7 plus ou moins deux éléments à la fois. Au-delà de ce nombre d'éléments, nous sommes débordés.

Bon, évidemment, vous vous dites peut-être: « mais je suis capable de lire des phrases, des bouquins compliqués, de donner un cours, je gère bien plus que 7 plus ou moins deux éléments» et vous avez certainement raison.

En fait, c'est possible grâce à une astuce que nos ordinateurs utilisent, nous avons une mémoire à long terme, une sorte de disque dur dans lequel notre conscience ou mémoire de travail est  efficace à aller chercher des infos utiles pour traiter l'information complexe que nous gérons pour résoudre nos problèmes ou faire ce que nous avons l'habitude de faire sans nous casser la tête. Aussi nous sommes capables de gérer des ensembles de données organisées («chunk»), que nous avons appris, déjà stockés donc en mémoire. C'est ce qui nous permet de lire des phrases sans se prendre le chou. Ainsi, on retient plus une suite de mots présentés dans une phrase compréhensible pour nous que dans un désordre syntaxique sans signification. Évidemment, notre mémoire de travail est aussi en lien avec notre environnement dont elle sélectionne les aspects que nous devons traiter sans nous déborder non plus.

Bref, quand nous lisons ou nous avons des problèmes, nous consultons en permanence notre bibliothèque mentale, sans nous en rendre compte, qui est remplie de connaissances et de techniques ou procédures déjà apprises pour venir à bout de nos tâches ou de nos problèmes.
Bon, on aura compris que l'école doit servir à remplir un peu cette bibliothèque, de ce que la vie normale n'arrive pas à donner simplement. Car évidemment, cette bibliothèque se remplit aussi de façon fort naturelle, on s'en doute par l'expérience des situations de vie que nous traversons.
Pour nous éviter de réfléchir, le cerveau change et emmagasine des informations, des façons de faire, les adaptations que nous réussissons tout au long de notre développement et de notre vie.
«À force de répéter des actions complexes qui demandent de la réflexion, nous n'avons plus besoin de réfléchir. Notre cerveau s'ajuste et s'habitue.» En d'autres mots, on apprend.

Paradoxe

On évite de réfléchir la plupart du temps parce que nous ne sommes pas très efficaces à le faire, mais aussi nous aimons réfléchir, car nous sommes curieux. Nous nous intéressons constamment à plein de petites choses que nous ne connaissons pas. En fait, la vie nous donne des problèmes à résoudre constamment, des petits défis comme de gros par moment, et nous aimons les relever dans certaines conditions: pourvu que nous puissions les résoudre au moyen d'un certain effort juste assez intense. Nous aimons réussir des défis à notre portée.

Si c'est trop compliqué pour nous, la curiosité diminue. J'imagine même qu'il faut aussi voir l'implication suivante: si nos problèmes sont importants et nous dépassent, nous devenons débordés et puis fatigués, enfin déprimés.

En somme, nous cherchons souvent des occasions de faire travailler nos neurones. Nous nous adonnons même à des jeux complètement inutiles pour garder  nos neurones en action. Nous nous intéressons à plein de choses inutiles comme la vie des gens riches et célèbres, des sujets sans rapport avec nos vies ou qui ont des rapports immédiats avec elle. 

Pourquoi?

Il y a des évidences en neurosciences qui montrent que lorsque nous résolvons des problèmes qui demandent un certain effort, nous obtenons une récompense biologique qui est en fait une drogue naturelle: la dopamine.  Bref, on se drogue à réussir des défis ou comprendre des choses qui nous demandent un certain effort en respectant deux conditions, il faut réussir, il faut avoir fait un certain effort (un travail).

Voilà comment comprendre finalement pourquoi des gens aiment se compliquer l'existence ou deviennent des intellectuels, ils se «shootent» à mettre des efforts à réussir des défis intellectuels.
On peut comprendre également que des gens deviennent amorphes et s'ennuient à manquer de défis dans leur vie.

On peut comprendre que le fait de ne pas réussir est frustrant, car en plus de ne pas avoir notre dose biologique espérée, nous avons perdu notre temps.

Bref, nous développons probablement nos intérêts dans des domaines susceptibles de nous donner des doses de dopamine régulières. Là où on relève des défis qui sont réussis ou qu'on espère réussir.
Bon, j'imagine que les mécanismes qui nous poussent à agir ne tournent pas seulement sur la gratification d'une réflexion réussie. Nous répondons à d'autres besoins: manger, dormir, nous sentir en sécurité, le plaisir de bouger, etc.

Mais pour l'éducation, c'est ce mécanisme libidinal qui peut certainement servir de levier.
Bref, «ce qui nous pousse à fournir un effort intellectuel, c'est la promesse de ressentir la satisfaction de la découverte de la réponse», c'est l'estimation que «notre effort intellectuel sera récompensé par la satisfaction que suscite la résolution d'un problème. »

J'avoue qu'en ce moment, j'aime assez méditer à toutes les implications de cette réalité et au comment utiliser ce principe pour bonifier ma pédagogie.

(Résumé personnel et encore incomplet du premier chapitre de
Daniel T. Willingham, Pourquoi les enfants n'aiment pas l'école! La Librairie des écoles (2010))

A Suivre!

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