Le
premier chapitre du livre de Daniel T. Willingham nous présente un premier
principe qui peut s'avérer utile pour l'enseignant dans la préparation de ses
cours et dans l'action pédagogique sur
le terrain.
«Par nature, les humains sont curieux, mais ils ne sont pas
doués pour la réflexion; à moins que certaines conditions cognitives soient réunies,
ils éviteront de réfléchir».
Quelles sont ses conditions?
Nous aimons réfléchir, «mais seulement à condition de
rencontrer le succès».
Sans reprendre toute l'explication de ce spécialiste en
psychologie cognitive et les multiples exemples (c'est l'intérêt de lire ce livre
pour bien s'imprégner de ces connaissances), pour bien comprendre ce premier
principe, je vais résumer à ma façon ( en faisant mes liens) son propos.
Nous avons un cerveau qui travaille surtout à interpréter ce
qu'il voit et à adapter nos déplacements dans l'environnement. C'est une
machine très efficace que nous peinons beaucoup à reproduire sur nos robots. Le
résultat est presque toujours réussi, souvent instantané et obtenu sans effort.
Mais dans le domaine de la réflexion,
nous sommes lents, limités, approximatifs. En fait, notre cerveau n'est pas
fait pour réfléchir, mais surtout pour éviter de le faire. Réfléchir demande du
temps, de la concentration (gros efforts), et son résultat est souvent
incertain: on se trompe souvent et on ne trouve pas toujours la solution à un
problème.
Alors comment faisons-nous pour gérer nos tâches complexes
et intellectuelles? «Dès que c'est possible, nous nous reposons sur notre
mémoire, car elle nous évite d'avoir à réfléchir».
Aussi nous
automatisons la plupart des choses que nous faisons. C'est en mémoire.
Mentalement, nous gérons ce que nous savons déjà faire la plupart du temps.
Si vous avez voyagé en pays étranger, méditez à l'aspect fatigant
de cette activité pour vous imprégner de cette vérité. Sinon, pensez à tout ce
que vous pensiez quand vous avez pris vos premières leçons de conduite et à
l'évolution de cette activité dans votre vie.
Pourquoi en est-il ainsi?
Parce qu'on réfléchit dans un lieu mental limité que les chercheurs
en psychologie cognitive appellent notre mémoire de travail. Les études montrent
que nous sommes capables de jongler avec 7 plus ou moins deux éléments à la
fois. Au-delà de ce nombre d'éléments, nous sommes débordés.
Bon, évidemment, vous vous dites peut-être: « mais je suis
capable de lire des phrases, des bouquins compliqués, de donner un cours, je
gère bien plus que 7 plus ou moins deux éléments» et vous avez certainement
raison.
En fait, c'est possible grâce à une astuce que nos
ordinateurs utilisent, nous avons une mémoire à long terme, une sorte de disque
dur dans lequel notre conscience ou mémoire de travail est efficace à aller chercher des infos utiles
pour traiter l'information complexe que nous gérons pour résoudre nos problèmes
ou faire ce que nous avons l'habitude de faire sans nous casser la tête. Aussi
nous sommes capables de gérer des ensembles de données organisées («chunk»),
que nous avons appris, déjà stockés donc en mémoire. C'est ce qui nous permet
de lire des phrases sans se prendre le chou. Ainsi, on retient plus une suite
de mots présentés dans une phrase compréhensible pour nous que dans un désordre
syntaxique sans signification. Évidemment, notre mémoire de travail est aussi
en lien avec notre environnement dont elle sélectionne les aspects que nous
devons traiter sans nous déborder non plus.
Bref, quand nous lisons ou nous avons des problèmes, nous
consultons en permanence notre bibliothèque mentale, sans nous en rendre compte,
qui est remplie de connaissances et de techniques ou procédures déjà apprises pour
venir à bout de nos tâches ou de nos problèmes.
Bon, on aura compris que l'école doit servir à remplir un
peu cette bibliothèque, de ce que la vie normale n'arrive pas à donner
simplement. Car évidemment, cette bibliothèque se remplit aussi de façon fort
naturelle, on s'en doute par l'expérience des situations de vie que nous
traversons.
Pour nous éviter de réfléchir, le cerveau change et emmagasine
des informations, des façons de faire, les adaptations que nous réussissons
tout au long de notre développement et de notre vie.
«À force de répéter des actions complexes qui demandent de
la réflexion, nous n'avons plus besoin de réfléchir. Notre cerveau s'ajuste et
s'habitue.» En d'autres mots, on apprend.
Paradoxe
On évite de réfléchir la plupart du temps parce que nous ne
sommes pas très efficaces à le faire, mais aussi nous aimons réfléchir, car
nous sommes curieux. Nous nous intéressons constamment à plein de petites
choses que nous ne connaissons pas. En fait, la vie nous donne des problèmes à
résoudre constamment, des petits défis comme de gros par moment, et nous aimons
les relever dans certaines conditions: pourvu que nous puissions les résoudre
au moyen d'un certain effort juste assez intense. Nous aimons réussir des défis
à notre portée.
Si c'est trop compliqué pour nous, la curiosité diminue.
J'imagine même qu'il faut aussi voir l'implication suivante: si nos problèmes
sont importants et nous dépassent, nous devenons débordés et puis fatigués, enfin
déprimés.
En somme, nous cherchons souvent des occasions de faire
travailler nos neurones. Nous nous adonnons même à des jeux complètement inutiles
pour garder nos neurones en action. Nous
nous intéressons à plein de choses inutiles comme la vie des gens riches et
célèbres, des sujets sans rapport avec nos vies ou qui ont des rapports
immédiats avec elle.
Pourquoi?
Il y a des évidences en neurosciences qui montrent que
lorsque nous résolvons des problèmes qui demandent un certain effort, nous
obtenons une récompense biologique qui est en fait une drogue naturelle: la
dopamine. Bref, on se drogue à réussir des
défis ou comprendre des choses qui nous demandent un certain effort en respectant
deux conditions, il faut réussir, il faut avoir fait un certain effort (un
travail).
Voilà comment comprendre finalement pourquoi des gens aiment
se compliquer l'existence ou deviennent des intellectuels, ils se «shootent» à
mettre des efforts à réussir des défis intellectuels.
On peut comprendre également que des gens deviennent
amorphes et s'ennuient à manquer de défis dans leur vie.
On peut comprendre que le fait de ne pas réussir est
frustrant, car en plus de ne pas avoir notre dose biologique espérée, nous
avons perdu notre temps.
Bref, nous développons probablement nos intérêts dans des
domaines susceptibles de nous donner des doses de dopamine régulières. Là où on
relève des défis qui sont réussis ou qu'on espère réussir.
Bon, j'imagine que les mécanismes qui nous poussent à agir
ne tournent pas seulement sur la gratification d'une réflexion réussie. Nous
répondons à d'autres besoins: manger, dormir, nous sentir en sécurité, le
plaisir de bouger, etc.
Mais pour l'éducation, c'est ce mécanisme libidinal qui peut
certainement servir de levier.
Bref, «ce qui nous pousse à fournir un effort intellectuel,
c'est la promesse de ressentir la satisfaction de la découverte de la réponse»,
c'est l'estimation que «notre effort intellectuel sera récompensé par la satisfaction
que suscite la résolution d'un problème. »
J'avoue qu'en ce moment, j'aime assez méditer à toutes les
implications de cette réalité et au comment utiliser ce principe pour bonifier
ma pédagogie.
(Résumé personnel et encore incomplet du premier chapitre de
Daniel T. Willingham,
Pourquoi les enfants n'aiment pas l'école! La Librairie des écoles (2010))
A Suivre!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire