À la question soulevée et rappelée par le Professeur masqué dans un
récent billet, à savoir comment comprendre la réponse navrante de la ministre
de l'Éducation à une pétition soumise à nos gouvernants pour interdire des
pratiques pédagogiques douteuses et pseudo-scientifiques dans le milieu
scolaire, voici un commentaire long qui reprend un peu l'histoire du «saccage»
(je reprends le terme de PM) institutionnalisé de l'école moderne comme
instrument de transmission d'un socle de connaissances et de savoir-faire
essentiels préparant le citoyen à activement intervenir dans le processus
démocratique et la société. Je rejoins le propos du Professeur masqué sur le
fait que le MELS ne peut réprouver des pratiques du genre après avoir imposé une
réforme dont les bases empiriques sont assez «discutables». Je vais un peu plus
loin, ces bases sont même clairement de nos jours invalidées de tout bord par
de multiples experts qui s'appuient sur les avancées certaines de la science documentée*
et pertinente au domaine de l'éducation.
Le MELS ne peut réprouver ces techniques
pseudo-scientifiques non validées pour leur utilité pédagogique, car il a
lui-même imposé, contre un enseignement traditionnel et à travers de multiples
réformes, des méthodes faussement scientifiques. Aucune science digne de ce nom
n'a validé la supériorité de ces nouveautés imposées sur des pratiques
pédagogiques plus traditionnelles qui, en plus, ont été pratiquement proscrites
dans bien des cas. Pour changer les pratiques, on a en plus utilisé de multiples
stratégies comme remodeler constamment, par exemple, le matériel didactique
pour créer un maximum de confusion.
Les études en efficacité de l'enseignement montrent même
depuis 40 ans le contraire de ce qui a été imposé sur le terrain dans un climat
digne d'un sectarisme intransigeant basé sur le seul argumentaire des besoins
de l'avenir et du progrès et sur la dévalorisation systématique et grossière
d'une certaine tradition pédagogique qui évoluait doucement et non par
mouvement révolutionnaire.
Comment est-il encore possible que le MELS ne réagisse pas à
ces évidences très documentées sur l'inefficacité de ces propres prescriptions?
Comment est-il possible qu'il ne s'inquiète pas de mesurer vraiment l'impact de
ce qu'il a mis en œuvre?
Il faut peut-être revoir ce qui a été fait pour comprendre.
On nous a passé certains diktats: l'enseignement dans les
contextes signifiants (ou fonctionnalisme) qui a, par exemple, relégué les «drills»
en maths aux oubliettes et les «gammes» ou les analyses en grammaire; la
nouvelle grammaire formelle et exhaustive des linguistes, qui s'est révélée clairement expérimentale
sur le plan pédagogique, qui a détruit, en créant une inconcevable confusion,
tout espoir de transmettre efficacement au plus grand nombre l'intelligence de
la langue écrite et, enfin, le nouveau paradigme de l'apprentissage qui pose
l'élève au centre de ses apprentissages facilité par un enseignant devenu guide
et animateur: approche par compétence, pédagogie de la découverte et par projet,
intégration des élèves en difficulté en classe ordinaire avec le principe
absurde et prétendument compensatoire de la différenciation pédagogique qui est
ingérable et n'a aucun support empirique sinon que par amalgame avec les
légendes pédagogiques des intelligences multiples de Gardner et les styles
d'apprentissages.
Avec le renouveau, on a assorti cette réforme d'une révision
des programmes qui prônent des approches conceptuelles laborieuses qui doivent
être d'emblée abordées avec les jeunes dans une interdisciplinarité organisée
de façon à faire émerger les hautes compétences transversales nécessaires au
développement des citoyens et travailleurs de demain. Enfin, dernière
intervention en liste, on nous a présenté la précision des programmes avec
l'exercice d'établir une progression des apprentissages cohérente aux
programmes proposés par la réforme et qui persiste à maintenir une approche pourtant
avérée inefficace d'enseignement par les études comparatives comme le donne à
voir de nombreuses méta-analyses et recensions de recherches de bon niveau publiées
depuis une quinzaine d'années. Avec cette nouvelle bible des réformistes, nous
nous trouvons dans l'ère du tout a été
dit et donc inutile d'en discuter et concentrons-nous à enseigner (ce qui
ne peut s'enseigner efficacement). Aussi, apparaissent, en tous cas, dans mon
domaine, des balises d'évaluation plus claires en lecture, par exemple, pour
atteindre des objectifs que l'on constate inaccessibles pour la plupart des
jeunes de ces âges: interpréter l'intentionnalité
et la psychologie des personnages alors qu'on est souvent trop jeune pour le
faire, réagir et justifier sans avoir une base en argumentation, porter un
jugement critique en l'absence d'une culture générale et des domaines
pertinents. Nous sommes toujours à vouloir prétendument faire en priorité
développer les hautes compétences des experts de domaines, dans un passage du
global vers le particulier sans passer par ce qui le permet: un socle de
connaissances bien organisées en mémoire à long terme dans une progression
souple du simple au complexe.
Par une révolution organisée des pratiques pédagogiques, on
a dynamité ainsi ce qui faisait le socle des connaissances générales à faire
intérioriser par les jeunes pour que le citoyen à venir ait en lui une
représentation de départ stable de l'histoire, de la géographie, des sciences, du
fonctionnement des langues et des mathématiques. Des représentations consistantes
sont au fondement des méthodes qui rendent possible l'émergence d'un travail
intellectuel véritable. On ne peut fonder une pensée mature sur une mémoire
défaillante, insuffisamment et inadéquatement nourrie.
Quand on sait qu'on intègre les nouvelles connaissances en
les associant à ce que l'on connait déjà, on comprend toute la puissance
d'établir un socle de connaissances stables de départ pour chaque humain si on
veut lui transmettre les conditions indispensables qui lui permettront de
réfléchir par lui-même un jour et non de rester le pantin ébahi d'une
machinerie visant son consentement ignare.
Mais, les zélateurs
du système ont dépeint le socle comme un
conditionnement de perroquet alors qu'il est pourtant le départ nécessaire de
la pensée qui prend appuie sur la connaissance et peut alors un jour la
questionner. En véritables dynamiteurs de l'organe de transmission des
connaissances de nos sociétés modernes, l'école, ils ont scandé leurs mantras de
novlangues dans les milieux scolaires à la manière des publicitaires ou de
militants communistes, et mitraillé ainsi les pratiques d'acquisition des
connaissances qui s'étaient développées de manières heuristiques dans les
disciplines scolaires.
Je fais depuis longtemps l'hypothèse que le véritable et ultime
conditionnement consiste à empêcher quiconque de s'apercevoir qu'il en est
victime en ne l'outillant pas intellectuellement. On a ainsi vanté l'inutilité de l'acquisition scolaire
des connaissances générales parce que le Web offre maintenant toutes les
connaissances voulues. Or, il est impossible de réfléchir adéquatement un
domaine sans avoir une mémoire très développée par un long travail
d'acquisitions, nous disent les sciences cognitives. Notre mémoire de travail
ne peut alors réfléchir sans rapidement être débordée. En lançant les enfants
dans mille et une activités en saupoudrant abondamment de terminologies savantes
sans une préparation adéquate et sans se soucier de bien favoriser la mise en
mémoire des connaissances, on fabrique l'ignorance à la chaine et le désintérêt
pour les savoirs pertinents pour suivre lucidement et de manière critique la
vie publique de nos sociétés complexes.
Ainsi, en lieu et place de l'acquisition des connaissances,
avec la réforme et l'approche par compétence, on a prôné une théorie pédagogique
des plus fumeuse d'acquisition des hautes compétences de l'expert. Or, aussi
par les sciences cognitives, il est clairement établi que l'expert peut gérer
mentalement des tâches très complexes parce que ses réseaux de connaissances sont
bien développés en mémoire à long terme, ce qui lui permet de traiter
l'information sans être débordée cognitivement et donc d'utiliser des processus
cognitifs et métacognitifs plus élaborés. Mettre les jeunes constamment dans
des activités qui leur demandent de gérer à la façon d'un expert leurs tâches ne
peut donc se révéler être qu'une factice comédie qui les place dans une
situation ingérable propre à encore plus les rebuter face au savoir selon le
constat évident, que les sciences cognitives établissent aussi, que ce qui nous dépasse et nous épuise nous
lasse rapidement.
À observer le développement des sciences véritables et
pertinentes au domaine de l'éducation dans les 3o dernières années, on se
demande franchement comment on a pu en arriver à implanter une pareille
révolution des pratiques sur la foi de prétentions idéologiques et peu fondées
sur une compréhension validée de l'homme qui apprend. Quand on observe que ces
changements semblent partout présents dans les pays de l'OCDE et que des
organismes internationaux du même genre (des «think tanks» de la droite et des
fondations dites philanthropiques largement financées par les fortunes de ce
monde) en font la promotion, on se demande franchement si tout cela n'est pas
l'expression finalement d'une science effective de manipulation des masses pour
faire en sorte que l'éducation devienne une entreprise illusoire qui a
l'apparence d'en faire sans jamais en atteindre ses finalités légitimes.
Une fois cette hypothèse posée, on peut concevoir qu'il est
trivial de laisser aux intervenants faire les incantations pseudo-scientifiques
qu'ils veulent avec les jeunes parce qu'ils sont pris dans un système qui ne
veut pas donner à ces exécutants les outils effectifs de sa mission, qui même
s'acharne à contrecarrer un enseignement efficace pourtant documenté sur la
base d'études empiriques toujours plus nombreuses et convaincantes.
* Pour une clairvoyance des processus cognitifs pertinents
au domaine de l'apprentissage et des limites qu'elles établissent pour
l'enseignement aux jeunes, je ne saurais encore trop recommander la lecture du
livre de Daniel T.Willingham, Pourquoi les enfants n'aiment pas l'école!
Librairie des Écoles (2010) qui complémente celle des Légendes pédagogiques de Normand
Baillargeon.
Jonathan Livingston
2 commentaires:
On appelle cela la fuite en avant.
Le MELS a aussi mis dans une situation d'inconfort (je n'écrirai pas d'incompétence) des profs de français en allant de l'avant avec une réforme de la grammaire sans leur fournir une formation adéquate. De même avec la fusion des cours de géographie et d'histoire où des profs de géo ont dû apprendre à enseigner une matière qu'ils ne connaissaient pas et pour laquelle parfois ils n'avaient aucun intérêt.
Il y a surement de cela, un manque de formation. Mais honnêtement, après 15 ans et avoir passé dans bien des milieux, ma formation s'est finalement faite sur la manière dont on voudrait nous faire enseigner la grammaire. Je pense que de nombreux enseignants maintiennent d'anciennes pratiques et en incorporent de nouvelles quand elle payent pédagogiquement. L'apport payant de la grammaire renouvelée, par exemple, n'est pas encore établi aux dernières nouvelles. Également, on a eu plus que l'occasion, si l'on s'est donné la peine de la tester, de s'en rendre compte. J'explique pourquoi dans ma réflexion sur le sujet que je mets en ligne ce matin.
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