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samedi 19 avril 2014

Du droit de chialer

Droit de vote, liberté d'expression et pourquoi voter ne change pas grand chose de toute façon.

Aux dernières élections, j'ai été intrigué par cette étrange association que les médias ont bien souligné à coup d'échos populaires. On voyait des gens répéter en écho, quand tu votes, tu as le droit de chialer, et si tu ne votes pas, tu n'as pas le droit de chialer: «Je vais voter pour avoir le droit de chialer!»

Ça sentait l'endoctrinement stupide et irréfléchi qu'on peut avoir quand on ne s'arrête pas 5 secondes à penser à ce qu'on dit.  En effet, voter à une élection et exprimer son point de vue citoyen sont deux actes indépendants qui réfèrent à deux principes: le droit de vote en démocratie et à la liberté d'expression en démocratie. Il y avait tout sorte de très bonnes raisons de ne pas voter aux dernières élections.

Ce qui est plus étonnant, c'est de voir l'effet de persistance de cette idée, je lisais Patrick Lagacé qui s'indigne sur son blogue de l'affaire du cabinet de la ministre Nathalie Normandeau. Dans le fil des commentaires encore cette idée d'ânes bien gavés qui répètent que Patrick devrait se la fermer, car il n'a pas voté. 

Mais bon, ce qui est encore plus insidieux dans l'affaire, c'est de nous préparer à voir l'avenir de manière fataliste où notre seul rôle sera de chialer. Et en fait, de nous l'enlever si on ne vote pas. Alors que, il me semble, on devrait chialer lorsque les conditions de vie sont à ce point insupportables ou inacceptables qu'il faille bien communiquer que quelque chose doit changer.

Mais bon, comme je disais à un collègue,  je suis allé surtout voter contre la corruption avérée, systématique, du parti libéral que pour un parti en particulier. Pour le reste, c'est plutôt Blanc Bonnet et Bonnet Blanc. La marge de manoeuvre pour transformer nos sociétés et ce qui ne va plus est assez limitée et depuis longtemps. De toute façon, les partisans du statu quo bourrés de frics s'attèlent sans relâche à maintenir l'état des choses. 

Tant qu'on n'aura pas trouvé la façon de régler quelques contradictions de société, on va se mordre la queue encore longtemps.

1-Tant qu'on n'aura pas trouvé moyen de lier un peu plus les grandes entreprises aux collectivités qui leur ont permis de croitre, tant que les moyens de productions et les organisations créatrices de richesses resteront des électrons libres au service des investisseurs, je ne vois pas comment on pourra maintenir des acquis d'avant les facilités de communications et de transports modernes qui permettent la mondialisation. Tant que des Bombardier vont finalement produire dans d'autres pays, je ne vois pas comment on peut s'en sortir.

On a vécu dans l'illumination aveuglante du crédit qui a pelleté ce problème par en avant pendant pas loin de 20 ans, qui a rattrapé le monde il y a quelques années. Je ne sais pas ce qu'on va trouver comme rechange à la désindustrialisation  des pays industrialisés. Bref, nous vivons dans une anémie croissante.

2- De plus en plus, tout ce que font les hommes peut être fait par des machines. Notre moyen légitime et humain de faire sens dans la collectivité en travaillant, en faisant sa part, qui est aussi le moyen d'avoir sa part de gâteau pour vivre, ses moyens de subsistance, est donc de plus en plus partout remis en question par cette réalité toujours grandissante. On parle même que des professions assez complexes comme la mienne, celle d'enseignant, sera bientôt menacé par les technologies. On la répartira comment ensuite la richesse?  Comment l'humain à venir donnera-t-il son sens d'humain qui contribue à sa communauté? C'est évidemment déjà une question très actuelle pour beaucoup de nos concitoyens.

3- Dans ce contexte, je ne vois pas non plus comment on pourra maintenir une invention récente de l'histoire, celle de collectivement donner des années d'aisance financière à nos ainés. Ces masses d'argent devenus pompes à richesse en compétition avec le labeur des jeunes parce que ces immenses fonds qui permettent cette réalité sont maintenant du côté des investisseurs capitalistes. En plus, ces fonds se cassent de plus en plus la gueule dans un monde financier incertains qui a fait tous les excès concevables pour permettre à des requins de mettre la main sur le fric des autres. Qui va payer ces retraites, dorées ou non, le travailleur ou la machine qui lui prend son job et son sens? Celui qui travaillent toujours et à qui déjà on dégrève pas loin de la moitié de son salaire en plus de payer 15% de taxe pour le moment sur les produits qu'ils consomment.

4- On pourrait ajouter quelques problèmes insolubles en sus: comment maintenir les écosystèmes en santé pour l'avenir? Comment gérer les flots d'immigrations de tout le chaos planétaire engendrés par les électrons libres en exploitation avec vision à cours terme de profit et le manque de moyen d'organiser des structures de survie collective viable un peu partout sur la planète? Comment maintenir la cohésion des sociétés dans cette «babélisation» des collectivités qui se perdent dans des débats insolubles comme cette difficulté d'accepter l'étalage de  sa croyance religieuse dans un pays qui a fait le choix collectif de se laïciser, qui a rejeté le joug de la religion.

Enfin, je ne nous vois pas souvent envisager ces problèmes de taille vers des visions de résolutions viables. Et malgré tout ça, pour beaucoup, nous sommes encore dans un pays où il semble faire bon vivre. Par exemple, je remplace un collègue qui est parti s'occuper de son nouveau fils pendant un an avec son congé parental payé par les cotisations collectives. Je ne peux que constater dans mon environnement une certaine insouciance qui fait que nous avons de nos jours murs à murs nos petits et divertissants objets gadgets qui se reflètent partout dans nos médias pour nous divertir de tout ce qui ne va pas. 

Au fond, même si j'ai voté, je n'ai pas trop de droit de chialer en comparaison d'une population toujours grandissante de gens qui sont exclus de la possibilité de participer et d'obtenir des revenus décents. J'ai cependant pas mal de raisons de m'inquiéter d'un avenir qui ne pourra maintenir sans qu'on s'attaque sérieusement à ces contradictions de système.  

Bon, je m'en sors peut-être aussi parce que je maintiens comme beaucoup de mes ancêtres un mouvement dans ma vie, ce qui semble s'oublier chez plusieurs de mes contemporains avec le modèle du citoyen immobilier: il a souvent fallu bouger pour aller trouver où l'on pouvait se rendre utile. Mais cette voie sera possible pour encore combien de temps?

Enfin, il semble qu'on voulait vraiment chialer en allant voter pour les Libéraux!

Et ben qu'on chiale!

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