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lundi 12 avril 2010

Courroies de transmission de l'information. De l'autonomie superficielle et autres esprits de gadgets

La vision Summerhill de l'apprentissage est un mythe prégnant dans nos sociétés modernes qui ont du mal à accepter de jouer leur rôle de parents structurants. Effectivement, une école sans une claire vision de sa mission de transmission de connaissances structurantes, qui mise sur une sorte de régulation naturelle des apprentissages, procède de la pensée magique. Toute la recherche sérieuse en éducation tend à démontrer l'inefficacité de ces méthodes nouvelles dans le contexte de la classe nombreuse et hétérogène de nos écoles modernes.

Pourquoi perpétuer ce mythe?

Dissoudre l'opposition et les modèles

D'abord, ne pas structurer l'humain peut avoir l'intérêt pour le pouvoir de dissoudre les consistantes oppositions à l'arbitraire de ces décisions. Ainsi, on semble maintenir dans les populations une sorte de fiction d'autonomie par un discours affirmant que l'homme doit apprendre de façon autodidacte tout en ne lui donnant pas des bases solides pour permettre justement l'émergence de l'autonomie dans la capacité de comprendre sa réalité. Pour déstructurer l'humain, quoi de mieux que de dissoudre les modèles. On a retiré la structure des manuels, la rigueur dans les méthodes et on a vendu l'apparence trompeuse des effets de graphismes et le mythe de l'inventeur en l'enfant. On a imposé ensuite aux enseignants d'être des animateurs, des vendeurs d'illusions éducatives, d'adroits manipulateurs de la représentation collective.

Fabriquer l'homme-courroie de transmission instantanée

Aussi, l'absence de rigueur et de méthodes stables dans la transmission  de l'héritage de l'expérience humaine donnent peu de confiance en soi quand il s'agit de se représenter la dynamique du réel et de tenter d'en comprendre les enjeux. On fabrique donc de bons consommateurs sans discernement, de bons vendeurs habiles dans la présentation, des êtres piégés par un management moderne sirupeux qui embrouille la capacité de pensée. On nous entre dans l'esprit d'associés, d'intégrés à la machine sans pouvoir de s'en distancer. On veut nous maintenir dans la musique d'ambiance et le clip d'une vie surexcitante. La pause rêvée devient l'ambiance perpétuelle, épuisante et sans pause. A la rigueur silencieuse et au travail soigné, on oppose la distraction et le multi-tâche illusoires. Ce qui se dessine à travers l'arrivée récente de la mode Twitters, c'est l'homme courroie de transmission dans la toile de l'information où la grande manipulation du théâtre collectif aura le beau jeu.

Loin de construire des citoyens aptes à débattre des grands enjeux, nous fabriquons des jeunes amenés tôt à être manipulés pour faire des projets qui devraient faire du sens, celui qu'on induit de l'extérieur en donnant l'illusion d'un intérêt socio-construit. On prépare les jeunes à être à l'affut des vagues de« twitters» qui deviendront les courants de pensées gérées par des compagnies régulatrices de la pensée humaine.

Faire des acteurs brillants et bien dociles

Très tôt, les jeunes sont amenés à accepter la décision d'équipe, à se croire libre, à maintenir l'esprit de jeu qui garde enfant, sans développer le regard neutre, le regard extérieur, sans pouvoir se retirer du bruit ambiant pour comprendre par lui-même. En maintenant des climats de classe déstructurés, sans ordre, plein de spectacles et de vécus, jamais on ne permet la construction de la réflexion et de la concentration nécessaire aux apprentissages qui structureraient l'indépendance d'esprit. D'ailleurs, l'objet de l'école n'est plus ce genre d'apprentissage, mais ceux de la collaboration bruyante à des activités convenues, de bons tons, manipulés par l'art de l'adulte à orienter l'activité du groupe. Nous sommes tous touchés par des enfants qui se comportent comme des adultes comme ces gros bébés acrobates en patins à roulettes dans une pub actuelle. Mais ne nous laissons pas berner, c'est clairement une manipulation: un projet adulte sur celui d'enfants.

Mais si on empêche l'enfant d'apprendre à comprendre le monde dans lequel il réalise des tâches spectaculaires comme un bon acteur de théâtre objet d'un metteur en scène adroit, je me demande franchement s'il est porteur d'espoir autant que la publicité veut nous le faire croire. Les enfants aiment incarner les bonnes valeurs et avoir raison devant les adultes, même si cette raison leur demeure inaccessible. Le discours moraliste qu'on insuffle aux enfants est d'une rigidité sans recul.

Acteur et marionnette

Retirez-leur leur animateur simplificateur et ils se retrouvent tout aussi sans merci devant la complexité de la vie. En fait, on prépare l'autonomie active illusoire de répercuter l'information dans des réseaux d'appartenance, mais pas du tout l'autonomie de confronter à cette information un esprit critique s'appuyant sur des modèles de compréhension disciplinaires reconnus valables dans l'histoire humaine. Le seul esprit critique qu'on développera consistera à distinguer la pensée déviante des modes actuels et à ridiculiser ce qui, dans un monde perpétuellement moderne, deviendra l'obsolète à oublier.

Plus efficace que Big Brother

On prépare donc l'enfant à devenir l'adulte acteur et courroie de transmission des idées-forces du monde pour une grande manipulation encore plus efficace que la société-spectacle de l'écran de Big Brother. Au moins devant l'écran, on pouvait encore se voir autre et questionner le message. Bombardé d'informations sommaires spectaculaires qu'on participe à diffuser, l'homme de demain s'enorgueillira de son rôle actif dans les grandes émotions planétaires. Sans bagage pour réfléchir l'action à laquelle il prend part, il deviendra la marionnette rêvée des grandes utopies.

Pour le meilleur de la Story of stoff et ses recyclages

L'ignorance devient ainsi la liberté et le pouvoir suprêmes de faire tourner the story of stoff. Curieusement, la société de consommation a quelques contradictions avec l'esprit de la conservation de l'environnement, mais on la gomme en n'expliquant plus soigneusement l'écologie et ses concepts et en faisant positionner des jeunes sans recul de vie face à une consommation dite verte dont on a souvent l'impression qu'elle est une autre de ces grandes récupérations par les intérêts capitalistes des oppositions critiques.On fait de la science des instruments de tests de qualités de différentes marques de gommes même si la saveur qui perdurent 3 heures dans la bouche développe de l'accoutumance et fidélise le consommateur (lu cette expérience dans Les sciences solubles dans le Renouveau pédagogique de Mathieu-Robert Sauvé dans Par-delà l’école-machine, p.41, l'interprétation sceptique est de moi). Finalement, il n'y aura plus que des sciences de la consommation.

Découvreurs de l'information hot et de gadgets-nouveaux modes de vie


Enfin, l'esprit de découverte a certains avantages pour modeler l'attrait des gadgets inutiles à modes d'emploi renouvelés dont l'exploration devient l'habitude no 1 de l'homo consommatus pour se motiver à vivre. Combien déjà, l'homme est friand de la nouvelle «bébelle» qui rendra son quotidien plus stimulant.   La réalité virtuelle est un marché dans ce nouveau siècle. On s'en convainc à lire ici le gazouillis autour des développeurs Twitters, on comprend que tout cela est aussi une grosse affaire de sous. Quand l'école veut entériner des modes si jeunes sans vraiment connaître la pertinence de ces joujoux encore pour sa mission structurante, je pense qu'elle enfreint certaine obligation de réserve et se mouille dans un drôle de conflit d'intérêts avec une fabrication intéressée et moderne de l'humanité tout à fait discutable.

Je suis frappé souvent par le côté «gadgo» des conseillers TIC et de nombreux enseignants. Les gadgos se laissent structurer par les modes de gadgets sans poser de question explorant ce que la technologie leur permet de faire sans se rendre compte qu'ils tournent en rond avec leur souris! D'ailleurs, quand on gratte, ces pré-retraités pénards ne sont la plupart du temps que les courroies de transmission de l'idéologie d'éducation souvent à l'encontre de leur propre expérience de terrain et de leurs propres croyances.

Questions à se poser

Faut-il former l'humain à devenir l'objet manipulable de ces intérêts financiers et à accepter le jeu de ces puissances qui ont développé l'attractivité pour les joujoux de rêve qui conditionnent l'homme de demain? La manière de vivre qu'incite à développer l'utilisation des innombrables gadgets programmés d'avance par une industrie de plus en plus puissante n'est-elle pas discutable à bien des points de vue? Faut-il laisser la structuration scolaire traditionnellement tournée vers la transmission des savoirs disciplinaires se dissoudre dans la structuration de l'homo electronicus?

Il y a là des questions fondamentales, à mon sens , à considérer. Les outils deviennent des éléments qui structurent et conditionnent des modes de vie maintenant, on en vient presque à perdre de vue qu'on a développé des outils pour pouvoir faire des activités utiles, maintenant on développe des outils qui nous font découvrir ce qu'on pourrait en faire sans même savoir si ces activités sont ce que nous voulons vraiment faire, sans connaître leur potentiel bénéfique ou nuisible.

Pour ma part, développer l'autonomie de l'homme, c'est beaucoup éveiller sa méfiance contre les sorcelleries de toute sorte. La richesse d'une société se mesure par l'étendue et la complémentarité de ses ressources humaines, pas par sa faculté de «cloner» un même mode de pensée et d'agir.

1 commentaire:

Françoise Appy a dit…

Les "nouvelles" méthodes pédagogiques (je prends l’habitude de mettre des guillemets, car elles relèvent aujourd’hui du passé) étaient supposées développer l’esprit critique afin de construire un citoyen éclairé et libre. Balivernes, elles ont formaté les esprits des élèves en leur disant que penser et en se gardant bien de leur fournir les outils pour penser tout seuls. Le tout sous un vernis humaniste dégoulinant de bonnes intentions.

Car l’esprit critique, celui qui donne sa liberté au citoyen, ne s’acquiert pas sur du vide. Pour construire un raisonnement, il faut avoir intégré un certain nombre de procédés mais aussi de matériaux. Prétendre enseigner l’esprit critique sans fournir les connaissances nécessaires s’appelle du bourrage de crâne et n’a rien à envier au “parler” des perroquets. Mais hélas cela échappe totalement eux défenseurs des pédagogies "nouvelles", qui adorent opposer tête bien faite et tête bien pleine, préférant se rassurer dans leur vision binaire et étriquée des choses. Mais non, la vérité est ailleurs: une tête bien faite est une tête bien pleine.

Cordialement,