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mercredi 28 avril 2010

T'es pas de ma gang... De l'intégration vu comme un trouble envahissant du développement

Dans les journaux, on y revient ces jours-ci. La politique d'intégration des élèves EHDAA en classe ordinaire est loin d'être un petit détail dans la donne du «bordel» qui anime le réseau scolaire.

On commence à se mobiliser, on dirait, pour faire un portrait de la situation et ce qu'on trouve est à peine concevable. La classe Méli-Mélo est une aberration. Lisez attentivement cet article.  Vous avez vu ces descriptions de classes multi-niveaux de 6e et de secondaire 3. Quelle folie! J'ai claqué la porte de l'éducation pour 3 ans après avoir eu une classe de ce genre, impossible à gérer, complètement inefficace avec un conseiller pédagogique (lire ce petit article) qui veut te faire prendre des vessies pour des lanternes et une direction qui s'en lave les mains. Quand tu te rebiffes, on te parle de t'aider professionnellement, comme si ces gens savaient franchement te trouver des ressources pour t'aider. Mais c'est de la frime, ils n'en savent rien, ils ne connaissent rien à rien. Je supporte très mal la stupidité.

On apprend aussi qu'il ne reste que des classes spéciales pour 120 élèves sur 10 000 dans cette CS. Que 120! Au début des années 90, on calculait encore une norme d'environ 15% d'élèves en difficulté et on développait donc des services adaptés pour au moins 1500 enfants. Double enveloppe par élève pour des classes à ratio prof/élève deux fois plus bas. Au secondaire, cela faisait des groupes d'au maximum 15 élèves pour un prof. Avec un bon nombre de classes spéciales, on peut aussi faire des regroupements stratégiques d'élèves. Les gens qui y travaillaient avaient une formation en adaptation scolaire. C'était une autre époque. Pas parfaite, plus coûteuse certes, mais on allait quelque part. Ce quelque part, je l'ai vu en plus dans une école spéciale. Là, on avait trouvé une équipe multidisciplinaire, des profs du régulier avec des profs d'adaptation scolaire, avec des spécialistes qui se parlaient et trouvaient un modèle de réussite pour une clientèle ciblée. Ça fait 15 ans qu'on rame en arrière dans le domaine des difficultés d'apprentissage, qu'on balaie sous le tapis le problème avec des idées de gogologues qui n'y connaissent rien.

On a beau dire que les parents ne sont pas assez présents, que les enfants ne sont plus ce qu'ils étaient, ici, on est évidemment, complètement, sans conteste dans une difficulté dont le système scolaire, pas la société, le système scolaire, ses décideurs et leurs sous-fifres et leurs conseillers incompétents sont responsables. C'est l'organisation fonctionnelle de l'école qui est déficiente.

La difficulté d'apprentissage et les retards dans des classes à 32 élèves...

Touche-à-tout, j'en connais un rayon sur les difficultés d'apprentissage. Intervenir avec un jeune en difficulté demande pas mal de temps, pas des petites interventions de 30 secondes à 1 minute 30 secondes comme on peut le faire dans le cadre d'une classe à 30.

Un jeune, qui se répète sans arrêt qu'il est nul,  a besoin  qu'on lui redonne confiance, qu'on développe avec lui des stratégies pour contrôler sa tâche d'apprentissage. On doit aussi développer une relation assez significative pour arriver à jouer un rôle de quasi-thérapeute qui consiste à déminer ce dialogue intérieur noir qui empêche toute progression du jeune. Même dans une classe à 15 dans une école spéciale conçue pour favoriser au max le développement de relations permettant le recherche de moyens individualisés pour dépasser la difficulté, cette intervention demandait des enseignants une grande énergie, beaucoup d'implication. Pour mobiliser les élèves à faire des efforts pour surmonter leurs difficultés, on doit sans relâche motiver les troupes, être présent à ce qu'ils font, les accompagner dans cet inconnu terrifiant pour lever avec eux les obstacles, défaire les peurs une à une. Avec le temps, ces jeunes développent des compétences et deviendront plus autonomes. Mais au départ, ils ont besoin de notre support, de notre créativité, de notre accompagnement perspicace dans les errances de leur difficulté. Évidemment, avec l'expérience des difficultés d'apprentissage et un contexte favorable pour les travailler, on devient plus aguerri pour faire ce genre d'accompagnement. On a exploré justement avec beaucoup d'élèves ce qui crée les blocages et on sait les anticiper. On trouve aussi des formules ou moyens pour favoriser la mise en place des apprentissages dans la tête du jeune lors de passages délicats. Voilà ce que peut la spécialisation qui requiert un regard polyvalent avec un esprit de recherche.

Un exemple

Ça a l'air abstrait comme ça, mais voici un exemple. Je travaille avec une adulte qui raccroche.  J'ai un espace exceptionnel pour prendre le temps de travailler les difficultés. Son discours intérieur la condamne en math où elle a toujours eu des difficultés. Pourtant, elle a des forces, ses tables  et le calcul mental sont assez solides par exemple. Bref, on travaille les opérations dans Z, avec des nombres négatifs. Il m'a fallu plusieurs interventions pour arriver à développer avec elle un moyen de lui permettre de gérer cette entrée dans le monde des additions avec des nombres négatifs qui vient un peu révolutionner les lois auxquelles elle était habituée d'obéir. Effectivement, il arrive qu'on doivent faire une soustraction quand on a une addition de deux nombres à faire et ça s'est assez déroutant. On doit apprendre à distinguer deux situations assez abstraites, une où les signes sont pareils (-4 + -9) et où on doit additionner et, l'autre, où les signes sont différents (-9 +5) et  où l'on doit soustraire et donner à la réponse le signe du plus gros des deux. Les petits dessins, la compréhension, les métaphores de dette, de creusages-remplissages de trous, les arbres de décision schématiques, tout y a passé. Elle n'arrivait pas à fixer de façon stable en elle le procédé, ce qui alimentait son discours intérieur négatif (quel hasard!). Jusqu'à cette trouvaille: une métaphore de combat. Quand on est de la même gang, on se met ensemble (addition), quand on est de la gang des négatifs et de la gangs des positifs, on ne peut pas se sentir, on fait combat, on perd des plumes, on soustrait, le plus fort l'emporte. Je venais de trouver avec elle ce qui culturellement faisait un pont de compréhension avec cette difficulté en math.

Même gang, pas de la même gang. Maintenant elle reconnait les situations avec l'idée du combat entre gangs différentes qui a une réalité dans sa vie, elle peut entrer en relation avec cet univers abstrait, la fixer en elle et stabiliser sa performance, la maîtriser.

Pour trouver l'évidence, ça prend souvent du temps

On ne peut pas arriver à trouver ce genre de «trucs» ou de ponts d'apprentissage sans un certain suivi, une certaine connaissance du sujet, sans gérer en plus le discours intérieur dévalorisant de l'apprenant en difficulté. Il faut aussi savoir ce qu'on fait là avec cette élève: on cherche une représentation adéquate, adaptée, qui parle pour se représenter plus concrètement l'abstrait de la mathématique. Et comme un chercheur qui cherche une représentation de la réalité qu'il étudie, on sait qu'on va devoir passer du temps à réfléchir à ce problème, à chercher des solutions, à tenter des solutions par essais et erreurs,  à examiner attentivement  la nature des erreurs, à dialoguer avec l'apprenant pour tenter de comprendre ce qui est perçu par lui de la situation. Bref, il faut mettre son cerveau  de pédagogue en stress de trouver. Et arrive un moment: la magie de la créativité va donner une clé adaptée.

Psychologie de groupe 101

Qu'on puisse arriver à quelque chose dans une classe de 32 avec 4-5 clientèles différentes tient de l'utopie la plus stupide. Un prof, ça ne peut pas se séparer en 3 ou 4 ou 5 personnes. Et même si c'était possible, trop de sous-groupes aux buts différents dans un groupe ne peuvent pas cohabiter sereinement comme ça. Nos gogologues férus de connaissances psychopédagogiques oublient juste un petit détail de la psychologie de groupe. Pour faire un groupe efficace, il faut avoir un but convergeant, autrement l'association d'individus n'a aucun sens et le chaos s'installe. On crée justement des gangs différentes qui combattent et où, au final, on soustrait, on annule l'effet groupe. On essaie d'ailleurs, avec la réforme, de faire collaborer de force des gens. Il faut comprendre que la collaboration, ce n'est pas un élan naturel, mais ce qui s'impose d'une nécessité adaptative réelle ou perçue comme tel. Il y a des limites aussi à faire travailler ensemble des gens. Il y a des conditions à respecter minimales pour que la dynamique de groupe fonctionne.

Bref, en laissant entrer dans une classe ordinaire n'importe quel cas en ne changeant rien des conditions de base comme un nombre d'élèves et un certain souci de gérer l'hétérogénéité des groupes, on a créé littéralement l'équivalent d'un  TED ou trouble envahissant du développement à l'échelle de la classe caractérisé par une difficulté marquée, voire une incapacité de s'adapter. D'ailleurs, la prolifération de ce trouble n'est-il pas symptomatique d'un monde qui respecte de moins en moins les frontières et limites naturelles des humains, la psychologie élémentaire du fonctionnement en groupe des humains? Le public dans l'intime, l'intime dans le public, voilà notre monde de facebook, de twitts dans le vent, de blogues pleurnichards, de films pris par des cellulaires, la folie de l'exposition aux autres et du vol violent de l'intimité de l'autre pour l'exposer à la face du monde. Dans un monde obsédé par une capacité sans limite de s'adapter et du paraître sans défaut, le TED détonne et nous rappelle par son opposé le nécessaire équilibre vital qui caractérise la vie, la nécessité des coulisses, de la préparation, de la formation de base. Trop de pressions adaptatives créent du sur-stress improductif, voire destructeur. Dans ce monde si ordinairement normatif, comment travailler le défaut devant les autres? Comment dépasser ses difficultés en ouvrant son jeu pour permettre l'aide de l'autre accompagnant avec une bienveillance? Il est si facile de voir la colère et la honte qu'on peut éprouver de ne pas correspondre aux standards normatifs de la société envahissante.

Quand on comprend un tant soit peu la psychologie  de l'élève en difficulté, il est franchement incroyable encore qu'aujourd'hui on croit que la classe ordinaire ait quelque vertu que ce soit pour aider les élèves en difficulté et ne pas nuire en plus à l'élève qui a un parcours plus normal.

Enfin, si, quelque part, dans nos lois, l'école a le mandat d'offrir aux jeunes des services adaptés à leur condition, il est clair, évident, nette et précis que le réseau est en faute. Il est grandement temps d'y voir.

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