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vendredi 2 avril 2010

Méthodes d'enseignement à revaloriser: l'enseignement explicite et réciproque pour les élèves en difficulté au primaire

Hier, j'ai lu une étude intéressante publiée en mars 2010. L'équipe de Bissonnette, Richard, Clermont et Bouchard ne lâche pas le morceau: Quelles sont les stratégies d’enseignement efficaces favorisant les apprentissages fondamentaux auprès des élèves en difficulté de niveau élémentaire? Résultats d’une méga-analyse

N.B. Pour ceux qui n'ont pas l'habitude de lire des études qui sont parfois très longues, déjà lire le résumé et la conclusion nous donne pas mal d'informations. Ensuite, on peut revenir consulter certaines parties du document pour voir comment on est arrivé à ces conclusions.


En voici le résumé:

Cette recension des écrits a pour objectif d’identifier les stratégies d’enseignement favorisant l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et des mathématiques auprès des élèves en difficulté de niveau élémentaire. Pour ce faire, nous avons analysé les résultats provenant de onze méta-analyses publiées à ce sujet au cours des 10 dernières années. Les résultats de cette méga-analyse révèlent que deux modalités pédagogiques montrent une influence élevée sur le rendement des élèves : 1. l’enseignement explicite, 2. l’enseignement réciproque. Paradoxalement, plusieurs réformes éducatives semblent privilégier des approches pédagogiques inspirées du constructivisme qui s’éloignent des stratégies d’enseignement identifiées dans cette synthèse de recherches.
La méga-analyse: technique quantitative de synthèse des résultats de multiples recherches
 
Une méga-analyse est en quelque sorte une synthèse de méta-analyses qui sont, elles-mêmes des synthèses de plusieurs recherches sur l'effet d'interventions. On pratique ce genre de synthèses de résultats aussi dans les sciences médicales pour dépasser la simple revue de littérature qui se contentait de répertorier l'histoire des recherches. Avec des outils statistiques simples, dans ces synthèses d'analyses, on arrive à  faire ressortir des effets d'ampleur d'une manière quantitative (chiffrée, ce qui permet des comparaisons claires) de l'influence de l'intervention ici éducative ou de comparer plusieurs interventions de natures différentes. Sans être sans faille, ces analyses pointent notre attention sur des méthodes qui semblent se démarquer pour leur efficacité. Ce qu'il y a d'intéressant aussi, c'est que ces analyses portent que sur des études avec un cadre expérimental, c'est-à-dire avec des groupes contrôles et expérimentaux qui dépassent donc bien de simples études descriptives. Aussi, de nos jours, on peut suggérer à l'enseignant des stratégies qui ont été validées comme ayant une certaine efficacité pour l'enseignement. Ainsi, la recherche nous dit que d'avoir recours au questionnement fréquent de l'élève en apprentissage  permet d'augmenter l'efficacité de son enseignement.





L'enseignement explicite se démarque toujours des pédagogies de la découverte ou de projets
 
En gros, on note dans cette étude que l'enseignement structuré et directif comme l'enseignement explicite pour les élèves en difficulté d'apprentissage a un effet supérieur sur la réussite des apprentissages. Enfin, couplé à de l'enseignement réciproque, dont on parlait en formation des maîtres encore dans les années 90 (en parle-t-on encore?), ce type d'enseignement favorise aussi grandement la réussite de ces jeunes.«L’enseignement réciproque est une forme de travail en équipe qui diffère grandement des approches pédagogiques de type « apprentissage coopératif actuellement offertes dans le milieu scolaire francophone (Howden et Martin, 1997), par son niveau de structure plus élevé et son recours à la dyade.»


Pistes de compréhension des égarements de la réforme

 
Enfin, j'ai trouvé dans la conclusion de ce rapport de recherche cette explication peut-être éclairante et à méditer sur les égarements de la pédagogie de projets. Elle est tirée d'une étude exploratoire de Morin, Grenon Ratté (2002), de l’Université de Sherbrooke:

Les enseignants semblent accorder très peu d’importance aux savoirs, savoir-faire et stratégies d’apprentissage comparativement à celle qu’ils accordent au fonctionnement même du projet. Cette tendance, le fait de considérer le projet comme une fin en soi, correspond à ce que Bordallo et Ginest (1993) appellent dérive productiviste. Quant à la tendance à déterminer le thème, la démarche de réalisation et les principaux aspects du projet, ces auteurs la dénomment dérive techniciste. Dans ces conditions, on peut se demander si le contexte de projet est aussi prometteur en ce qui a trait au développement de compétences transversales que le soutient le discours véhiculé dans les milieux d’enseignement (pp. 15-16). (Les gras sont du Goéland!)

On le voit, le danger de cette pédagogie est de se concentrer sur le but du projet et l'organisation du projet, alors que la formation de base doit donner des moyens, des connaissances qui, elles-mêmes, exigent selon les tenants de l'enseignement explicite une forte structuration dans la progression des acquisitions. Il m'apparaît clair en tout cas que le fait de mener un projet réaliste qui comporte des aspects parfois peu pertinents pour les apprentissages de type scolaire fait perdre du temps et mobilise beaucoup l'énergie de l'enseignant dans des banalités peu rentables pour l'apprentissage et donc réduit l'efficacité de l'enseignement. Enfin, je me demande si finalement dans une pédagogie de projets, l'enseignant-animateur finit par faire à la place de l'enfant certaines tâches ou si certaines connaissances que tous devraient apprendre à faire pour réaliser le projet ne sont apprises que par une groupe restreint de jeunes dans le cadre de l'apprentissage coopératif.


Enfin, dans ce monde polarisé, les dérives ne sont pas vu au même endroit:

Dans un ouvrage consacré à la pédagogie par projets, Michel Huber (2005) souligne que: « montrer aux élèves comment faire » constitue une « dérive à éviter » dans ce type de pédagogie (p. 53). Ainsi, la pédagogie constructiviste s’éloigne considérablement de l’enseignement explicite.

Comme le souligne les chercheurs, même si nous sommes sous la vague du constructivisme, la recherche sur l'efficacité des interventions pédagogiques pointe avec constance depuis un demi-siècle dans une toute autre direction. Il serait peut-être temps de revenir à une attitude plus objective.

De l'espoir?

Je notais hier, dans une discussion justement sur la division dans le monde de l'éducation sur ces questions pédagogiques chez Mario tout de go,  une certaine ouverture à considérer l'enseignement explicite chez des partisans convaincus de la réforme. Mais bon, j'ai été étonné aussi de voir que certains, et pas des moindres, ne connaissaient pas cette approche. On se demande comment effectivement on peut être un conseiller en éducation, défendeur d'une approche pédagogique et ne pas connaître les autres courants pédagogiques qui nous font face dans une polémique nourrie depuis 10 ans.

Enfin, on peut en apprendre pas mal sur l'enseignement explicite dans le chapitre 2 du livre Comment enseigne-t-on dans les écoles efficaces? Efficacité des écoles et des réformes de Bissonnette, Richard et Gauthier (2006), P.U.L. qu'on trouve dans de bonnes librairies. On y décrit aussi tout le design curriculaire et pédagogique du Direct instruction qui s'attache à fignoler la progression des apprentissages et à clarifier ce qui s'enseigne et se mesure dans un programme dans un souci de validation dans les milieux qui peut mener à 3-4 versions d'un programme et du design avant de prendre une forme finale. Le programme de la Finlande si vanté par les réformistes a demandé 4 réécritures avant de donner satisfaction. L'idée est bien de trouver la formule gagnante qui convient. On se demande pourquoi on ne s'inspire pas au Québec du gros bon sens de ces gens.

9 commentaires:

Steve Bissonnette a dit…

Merci de ces bons commentaires

Le professeur masqué a dit…

ce n'était pas la première fois que ces chercheurs avançaient ces idées. En fait, je pense qu'elles datent au moins de 2007, si je me souviens bien.

Steve Bissonnette a dit…

puis-je me permettre de préciser! depuis la parution d'un texte dans vie pédagogique en 2002
voir ici:

http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/viepedagogique/numeros/123/vp123_51-54.pdf

salutations

Steve Bissonnette a dit…

désolé voir cette adresse:

http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/viepedagogique/numeros/123/vp123_45-49.pdf

Jonathan Livingston a dit…

Bonjour Monsieur Bissonnette,

Merci, pour la référence et vos travaux. Vous êtes sûrement en lien avec des établissements qui mettent en place les principes d'une école efficace. Je me demande combien d'endroit au Québec s'inspire du Direct instruction pour augmenter l'efficacité de l'école. Enfin, je me demande si les conseillers pédagogiques (certains du moins) parlent dans les milieux de ce point de vue pédagogique. Pour moi, ne représenter que le point de vue de la réforme (interprètes des programmes) et la mise en place des nouvelles technologies dans l'espèce de mirage pédagogique que suscitent la venue de ces joujoux et gadgets est un détournement de leur fonction.

Jonathan Livingston a dit…

Non, Prof, rien de tout cela n'est nouveau. En 1993 déjà, dans mes cours de supervisions, on nous présentait ces notions. L'enseignement stratégique ou explicite, inspiré des développements de la recherche en psychologie cognitive prenait la forme de bouquins qu'on vantait partout, c'était dans l'air du temps. Je connais l'idée de l'enseignement réciproque depuis ces temps aussi.

Comme je l'ai dit ailleurs, j'ai travaillé de 1995 à 1998 dans une école spécialisée pour élèves en difficulté d'apprentissage qui était tout à fait pensé dans un cadre d'enseignement efficace ou stratégique.

Depuis que j'en suis sorti pour revenir en enseignement régulier, j'ai toujours été surpris de constater le manque de sensibilité de l'ensemble du système d'offrir aux élèves des séquences progressives d'apprentissage aux jeunes. Les manuels n'offrent pas d'outils simples pour arriver à ce genre d'enseignement sans devoir constamment palier par une production d'exercices stratégiques, ce que le contexte de ma précarité de m'a jamais permis de réaliser avec satisfaction. Car, il faut du temps pour bien penser un enseignement efficace.

Même si rien n'est apparemment nouveau sous le soleil, je parle régulièrement de cette pédagogie sous-représentée dans le système actuel. A mon sens, elle est une réponse à la crise actuelle et elle a besoin d'être systématisée pour offrir une alternative à la dispersion actuelle. J'attends avec impatience que le MELS affirme que cette approche aura un mot à dire dans le débat curriculaire et pédagogique visant à recadrer la dérive constructiviste. Mais bon, pour faire parler de leurs propositions pédagogiques Messieurs Bissonnette et al. n'ont pas de hochets technologiques et des vendeurs organisés en boîtes spécialisés créant des pubs soi-disant visionnaires avec les artifices de la présentation visuelle pour faire des illusions indiscutables sur Internet. Ils n'ont que la précision de leur science.

Françoise Appy a dit…

Il va sans dire que votre message est très intéressant et vous participez ainsi à faire connaître l’enseignement explicite, que même des supposés spécialistes disent ignorer.

La situation que vous décrivez quant à l’attitude des décideurs en éducation est similaire chez nous, en France. Les plus obstinés des constructivistes le rejettent avec une argumentation qui tient plutôt de l’oukase et l’assimilent tout de suite avec l’enseignement traditionnel, ce qui est une contre-vérité. Les moins étroits d’esprit commencent à ouvrir leurs oreilles et très prudemment, à en accepter certains aspects.

Néanmoins, en dépit de toutes les études réalisées sur la question depuis les années 60 et la qualité des chercheurs qui s’y investissent, y compris en langue française, aucun module de formation initiale ou continue des enseignants n’a jamais parlé d’enseignement explicite, qui, contrairement à d’autres types pédagogiques fortement recommandés, a donné des résultats tangibles et mesurables. Cela semble incroyable.

Dans l’association que j’anime, nous en concluons que le changement viendra de la base, c’est-à-dire des praticiens lassés d’utiliser des méthodes stériles. Nous avons la chance dans notre groupe d’avoir réussi à établir un contact direct et étroit avec le monde de la recherche en court-circuitant les intermédiaires institutionnels. Je salue et remercie Steve au passage et ses collègues chercheurs qui nous accompagnent dans notre quête d’amélioration professionnelle.

Cela étant dit, je suis tout de même perplexe quand les formateurs prétendent ne pas connaître l’enseignement explicite, après toutes les études réalisées depuis les années 60, et après le premier pavé dans la mare que fut le projet Follow Through. Comment peut-on expliquer que des enseignants de base réussissent à le connaître, à le mettre en place, à le diffuser, alors que ceux qui sont supposés être informés et faire partager les apports de la recherche, en ignorent tout ? Et que l’on ne me fasse pas croire que c’est dû à un a priori défavorable relatif à la provenance américaine ; quand il s’est agi de faire des copiés collés des méthodes constructivistes made in USA, ce scrupule n’a pas eu cours.

Il ne reste donc plus qu’à continuer, chacun à notre niveau, de diffuser, mettre en pratique et témoigner afin qu’un jour que j’espère proche, l’enseignement explicite et efficace soit un élément incontournable du paysage pédagogique.

Steve Bissonnette a dit…

À ma connaissance aucun endroit pratique un enseignement de type Direct Instruction! Toutefois, l'enseignement explicite commence à prendre racine à la
commission scolaire de Saint-Jérôme puisque j'y travaille à titre de consultant ainsi que Monique Brodeur de l'UQAM qui implante le matériel la Forêt de l'alphabet!

Le professeur masqué a dit…

Pour avoir travaillé à la Cs St-Jérôme, j'en garde le souvenir d'un organisme qui formait vraiment ses profs et qui se sentait concerné par la réussite des élèves.