Pages

jeudi 3 décembre 2009

Les parades des Melseux réformistes

Voilà que finalement cette réforme entrée de force sans discussion ne serait qu’un malentendu…

Ai-je pu lire dans un commentaire, laissé chez Missmath, qui nous réfère à des notes de conseillers pédagogiques à la retraite. Vont-ils justement tous la prendre leur maudite retraite qu’on puisse réparer leur bordel?

Voici le commentaire en question, c'est public, je cite:
«Marielle Potvin a dit…
Que l'on soit pour ou contre la réforme,l'essentiel est d'en avoir une idée juste. Malheureusement, on oublie trop souvent que les prémisses qui la sous-tendait sont excellents. Ce qui a fait déraper son intégration, c'est le manque de soutien aux enseignants, et l'organisation scolaire telle qu'elle est actuellement conçue. Je réfère quiconque s'intéresse à la question ici: http://j.mp/inoxx Comme on peut y lire, bien des malentendus subsistent face à cette réforme qui, rappellons-le, était bien nécessaire.»
Désolé pour Madame, il n'y a aucun malentendu. Les prémisses qui sous-tendaient la réforme ne sont pas excellentes, elles sont erronées.


L'approche par compétence, le fondement qu’on aurait oublié au milieu de la pédagogie des projets interdisciplinaires, est à la base une aberration pour la formation élémentaire et secondaire. La notion de compétence a une pertinence pour ce qui est d'une fonction dans la société, pas dans la construction des savoirs et méthodes disciplinaires de nos formations de base. La compétence s’exerce dans des situations de vie réelles et met à profit un bagage personnel et de formation professionnelle. Il n’y a qu’à ouvrir un dictionnaire pour voir que le mot compétence dans son sens normal n’a aucun sens dans son application à l’activité d’apprenants dans des disciplines de formation, elle est bien davantage liée à l'idée d'expertise dans un domaine.

La formation scolaire pour l’enfant vise le développement de connaissances de base et de méthodes, ainsi que le développement intellectuel dans un contexte social qui permettront ultérieurement le développement de compétences professionnelles qui nécessitent une connaissance approfondie de certaines matières bien coordonnées en situation de travail permettant de juger et d’agir adéquatement dans le cadre d’une fonction sociale, d'un métier.

Pour de nombreuses disciplines scolaires, cet impératif de se positionner globalement par rapport à la notion de compétence qui est multidimensionnelle (connaissances, savoir-faire, savoir-être, gestion mentale, conscience, etc.) a crée d’énormes confusions; pas des malentendus, de la confusion. Il est abusif d'employer la notion de compétence dans le cadre du développement de la capacité ou de l'habileté d'écrire ou de communiquer. Ces capacités de base ne donnent pas de compétences spécifiques dans un domaine quelconque. Il est débile de nous parler de la compétence d'un pilote d'avion pour nous parler de la démarche d'apprentissage des connaissances de base scolaires. Pourtant, on fait ce genre de comparaison tout à fait inadaptée depuis dix ans et on réussit même à nous faire accepter d'employer ce jargon inapproprié.

Une compétence sans fonction social précise pour la définir est comme une poule pas de tête qui court partout. Et on a tous l’air de poules pas de tête en éducation depuis qu’on nous a servi ces notions confusantes comme objectifs de formation.

Avant d'utiliser les maths en situation, par exemple, on doit maîtriser un certain nombre de capacités, de connaissances ou de micro-savoir-faire qui n'ont rien à voir avec la compétence d'un mathématicien ou d'un ingénieur qui s'en servent en situation à titre d'experts dans leur domaine avec pertinence pour la société.

La notion de compétence est tellement non opérationnelle (non concrétisable en des enseignements précis évaluables) qu'elle crée une confusion sur les objectifs de scolarisation et élude complètement la construction nécessairement longue de la coordination des habiletés et connaissances en mathématiques ou dans l'apprentissage des langues.

Pour être clair, apprendre à maîtriser dans un développement vertical pour mieux gérer la maîtrise sans erreurs d'un calcul avec priorités d'opération avec des fractions dans Z est déjà un apprentissage remarquable qui permettra d'acquérir une méthode efficace pour gérer subséquemment l'algèbre... Cet apprentissage supposait en préalable toute une construction progressive qui nécessite beaucoup de temps pour prendre de la consistance. Je ne vois pas en quoi il faut faire du français tout le temps en maths avec des entourloupettes sémantiques dans des problèmes conçus pour faire, selon la philosophie de ces «pédagoriciens», signifiant, contextualisé et mobilisation des compétences, en quoi cette tambouille vient aider les enseignants de maths à construire la rigueur mathématique, un pilier disciplinaire dans la formation intellectuelle nécessaire à la civilisation depuis des lustres. Laissons au jeune le temps de mûrir dans son appareil intellectuel avant de le plonger dans la coordination de ses connaissances et habiletés pour résoudre des problèmes. Ce genre de coordination n’est possible qu’en tenant compte du développement normal du cerveau humain qui atteint une capacité pour l’abstraction entre 12 et 16 ans dans de bonnes conditions. A tout le temps présenter les choses dans leur contexte la plupart du temps fabriqué (en plus!), l'apprenant n'arrive pas à distinguer la structure à maîtriser. Il se perd trop souvent dans les détails et n'ayant en plus aucune capacité de mémorisation qu'on a rejeté comme une capacité désuète et indigne de l'homo sapiens sapiens, aucun entrainement répété pour avoir intériorisé au préalable les connaissances à mobiliser, il se retrouve souvent incapable d'apprendre et de résoudre en bout de ligne quoi que ce soit.

A trop tout le temps vouloir aller dans les situations du réel qui mobilisent des habiletés mathématiques à peine consolidées, on perd de façon inouïe l'essence de la discipline mathématique et son apport à la construction des compétences : attention, rigueur, mobilisation de connaissances, analyse fine des relations d’un ensemble, capacité de coordonner une action vers un résultat exact, précis, fiable, etc. Ce n’est pas sans dessein que l’enseignement des maths figure au programme de formation des élites depuis des millénaires. Elle est une discipline du développement de la pensée majeure dans l'essor des civilisations humaines modernes.

En français ou discipline de la maîtrise de la langue, on a relégué aux oubliettes des activités disciplinaires traditionnelles formatrices comme l’analyse grammaticale et logique qui permettait régulièrement, patiemment de s’approprier le système de connaissances grammaticales pour l’utiliser en situation d’écriture. Cette connaissance peut permettre de rendre capable d'écrire sans fautes ou en en faisant très peu.  On a plutôt mis de l’avant l’apprentissage en action d’activités d’écriture signifiantes soutenues par les bricolages de trucs inefficaces sans bien consolider le réseau de connaissances référents qui permet de gérer les routines orthographiques de manière soutenable. La grammaire nouvelle des linguistes qu’on nous a imposée sous vernis de science s’avère ingérable cognitivement par les jeunes apprenants. Tout ce merdier, on a qu’à constater les résultats, pour répondre au sacro-saint dogme du développement de la compétence disciplinaire d’écriture dans des contextes signifiants (pour le monde adulte) qui font maintenant l’objet exclusif de l’évaluation. On met, de nos jours, systématiquement la charrue devant les bœufs et on s’étonne des résultats.

Avec la tonne de polycopiés qu'on dépense pour tenter de leur faire faire des manipulations syntaxiques, avec des flèches n'importe quoi, pour un résultat aussi maigre, il ne viendrait pourtant à personne l'idée de se poser quelques questions... Faire copier des phrases, écrire mot à mot l'analyse d'une phrase faisait en plus former ses lettres... De nos jours, faudrait être un adulte tout de suite avant d'avoir été un enfant et on n'a pas  de temps à perdre dans ces routines inintéressantes. Pourtant la rigueur n'a jamais évolué dans des esprits de fêtard. Bien qu'on découvre beaucoup de choses en jouant, le jeu récompense après un labeur dont on peut être fier semble une conception dépassée de nos jours.

A vouloir trop vite les rendre compétent, on stimule paradoxalement la fainéance.

L'évaluation  est devenue délirantes ces dernières années, justement parce qu'elle porte sur la notion intégrative de compétence et non sur des objectifs de progressions des connaissances et habiletés qui formeront plus tard des compétences: des savoir-être, des savoir-faire bien maîtrisés dans un domaine lié à un emploi ou un domaine...  Les échelles descriptives ne permettent pas justement de décrire la progression de l’élève dans le programme de développement disciplinaire parce qu’elles sont trop globalisantes sans égard à l’efficacité de l’évaluation constante, régulière et précise  des sous-habiletés et des connaissances enseignées pour former l’élève.

Ces échelles prêtent à interprétation  et finissent par camoufler le manque de maîtrise de ce qui pourrait l’être si simplement on avait l’audace de préciser et d’évaluer les activités nécessaires pour chaque âge pour bien développer l’appareil intellectuel et une connaissance du monde nécessaire au citoyen moderne. La tradition scolaire a eu pourtant cette audace pendant des siècles, mais on a jeté le bébé avec l’eau du bain.

En somme, tout le système a fait une incroyable erreur d'appliquer ces concepts de la vie adulte à des enfants en train de développer les connaissances et habiletés de base qui permettent le développement de l'intelligence au fondement du développement ultérieur de compétences liés à une fonction sociale...

Navré, la parade des malentendus des Melseux nous prend pour des imbéciles qui n'ont rien pigé.


Quant à la nature non prescriptive mais suggérée de la pédagogie de projet et de l’interdisciplinarité, notons qu’elles font l'objet de cours fusionnés sans égard à l'applicabilité de la chose au nom de ces mêmes principes sans fondement dans le cas des sciences pures et humaines... J'ai bien peur que de cette horreur, il ne sorte pas grand chose.

La pédagogie de projet a rempli des classes multiniveaux d'élèves en difficulté pour permettre l'interdisciplinarité chez les autres. J'ai dû m'occuper personnellement de 31 élèves en difficulté «parckés» sans service dans une classe multiniveau avec trois niveaux secondaires comme variété chez les apprenants. Beau 1/4 de tâche en maths ne trouvez-vous pas...J'ai démissionné une fois de mon poste pendant un mandat, c'est dans ce bordel dont je ne parle que de 25%! Si elle n'est pas prescriptive, votre interdisciplinarité, on nous l'a rentré de force dans notre organisation et notre quotidien...

Alors, désolé, chers réformistes hallucinés, vos prémisses excellentes me font chaque jour enrager de voir le système éducatif tant mis à mal par l’incompétence de pédagogues théoriciens qui n’ont malheureusement pas une connaissance approfondie de la matière et de la réalité où ils prêchent leurs théories inapplicables et impertinentes. Quant au malentendu, il vient justement de ce délire inapplicable et impertinent que l’on nous a forcé d’intégrer dans la réalité de l’éducation des jeunes. Malheureusement, la répétition d'âneries engendre néanmoins souvent aussi l'apparence de vérité.

Souhaitons vivement que l’on recadre rapidement la formation de base au Québec parce que les conséquences de ces errances ne seront pas anodines.

Ces jours-ci, j’en suis finalement à me dire qu’il faut peut-être regretter une éducation rigoureuse gérée par les ecclésiastes à celle gérée par des politiciens opportunistes influencés par les lobbys universitaires et technologiques. Moi aussi, je suis d’accord avec Baillargeon, tout ce monde a démontré magistralement dans les dernières décennies son incompétence.


4 commentaires:

Missmath a dit…

Quelle finale !

Je ne sais pas s'il faudrait retourner à l'éducation par les ecclésiastes, mais je sais qu'il faudrait retourner à la vocation du personnel enseignant, d'une part et à la foi en l'éducation de la part des élèves d'autre part.

Il me semble que quelque soit le côté où on le prend, notre système d'éducation s'effrite.

Jonathan Livingston a dit…

Hep, on n'est pas sortis de l'auberge!

Anonyme a dit…

Une démonstration brillante,
j'ai lu d'abord le texte des pédagogues et j'étais bien d'accord avec leurs nuances, mais vos explications les déconstruisent élégamment.

J'aimerais ajouter quelque chose, car je crois que nous tolérons dans nos facultés d'éducation une situation très problématique : ces dernières sont contrôlées par des spécialistes de la « psychopédagogie et de la didactique», mais qui est-ce qui leur a conféré la légitimité de se considérer comme l'autorité en matière d'éducation? Quelle est précisément leur science, leur discipline?

Le terme « apprentissage » est un concept, un construit que l'on peut appréhender à l'aide de plusieurs disciplines. Ils (les doctorants en éducation) ont fait de ce thème, de cet «objet», une discipline à part, mais j'ose leur demander, quelle est leur « science », quelle est leur méthode?


En psychologie, en histoire, en sociologie, en science économique, nous avons une méthode, et un corpus. Quand quelqu'un a une théorie, des hypothèses, on se sert de la méthode pour valider ou non les hypothèses afin de voir s'il vaut la peine de les intégrer aux savoirs développés par la discipline. Les sciences de l'éducation prétendent être une science, mais je demande qu'elle est leur méthode?

De toute façon, elles n'existent pas en tant que telles, car il n'existe pas de processus d'apprentissage «a priori», quand on apprend, on apprend quelque chose, même quand on apprend à apprendre, ce raisonnement rend caduc la prétendue légitimité des sciences de l'éducation, comme s'il existait un modèle de l'apprentissage sur lequel viendrait se greffer n'importe quelle matière.

Bref, on a confié à de faux savants le rôle de réfléchir notre système d'éducation. Il est donc naturel que ces derniers pondent des théories farfelues.

Comment se fait-il qu'ils aient autant de poids, c'est en cela que réside le scandale.

Merci de nous ouvrir les yeux...

Jonathan Livingston a dit…

Merci, votre commentaire soulève un point essentiel. Ma formation scientifique en psychologie m'a toujours apporté un contre-point salutaire pour me pas me laisser enfumer par les balivernes de ces autorités auto-proclamées dont la rigueur scientifique n'est pas démontrée.

Pour moi, je vois l'évidence que l'application de schémas pour le monde adulte détonne dans le monde de l'enfance parce que j'ai beaucoup lu sur le développement de l'intelligence, entre autres, dans le cadre de ma formation en psycho.

On a affaire effectivement bien davantage à une idéologie qu'à une science et ses adeptes ne s'encombrent pas de rigueur. Leur enseignement a été de l'endoctrinement... indiscutable. Ils ont prospéré à la faveur de la retraite massive de la génération précédente d'enseignants qui a fui cette confrontation inutile pour eux. Ils s'en allaient.

Mais bon, pourquoi autant de pouvoir? Dans le monde déconnecté des «pédagoriciens», tout est possible, et les politiciens n'entendent que les économies à faire... Ces derniers ne vivent pas la réalité de terrain de l'éducation, bref, ils n'ont pas un regard critique, mais politique. Ensuite, bien je pourrais glisser dans des hypothèses voisines des théories du complot, mais bon je vais m'abstenir! Mais bon, curieusement, le pouvoir enseignant dans nos sociétés a bien perdu des plumes...

Vous avez tout à fait raison, il y a bien des points communs entre différents apprentissages, mais chaque apprentissage a son objet et chaque objet ses enjeux. Voilà pourquoi il y a bien des méthodes différentes et qu'il est farfelu d'appliquer un modèle général de l'apprentissage. Nous nageons dans cette exigence contradictoire avec les impératifs propres de plusieurs disciplines liés à des objets d'apprentissage.

Avant d'apprendre à apprendre, il faut avoir appris dans des méthodes spécifiques et diversifiées. Apprendre à apprendre, ça fait jolie dans un document mais, dans la tête d'un enfant, la formule devient une idée assez insaisissable. Il a souvent déjà du mal à gérer l'apprentissage tout court...

On va bientôt payer le prix de cette aventure inspirée du management bureaucratique qui veut tout centraliser, qui tient au principe directeur!

En formant les enseignants dans le moule déformant des sciences de l'éducation, ce qu'on a saboté, c'est la rencontre productive de l'interdisciplinarité... C'est là qu'il doit y avoir une socio-construction: pas dans la classe de primaire ou du secondaire, mais autour!